May 7, 1985

So, I thought a lot about last week. Let’s try to understand something, what happened last week. Something always happens, since we risked this method of multiple interventions … For me, it was going well. I saw my sound framing arriving and receiving a satisfactory definition, from the highest technological perspective. At that point, … something slipped, skidded, from a certain necessary point of view, and from my viewpoint, not necessary. And this slippage having occurred at that point, we found ourselves in a state where the very problem had disappeared, that is, this very precise problem: is there a framing of sound? And we found ourselves, either confronting some very general problems of music, or confronting problems of technology in these relations with art, even more general, and my story of framing could no longer be retrieved… So, I have a principle, I believe, I have a principle: when something goes wrong, we don’t go back into it, we cross it out. There were reasons why it went wrong. We won’t start over. One must never start over. I will say later what I am deriving from that. Notice that, inspired by a God, I planned to be able to fall back on a weak assumption even if I gave up the strong assumption to which I held. So, I will tell you the weak hypothesis, the strong hypothesis, and then we move on.

Seminar Introduction

As he starts the fourth year of his reflections on relations between cinema and philosophy, Deleuze explains that the method of thought has two aspects, temporal and spatial, presupposing an implicit image of thought, one that is variable, with history. He proposes the chronotope, as space-time, as the implicit image of thought, one riddled with philosophical cries, and that the problematic of this fourth seminar on cinema will be precisely the theme of “what is philosophy?’, undertaken from the perspective of this encounter between the image of thought and the cinematographic image.

For archival purposes, the English translations are based on the original transcripts from Paris 8, all of which have been revised with reference to the BNF recordings available thanks to Hidenobu Suzuki, and with the generous assistance of Marc Haas.

English Translation

Edited

Eric Rohmer’s Claire’s Knee, 1970

 

Starting this session with questions on sound framing and taking up the second phase of spoken cinema, Deleuze examines how the sound component gains its own quite distinct framing in relation to visual framing, proposing two hypotheses, one “strong” and one “weak”. First phase: the new image regime after World War II and the idea of a specific sound framing emerging increasingly through specific technological operations. However, student questions and comments intervene (on the role of animated films in this development; the role of stereo versus monaural sound for this framing), and then, in the second phase, the disappearance of an out-of-field (hors-champ) occurs, replaced with an interstice between visual and sound framings. Deleuze proposes different manifestations of automata in various national cinema traditions and discusses issues of framing in comparison to issues of abstract expressionism, suggesting that by whatever means, sound framing served as a means for cinema authors to beckon the future. Then, insisting that this marked a shift toward an “heautonomy”, Deleuze defines more precisely each type of image or framing (cf. Rohmer’s “Claire’s Knee”; Resnais’s “Last Year in Marienbad”), suggesting that, on one hand, the sound image is a speech act as fabulation or founding act of the event, and on the other hand, the visual images now are “any-spaces-whatever.” Exploring examples of spatial layers, he again points to different works (Resnais, Jean-Marie Straub and Danièle Huillet) with different ways of examining not just spatial layering, but also how each layer buries something necessarily revealed. Deleuze considers how these images attain an incommensurable, irrational, free indirect relation, extract a pure speech act from an environment, and more precisely, speech acts ripped from materials that resist, but also resistance arising from the speech acts themselves. Then shifting to the visual image, i.e., empty, geological and telluric spaces, Deleuze argues that the visual image’s role is to bury what the speech act ripped out to be expressed, providing examples of the circuit between the telluric image and the sound images, both maintaining at once their “heautonomy” and their indirect, irrational and incommensurable relationship. [Much of the development corresponds to The Time-Image, chapter 9.]

 

Gilles Deleuze

Seminar on Cinema and Thought, 1984-1985

Lecture 21, 07 May 1985 (Cinema Course 87)

Transcription: La voix de Deleuze, Antoine Garraud (Part 1), Guadalupe Deza (Part 2) and Laura Moscarelli et de Marie Descure (Part 3); additional revisions to the transcription and time stamp, Charles J. Stivale

English Translation Forthcoming

French Transcript

Edited

Gilles Deleuze

Sur Cinéma et Pensée, 1984-1985

21ème séance, 07 mai 1985 (cours 87)

Transcription : La voix de Deleuze, Antoine Garraud (1ère partie), Guadalupe Deza (2ème partie) et Laura Moscarelli et de Marie Descure (3ème partie) ; révisions supplémentaires à la transcription et l’horodatage, Charles J. Stivale

Partie 1

Bon, [Pause] alors pour en finir, mon projet est ceci donc, c’est que nous n’aurions plus en principe que deux cours, aujourd’hui et la semaine prochaine. Mais tout dépend de… tout dépend de où j’en serais à la fin de cette séance. Si je n’en suis pas là où je souhaite, il faudra une troisième séance en première semaine de juin, mais je vous le dirai à temps, parce que cette dernière séance, il faut qu’il y ait une dernière séance, parce que certains d’entre vous souhaitent poser, ce qui est la moindre des choses, des questions portant sur l’ensemble de ce qu’on a fait cette année. Donc on fera une séance de récapitulation [1 :00] qui ne viendrait pas de moi, mais qui viendrait de ceux que ça intéresse. Là-dessus, je rappelle donc que pour ceux qui veulent l’UV, il faut qu’ils me donnent les papiers et que vous alliez au secrétariat.

Bon alors, moi j’ai beaucoup réfléchi à la semaine dernière. Essayons de comprendre quelque chose, ce qui s’est passé la semaine dernière, alors tantôt toujours quelque chose se passe, puisqu’on risquait cette méthode d’intervention multiple. Et voilà que, deux fois, ça a en gros réussi et que — là je ne parle que pour moi, les autres peuvent avoir un autre avis, mais je ne sais pas — et la dernière fois, ça a raté. Et ça a raté, ce qui est très bien aussi, tout est bien. Alors je me disais après, pendant toute la semaine, je me disais, mais sans tristesse, sans abattement, je me disais : [2 :00] mais pourquoi ça a raté ? Comment ça se fait ?

Et voilà : je crois qu’il s’est passé une drôle de chose. Ça partait, ça partait assez bien. Pour moi, ça partait bien. Je voyais mon cadrage sonore s’approcher et recevoir une définition satisfaisante, du plus haut point de vue de la technologie. Là-dessus — je parle collectivement, tout ce qui se passe, ce n’est jamais celui-ci ou celui-là, c’est quelque chose qui… — là-dessus, il y a eu un dérapage, dérapage, d’un certain point de vue nécessaire, et de mon point de vue à moi, pas nécessaire. Et ce dérapage s’étant produit, là-dessus, on s’est retrouvé dans un état [3 :00] où le problème même avait disparu, c’est-à-dire ce problème très précis : y a-t-il un cadrage sonore ? Et on se retrouvait soit devant des problèmes de musique très généraux, soit devant des problèmes de technologie dans ces rapports avec l’art, encore plus généraux, et mon histoire de cadrage, elle n’était plus rattrapable.

Alors c’est très curieux, c’est très curieux. Vous savez dans les séances de travail, si la dernière fois c’était toutes nos séances, en essayant le travail, dans les séances de travail à mon avis — en tous cas pour moi, je ne parle que pour moi — j’aime autant celles qui ratent que celles qui ne ratent pas. Je veux dire non… j’aime celles qui ratent à condition qu’il y en ait moins [Rires] proportionnellement, sinon ce serait [4 :00] extrêmement fâcheux. Alors, j’ai un principe, je crois — oh un principe !… — quand quelque chose est raté, on ne revient pas dessus, on fait une croix dessus. C’est qu’il y avait des raisons que ce soit raté. On ne recommence pas. Il ne faut jamais recommencer. Je dirai tout à l’heure ce que moi, ce que j’en tire alors. Remarquez que, inspiré par un Dieu, j’avais prévu que je pourrais me replier sur une hypothèse faible quitte à abandonner l’hypothèse forte à laquelle je tenais. Donc je vous dirai, moi, hypothèse faible, hypothèse forte, et puis on avance.

Ça n’empêche pas que certains d’entre vous la dernière fois ont manifesté le souci d’intervenir et on n’avait pas eu le temps. Alors je leur demande juste de ne pas intervenir sur des généralités excessives concernant la musique, mais le plus possible [5 :00] sur cette question de cadrage. [Sur le cadrage sonore, voir L’Image-temps, pp. 328-341] Et voilà. Et si possible que ce ne soit pas trop long, parce que, après… on arrive au bout du temps. Alors toi, je crois que tu voulais signaler un point de vue… ouais.

Un étudiant : Alors moi, ce qui m’intéressait, c’était le point de vue du compositeur, l’aspect technique technologique est intéressant, mais s’il y a un cadrage, je pense que s’il y a un cadrage, il est également possible au moment de la composition de l’œuvre [Propos inaudibles]. Je n’ai pas trouvé, j’ai vérifié après le cours ce qu’il y avait du cadrage, je n’ai pas réussi à définir ce principe de cadrage. Mais j’ai travaillé un peu sur le problème de montage, notamment chez [Alban] Berg, et également dans [6 :00] les compositions [Propos inaudibles] … [Pause]

Deleuze : Si tu sens quelque chose qui ne va pas, ça ne fait rien, continue. Si tu sens des esprits contraires ? [Rires] [Pause]

L’étudiant : Je ne sais pas s’il y en a parmi vous qui connaissent [Propos inaudibles] la partition de Wozzeck.

Deleuze : Écoute, ici la convention, c’est : on fait comme si les gens connaissaient, [Rires] à une condition, c’est qu’on ne dise pas des choses trop techniques. Si tu ne dis pas des choses trop techniques, peu importe. [7 :00] Pour ceux qui n’ont pas entendu cet opéra, ça leur donnera peut-être une raison de l’entendre. Je voudrais surtout que tu sois prêt… que tu dises ce que tu as à dire assez précisément. Tu dis qu’il y a une question du cadrage par rapport au compositeur. Alors tu dis : ça je ne peux pas le poser parce que je n’y arrive pas encore ; du coup, ça m’ennuie un peu. Mais tu dis : je vais parler du montage, du montage dans l’opéra Wozzeck, du montage sonore.

L’étudiant: Du montage sonore, oui.

Deleuze : Alors je voudrais juste que tu donnes quelques indications là-dessus.

L’étudiant: Pour revenir sur le cadrage, c’est difficile d’en parler. Mais … En tous cas, comme moi, je compose, il s’agit avant tout de gagner [8 :00] un espace, d’occuper un espace, et d’occuper son propre corps dedans, à partir du matériau … [Propos inaudibles] Donc, déjà dans cette préoccupation d’occuper un espace, je pense que le problème du cadrage ressort. [Propos inaudibles] En tout cas, le gagner et l’occuper… [Pause] Y a-t-il quelqu’un d’autre qui comprenne dans cette salle ? [Rires] J’appelle au secours.

Deleuze : Tu appelles au secours. … voilà ! [Pause] [9 :00]

Une étudiante : Moi je voulais juste faire une remarque. Comment se fait-il que chaque fois qu’on veut parler de cadrage, apparemment, on parle de montage. Il y a une drôle de… Hein, comment ça se fait ?

Deleuze : La réponse est très simple. La réponse est très simple. C’est que la question « y a-t-il un cadrage sonore ? » est une question récente, à mon avis, qui jusqu’à, mettons, jusqu’à la guerre, ne s’est pas posée ; il n’y avait pas de cadrage sonore. Il n’y avait de cadrage que visuel, et on a vu que, en effet, l’état du sonore dans le premier stade du parlant excluait que cette question soit posée sur un cadrage sonore. Il n’y avait donc qu’un cadrage visuel.

En revanche, il y avait un montage sonore. Il y avait un mixage [10 :00] et un montage au niveau du son. Alors c’est cette espèce d’aimant du passé qui fait que — et ça m’a beaucoup nui la dernière fois — on a toujours tendance, quand on pose la question du cadrage sonore, actuellement, si on la pose, à être amené à des opérations de montage. Donc là, la réponse… et si j’ajoutais une réponse plus philosophique et plus difficile, je dirais que le montage sonore tel que j’espérais qu’il se dégagerait la dernière fois… non, pardon ! Le cadrage, le cadrage sonore, implique évidemment un changement [11 :00] concernant la notion de cadrage ou une nouvelle compréhension de la notion de cadrage qui rejaillit y compris sur le cadrage visuel. À savoir que s’il y a un cadrage sonore, le cadrage sonore, tout comme le cadrage visuel, doivent être compris en termes de temps et non plus d’espace. C’est-à-dire que ce qu’on cadre, ce n’est pas de l’espace, c’est du temps.

Alors au niveau du cadrage visuel, [Jean-Luc] Godard l’a très bien dit. Godard le dit très bien dans ses commentaires de Sauve qui peut (la vie) [1980]. Il dit, en parlant du cadrage visuel, il dit : mais le cadrage, vous savez, c’est une histoire de temps ; ce n’est pas affaire d’espace, c’est affaire de temps. C’est-à-dire, il ne s’agit pas de savoir quel espace je cadre. Il s’agit de savoir quand je peux commencer et finir un plan. [12 :00] Et pour lui, c’est ça le cadrage. Donc c’est une opération temporelle. À mon avis, ça va de soi, parce que si on arrive à donner un sens à un cadrage sonore, le cadrage sonore est temporel aussi bien que le cadrage visuel.

Alors ta question : pourquoi est-ce qu’on est toujours ramené, pourquoi est-ce qu’on a toujours envie de revenir au montage ? Ben, la réponse me paraît très simple : c’est que le problème dépend, le problème est tout récent, c’est-à-dire dépend d’un statut de l’image, qui est un statut de l’image très actuel. Si l’on pense à un cinéma classique, il y aura cadrage visuel spatial, il y aura montage visuel et sonore, il n’y aura pas de cadrage [13 :00] sonore. C’est pour ça qu’on est toujours ramené au montage sonore. Et c’est ça que je voulais…

Alors moi, je crois que là où tu as quelque chose, mais qui n’est peut-être pas au point ; c’est que ce n’est pas par hasard que [Michel] Fano dit quelque chose. Tu serais assez proche, il me semble, dans ce que … Fano dit des choses du type, oui, c’est Berg, et c’est notamment Wozzeck, qui présente une espèce de dramaturgie visuelle et sonore qui est comme tendue vers le cinéma. Seulement Fano le dit à propos du mixage. Et Fano qui, à mon avis, a toutes les possibilités pour poser le problème, toutes les possibilités pratiques et théoriques, pour poser le problème du [14 :00] cadrage sonore, à ma connaissance en tous cas, ne pose pas directement le problème du cadrage sonore

L’étudiant : Alors si on ramène le problème du cadrage, à un problème de cadrage, de cadrer le temps, dans Wozzeck, il y a… Enfin je pense que ce que moi j’appelle montage, ça fonctionne aussi comme cadrage sonore. Bon, il y a une première chose : Wozzeck, c’est un opéra en trois actes. Chaque acte se termine sur un accord qui enchaîne avec l’acte suivant. Donc en fait, même si on peut imaginer une coupure entre chaque acte… Entre chaque acte, il n’y a pas de coupure. Si on peut imaginer une coupure entre chaque acte, de toute façon, elle est supprimée par la résonance de ces accords qui terminent, et qui se prolongent sur l’acte suivant. Et le dernier acte … la résonance du dernier acte, en fait, se poursuit sur les premières mesures ; la résonance du troisième acte [15 :00] se poursuit sur les premières mesures du premier acte. Donc en fait, c’est un opéra circulaire en circuit fermé. D’ailleurs de ce point de vue-là, c’est assez amusant parce que Wozzeck ne comporte pas d’ouverture, il s’ouvre même de façon très bizarre pour un opéra puisque c’est à peine [Propos inaudibles] À la limite, la dernière scène de Wozzeck et l’interlude qui a été créé immédiatement avant, qui sépare la quatrième et la cinquième scène de l’acte trois, pourraient constituer en fait une ouverture et une première scène, plutôt qu’un interlude et une dernière scène.

Par ailleurs, à l’intérieur de la partition, Wozzeck utilise un certain nombre de matériaux très divers, qui entretiennent entre eux des rapports assez complexes, qu’on peut assez facilement réduire à une forme brute : une chanson populaire, un [mot inaudible], une forme de danse [16 :00] [mots indistincts] avec des motifs comme une sorte d’intervalle, par exemple une tierce mineure qui revient assez souvent, notamment lorsqu’on évoque le problème du couteau [mot inaudible] que Wozzeck recherche dans l’étang au moment où il se noie, voire même simplement une seule note [mot inaudible]. Wozzeck arrive à, notamment dans le troisième acte, à structurer une scène sur une seule note, ou toute une scène sur un seul mouvement. Mais à chaque fois, ce matériau est modifié par des réminiscences du matériau, des matériaux qui finalement reviennent [Propos inaudibles]. Ça nous amène dans le … plus loin dans la partition … par exemple, [17 :00] une note comme le si, qui structure toute la scène finale de la mort de Marie est présente dès le début de l’opéra, et apparaît également ensuite. Dans le début de l’opéra, c’est présent sous forme de prémonition presque, et ensuite sous forme de réminiscence. Et c’est valable pour tous les motifs, pour tous les matériaux qu’utilise Berg. Ce qui fait que … [Pause] À un moment précis de la partition … À ce moment-là, on se trouve également avant et après par la présence de différents matériaux qui interagissent entre eux. [Pause]

Deleuze : Bon, oui, ouais. Là il y a des choses bonnes [18 :00] pour nous. Mais là, tu t’en écartes parce que tu t’en écartes, et en même temps, et tu ne peux pas t’en tirer dans les conditions là parce que… Tout ça, ça ne vaudrait que si tu montrais en même temps — ce que tu serais très capable de faire, mais ce qui nous entraînerait trop loin — en quoi c’est justement complètement différent d’une formule wagnerienne, par exemple. Qu’est-ce qu’il y a de nouveau dans cette structure ? Qu’est-ce qu’il y a de nouveau dans cette structure d’opéra ? Alors, moi je crois… En quoi c’est réellement quelque chose qui concerne notre problème ? C’est que, c’est peut-être lié à ceci que la musique prend un sens, en effet, prend un sens assez moderne et qui est celui d’être le traitement d’un environnement sonore. [19 :00] Ce qui n’est évidemment pas le cas… enfin je ne sais pas. Écoute, on va voir, hein, on va voir.

Alors aujourd’hui, je voudrais aller à la fois doucement et puis, notre séance de la dernière fois, c’était une parenthèse pour asseoir un point essentiel de notre analyse. Voilà que la parenthèse a craqué. Mais restons là. [Pause]

L’hypothèse forte — forte, je ne veux pas dire, je veux dire forte au sens de maxima, pas au sens de bonne — l’hypothèse forte, [20 :00] c’est ceci : avec le nouveau régime d’images tel qu’il apparaît après la guerre, se dessine de plus en plus, au cinéma et ailleurs, l’idée d’un cadrage sonore, d’un cadrage sonore spécifique. [Pause] Dans l’hypothèse forte, ce cadrage sonore, peut — je ne dis pas qu’il est nécessairement obtenu — peut être défini par rapport à certaines opérations technologiques. [21 :00] Ces opérations technologiques interviennent, et là j’insiste quant à la remarque que tu faisais tout à l’heure, ces opérations interviennent dès la prise de son. En quoi consistent-elles par rapport à l’état de l’acoustique avant-guerre, à l’état technologique d’avant-guerre ? Elles consistent en ceci.

Premièrement : multiplication des micros et diversité qualitative des micros, donc possibilité même d’employer une multiplicité de micros différents qualitativement. Deuxième [22 :00] point : le développement des filtres dits « correcteurs » ou « à coupure », de ces deux sortes de filtres, on l’a vu la dernière fois. [Pause] Troisième point : l’emploi de modulateurs, soit à réverbération, soit à délai. Enfin quatrièmement : tous ces procédés technologiques vont entraîner une nouvelle appréhension de la stéréophonie. [Pause] La stéréophonie n’est plus pensée comme [23 :00] un positionnement dans l’espace, ni même comme un parcours du son, même à 360 degrés. Mais elle va être pensée comme constitution d’un volume sonore à l’intérieur duquel, en tant que volume sonore, à l’intérieur duquel se répartissent des intensités. [Pause]

Les positions ou les positionnements dans l’espace, [Pause] et les sources d’émission, et la nature des instruments [24 :00] étant de telles intensités, ce qui revient à dire quoi ? C’est que le volume sonore est un volume temporel qui ne doit pas être pensé spatialement. C’est un volume temporel. Et les intensités sont des processus de temporalisation. Un instrument est un processus de temporalisation. Ce n’est pas une forme spatiale ; c’est un procès temporel. [Pause] En tous ces sens, il y a un cadrage sonore, [Pause] cadrage sonore spécifique [Pause] [25 :00] et qui opère par lui-même, en lui-même. Avant, dans le système micro/haut-parleur, avant-guerre si vous voulez, on pourrait peut-être trouver des préfigurations d’un tel cadrage sonore. À la limite, je dis les données mêmes pour que le problème soit possible ne sont pas encore réunies.

L’étudiant : Il y a une chose importante [Propos inaudibles] … Je voulais vous parler de choses quand même, je voulais voir jusqu’où vous iriez, mais, sur le sujet qui m’intéresse le plus, moi, c’est le dessin animé. C’est là-dessus que je travaille depuis déjà un bout de temps. L’évolution du volume sonore, l’étude de la construction d’une continuité sonore, d’un cadrage du son, a été totalement un problème qui a préoccupé Walt Disney, et d’autres, [26 :00] de façon très, très aigue et très, très grave. D’abord, Walt Disney, bon, s’est intéressé à ses débuts à faire des musiques symphoniques, c’est-à-dire à utiliser les rythmes de la musique et puis de cadrer quelque chose autour [Propos inaudibles] Cette musique, il voulait essayer de la figurer soit abstraitement soit figurativement, mais construire ces animations qui sont normalement saccadées, d’arriver à obtenir une formule de fluidité dans son image en utilisant un son très bien cadré, et d’étonner les gens, de se rendre compte que quelque chose qui n’avait rien à voir avec la réalité pouvait aussi bien cadrer avec un son et dans ces cas-là [Propos inaudibles]. Et ensuite, il y a eu toute une autre école du dessin animé qui est, bon, [Propos inaudibles] préfigurée par Tex Avery et d’autres, qui eux ont utilisé un dessin animé qui n’avait plus rien à voir avec la réalité souvent ou qui [Propos inaudibles] une distorsion complète avec la réalité, pour cadrer dessus des sons qu’ils voulaient livrer en écho avec des images. Et c’était donc à chaque fois une surprise de voir des mouvements aussi fous qui rappelaient des assiettes cassées ou des sons qui avaient très peu de choses à voir [27 :00] avec le dessin animé.

Et au fur et à mesure, maintenant quand on en arrive aujourd’hui à faire un dessin animé qui doit être très économe, [Propos inaudibles] une animation très simple toujours un peu abstraite, ou des animations de trois ou quatre images par seconde ou même parfois pas d’animations du tout [Propos inaudibles], on cadre tout autour des sons d’ambiance, des sons d’oiseaux, des sons… pour rajouter des animations qui n’existent pas, et donner véritablement l’impression qu’on cadre un monde réel alors que l’on a en face de nous une image qui est complètement abstraite, très éloignée des réalités. Et on crée une continuité sonore, et on cadre des sons très particuliers pour faire fonctionner une espèce de saccade d’aberrations de mouvement ou d’aberrations de son. Et on va chercher le thème dans le son, un son qu’on a étudié, rythmiquement parfois, ou des sons qui vont revenir régulièrement, et on y met dessus l’image qu’on veut [Propos inaudibles].

Deleuze : Alors, ça c’est très intéressant, mais il me semble que le problème est très ambigu. [28 :00] Si je comprends bien, tu dis : s’il fallait chercher une origine, une source dans les recherches que constitue un cadrage sonore, ce serait dans le dessin animé.

L’étudiant : [Propos inaudibles] en 35 et juste avant la guerre, en plus ils ont fait des recherches sur la stéréophonie très poussées. C’est eux qui ont voulu lancer le technicolor parce que ça donnait [Propos inaudibles], le son stéréo parce que ça donnait une dimension [Propos inaudibles].

Deleuze : D’accord. Mais tu vois ce qui m’intéresse c’est, à l’intérieur de ça, c’est que l’ambigüité elle est là. C’est que le son peut intervenir pour se distribuer [Pause] dans le cadre de l’image visuelle, et c’est [29 :00] déjà une stéréophonie.

L’étudiant : Oui mais ça c’est vrai pour Walt Disney, par exemple. Parce que lui il cherchait [Propos inaudibles : ils parlent en même temps]

Deleuze : D’accord, c’est ça. Mais c’est un autre esprit en fait. Et en même temps les deux sont très mêlés.

L’étudiant : Mais justement l’intérêt, c’est l’apparition de la télévision, et c’est pour revenir sur une autre de vos préoccupations. C’est que le dessin animé fait pour la télévision ne fonctionne plus avec l’image mais ne fonctionne qu’avec le son. Si vous coupez le son sur un poste de télé et que vous regardez un dessin animé fait pour la télévision généralement [Propos inaudibles] très faible, ne fonctionne plus du tout et on ne comprend plus rien et on ne sait plus ce qui se passe et on ne voit [Propos inaudibles].

Deleuze : Alors là, on serait complètement d’accord. C’est avec la télévision et la vidéo que le cadrage sonore peut apparaître, et ensuite réagit sur le cinéma, puisque il y a toutes les traductions de télé en image cinématographique, d’images vidéo en images cinématographique, il y a tous les passages que vous voulez, mais ça vient évidemment de là. [30 :00]

L’étudiant : Mais, je pense que si il n’y avait pas eu le phénomène précédent qui était celui de Walt Disney de montrer qu’avec du dessin animé, on pouvait cadrer un son…

Deleuze : C’est très intéressant

L’étudiant : … on ne pouvait pas sortir le son ensuite de l’image pour [Propos inaudibles].

Deleuze : À ce moment-là, il faudrait dire : Disney a joué un rôle de précurseur là-dedans… ouais, ouais, ouais, d’accord, ouais. Alors voilà notre hypothèse forte ressuscitée. [Rires] Et puis, pour ceux à qui elle ne convenait pas, on la re-tue. Et on dit simplement, ben voilà, on appellera cadrage sonore, en un sens faible, une espèce de mutation qui concerne la musique, pas seulement au cinéma, mais ailleurs aussi. [Pause] À savoir : il y a cadrage sonore lorsque la musique se définit d’une certaine [31 :00] manière nouvelle, à savoir comme le traitement de tout l’environnement sonore non musical. [Pause] Quand elle se définit comme le traitement de tout, c’est-à-dire : la musique devient l’encadrant de l’environnement sonore. [Pause] Mais évidemment, c’est une drôle de musique. Alors j’invoquais Glenn Gould comme étant un de ceux qui me paraît le plus en avance. Et pourquoi ? Parce que non seulement Glenn Gould est un très grand pianiste, que, comme je vous le disais, les exhibitions, les concerts ont très vite cessé de l’intéresser, [32 :00] donc il n’en donnait plus et il travaillait… [Interruption de l’enregistrement] [32 :06]

… ou que sais-je ? Et pour ceux qui ne connaissent rien à la musique contrapontiste, ça n’a aucune importance, je pense que ce sont eux les contrapontistes, je pense que ce sont eux qui furent les premiers réalistes, en ce sens qu’ils comprirent qu’on pouvait transformer en musique, au moins pour certains de ces aspects, cette compote environnante, cette compote environnante… Qu’est-ce qui était « de la compote environnante » ? Ce qui était de la compote environnante, c’était que les monotonistes, avant, avant les contrapontistes, c’était tout ce qui venait [33 :00] mettre en question la préséance particulière d’une voix et tout ce qui menaçait la subordination des coups d’archers, des autres voix, etc., par rapport à cette voix privilégiée, la plus haute, la plus basse ou la plus, comme ils disaient, la plus [mots indistincts].

Donc, si vous voulez, les contrapontistes de la Renaissance font un pas dans cette voie : faire de la musique l’encadrant, le cadrage, d’une pluralité de voix, dont aucune n’a la préséance. [Pause] [34 :00] Par-là, ils conçoivent déjà la musique comme traitement de l’environnement sonore, d’une partie de l’environnement sonore, ce que Gould appelle « cette compote ». Et il ajoute : cette compote environnante qui aujourd’hui, peut-être pour la première fois, est en train de devenir véritablement musique dans sa totalité. Ça, c’est l’hypothèse faible. Il n’y a pas à s’en faire, elle revient strictement au même. [Sur Gould, Deleuze se limite à une note dans L’Image-Temps, p. 341, note 67]

Donc tout va bien pour nous. Voilà ce que nous pouvons dire, avec plus ou moins de précautions, nous pouvons parler d’un cadrage sonore. À quelles conditions ? [35 :00] Dans les deux cas, si nous prenons beaucoup de précautions, ce serait au sens de ce texte : la musique est devenue le traitement de l’environnement sonore dans son ensemble. Si nous prenons l’hypothèse forte, ce sera : la musique est l’encadrant de l’environnement sonore opérant par micros, filtres, modulateurs, de manière à constituer un volume, un volume sonore temporel dans lequel se répartissent les intensités comme processus de temporalisation.

De toute manière, de toute manière, qu’est-ce que nous pouvons dire ? Le cadrage sonore, le cadrage sonore est fondamentalement temporel, [36 :00] exactement comme le volume sonore lui-même. Bon. Il y aurait une répartition de procès de temporalisation dans ce volume. Remarquez à quel point ça nous convient, ça, puisque tout le thème de cette année, c’est que le processus de la pensée au cinéma, dans le cinéma moderne, est strictement inséparable de l’image-temps et de la substitution de l’image-temps à l’image-mouvement. Alors on peut dire : bon, quelle différence ? [Pause] Quelle différence avec le premier stade du parlant ? Je le répète une fois pour toutes là, et pour en finir. C’est très intéressant sur la possibilité de trouver [37 :00] dans le dessin animé la source de ce basculement, de ce renversement. Et c’est dans le dessin animé que se serait joué… Alors là, il faut voir… ce serait dans le dessin animé que se serait joué cette… ce changement de la stéréophonie, cette mutation de la stéréophonie. Pourvu que ce soit vrai aussi.

Un étudiant : Je peux faire une remarque ?

Deleuze : Ah ! Tu veux faire une remarque ? J’espérais que tu ne voudrais pas en faire. [Rires] Ouais, tu peux…

L’étudiant : Ça va très bien, mais seulement tout ce qui a changé, c’est que ce que vous appelez la stéréophonie, là, maintenant ce n’est plus, ce n’est plus de la technique. C’est déjà une conception de, une conception soit musicale, soit [38 :00] cinématographique qui n’a rien à voir avec la technique. La séance dernière, j’ai parlé de… je vous ai dit que vous ne pouvez pas passer cette nouveauté par la technique. Maintenant vous me confirmez, parce que vous passez par une autre voie. Je trouve que c’est exactement ça. Ça, on est tout à fait dans des… dans une bonne voie, je crois [Rires]. Mais si vous voulez passer cette conception par la technique, je crois que c’est ça le problème. C’était ça que je disais que, pour moi, ça ne va pas. Surtout parce qu’en cinéma, vous savez, il n’y a pas de stéréophonie. Tous les films que vous avez cités, sauf les détectives, ils sont tous monophones.

Deleuze : Ce n’est pas le cinéma expérimental.

L’étudiant : Non ce n’est pas ça. Toute la bande optique, le son optique au cinéma, il est monophone, il n’est pas en stéréo. [39 :00] Le premier son stéréo au cinéma, c’est le Dolby stéréo. Le Dolby, c’est un problème de qualité du son, parce que le son, il est fait en Dolby, c’est-à-dire une bande magnétique sous la bande image, ce qui nous donne une meilleure qualité, de meilleures volumes, plus d’épaisseur et tout ça, mais avant le Dolby, il n’y a pas de stéréo au cinéma. Tous les films de [Marguerite] Duras, des Straub, de Godard, de [Hans-Jürgen] Syberberg et tout ça, sont en mono, sont monophones. Mais si vous, s’il vous plaît, les mots monophone et stéréophone est comme une conception. Je crois que… C’est ça qui est intéressant.

Le premier étudiant : Dès l’instant où tu fais de la stéréophonie à partir d’enregistrements magnétiques, tu composes ton espace stéréophonique. Il faut une table de mixage qui cadre chaque petit son les uns par rapport aux autres, il les mélange et, ils les ressortent dans un espace spatial pour que le spectateur qui soit placé en haut ou à gauche, [40 :00] entende également en stéréophonie par rapport à [mot indistinct].

L’étudiant second : Parce que par exemple, les changements techniques dont Dominique a parlé, tous les changements … tout ce qu’on a dit des changements techniques en son, en général c’est, par exemple, pour le cinéma, c’est le magnétique. Qu’est-ce que c’est que le magnétique au cinéma ? Il a donné une meilleure qualité de son, une plus grande possibilité de montage, mixage et aussi les déplacements, parce qu’il a été fait en même temps qu’on a créé le magnétophone portable. Alors, c’est dans ce … c’est vrai que tu as beaucoup plus de possibilités de montage, de mixage, mais ça n’a rien à voir avec la stéréophonie. [Pause]

Deleuze : Écoute… Pour montrer que la technique n’intervient pas, tu dis toi-même que, qu’elle intervient récemment [41 :00] sur un point qui ne confirme pas encore la stéréophonie, au sens où je l’emploie, mais qui représente avec le Dolby, qui représente un stade technologique.

L’étudiant : Le Dolby, oui, le magnétique aussi. Ce sont les deux grands changements technologiques.

Deleuze : Alors ?

L’étudiant : Alors, tous les films que vous pouvez citer comme exemples de cadrage sonore, je pense, par exemple, les films de Duras, ou de …

Deleuze : Je n’en ai cité encore aucun, il ne faut pas me…

L’étudiant  : Ça, j’imagine [Rires], j’imagine que vous allez les citer comme exemples d’un son qui est autrement par rapport à l’image. C’est à moi …

Deleuze : Ouais. C’est vrai. Tu as complètement raison.

L’étudiant  : Ils sont tous, ils sont tous techniquement, je dis techniquement, [42 :00] ils sont tous monophones. C’est ça. Alors pour moi, l’autre fois quand je suis intervenu, c’est pour dire que si vous prenez le mot stéréo, stéréophonie, dans le sens technique, vous ne pouvez pas parce que cette nouveauté, qui est conceptuelle, par ces changements techniques, c’est tout. C’est à dire que vous… pour moi, vous ne pouvez pas dire qu’à l’époque, [Bela] Balazs disait ça, c’est-à-dire que Balazs disait que ce n’était pas possible de faire un cadrage sonore à cause des moyens de l’époque. Je ne crois que, je ne crois que … vous ne pouvez pas…

Deleuze : Si !

L’étudiant  : … vous ne pouvez pas…

Deleuze : Si ! Comprends. À mon tour. J’ai fait le maximum pour te comprendre. En musique, il n’en est pas comme tu dis. [Pause] [43 :00] Tu me dis : au cinéma, de toutes manières, tu dis très juste là, tu as bien deviné, tout ce qu’on va rattraper, Straub, Marguerite Duras, tu dis : il n’y a rien de tout ça, puisque ce n’est pas possible ; le cinéma ne le fait pas techniquement. D’accord. [Pause] Si l’on pense à l’évolution actuelle des images, alors on oublie Straub, Duras. Si l’on pense actuellement à l’évolution des images, on voit quoi ? À partir de l’image cinématographique, on voit l’image télé, qui est d’une toute autre nature, puisque c’est déjà une image électronique, mais c’est une image électronique dite au sens de « analogique », et puis, [44 :00] tu as la vidéo, même chose, et puis tu as l’avènement des images électroniques dites « digitales » ou « numériques ».

Reste une proposition possible, il me semble, de dire : ce que le cinéma fait avec ses propres moyens, et finalement avec des moyens artisanaux, c’est ce qui évidemment sera rendu possible par le développement des images dites « électroniques », au double sens analogique et numérique. Et à ce moment-là, ce n’est pas du tout que ces procédés [45 :00] dits artisanaux — je voudrais à cet égard prendre quelques exemples — ce n’est pas que ces procédés artisanaux seront disqualifiés. Bien plus, les auteurs qui n’en ont à la limite aucun besoin, ils ne perdront rien en beauté.

Je prends un exemple : si on se demande quel est l’un des caractères — c’est un exemple qui nous sera utile — si on se demande parmi les caractères de l’image, de l’image vidéo, ou de l’image électronique analogique, déjà analogique, alors à plus forte raison quand elle est numérique, « quel est un des caractères ? », il y a une sorte de nouveauté. J’en cite une : c’est — et je le dis très mal parce que [46 :00] justement je ne voudrais pas faire de technique, et puis là j’en suis complètement incapable — c’est l’image se retourne. Je veux dire : l’image n’a plus un extérieur, ou si vous préférez un hors-champ — ça rejoint un thème, là, qui nous préoccupe depuis longtemps, à savoir la suppression en droit du hors-champ — l’image n’a plus un hors-champ ; elle a un envers, et elle se retourne. Donc, à l’idée d’une image cadrée visuellement qui aurait un hors-champ, se substitue l’idée d’une image qui a un envers et un endroit, réversibles, non superposables et se retournant l’un sur l’autre. Vous voyez, si vous avez vu des images à la télé, vous en [47 :00] voyez constamment ces images qui se retournent. C’est vraiment l’envers et l’endroit qui deviennent les constituants fondamentaux de l’image. Bon.

Bien avant la guerre, [Yasujiro] Ozu, notamment par des techniques très audacieuses, mais pas particulièrement complexes — c’est ça que je peux appeler des techniques artisanales, simplement c’est des techniques que la plupart des auteurs de l’époque évitaient — obtient des images qui se retournent. Comment ? Par de tout autres moyens, évidemment, que les moyens électroniques. Il l’obtient par des raccords à 180 degrés. Ce qui fait dire, en effet, ce qui fait dire très, très bien à [Noël] Burch, [48 :00] que l’image se retourne. Elle se retourne, et est-ce que ça fait l’effet pour nous d’une image électronique aujourd’hui ? Évidemment non ! Ce qui est très important, c’est que chez Ozu déjà, l’image ne renvoie plus à un extérieur ou à un hors champ, l’image est comme un endroit qui renvoie à son envers. Voilà un premier point.

Si on me dit, ouais, Burch commente très bien : vous trouverez dans Pour un observateur lointain [Paris : Cahier du Cinéma-Gallimard, 1982] dans le chapitre sur Ozu, [Pause] où il insiste sur les raccords à 180 degrés chez Ozu : « “Il y avait un père” » — qui est un film de Ozu [1942] [49 :00] – « “Il y avait un père” abonde en raccords de cette sorte » — raccords à 180 degrés – « rigoureusement proscrits dans les abécédaires des écoles de cinéma, et qui produisent l’effet déconcertant » — écoutez bien – « qui produisent l’effet déconcertant d’une image montée bout à bout avec son envers. On dirait que le plan se retourne ». [Voir les texte de Burch, p. 185, cité par Deleuze dans L’Image-temps, p. 348]

Voilà, ça c’est un premier exemple. Je ne dis pas du tout que, encore une fois, l’image Ozu, que, quand nous la voyons, nous ayons l’impression d’être devant une image électronique. Pas du tout. On a l’impression d’être devant une image cinématographique très, très spéciale. Et c’est seulement maintenant que nous pouvons dire qu’il obtient un « effet » analogue [50 :00] à ce que l’image électronique nous donne. Bon. Je peux dire — c’est pour ça que je comprends de moins en moins notre discussion — je peux dire à la fois : ah ben, c’est bien la preuve que la technologie n’intervenait pas dans cette conquête, tout comme je peux dire exactement, mais c’est la preuve que la technologie-là a réalisé des choses que l’image cinématographique dans son développement, la technologie et les nouvelles images vont réaliser des choses que l’image cinématographique ne pouvait obtenir de manière artisanale que par des moyens paradoxaux.

L’étudiant : Oui…

Deleuze : Deuxième exemple — tu me diras après — deuxième exemple : Syberberg va — je ne crois pas que j’aurais l’occasion, mais ça ne fait rien — Syberberg emploie un procédé qui est un vieux [51 :00] procédé du cinéma et qui est la projection frontale. Or la projection frontale avec transparence est une technique — pour ceux qui ont vu des films de Syberberg — qui produit un effet très, très étrange, et qui notamment entraîne, et sert beaucoup dans l’entreprise de Syberberg, à obtenir une dissociation du visuel et du sonore. Puisque ce serait le troisième avec Straub et… lui aussi il ne se sert pas d’électronique. — Si, d’ailleurs ! Il faut tellement nuancer ! — Il s’en sert dans son circuit interne. Vous savez, je crois que c’est Jerry Lewis, on dit que… je crois, que c’est Jerry Lewis qui a inventé, là, son circuit interne électronique, qui est bien un moyen technique. Syberberg [52 :00] s’en sert aussi, mais il n’y a pas d’image, il n’y a pas d’image électronique. Est-ce qu’il y a des images vidéo chez… Oui il y a des images vidéo chez… En tout cas, le procédé de la projection frontale est indépendant de l’image vidéo chez Syberberg.

Or ça donne quoi ? La projection frontale avec transparence va vous permettre d’avoir un acteur devant la caméra, et grâce à un système artisanal complexe, derrière l’acteur, il y a un écran spécial. Vous projetez une diapositive sur l’écran spécial, mais l’acteur — donc une image visuelle — mais l’acteur ne la voit pas. [53 :00] Bien plus, tout personnage situé de biais par rapport à l’axe de la caméra ne la voit pas. C’est une curieuse disjonction. Ça va lui servir énormément, Syberberg, pour produire, cette technique de la projection frontale va servir énormément pour produire une disjonction du sonore, du récitant, et du visuel. Bon.

Je saute à l’image électronique. C’est évident, c’est évident que l’image électronique — alors l’image numérique n’en parlons même pas : elle est faite pour ça ; si, parlons-en — l’image [54 :00] numérique, elle va composer une image visuelle que l’acteur ne peut pas voir, ne voit pas, puisque l’image est composée à partir de données numériques. Bon. Là aussi, on ne sait plus de quoi on parle. Je peux dire : le cinéma, vous voyez — à preuve Syberberg — le cinéma n’a pas besoin d’électronique. Mais je peux dire exactement le contraire : ce que le cinéma a atteint à un certain moment de son développement ne peut être pris en relais par la technique de nouvelles images, [55 :00] qui seront parfaitement retraductibles en cinéma et qui feront faire au cinéma à nouveau un bond, qui est perpétuellement un échange. Ça me paraît aller de soi. Je veux dire, ça ne me faire poser aucun problème, d’aucune sorte, et ça a toujours été comme ça. Ça a toujours été comme ça dans les arts. Et, bien plus, les projections frontales de Syberberg, elles ne ressemblent pas à des images électroniques. Elles obtiennent un effet, elles obtiennent un effet, elles obtiennent un même effet, à savoir : la disjonction du sonore et du visuel.

Je prends un dernier exemple, alors là encore plus évident : les automates. [Pause] Je vous ai [56 :00] dit… parce que tout me sert à la limite. Je remarquais je crois, je ne sais pas si je vous ai parlé de cet aspect. Si ! on en a parlé un peu. L’automate. Parfait l’automate ! Dans l’idée même d’une évolution de l’image-mouvement à l’image-temps dans le cinéma, je dois bien reconnaître que l’automate dans le cinéma muet, par définition, il est fondamentalement sensorimoteur [Pause] et que, à mon avis — on trouvera peut-être là aussi des…, on trouvera peut-être des corrections — il le reste au niveau du premier stade du parlant. [57 :00] C’est comme si le premier stade du parlant coïncidait avec les deux grands types de machine, les deux grands types d’automates. C’est comme si le cinéma d’avant-guerre correspondait aux deux grands types d’automate : l’automate d’horlogerie que l’école française a adoré, l’automate d’horlogerie, et l’automate moteur, les grandes machines motrices, qui traversent le cinéma français, le train, qui traverse le cinéma américain, le cinéma soviétique, de trois manières différentes.

Mais quand il ne s’agit plus d’un assemblage entre machines, vous avez l’expressionnisme allemand, où là, l’automate moteur, c’est l’homme lui-même. Bon. Et vous avez toute la série des hallucinés, [58 :00] des hypnotisés qui vont peupler l’expressionnisme allemand. Bien… [Interruption de l’enregistrement] [58 :10]

Partie 2

… Après-guerre, je peux dire que technologiquement, il y a le fameux changement, il y a la troisième forme d’automate qui arrive au monde. L’automate n’est plus l’automate d’horlogerie, n’est plus l’automate moteur, c’est l’automate informatique ou cybernétique. [Pause] Comment il se définit, l’automate cybernétique ou informatique ? [Pause] Il se définit, en effet, en fonction de l’information, [59 :00] en fonction des informations, soit reçues à l’intérieur, reçues et transmises à l’intérieur de l’appareil, à l’intérieur de la machine — on parlera alors de machines cybernétiques — soit entrée et sortie de l’information, en quel cas on parlera de machines informatiques. En d’autres termes, là, si j’emploie une formule très vague, je dirais : l’automate se définit non plus par rapport à ce qu’il fait, mais par rapport à ce qu’il dit, [Pause] non plus par rapport à l’action et à l’énergie, mais par rapport à l’information. Bien. Il y a une entrée de ces nouveaux automates au cinéma, ça va de soi ! Le cinéma dans son contenu tient compte de la technologie alors qui, [60 :00] là, lui est extérieure, qui là, pour une raison, lui est complètement extérieure. Le chef d’œuvre, c’est le film de Kubrick Le grand ordinateur [c’est-à-dire, 2001, l’odyssée de l’espace, 1968], « Le grand ordinateur » et la destruction du grand ordinateur. Bon, c’est même ça qui va relancer les grandes mises en scène.

Mais concevez un auteur qui ne s’intéresse pas du tout à ça, hein, ne s’intéresse pas au… Je dirais aussi de Syberberg — parce que c’est sans doute de tous les auteurs de cinéma celui qui a posé le plus profondément le problème de l’information, et là, il a pris à bras le corps ce problème de l’information, d’une manière très, très bizarre quoi — lui, alors, il est… mais, il n’a pas besoin de faire de la science-fiction, il n’y a pas besoin de convoquer les ordinateurs pour ça. [61 :00] Lui, il a eu une idée de base — ce n’est pas qu’il ne soit pas ambigu, il ne manque pas d’ambiguïté Syberberg — mais son idée de base, je crois, c’est « l’information n’a jamais vaincu personne ». C’est une belle idée. [Sur cette « idée », voir L’Image-temps, pp.351-354]

Je veux dire, son idée de fond, c’est « l’information n’a jamais vaincu Hitler ». Et on le voit tellement, tellement, tellement… vous pourrez informer de toutes les manières. Le cinéma de Syberberg convoque les informations les plus diverses : informations politiques, fragments de discours, informations ancillaires. Il y a toujours une cuisinière, un cuisinier, un masseur, qui vient donner des [62 :00] informations, etc., le masseur d’Himmler, le cuisinier de Louis II de Bavière, etc., ou le témoignage vivant de la vieille dame, ce long témoignage sur Hitler, etc., bon, mais même les informations politiques, même les statistiques, même tout ce que vous voulez. Il a tué tant de millions de juifs… « l’information n’a jamais vaincu personne, l’information ne vaincra pas Hitler ».

Et le problème de Syberberg, sous ses aspects les moins ambigus, c’est, une fois dit que l’information… — et c’est pour ça que son cinéma met en scène l’information et prend à bras le corps l’information — et que c’est une espèce de lutte très curieuse entre l’information et la recherche d’une puissance d’une autre nature, [63 :00] et ça d’un bout à l’autre de son cinéma, c’est ça. C’est ça qu’il fait. Et c’est tellement vrai, moi, j’ai l’impression que c’est tellement vrai. Qu’est-ce qu’il faut pour vaincre Hitler ? C’est curieux… c’est curieux, jamais l’information n’a suffi, jamais l’information n’a suffi. Les gens, les gens, vous pouvez leur flanquer toutes les informations que vous voulez, ils s’en tapent, ils s’en tapent complètement. Enfin, c’est le sentiment que j’ai.

C’est pour ça que, c’est pour ça que l’information est dangereuse, parce que la vraie information, c’est celle qui nie tout pouvoir de l’information, c’est-à-dire, c’est la télé quotidienne. C’est l’information qui se nie d’elle-même. Alors, c’est ça le danger. [64 :00] Mais on voit bien en quoi est ancré, en quoi est ancré ce danger. C’est que jamais vous n’avez pu…, vous avez beau réguler tout ce que vous voudrez, donner toutes les garanties d’authenticité. Bien plus, tout le monde aura beau le savoir, ça ne changera rien. Est-ce que je veux dire que rien ne change rien ? Non, je crois qu’il y a d’autres puissances que celle de l’information. Bon, on reverra peut-être plus tard, parce que ça me paraîtrait le problème de Syberberg. Mais je disais, tout ça, lui, il le prend en entier, il n’invoque pas des ordinateurs, mais il pose pleinement le problème d’après-guerre de l’information. [Notons que la discussion sur l’information à partir de Bresson, avec les nombreux exemples qui suivent — Resnais, Robbe-Grillet, Ozu, Snow, et Bazin, aussi bien qu’une note sur Steinberg et Rauschenberg – se trouve dans L’Image-temps, pp. 348-349]

Bien, prenons un autre, alors, un autre exemple qui n’a rien à voir : [Robert] Bresson. [65 :00] Bresson. Les ordinateurs, ce n’est pas que Bresson ne soit pas moderne : c’est un des auteurs les plus profondément modernes qui soient ; chacun choisit ses hôtes de modernité. On ne peut pas dire que Bresson soit passionné par les automates modernes. Non… non, il n’est pas passionné par les automates modernes, il s’en fout, il s’en tape. Ce n’est pas sa question. N’empêche que Bresson, il crée un mot — que tout le monde connaît — « le modèle », pour designer l’acteur du cinéma et ce qu’il veut de l’acteur de cinéma, par opposition à l’acteur de théâtre. Et lui, il dit : moi, je ne parle jamais de mes acteurs, je parle de mes modèles. Bizarrement il me semble que le mot n’a pas été rapproché de l’usage courant [66 :00] qu’en fait la cybernétique et l’informatique. C’est un mot très moderne, là : « le modèle ».

Or, je dis bien que ce n’est pas le problème de Bresson, comprenez-moi. Mais quelle différence y a-t-il entre un modèle de Bresson et un automate de l’expressionnisme ? La question se pose ! Pourquoi elle se pose ? Parce que chaque fois qu’il s’agit de définir le modèle, Bresson se réfère au phénomène de l’automate, sans préciser quel automate. Chaque fois. Voyez, reportez-vous aux Notes sur le cinématographe [Paris : Gallimard, 1975] chaque fois il y a référence à l’automatisme. [Pause] La raison est simple : quelle différence avec l’automate [67 :00] de l’expressionnisme ? Ce n’est pas difficile. C’est que l’automate bressonien, le modèle bressonien, il se définit par rapport à ce qu’il dit et a à dire, et pas par rapport à ce qu’il fait.

Je dirais la même chose pour [Alain] Resnais, et pourtant il ne ressemble pas à Bresson. On a vu chez lui, on en a parlé cette année, de l’inquiétant personnage bressonien par excellence, cette espèce de zombie qui fait partie de la famille des automates. Le zombie était même un des grands automates de l’expressionnisme allemand, vous savez, le mort-vivant. Et Bresson reprend… [Deleuze se corrige] Et Resnais reprend souvent les thèmes de l’hypnotisé, [68 :00] du suggestionné, qu’il rapprocherait de… [Il ne termine pas la phrase] Et là aussi, qu’est-ce qu’il y a de propre chez Resnais ? C’est que son automate, son zombie, se définit par rapport à ce qu’il a à dire, il se définit par rapport à l’acte de parole et pas par rapport à l’action motrice.

Exemple typique : le zombie — c’est tous des zombies – L’année dernière à Marienbad [1961]. Si on cherche même un des aspects sous lequel le film appartient à Resnais, et pas à [Alain] Robbe-Grillet — il y a des aspects par lesquels le film appartient à Robbe-Grillet — mais un aspect par lequel… c’est la transformation d’un personnage en zombie, [69 :00] à savoir : ils sont complètement hypnotisés, au point qu’à la limite, on ne sait même pas lequel hypnotise l’autre, c’est une grande chaîne d’hypnotisés. Seulement là, l’hypnose… Et encore une fois, Resnais invoque tout ça, il invoque l’hypnose, il invoque le somnambulisme, il invoque… Et en un sens moderne, quel sens moderne ? C’est que, en effet, indépendamment de toutes les technologies modernes, il crée un type de personnage, tout comme Bresson, et d’une autre manière, il crée un type de personnage où l’automate se définit par rapport à l’acte de parole, et ne se définit plus par rapport à l’action motrice. [Sur l’automatisme et les variétés signalées ici, voir L’Image-temps, pp. 343-344]

Si bien que, oui, je peux dire aussi bien, ben oui… C’est pour ça que j’invoquais [Edgard] Varèse [70 :00] tout à l’heure. J’invoque Varèse comme musicien parce que Varèse me paraît être un de ceux un de ceux qui a le plus vécu et avec le plus de déchirement, le plus de problème, cette situation. Or, je crois que c’est la situation de tout artiste. Tout artiste appelle l’avenir, et il l’appelle avec beaucoup de crainte et de tremblement. Pourquoi ? Tout artiste appelle l’avenir parce qu’il est en avance. Et ce n’est pas qu’il travaille pour la postérité ; la postérité, je crois qu’il s’en fout pas mal. Il appelle l’avenir pour une tout autre raison : c’est qu’il a besoin des moyens de l’avenir, il en a besoin. Varèse a besoin des moyens de l’avenir. [Pause] À savoir il a besoin de moyens [71 :00] électroniques. [Pause] Ce n’est pas que son œuvre manque de quelque chose, elle est décisive, elle est fondamentale. Il appelle de nouveaux moyens. Donnez-moi de nouveaux moyens. Je crois qu’il n’y a pas d’artiste qui ne demande ça, de nouveaux moyens. Et en même temps, il redoute ces nouveaux moyens. Pourquoi ? Pas du tout parce qu’il aurait une adaptation à faire, mais parce qu’il a des raisons de craindre que ces nouveaux moyens ne lui arrivent déjà corrompus et n’entraînent une espèce de disparition de l’art. [Pause]

Bon, l’image numérique, parfait, est-ce qu’on laissera encore des gens créer ? [72 :00] Parfait si on laisse des gens créer. Appeler de nouveaux moyens, c’est très dangereux parce que… Mais en même temps, je veux dire, aucun artiste, aucun penseur ne peut éviter d’appeler de nouveaux moyens et d’appeler la venue de ces nouveaux moyens. Et en même temps, ils en auront tous peur. Et ce que je dis, ça vaut pour la philosophie, comme ça vaut pour la musique, comme ça vaut pour… Et c’est bon qu’il y ait ces deux aspects, en tout cas, c’est comme ça que je le vois. Alors, bien entendu, on pourrait se mettre d’accord, tu me dis oui en avance, tu me dis oui, je suis d’accord.

L’étudiant : Oui, oui, je suis d’accord.

Deleuze : Parfait.

L’étudiant : Mais je voudrais ajouter à ce que vous venez de dire là, c’est très différent de se demander [73 :00] si les nouveaux moyens techniques peuvent donner un sens à une certaine idée artistique parce que, au commencement de la dernière séance, c’était bien ça la question.

Deleuze : Non, non, ce n’était pas ça la question. J’ai pu m’exprimer comme ça pour aller vite. Pitié, pitié, il fallait corriger de toi-même.

L’étudiant : Oui, parce que, par exemple, pour moi, Bresson est un bon exemple parce qu’il fait justement, d’une certaine façon, le contraire de ce qu’on peut atteindre avec la stéréo, avec les moyens stéréophoniques. Il essaie justement d’aplatir les voix, par exemple, il enlève tout l’environnement acoustique des voix. Il fait avec les voix ce que, par exemple, [nom indistinct] fait avec les images, il essaie de les aplatir. Alors, je crois que, par exemple, par rapport au problème de la profondeur des sons, je crois [74 :00] qu’il atteint la profondeur des sons mais d’une tout autre façon. Ce n’est pas par un moyen technique, c’est justement au contraire, il essaie de….

Deleuze : C’est autre chose…, ça c’est autre chose, ça…

L’étudiant : De finir avec la stéréophonie, d’aplatir les voix…

Deleuze : Oui, oui, oui…

L’étudiant : Pour essayer d’atteindre une profondeur qui…

Deleuze : Le problème d’aplatir les voix, c’est un foutu problème. Un sacré problème.

L’étudiant : Et par exemple, quand vous avez cité le…

Deleuze : Ce n’est pas par hasard, il suffit de la réverbération. Moi, j’invoque des machines à réverbération. Lui, il veut des machines à non réverbération.

L’étudiant : Oui, c’est ça…

Deleuze : Mais c’est aussi essentiel.

L’étudiant : Et autre chose : par exemple, ce que vous avez…, le propos de vous sur la…, ce que vous avez appelé la stéréophonie dans ces propos, dans le rapprochement de ces propos, je crois que, pour moi, ça me fait penser aussi à la polyphonie dans les romans, par exemple.

Deleuze : Oui, et ça, on serait tous d’accord pour dire qu’au besoin, à des rythmes très différents, [75 :00] les mêmes phénomènes se passent. Si tu veux dire : ce qu’on repère en cinéma, en musique, on le repérerait aussi dans le roman, c’est trop évident. Il y a [Edgar] Garavito, il a travaillé là-dessus aussi. Il aurait sûrement, quant à la littérature, vous savez, ça se vérifierait complètement. Ça, mille fois d’accord ! Même la peinture, même la peinture.

Je vais donner…, je vais donner un dernier exemple, seulement il faut aller vite, la séance va être finie. Je vais donner un dernier exemple, et ce sera autant de fait. Et je crois que j’en avait déjà parlé d’autres années… non, je ne sais pas ! Dernier exemple, ce serait ceci, moi, c’est…, ça me fascine, c’est que dans le cinéma, on ne, il me semble [76 :00] que…, tend à être largement dépassé, y compris par les nouvelles images, mais également par la nouvelle image cinématographique, mais par les nouvelles images aussi, la grande alternative de [André] Bazin. La grand alternative de Bazin, c’était : l’écran fonctionne-t-il comme un cadre ou comme un cache ? Comme un cadre de tableau ou comme une fenêtre ? [Pause] Bon, pourquoi ? Parce que c’est la notion de cadrage qui a changé. Et encore une fois, moi, je crois que la raison principale c’est parce que le cadrage est devenu temporel.

Mais, on peut le dire plus clairement, ou on peut le dire d’une manière plus moderne. C’est qu’il y a eu une polémique, là, qui m’intéresse beaucoup, [77 :00] une polémique entre deux critiques américains de peinture. L’un s’appelle [Clement] Greenberg — il est très connu en Amérique –, l’autre s’appelle Steinberg [au fait, il s’agit de Leo Steinberg ; Deleuze le prononce comme « stern »]. Greenberg et Sternberg entraient en discussion. Et Greenberg a toujours eu une thèse, à savoir que ce qui définissait l’art moderne, et il le faisait partir des impressionnistes, mais à plus forte raison pour la peinture américaine, c’était la conquête d’un espace optique pur, c’est-à-dire, sans référence tactile. [Pause] Il insiste sur les peintres américains modernes dont il prétend, comme [Morris] Louis, [78 :00] comme tous les descendants de [Jackson] Pollock, comme après Pollock… [Interruption de l’enregistrement] [1 :18 :10]

… et sans doute il dirait ça a commencé peut-être avec Pollock qui faisait ses toiles à plat, sur le sol, mais Pollock quand même les accrochait. Il dit que c’est beaucoup plus important chez le grand peintre dont il ferait le précurseur de la perte de verticalité comme axe référentiel, c’est, selon lui, c’est le peintre américain [Robert] Rauschenberg. C’est Rauschenberg qui, en effet… — alors on comprend certaines plaisanteries de Rauschenberg, qui aimait beaucoup…, qui avait tout un côté surréaliste — lorsque Rauschenberg présente comme peinture son lit, mais son lit mit sur le mur à la verticale. C’est-à-dire, il y a une espèce de brouillage vertical-horizontal, et il peint son mur, il peint son lit là sur le mur, mis en vertical. Et il y a une espèce [79 :00] d’échange vertical-horizontal.

Mais il pense que réellement c’est avec un art moderne que de plus en plus au cinéma on a l’équivalent. On a quelques films qui, avec des moyens artisanaux, ont perdu la verticalité et le privilège de la verticalité. C’est un film célèbre de cinéma dit expérimental, le film de Michael Snow La région centrale [1971], où il invente une boîte à caméra qui va constamment bouger dans tous les sens, au point qu’il n’y a plus aucune référence aux coordonnées spatiales, les coordonnées d’espace. [Sur Région centrale, voir la séance 2 du séminaire Cinéma 2, 23 novembre 1982, aussi voir L’Image-mouvement, p. 122, 171 ; et L’Image-temps, p. 348] Et puis il y a un film hélas que je n’ai jamais vu mais qu’on me dit qu’il est admirable, un film de Glauber Rocha, [80 :00] La terre en transe [1967]. [Sur Rocha, voir L’Image-temps, pp. 285-289] Tu l’as vu, toi ?

L’étudiant: Non, non.

Deleuze : Où on me dit qu’il y a aussi une perte de verticalité absolue, avec des moyens pourtant qu’on ne peut pas appeler ordinaires. Ou du moins, Snow, il a fabriqué ses…, ce n’est pas des moyens ordinaires, en fait. Mais mettons que c’est des moyens qui n’excèdent pas encore l’image cinématographique.

Bon, mais il n’y a pas que cet aspect. Et vous allez voir que les deux sont liés d’une certaine manière. En même temps que la verticalité cesse d’être axe privilégié — et j’insiste là-dessus –c’est vrai de tous les arts : peinture, on vient de voir certains essais de cinéma, mais je n’ai pas besoin de parler, je crois en avoir parlé d’ailleurs une autre fois… Moi, ce qui me fascine dans les ballets, dans le ballet moderne. La seule chose qui me fascine dans le ballet moderne, c’est qu’ils ne tiennent pas debout, [81 :00] ils ne tiennent pas debout. S’ils doivent être debout, ils s’accolent les uns aux autres, et ils font des figures accolées de grande beauté. Et sinon, c’est horizontal. Le ballet est devenu horizontal, il a perdu sa référence, il a perdu la stature humaine, il a perdu sa référence à la verticalité. Chez tous les créateurs, il me semble, actuels, chez tous les grands créateurs — je ne parle pas spécialement de [Maurice] Béjart, parce que Béjart, il en a profité, il l’a adapté pour le grand public, ça, ce truc-là — mais les autres, ils y vont dur.

L’étudiant: [Inaudible]

Deleuze : Oui, enfin oui, oui. Donc ça, c’est un aspect. Mais il y a un autre aspect et vous allez sentir qu’ils sont liés. C’est que [82 :00] en même temps, l’écran n’est plus… — la fenêtre, elle est encore plein renvoi à la verticalité, tout comme les cadres des tableaux — mais l’écran, il est devenu aussi toute autre chose. Ni fenêtre, ni cadre, mais quoi ? Tableau d’information. C’est-à-dire, où les choses qui apparaissent sur l’écran peuvent être traitées comme des données d’information. [Pause] Ça peut être, ça peut être des objets visuels, ça peut être des mots. [Pause] [83 :00] Un des premiers à avoir fait ça, à avoir traité la toile comme tableau d’information c’est [Piet] Mondrian. C’est dire avec quel génie, notamment avec presque un système binaire de petits traits et de petites croix, qui vont être quoi ? Des données informatives de, dans mon souvenir — pardon si je fais…, vous rectifierez de vous-mêmes — de la mer. Un système, voilà que le visuel passe à l’état de donnée d’information, c’est-à-dire, l’écran dévient une table d’information. Bon, une table d’information ne comporte aucun privilège de la verticalité. Et c’est par là que les deux sont fondamentalement liés. Le [84 :00] cadre change complètement de sens. [Pause] Il y a un mot américain dont se sert, dont se sert Strinberg [Deleuze veut dire Steinberg, étant donné l’invention dont il s’agit par la suite] et là, je ne m’en souviens plus… « Fletboard » je crois… Il n’y a pas quelqu’un qui sait très bien l’anglais ici ? Si, il y en a un. Oui, « fletboard ». Ce n’est pas la table de… c’est…

Une étudiante: [Inaudible]

Deleuze : C’est ça ! … Ce n’est pas la table typographique ? « Flet » : f-l-e-t. Tu n’as pas… ?

L’étudiante: Je n’ai pas mon dictionnaire…

Deleuze : Tu n’as pas ton dictionnaire ? [Rires] [Propos inaudibles] f-l-e-t

Un étudiant: C’est « flat ». [85 :00]

Deleuze : « Flat », alors ! « Flat », c’est quoi ?

L’étudiante: C’est « plat ».

Deleuze : C’est peut-être ça : « flat board », et qui est un terme à l’origine d’une typographie, sur la table du typographe quand il compose un journal. Et puis…

L’étudiant : [Propos inaudibles]

Deleuze : Oui, ça doit être ça, oui, oui. [Rires] Vous chercherez vous-mêmes, hein ? Et vous voyez, ce qui m’intéresse là-dedans, c’est la complémentarité entre les deux aspects, la perte de verticalité comme axe privilégié, et la transformation de l’écran en table d’information, et en peinture les deux sont liés. Chez Rauschenberg, c’est net. S’il descend de Mondrian, c’est parce que, c’est parce que ses tableaux sont très gaiement composés, par exemple, sur fond ; il veut tellement faire de la table, sur fond [86 :00] de journal et journaux, c’est-à-dire, des articles informatifs sur lesquels il va y avoir de la peinture. C’est-à-dire, tout est traité là comme table d’information. Or, comprenez ? Si j’apprends le temps qu’il fait par la fenêtre, c’est stature verticale. [Pause] Bon, mais si j’apprends le temps qu’il fait par table d’information ? Plus besoin. Fini, fini d’être debout.

Bon, alors quand je vous rappelais — je me souviens qu’on en a déjà parlé de tout ça, donc je perds mon temps, mais ça ne fait rien — quand je vous parlais de la phrase immortelle de [Samuel] Beckett, qui nous touche tous : il vaut mieux être assis que debout, et couché [87 :00] qu’assis [« mieux assis que debout et couché qu’assis », Malone Meurt (Paris : Minuit, 1971), p. 129], bon, Beckett le dit pour des raisons qui sont les siennes, qui sont celles de son œuvre, qui sont celles de son art le plus profond. Bien. À sa manière, il rejoint quelque chose que le monde technologique alors atteint par de toutes autres voies. La perte de la situation verticale chez Beckett est un des points les plus fondamentaux de toute son œuvre. C’est-à-dire, l’espace de Beckett implique aussi le manque, la stature verticale n’y est strictement plus, et ne définisse plus aucun… Il faudrait voir dans le roman ce que la stature verticale a impliqué. Peut-être que certaines pages de [Marcel] Proust déjà suppriment toute référence à une stature verticale, celles de la fin. Et pas de la fin, là, il s’agit d’être debout. Ce n’est pas seulement [88 :00] parce qu’il écrit couché à ce moment-là. C’est tout ce qu’il écrit qui n’a plus de référence avec… bon.

Alors, vous comprenez, tout ça pour conclure quoi ? Eh bien, qu’on en a fini avec ce point. Donc, d’une manière lâche, ou d’une manière stricte, nous disons il y a un « cadrage sonore ». [Rires] Que ce cadrage sonore soit effectué par des moyens technologiques, ou attende encore d’être effectué par de tels moyens par des auteurs qui ne peuvent s’empêcher d’appeler la venue de ces moyens, et donc, qui ne peuvent s’empêcher… — très bien… très bien — qui ne peuvent pas s’empêcher d’appeler l’avenir de ces moyens, voilà ! Ouf !

Si bien qu’on peut en revenir à… Donc, je me re-résume pour [89 :00] la dernière fois, cette fois-ci, ça revient, tout ça, à dire, vous voyez, la différence avec le premier stade du parlant. Qu’il n’y ait plus de hors-champ en droit — encore une fois, ce n’est pas, la question n’est pas du fait, il y a bien un hors-champ encore — mais en droit, l’image visuelle n’a plus de hors-champ. Bon, on a déjà donné une réponse ; on n’a pas expliqué, parce qu’elle a à faire avec son envers et son endroit, et non plus avec un extérieur. [Pause] Donc, l’image moderne va être comme saisie dans une disjonction cadrage sonore-cadrage visuel. [90 :00] C’est ce qu’on a appelé, c’est ce qu’on appelait précédemment « l’héautonomie », ou pour parler plus simplement, l’autonomie des deux sortes d’images, l’autonomie des deux sortes d’images, qui implique strictement qu’il n’y a pas d’autonomie des deux sortes d’images s’il n’y a pas un cadrage sonore ou, ou, nous l’avons bien dit, là… un pré-cadrage sonore. Bien.

Et vous comprenez notre problème, notre problème qui devient tout à fait sérieux ? Par opposition à l’image traditionnelle, à l’image classique, l’image ne se prolonge plus dans un extérieur virtuel, c’est-à-dire il n’y a plus de hors-champ, et elle ne se totalise [91 :00] plus dans un tout qui, lui-même, s’extérioriserait dans la suite des images. Elle ne se prolonge plus, elle ne se totalise plus. Bon, qu’est-ce que nous avons ? Nous avons, et nous sommes dans le régime d’un véritable va-et-vient de l’image sonore et de l’image visuelle, un va-et-vient des deux images, et ça, chez des auteurs qui pourraient vous paraître à certains égards très sages parmi les modernes.

Je reviens à cet auteur dont je vous ai beaucoup parlé à cet égard, de la disjonction du visuel et du sonore, parce que ça me paraît évident chez lui, quoi que d’une manière très discrète, c’est [Éric] Rohmer. Je prends [92 :00] dans le livre de [Marion] Vidal sur Les « Contes moraux » de [Éric] Rohmer [Paris : L’Herminier, 1977], juste un passage concernant Le genou de Claire [1970] : « La séquence du genou est traitée cinématographiquement en quelques plans » — bon, etc., etc. – « Cette séquence s’achève par un plan quasiment immobile, “sculptural et pictural” » — entre guillemets, il s’agit d’une image visuelle – « Séquence suivante, le héros, Jérôme, applique son discours littéraire à commenter ce que nous venons de voir » — cette scène qui se termine par la position sculpturale et picturale des deux jeunes gens ; [93 :00] donc, Jérôme applique son discours à ce que nous venons de voir – « Aurora » — un autre personnage – « parcourant le trajet inverse, refuse le récit de Jérôme » — elle lui dit non, tout ça c’est des histoires, c’est-à-dire tout ça, c’est de la fabulation – « et lui substitue une vision, l’image figée du couple par laquelle Rohmer avait précisément bouclé la séquence précédente. Puisque vous faisiez un couple si pictural, si sculptural, qu’importe ce que vous pensiez, dit-elle à Jérôme ». Et là, c’est typiquement un va-et-vient image visuelle-image sonore. Et l’image visuelle donne lieu à une image sonore, qui va revenir à l’image visuelle de départ. [Deleuze présente une citation de Vidal sur ce même film dans L’Image-temps, p. 316, note 35, et une autre sur ce va-et-vient, p. 322, note 44]

Je prends un cas plus complexe : L’année dernière à Marienbad. [Pause] [94 :00] L’image sonore, c’est, mettons, l’ensemble des actes de parole qui passent par une espèce d’hypnose, de suggestion, et qui répondent tout à fait à notre définition de l’acte de parole à ce stade du cinéma, c’est-à-dire, comme acte de fabulation, « fabulation » ne voulant pas dire forcément « mensonge », vous vous rappelez. Eh ben, qu’est-ce que j’ai, image visuelle ? Image visuelle, c’est non seulement l’étrange hôtel-château, mais c’est le parc. C’est le parc qui va dresser des images visuelles tantôt démentant, tantôt confirmant un acte de parole qui a été dit, [95 :00] ou qui sera dit. Là aussi, vous avez tout un régime de la disjonction. Eh bien, ça veut dire quoi ?

Eh ben, on en était là la dernière fois. On s’était donné, on s’était donné cet état de choses. Quel va être notre problème ? On s’était dit : oui, il y a bien deux cadrages. Il y a un cadrage sonore et un cadrage visuel. Il y a, donc, héautonomie des deux images. Bien, [Pause] on avait essayé de préciser en quoi consistait même cette héautonomie. Je le rappelle — puisque tout va repartir de là — l’image sonore : c’est quoi ? Eh ben, c’est l’acte de parole [96 :00] en un sens très différent des formes sous lesquelles il apparaissait au premier stade du parlant, à savoir, c’est l’acte de parole comme acte de fabulation, [Pause]  ou comme acte fondateur, acte créateur de l’événement. On appellera « fabulation », « acte de fabulation », l’acte créateur de l’événement. Donc, l’image sonore, c’est cette espèce d’acte fondateur, créateur d’événement, acte de fabulation. En langage vulgaire, on dira « acte de mensonge », et ça donnera L’homme qui ment [1968] de Robbe-Grillet. Il est bien entendu qu’il ne s’agit pas de mensonge.

Et je disais, l’image visuelle, c’est quoi ? [97 :00] L’image visuelle, eh ben, c’est l’hypothèse où on en était la dernière fois, l’image visuelle, bien sûr, elle nous présente à nouveau ce que nous avons repéré depuis longtemps, sous le nom d’espaces quelconques, c’est-à-dire, des espaces vides ou des espaces déconnectés, désorientés. Là aussi alors la verticale est déjà en jeu ; le primat de la verticale est déjà en jeu, c’est-à-dire, des espaces dont les différentes parties ne sont pas orientées les unes par rapport aux autres. Mais on allait plus loin, et on disait : qu’est-ce que c’est maintenant ces espaces ? On ne pouvait pas avant aller plus loin. On se contentait des espaces vides et désorientés ou déconnectés. Maintenant on peut dire quelque chose de plus, et on disait : il faut regarder ces espaces, c’est très curieux, c’est des espaces qu’on peut appeler « telluriques » ou « stratigraphiques », [98 :00] ou à la limite, « archéologiques ». [Pause]

Bon, L’année dernière à Marienbad. — Je cite là, pour le moment, je me donne les cas les moins, qui me sont les moins favorables, moins évidents. J’avais cité Le désert de [Pier Paolo] Pasolini, [Deleuze se corrige]… Le désert [rouge] de [Michelangelo] Antonioni — le désert monte à la surface. Mais le désert, il vient toujours d’en dessous. Le désert monte à la surface : image tellurique qui répond à l’acte de parole. [Pause] C’est vrai pour Pasolini… pour Antonioni de deux manières très différentes. De toute autre [99 :00] manière encore : Resnais. Toujours L’année dernière à Marienbad, le parc. Le parc, il a trois zones, et avec un homme comme Resnais, ce n’est pas par hasard, trois zones plus ou moins variables mais relativement constantes : une zone blanche, une zone grise, une zone noire. C’est peut-être des zones dans l’espace. C’est évidemment aussi des couches, une fois dit que Resnais est un auteur qui, fondamentalement, organise son image visuelle d’après de véritables couches, de couches superposables. Les différentes couches de Je t’aime, je t’aime [1968]. Et toujours il a procédé par couches comme âges, comme âge du monde, les âges du monde, la constitution d’un espace [100 :00] stratigraphique qui va être précisément l’espace de ceux qui reviennent des morts, et qui retournent vers les morts. Pensez dans L’amour à mort [de Resnais, 1984], pensez au « Tombeau » [de Stéphane Mallarmé] : ce « peu profond ruisseau [calomnié] la mort » [Poésies, Gallimard (1961) p. 133]. S’il y a une image tellurique alors, et présenté comme tellurique, elle est bien là chez Resnais. [Sur les couches, voir L’Image-temps, pp. 317-318]

Je vous disais, ce n’est pas…, ce n’est pas… Eh bien, là où sans doute, et c’est pour indiquer que même là où il se situe par rapport aux… il ne rompt pas, il va plus loin. À cet égard, il va plus loin, ou plutôt ils vont plus loin, c’est les Straub, ceux qui érigent l’image visuelle à l’état d’image géologique, stratigraphique, [101 :00] tellurique, les espaces vides, où déconnectés. Chez les Straub, vous trouverez tout ce que vous voulez à cet égard. Or, les espaces vides et déconnectés se présentent formellement comme des espaces telluriques, comme des espaces stratigraphiques, comme des espaces à couches. C’est-à-dire, la couche superficielle enfouit quelque chose.  Il y a quelque chose d’enfoui dans cette terre. Ce quelque chose d’enfoui, ne sera pas montré. [Pause] C’est l’envers de l’image visuelle : comment sera-t-il saisi ?

Dans d’autres cas, on pourrait le montrer. [102 :00] Il ne fait pas de retournement électronique, les Straub ne font pas de retournements électroniques, bien qu’ils utilisent parfaitement la vidéo. [Pause] Et, un des leurs films les plus célèbres est commenté par Jean-Marie Straub, sous quelle forme ? [Deleuze cite Straub] « La grande séquence tellurique… » — je cite de mémoire, mais c’est exact — la séquence…, la grande séquence tellurique qui traverse le film…, la grande séquence tellurique… [Il s’agirait du film Fortini/Cani [1976] ; Deleuze cite Straub à ce propos dans L’Image-temps, p. 320, note 39]

Je disais, il se dit cézannien ; qu’est-ce que ça veut dire, à ce niveau ? On verra que ça veut dire plein de choses, être cézannien. C’est que [Paul] Cézanne, [103 :00] il introduit quoi dans la peinture ? À la lettre, il introduit l’assise géologique. [Pause] Qu’est-ce que c’est le mystère d’un rocher de Cézanne, ou d’une montagne ? Ce n’est pas difficile, pas difficile. C’est une image tellurique. On prête à Cézanne ce mot que les Straub adorent : pensez que sous cette montagne, au fin fond des âges, il y avait du feu. La terre enfouit le feu. Or, quand Cézanne dit : pensez que sous cette montagne, il y avait du feu, il ne veut pas dire, pensez-y ; il veut dire : mon affaire de peintre, c’est de vous le faire sentir. [104 :00] Il faut une densité tellurique. C’est pour ça qu’il fera sa rupture avec les impressionnismes, avec les impressionnistes, et il réclamera quoi ? Un nouvel état de la sensation. Pour parler très gros, si l’on dit que les impressionnistes décomposent et dématérialisent la sensation, si l’on dit que les expressionnistes projettent la sensation avec violence, qu’est-ce que veut Cézanne ? Il le dit : je veux des sensations matérialisées. Les Straub reprendront le mot en disant : le cinéma n’est pas fait pour donner des sensations à de pauvres crétins, à savoir, les spectateurs. [Rires] Le cinéma n’est pas fait pour donner des sensations. Le cinéma ne présente que des sensations [105 :00] matérialisées. La sensation matérialisée, c’est, c’est l’image à couches, c’est l’image tellurique. [A ce propos, voir L’Image-Temps, p. 321, note 42]

Bon, alors, qu’est-ce que nous avons ? Comprenez que là, on garde quand même un petit peu, c’est-à-dire, on rejoint enfin le point, le point à peu près où on en était. À savoir : j’ai mes deux cadrages, hein ? J’ai mes deux cadrages : cadrage sonore-cadrage visuel. Le cadrage visuel a changé ; [Pause] il est devenu [106 :00] le contour, l’enveloppant, oui, l’enveloppant ou l’encadrant. Il est devenu l’enveloppant de l’image tellurique. [Pause] Le « cadrage sonore », ou « pré-cadrage sonore », est devenu quoi ? L’extraction de l’acte de parole en fonction de tout l’environnement sonore, l’extraction de l’acte de parole comme acte de fabulation à partir de tout l’environnement sonore.

Très bien, bon, et alors quoi ? Quel rapport [Pause] [107 :00] entre les deux ? Je reviens à mon thème : est-ce que c’est n’importe quoi sur n’importe quoi ? Pourquoi pas des diapositives de paysages et puis quelqu’un qui chante ? Bon, on peut toujours essayer. Ce sera nul, hein ? Ce sera nul, même si les diapositives sont très belles et si la chanson est très belle. Rien, ça a raté, comme notre séance. Eh ben, oui. Qu’est-ce que ça veut dire ? Mais c’est fait pour nous réjouir, ça. Ça veut dire ceci, qui est tout simple : l’héautonomie de l’image sonore et de l’image visuelle, avec son, chacune avec son cadre, mais ça n’a jamais voulu dire « absence de rapport ». Mais non ! Et si vous vous rappelez ce qu’on a fait toute l’année — c’est pour ça que [108 :00] la fin de l’année approche — on n’est pas étonné. Ça n’a jamais voulu dire « absence de rapport ». Ça a voulu dire que, toujours, que le rapport n’était pas commensurable ; ça a voulu dire que le rapport était irrationnel.

Et ça, on y a passé du temps alors, sur ce thème du point irrationnel par opposition, justement, et des coupures irrationnelles — il y a coupures irrationnelles, et non plus coupures rationnelles — entre le visuel et le sonore. Dans l’ancien cinéma, dans le cinéma d’avant-guerre, il y a coupures rationnelles entre l’image visuelle et leur champ peuplé par du sonore. [109 :00] C’est le grand principe de commensurabilité de [Sergei] Eisenstein. Dans le cinéma moderne, il y a incommensurabilité des deux images : la sonore et la visuelle. Mais l’incommensurabilité ne désigne pas une absence de rapport, ça désigne un nouveau type de rapport. Quel rapport ? Vous le savez déjà, le nom qu’on lui donnera puisqu’on s’en est servi. Ce sera un rapport indirect libre. Il y aura « rapport indirect libre » entre l’image sonore et l’image visuelle. Pourquoi ? Comment ? C’est la dernière chose qui nous reste à faire, pourquoi et comment.

En d’autres termes, s’il est difficile, c’est… Je reprends mon exemple des Straub. J’ai l’extraction d’un acte de parole [110 :00] pur à partir de l’environnement sonore, on va voir ce que c’est. Mais ce n’est pas rien, extraire un acte de parole pur. En effet, à partir de l’environnement sonore, ce n’est pas l’affaire du théâtre ! Qu’on n’en dise pas que c’est du cinéma-théâtre, ça n’a rien à voir ! C’est quelque chose, c’est, c’est une proposition très spéciale : comment je vais extraire ? Qu’est-ce que ça veut dire ? On a vu, c’est un acte de fabulation : c’est l’acte créateur de l’événement. Extraire de l’environnement sonore un acte de parole pur, c’est-à-dire, un acte de fabulation. Et de l’autre côté, j’ai quoi ? J’ai des espaces vides, déserts, silencieux, muets, espaces stratigraphiques, vides. [Pause] Je dis, il y a héautonomie des deux images. [111 :00] Et j’ajoute : mais l’héautonomie ne désigne pas une absence de rapport. Ça désigne un rapport d’un nouveau type spécial qui ne pouvait pas exister, qui ne pouvait pas exister [Pause] dans le cinéma, dans le cinéma d’avant-guerre.

Et pourtant il exista, ouais. [Rires] C’est ce foutu paradoxe Ozu. Il exista. Ozu, il a réussi tous les coups, sauf un : le premier stade du parlant. Il a court-circuité, Ozu, il a fait le pervers. Ozu, dès le cinéma muet, à un moment où c’était vraiment… [112 :00] il a lancé l’élément visuel fondamental du cinéma moderne : l’espace vide, désorienté, et bien plus, révélant, sous forme de nature morte, révélant comme une espèce d’assise. Les natures mortes d’ Ozu, c’est les images géologiques, exactement comme les natures mortes de Cézanne. D’une certaine manière, c’est lui qui apporte l’espace vide désorienté et déjà l’image tellurique. Bon, il amène ça. Évidemment, il n’a pas besoin du parlant ; il lui faut même du pas-parlant. Si bien que [113 :00] jusqu’en 1936, il fait du muet. Il laisse passer le parlant. Et quand en ’36, il fait du parlant, prodigieux, il introduit, du coup, le second stade du parlant, c’est-à-dire l’acte de parole qui crée son propre événement, qui crée l’événement, et qui entre dans un rapport complexe avec l’espace vide tellurique, [Pause] généralement, d’ailleurs, acte de parole insignifiant, et qui est, généralement, aussi la plus belle fabulation sur le mariage et la mort… [Interruption de l’enregistrement] [1 :53 :57]

Partie 3

[114 :00] … et c’est très curieux. Mais lui, il n’a pas ces choses. On verra peut-être, on verra, voilà.

Je dis bien, qu’il faut qu’il y ait un rapport. Pour le moment, on tient bien comme la disjonction des deux images. Mais le rapport original d’une image à l’autre, on ne le tient plus. On ne le tient pas. C’est donc lui qu’il faut essayer de chercher à dégager. Je dis bien donc, si je résume : l’héautonomie des deux images n’a jamais empêché la nécessité d’un rapport déterminable entre ces deux images, une fois dit que ce rapport ne serait plus conçu sur le mode de la coupure rationnelle, mais sur le mode de la coupure irrationnelle ; ne serait pas conçu [115 :00] sur le mode du commensurable, mais sur le mode de l’incommensurable. [Pause] Alors essayons et commençons par les Straub.

Je voudrais juste, quitte à ce que si elle [Dominique Villain qui interviendra pendant la séance suivante] veut bien dans la prochaine séance… Alors, j’ai décidé maintenant — vu le retard étonnant, c’est bien ma faute — prochaine séance, je termine et, si vous voulez bien, vous dites quelque chose sur les Straub. Et je termine pour mon compte. Et en juin, la première semaine de juin, je fais une séance uniquement pour ceux qui estiment avoir des remarques ou des questions ou pire encore, je ne sais pas, [Pause] à poser sur l’ensemble de l’année. Mais moi, je termine [Pause] [116 :00] ce que j’ai à dire la prochaine fois. Mais je ferai encore une séance en juin uniquement pour ceux qui ont quelque chose à dire. Voilà, je ne pensais pas, c’est comme ça, c’est la vie. Voilà.

Je peux reprendre par un autre bout. Je vais essayer de faire une espèce de circuit irrationnel. Rappelez-vous quand il s’agissait de l’image classique, j’avais essayé de faire un circuit rationnel, un circuit commensurable. Là on va essayer avec les Straub de le faire. Mais je vais être très rapide. Je dis, pas leur premier problème en droit, mais je le prends comme premier problème : comment extraire l’acte de parole pur ? [Pause] [117 :00] Ce serait le premier… comment extraire l’acte de parole pur de tout un environnement. Ce serait ça, en effet, l’aspect sous lequel l’image sonore aurait un cadrage, sous lequel il y aurait un cadrage sonore. Prenons “Chroniques d’Anna Magdalena Bach” [1968]. [Pause] Qu’est-ce qu’on voit ? Qu’est-ce qui se passe ? [Pause] Eh bien, un acte de parole doit être arraché. C’est curieux quand même, l’arrachement de l’acte de parole. En effet, [118 :00] vous vous rappelez, l’acte de parole, ce n’est pas n’importe quoi. C’est cet acte que j’appelle fondateur, créateur d’événements, ou fabulateur. Eh ben, il doit être arraché. Arraché à quoi ?

Eh bien, tout d’abord, disons, il est arraché à des données — sont-elles visuelles, plus que visuelles ? — à des données très ambiguës. C’est-à-dire : il doit être arraché à un support lu. Et le support lu, chez les Straub, apparaît tout le temps, soit sous la forme archéologique de l’inscription sur pierre… sur pierre, quoi ? Faisons vite une parenthèse pour tout mélanger à nouveau, c’est bien le statut de l’image visuelle. L’image [119 :00] stratigraphique chez les Straub, l’image visuelle — mais on n’en est plus là, on n’en est pas encore là, c’est pour ça qu’il y a beaucoup d’ambiguïtés et que tout est embrouillé — l’image visuelle, c’est la roche. Il y a un article de Jean Narboni, très beau, très beau, sur les Straub, à propos de Fortini/Cani où il dégage ça, où la formule qu’il donne sur le cinéma des Straub, c’est quelque chose comme — c’est mieux dit que je ne le dis — comme souvenir j’ai gardé : un flot de parole butant sur des roches. [Cahiers du cinéma, numéro 225, novembre 1970 ; voir L’Image-temps, p. 331] On a tout ce qu’il nous faut, un flot des paroles butant sur des roches. C’est notre histoire : une image sonore et une image visuelle. L’image visuelle, c’est la roche. Et il se trouve que la roche, elle a des inscriptions parfois. Le tellurique, il est aussi archéologique. [120 :00]

Ou bien sinon c’est un texte, c’est un livre ou des lettres. Anna Magdalena, qu’est-ce qu’elle fait ? Elle arrache au texte des actes de parole. Qu’est-ce que c’est que ces textes ? C’est elle qui parle, et elle arrache au texte, c’est-à-dire à des lettres de [Johann Sebastian] Bach et à des mémoires du fils. [Pause] Si bien qu’à la lettre, elle parle elle-même comme Bach écrivait et comme Bach lui-même parlait à son fils. [121 :00] Pour ceux qui se rappellent ce qu’on a vu, c’est une confirmation de ce qu’on appelait le discours indirect libre comme forme de l’acte de fabulation. La voix supposée d’Anna Magdalena va arracher aux lettres mêmes de Bach et aux témoignages du fils, quelque chose qui est comme un acte de parole pur, la parole de Bach et va accéder par là à une sorte de discours indirect libre.

Bon, ne cherchons pas d’avantage, il nous faut tant de renseignements par-ci et par-là. Dans “Fortini/Cani”, quelle est la situation du point de vue de l’acte de parole, hein ? C’est mon [122 :00] premier point — je m’en tiens strictement, je ne fais plus de… je m’en tiens… — Qu’est-ce qu’il fait, dans Fortini/Cani ? Vous le savez, il va chercher un auteur qui, il y a bien longtemps, a écrit un livre où il y avait le problème du fascisme, problème du sionisme, et toute une réflexion d’un auteur italien qui s’appelle [Franco] Fortini. Et il va demander à Fortini, et les Straub demandent à Fortini, de lire des passages que lui n’a pas choisis, que eux ont choisis, de lire des [123 :00] passages du livre [Les Chiens du Sinaï (Paris : Editions Albatros, 1979)], mettons, à dix ans de distance. C’est rigolo ça, parce que Fortini n’en peut plus, il a vieilli, il est très fatigué et puis comme tout écrivain que l’on met en face d’un texte d’il y a dix ans, tantôt il meurt d’envie de le changer, tantôt il trouve que les Straub n’ont pas choisi les bons morceaux, tantôt il voudrait discuter, mais enfin il a accepté par amitié pour eux. Il lit, il lit. Il lit dix ans après, comprenez, il arrache au livre quelque chose. Il lirait le livre qu’il vient de faire, ce n’est pas la même chose.

Là aussi je reviens à mon thème. Est-ce que vous ne sentez pas que c’est une certaine manière d’accéder à un discours indirect libre ? [124 :00] « Dans ce temps où je disais, [Pause] réduit », dit-il, « à s’écouter… » [Interruption de l’interruption] [2 :04 :15]

… on voit très bien que sa voix est traversée par la fatigue, par la stupeur — ah bon, j’ai écrit ça — par l’émotion. Qu’est-ce que vous voulez, un acte de parole est arraché, là encore. [Pause]

Othon [1969], autre film. [Pause] Là, on ne voit pas le texte — Othon est une tragédie de [Pierre] Corneille [125 :00] — on ne voit pas le texte, on ne voit pas de représentation théâtrale, ce n’est pas ça. Quelque chose est arraché au texte supposé à la représentation théâtrale, par quoi ? Par ceci que la plupart des acteurs sont étrangers et ont un accent, ont un accent assez fort. [Pause] Et leur problème, c’est d’arracher au texte un rythme, se servir de leur accent pour arracher un rythme, [Pause] un tempo, dit Straub. [Pause] [126 :00] Ou bien, dit-il encore, ce qu’ils arrachent au langage, c’est une aphasie, arracher au langage une aphasie. C’est peut-être une des seules fois où Straub retrouve le vieux rêve d’Artaud, et dont Carmelo Bene avait déjà fait l’objet principal de son cinéma : arracher un acte de parole pur qui soit au langage comme une aphasie.

Autre film — tout cela, on tourne uniquement, on fait, on accumule des choses sur l’acte de parole – De la nuée à la résistance [1979], qui est un des plus beaux de Straub : toute la première partie est faite de mythes. [Pause] [127 :00] Appliquons toujours la même méthode. Elle est faite de mythes qui sont dit sur et dans des espaces vides — là je réintroduis pour que vous compreniez qu’on est déjà dans le circuit — et ces espaces vides, qu’est-ce que c’est ? C’est toujours des images telluriques, et pourquoi c’est des images telluriques ? C’est que, sous la couche vide, il y a quelque chose. Le mythe nous renseigne : sous la terre, il y a le sang des victimes sacrifiées. Bon. Mais ça, ce serait l’image visuelle. Ça nous renverrait à l’image visuelle. Non, restons à l’acte de parole. Est-ce-que c’est le mythe qui constitue l’acte de parole lui-même ? Non, c’est des grands mythes de la Grèce. [Pause] [128 :00]

La seconde partie, elle, elle est moderne, [Pause] et c’est un bâtard — retenez bien, ce sera essentiel pour nous que ce soit un bâtard — c’est un bâtard, qui revient au village, qui revient d’Amérique au village, après le fascisme, et qui se fait raconter. À se demander si ce n’est pas la seconde partie qui dégage l’acte de parole pur, et qu’il dégagerait de quoi ? Des mythes de la première partie. Ça se complique. L’acte de fabulation doit être arraché cette fois-ci aux mythes eux-mêmes, les mythes préétablis, les mythes dominants de la Grèce antique. Il faut en arracher [129 :00] un acte de parole. Dans la première partie déjà, il y a le gamin à qui on explique ce que sont les dieux grecs. Non je ne veux pas, non je ne veux pas : c’est l’acte de parole. Mais, il faut attendre la seconde partie moderne, le bâtard, pour qu’à ce moment-là, l’acte de parole soit arraché. Pourquoi ? Parce que l’acte de parole ne sera pas directement arraché au mythe et nous apprendra ce qu’il y a sous la terre, c’est-à-dire quel est le contenu caché dans l’image tellurique. [Pause]

Moïse et Aaron [1975]. [Pause] Là je n’ai même pas besoin de commenter. [Pause] [130 :00] Ce n’est pas, ce n’est pas le bâtard, c’est le migrant, cette fois-ci. C’est le grand migrant, Moïse. L’acte de parole, Moïse est à la recherche de l’acte de parole. Un dieu sonore, un dieu qu’on ne voit pas, un dieu qui échappe à l’image visuelle, dit à Moïse : bien sûr, tu ne sais pas parler, mais je mettrais dans ta bouche l’acte de parole, [Pause] mais pour cela, il faudra vaincre toutes les croyances païennes de ton peuple. L’acte de parole, [131 :00] il faudra l’arracher. Et Moïse, c’est par excellence, en apparence — parce qu’on va voir, oh comme ça se complique — c’est par excellence l’homme qui arrache l’acte de parole. Il dit, je ne serais pas, mais ce n’est pas lui qui parle, et il arrache l’acte de parole de son environnement, et il a du mal. À quoi l’arrache-t-il, on n’a pas fini de le demander : à quoi l’acte de parole s’arrache-t-il ?

Amerika[-Rapports de classe] [1984], Amerika. Pourquoi cette rencontre Kafka-Straub ? [Franz] Kafka, il a eu une idée, enfin il en a beaucoup. [132 :00] C’est qu’on peut s’en tirer, mais pas avec des informations. Pourtant ce n’est pas Syberberg, hein ? Il ne croit pas aux informations. Les informations, c’est tout ce qu’il y a de mauvais, tout ce qu’il y a de mauvais car cela se retourne toujours contre nous les informations. Il n’a pas oublié ce qu’ont fait les informations de Kafka, il n’a pas oublié le procès qu’il a subi, il n’a pas oublié le fameux procès à l’hôtel dû à ses propres imprudences, où on a voulu le marier, et ça il n’a pas oublié ça. Alors, qu’est-ce-que c’est, il faut arracher l’acte de parole ? On ne peut sauver que par l’acte de parole, si l’on atteint le vrai acte de parole. Mais qu’est-ce que c’est le vrai acte de parole ? [133 :00] Assurément, c’est, pour Kafka, il n’y a pas de doute, c’est un acte juridique.

Pourquoi le sous-titre Amerika/Rapports de classe ? Parce que les deux premiers grands épisodes du roman de Kafka, Amerika, les deux grands premiers épisodes consistent en quoi ? Le héros prend la défense de l’homme souterrain — tiens, nous voilà ramenés à l’image visuelle –, c’est-à-dire l’homme des machines, l’homme de la soute, il prend la défense du soutier qui ne sait pas parler. Lui, il saura — à la faveur du soutier, et pour le soutier, et pour l’amour du soutier [134 :00] — il saura arracher l’acte de parole, et conquérir l’acte de parole. Donc ce n’est pas « lutte de classe », comme le dit très bien Straub, mais c’est « rapports de classe », parce que ce rapport de classe : premier rapport avec la classe inférieure, avec la classe inférieure, le soutier et l’homme souterrain. Et à peine le héros d’Amérique, si vous voulez et le roman et le film, a commencé à parler que le gros homme important se précipite et lui dit : dans mes bras, mon neveu, je t’ai reconnu, il n’y a que toi pour parler comme ça. Si j’entends ce qu’on dit à dix kilomètres, je ne sais pas quoi, une [135 :00] voiture rentrer dans une autre, je dis, ah ben c’est Richard [Pinhas] qui a fait ça ; [Rires] je… — c’est un exemple comme ça, bon. Je… — eh ben, ça, il n’y avait que lui pour faire un truc comme ça. Et l’oncle reconnaît son neveu, et lui dit : ah ! c’est au vrai sens de l’humeur juif, c’est une des plus belles histoires d’humour juif qui soit. Il suffit que le neveu ouvre la bouche et l’oncle lui dit : dans mes bras, je t’ai reconnu ; pour être bête à ce point-là et parler quand il ne faut pas, il n’y a que toi. Bien. Et là-dessus il l’entraîne.

Mais le second grand épisode, c’est quoi ? C’est cette fois-ci le rapport avec la classe supérieure, où l’exilé — puisque c’est l’exilé, le petit gars ; voyez, on a le bâtard, déjà, [136 :00] le migrant, Moïse, l’exilé, bon – eh ben, il a affaire, il se trouve pris dans la conspiration des deux associés de l’oncle, les deux associés, de manière très mystérieuse, très compliquée, veulent séparer, surtout l’oncle de son neveu, c’est-à-dire : ils ne veulent pas que le neveu ait un héritier ou un descendant, et ils vont faire toute une magouille pour que l’oncle chasse son neveu. Et le neveu comprend tout trop tard, trop tard, et lance son acte de parole qui dénonce.

Et l’acte de parole, alors revenons à notre début, on a fait un petit circuit, [137 :00] un circuit insuffisant. L’acte de parole. Ah ! L’acte de parole de, l’acte de parole de Anna Magdalena, c’est quoi ? Ce n’est pas seulement Anna Magdalena arrachant l’acte de parole aux lettres, etc. C’est quoi ? C’est l’exécution de la musique qui s’arrache aux – ah j’ai perdu le mot, vous voyez quoi [Pause] – aux partitions. C’est l’exécution de la musique qui s’arrache aux partitions. Il faut que l’acte de musique s’arrache aux partitions. Mais c’est aussi le cri, le cri de Bach : hors d’ici, [138 :00] allez-vous-en. Presque on en a trop d’actes de paroles, au sens de l’acte de parole pur. Mais ces actes de parole purs, comment je les définis à ce stade ? L’acte de parole pur, c’est ce qui s’arrache à une matière, à une matière qui lui résiste, soit textes imprimés, soit inscriptions lapidaires sur les rochers, [Pause] soit discours dominants d’une classe, [Pause] soit loi préétablie, etc. [Pause] [139 :00] Et le cadrage sonore, ce sera, ou plutôt le pré-cadrage sonore chez les Straub, ce sera ce mouvement par lequel, ici et là, des actes de parole s’arrachent à une matière qui leur résiste. Bon. [Pause]

Continuons. À ce moment-là, tout se renverse. Vous comprenez le deuxième point. La vraie résistance, c’est quoi ? Ce n’est pas la matière qui résiste à l’acte de parole ; c’est l’acte de parole qui est lui-même la résistance. [Pause] [140 :00] C’est lui qui est fondamentalement acte de résistance, [Pause] aussi bien sous forme… c’est pour cela que les Straub lui donnent deux qualités, patience et violence. Là où règne la violence, seul l’acte de parole peut y opposer une violence, une violence qui est la sienne. [Pause] Si, d’après le premier aspect, l’acte de parole s’arrachait à quelque chose qui lui résistait au second aspect, c’est l’acte de parole lui-même qui résiste et qui est acte de résistance. [Pause] [141 :00]

Troisième point. On retourne à l’image visuelle. Ces espaces vides, telluriques, géologiques, la roche. La roche vaut par ce qui est enfoui sous la roche. C’est le poids de la roche. Il ne s’agit pas de nous montrer ce qui est sous la roche ; il s’agit de nous donner une image visuelle de la roche telle que quelque chose y est enfoui. [142 :00] Dans Othon, c’est la grotte où les résistants cachaient leurs armes. Dans De la nuée à la résistance, c’est les champs de blé fertilisés par les victimes humaines dans les mythes grecques. Dans Non réconciliés [1965], c’est les trois couches pour les Straub, les trois, non plus, quatre, ou plus même, les quatre couches fondamentales qui traînent de l’histoire allemande : 1910, 1914, 1942, 1945, ou si vous préférez : la couche Hindenburg, la couche Hitler, la couche Adenauer. On verra ça parce que s’il y avait une possibilité de comparaison avec Syberberg, ça serait là. [143 :00]

Et l’acte de parole qui va être arraché de toutes ces couches, ça va être quoi, de toutes ces couches géologiques ? Je vous disais dès le début, l’image archéologique ou géologique, mais c’est la géologie de notre temps. Pas toujours. Il se peut que ce soit celle des temps antiques, comme dans De la nuée à la résistance pour la première partie, mais dès la seconde partie, quand le bâtard revient, il demande ce qui s’est passé parmi les paysages vides, c’est l’archéologie de notre temps, c’est la tellurique de notre temps. C’est l’image tellurique ? Oui, oui, oui. C’est de l’archéologie ? Oui. Mais de maintenant.

C’est l’acte de parole dans Non réconciliés, c’est l’acte de parole grandiose de la vieille, qui traverse toutes les époques — donc il traverse toutes les couches visuelles – [144 :00] qu’on peut dire sans insolence à moitié gâteuse, et qui grommelle, « j’observais comment le temps défilait, ceux-là bouillonnaient, se battaient, ceux-là », c’est-à-dire les gens, « ceux-là bouillonnaient, se battaient, payaient un million pour un bonbon et puis n’avaient plus trois sous pour un petit pain. » Elle mélange les époques, etc. Jusqu’au coup de revolver final, pour ceux qui ont vu Non réconciliés, jusqu’au coup de revolver final, dont il y a tout lieu de se demander : et le coup de revolver, est-ce que ce n’est pas aussi un acte de parole ? Est-ce que ce n’est pas l’acte de résistance par excellence ? En tout cas, un cri est un acte de parole. Une exécution musicale est un acte de parole. On en est en plein dans notre thème : l’encadrant sonore, la musique, c’est l’encadrant sonore. [145 :00] Et, le problème du cadrage sonore, c’est quoi ? Extraire l’acte de parole, extraire l’acte de parole de tout ce qui l’environne ou de tout ce qui le contient.

Mais de l’autre côté alors ? Les images visuelles, les couches, tantôt elles vont affleurer, mais elles vont affleurer dans un ordre variable. Prenez Non réconciliés , l’une affleure, l’autre affleure, etc. Il y a des cassures. Vous avez en plein la justification d’un espace désorienté. Un espace stratigraphique est par définition défini par ceci qu’au niveau d’une même couche, vous avez des coupes, telles que deux parties sont désorientées l’une par rapport à l’autre, et ne sont pas de la même composition, c’est-à-dire renvoient en fait à deux couches. [146 :00] Bon, vous aurez tout ça.

Mais alors, voyez où je veux en venir. Bien plus, ça circule déjà parce que ce à quoi l’acte de parole est arraché, les textes, les livres, les inscriptions sur pierre, cela fait partie de l’image visuelle. C’est inscrit sur la roche, c’est inscrit sur la pierre. Et qu’est-ce que fait, qu’est-ce que fait l’image tellurique, visuelle ? Eh bien voilà. Il n’y a pas de risque qu’elles se rencontrent avec l’image sonore. On a trouvé. On a tout trouvé, ça y est, on a [147 :00] fini, il n’y a plus qu’à… Il n’y a pas de risques qu’elles se rencontrent. Pourquoi ? Parce que le rôle de l’image visuelle tellurique, c’est d’enfouir, c’est d’enfouir sans le montrer, ce que l’acte de parole, de son côté, doit arracher pour le dire. Si bien que vous allez avoir ce circuit de l’image tellurique, absolument indispensable comme image de roche qui pèse sur quelque chose. Il faut que la roche pèse sur quelque chose.[Pause]

Et je dis : si c’est du Cézanne, c’est que Cézanne nous disait quoi ? C’est que Cézanne nous disait que la peinture [148 :00] est faite de deux choses. Il nous disait que la peinture était faite, d’une part, d’une « têtue géométrie », la « têtue géométrie ». La « têtue géométrie », c’est une formule même de Cézanne. Dans le livre de Jérôme [plutôt, Joachim] Gasquet qui rapporte les propos de Cézanne [1921] — qui ont été parfois mis en cause mais, il me semble, tout à fait à tort, les raisons pour lesquelles ils ont été mis en cause, prétendant que c’était Gasquet qui les avait inventés, ne me paraissent pas du tout sérieuses ou convaincantes — « la têtue géométrie », nous dit-il. Et il dit : la têtue géométrie, c’est l’élément de la peinture quand elle montre, quand elle montre. Mais comprenez, ce n’est pas montrer, c’est quand elle renvoie, [149 :00] quoi, aux assises géologiques. Les assises géologiques montent ; on les voit, en effet, les assises géologiques si elles viennent au niveau de couches de surface, comme le désert de Pasolini [Ou d’Antonioni ; Deleuze se corrige deux fois ci-dessus sur ce titre, mais il se réfère aux déserts chez les deux cinéastes dans la séance 23]. [Sur Gasquet, voir la séance 1 du séminaire sur la Peinture, le 31 mars 1981, et la séance 7 du séminaire sur Cinéma 1, le 19 janvier 1982]

Et il dit : c’est le moment du dessin. La têtue géométrie et les assises géologiques, c’est-à-dire la roche. La nature, ajoute-il, la nature joint ses mains. La roche, mais quelle plus belle définition de la nature ? La roche, c’est la nature qui joint ses mains. Ses propres mains à elle, nature, un rocher, c’est ça, c’est les mains jointes de la nature. [150 :00] Et puis, il y a un autre moment, dit-il : « logique aérienne ». La nuée, dirait Straub. La logique aérienne. Et cette fois-ci, c’est la nature qui déjoint ses mains, qui déjoint ses mains pour que passe, quoi ? Pour que monte, quoi ? Pour que quelque chose monte. Cézanne est un peintre, ce qui monte ainsi entre les mains de la nature se déjoignent, dit-il, la couleur et la lumière. Eh ben, voilà. [Sur Cézanne et ces « moments », voir L’Image-temps, p. 333]

Chez les Straub, supposons que ce ne soit pas la couleur et la lumière — mais ça revient singulièrement au même – [151 :00] l’image visuelle cache quelque chose, à savoir, le dépôt, ce qui est enfoui, ce qui est enfoui par la roche, ce qui est enfoui dans l’image tellurique. Et ce qui est montré, c’est la roche en tant qu’elle enfouit quelque chose, la grotte en tant qu’elle enfouit l’arme, les armes des résistants, les champs de blé en tant qu’ils enfouissent les cadavres des victimes sacrifiées. C’est ça l’espace tellurique. [Deleuze commence à déclamer] Et ce que l’image tellurique enfouit, c’est cela que l’acte de parole va faire monter, [152 :00] va faire monter à l’air libre, [Deleuze parle moins fort] logique aérienne qui contrebalance la logique tellurique, la logique de la terre. [Pause] Et il faudra suivre un cycle qui, à la lettre, est vraiment celui des éléments, à savoir, qui est le grand cycle de l’air et du feu. Il faudra que ce que l’acte de parole a fait monter se réenfouisse dans la terre, de même qu’il faudra que ce qui est enfoui dans la terre monte à l’air libre par, et uniquement par, l’acte de parole. [Pause] [153 :00]

Pourquoi est-ce que c’est un rapport irrationnel ? Les deux images ne se rencontreront jamais. En effet, l’une élève à la parole ce que l’autre maintient enfoui à la vue. Et pourtant, l’un ne vit que de l’autre. Les deux cadrages vont être pris dans ce rapport irrationnel, dans ce rapport incommensurable de l’acte de parole qui fait monter et de la terre qui fait descendre. Je dis l’air et le feu car le feu, il est dans la terre. [154 :00] Il est sous la roche. C’est une espèce de très grande vision.

Et alors, dans Moïse et Aaron, vous avez en effet ce couple, d’après [Arnold] Schoenberg, ce couple où Moïse, c’est quoi ? C’est l’homme qui va s’efforcer d’arracher l’acte de parole. [Pause] Mais Aaron, c’est quoi ? C’est l’aérien, c’est le migrant pur, il ne conçoit pas de destination. [Pause] [155 :00] Si vous voulez, c’est l’antisioniste. Il ne conçoit pas de destination, il ne conçoit pas d’arrivée, le mouvement ne cessera pas. Et Aaron, c’est l’homme tellurique, c’est le sioniste. Il y aura un endroit, il y aura une terre où s’arrêter. Et il va y avoir la lutte entre les deux parce que, dans ce circuit, il ne faut pas croire que tout est clair ; chacun est très ambigu. Moïse, c’est l’homme de l’image visuelle, [156 :00] donc il va laisser, il va faire la restauration des vieilles croyances, le Veau d’Or, tout ça, le retour du vieux paganisme, le paganisme de la terre. [Pause] Et Moïse, il va enfoncer, enfoncer Aaron dans la terre pour le châtier. [Sur l’analyse de Moïse et Aaron, voir L’Image-temps, pp. 332-333 ; le film est une adaptation de l’opéra éponyme en trois actes de Schoenberg, de 1954]

Mais est-ce que c’est aussi clair que ce que Moïse nous dit ? Ce n’est pas clair, ce n’est pas du tout clair. Qu’est-ce que cette conception de l’acte de parole ? Qu’est-ce qui fait que le peuple éprouve le besoin de résister à son tour à l’acte de parole ? Cet acte de parole qui était résistance — vous voyez, c’est très compliqué — cet acte de parole [157 :00] qui d’abord s’arrachait à ce qui lui résistait, qui en second lieu était lui-même acte de résistance, voilà qu’en troisième lieu, il faut d’une certaine manière résister à cet acte de parole même. Il faut que le peuple résiste à l’acte de parole, sinon l’acte de parole de Moïse sera autoritaire. Qu’est-ce qui empêche l’acte de parole de Moïse d’être autoritaire ? Il faut l’empêcher ; Aaron est nécessaire. Comme le disent très bien les Straub, commentant leur film, et aussi l’entreprise de Schoenberg, le rapport immédiat avec le peuple, c’est Aaron qui l’a. Et Moïse sans Aaron est coupé du peuple. [Pause] [158 :00]

Bien, perpétuellement ce régime de coupure, il y a en effet coupure entre ce que la terre enfouit, et tient sous terre, d’une part, et ce que l’acte de parole élève. Enfin si j’essayais de tout résumer dans le petit film là, où Dominique Villain dira peut-être quelque mots la prochaine fois, puisqu’elle y figure, Toute révolution est un coup de dés [1977], qu’est-ce qu’il y a ? C’est comme l’exemple type où toute révolution est un coup de dés. Je dis très vite, vous avez des… Dominique, elle confirmera, elle est là ?

Dominique Villain : Oui !

Deleuze : Vous confirmerez, hein, la prochaine fois. Vous avez une série de personnages sur une colline, colline du Père Lachaise — vous me corrigez si je me, si c’est faux — à des écarts sûrement, des écarts très, très calculés. [159 :00] Bon, cette colline du Père Lachaise, elle est une image tellurique. Pourquoi elle est tellurique ? Parce que là-dessous il y a quoi ? Les cadavres des communards. Comment le sait-on ? Est-ce que c’est montré ? Non, ce n’est pas montré. Ah, mais, alors on le sait, évidemment. L’image visuelle, elle n’est pas simplement, elle ne renvoie pas simplement à la perception. C’est comme chez Ozu, l’image visuelle, elle implique : savoir, imagination, etc., dans sa constitution même, mais peu importe, hein, peu importe.

Vous avez donc ces personnages, et qu’est-ce qu’ils font ces personnages ? L’image tellurique enfouit quelque chose. Et les personnages, ils arrachent l’acte de parole pur. Ils l’arrachent à quoi ? Ils l’arrachent à un texte qui est fait pour que l’acte de parole soit arraché, à savoir, le poème de Mallarmé, [160 :00] « Un coup de dés » [« Un coup de dés jamais n’abolira le hasard », 1897] Pourquoi est-ce qu’il est fait pour que la parole soit arrachée ? Parce que Mallarmé le concevait comme ça, et parce que Mallarmé a disposé typographiquement, a utilisé des typographies très différentes. Et les Straub assignent à chacun des personnages sur la colline tel type de typographie, c’est-à-dire, ce personnage dira les caractères définis par tel type de typographie, un autre personnage disant les caractères définis par autre type de typographie. Si bien que là vous avez — le film dure combien de temps ? Quelques minutes, quoi, dix minutes ? — Bon, vous avez en dix minutes le circuit complet. Le circuit de l’image tellurique et de l’image sonore, avec le mouvement par lequel l’image tellurique [161 :00] enfouit quelque chose. De ce quelque chose, ou du moins quelque chose qui ne peut pas être sans rapport, ce quelque chose va monter dans l’air par l’acte de parole des récitants. Mais les deux images, à la limite, gardent complètement leur héautonomie, elles gardent leur héautonomie, et pourtant elles ont un rapport, mais ce rapport est un rapport indirect, ou si vous préférez, un rapport irrationnel, un rapport incommensurable.

La prochaine fois on commencera par revenir un peu sur ce point, c’est-à-dire c’est comme si, oui, bon, enfin… et puis on terminera. [Fin de l’enregistrement] [2 :41 :55]

 

Notes

For archival purposes, the augmented version of the complete transcription with time stamp was completed in September 2021. Additional revisions were added in February 2024.

Lectures in this Seminar

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Reading Date: October 30, 1984
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Reading Date: November 6, 1984
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Reading Date: November 13, 1984
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Reading Date: November 20, 1984
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Reading Date: November 27, 1984
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Reading Date: December 11, 1984
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Reading Date: December 18, 1984
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Reading Date: January 8, 1985
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Reading Date: January 15, 1985
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Reading Date: January 22, 1985
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Reading Date: January 29, 1985
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Reading Date: February 5, 1985
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Reading Date: February 26, 1985
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Reading Date: March 5, 1985
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Reading Date: March 12, 1985
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Reading Date: March 19, 1985
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Reading Date: March 26, 1985
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Reading Date: April 16, 1985
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Reading Date: April 23, 1985
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Reading Date: April 30, 1985
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Reading Date: May 7, 1985
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Reading Date: May 14, 1985
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Reading Date: May 21, 1985
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Reading Date: May 28, 1985
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Reading Date: June 4, 1985
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Reading Date: June 18, 1985
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April 30, 1985

We haven’t finished the first aspect of speaking films yet. This will be our goal today, including from the point of view of music in sound-visual relations. But it is not this aspect – I’m trying to be very clear — it is not in this aspect that will appear what I had announced as my important problem in the music. For I hope today that we have completed this first aspect of speaking films; and you remember our hypothesis — which is not, which has nothing original – notably, that it’s not between the silent film and the speaking film that a real change occurred in the regime of the image. So, what will come normally, what should come after, from the next session forward, would be: to approach the second stage of speaking films and the new image regime that it implies. Needless to say, it seems completely coherent with the aggregate of our year, which turned on the confrontation between a so-called relatively classic image and a so-called relatively modern image in its relations with thought. So there, it is on the level of sound that we would return to a so-called modern image.

Seminar Introduction

As he starts the fourth year of his reflections on relations between cinema and philosophy, Deleuze explains that the method of thought has two aspects, temporal and spatial, presupposing an implicit image of thought, one that is variable, with history. He proposes the chronotope, as space-time, as the implicit image of thought, one riddled with philosophical cries, and that the problematic of this fourth seminar on cinema will be precisely the theme of “what is philosophy?’, undertaken from the perspective of this encounter between the image of thought and the cinematographic image.

For archival purposes, the English translations are based on the original transcripts from Paris 8, all of which have been revised with reference to the BNF recordings available thanks to Hidenobu Suzuki, and with the generous assistance of Marc Haas.

English Translation

Edited

Fritz Lang’s The Testament of Dr. Mabuse, 1933

 

Returning to the pre-World War II stage of spoken films, Deleuze reflects on what it means for the sound component to gain its autonomy, and noting different sub-divisions of noises and voices depending on the style, he indicates how music develops a sound framing and a sound continuum, this continuum related to the existence of the out-of-field (hors-champ). Deleuze provides distinctions of an absolute out-of-field and a relative out-of-field; a broader global transformation, a “Whole-that-changes”, distinct from simple movement in space, developing a temporal change; and voices “off” in relation to voices “in”, linked to two categories of speech acts, interactive and reflexive. With reference to Michel Chion, Deleuze examines facets of such speech acts and voices, and then shifts to musical elements as a special facet of the sound continuum linked to the visual image. The role of music first considered as exterior to the film in the silent period, Deleuze addresses music’s shift in the first speaking period as subjugated by the visual image. Through Deleuze’s extended conversation (only partially audible) with Pascal Auger on moments in the sound, music and visual image intersection, he indicates the importance of vibration as infinitesimal element of visual movement in common with musical movement, also linking work by several musicians to the term the Whole-that-changes. Deleuze turns toward Nietzsche’s conception of music in The Birth of Tragedy, also linking this to Schopenhauer and Wagner’s Parsifal in order to confirm the distinction of levels of the Whole, indirect representation in the visual image and direct presentation in music. [Much of the development corresponds to The Time-Image, chapter 9.]

Gilles Deleuze

Seminar on Cinema and Thought, 1984-1985

Lecture 20, 30 April 1985 (Cinema Course 86)

Transcription: La voix de Deleuze, Ali Hadi Ibrahim, correction : Sidney Sadowski (Part 1), Silvia Perea (Part 2) and Rudy Pascarella (Part 3); additional revisions to the transcription and time stamp, Charles J. Stivale

English Translation Forthcoming

 

French Transcript

Edited

Gilles Deleuze

Sur Cinéma et Pensée, 1984-1985

20ème séance, 30 avril 1985 (cours 86)

Transcription : La voix de Deleuze, Ali Hadi Ibrahim, correction : Sidney Sadowski (1ère partie), Silvia Perea (2ème partie) et Rudy Pascarella (3ème partie); révisions supplémentaires à la transcription et l’horodatage, Charles J. Stivale

Partie 1

Et puis ce qu’il me reste à faire — au besoin si on n’avait pas absolument fini, je ferais un cours en Juin mais ce serait avec douleur et je ne vois pas comment, mais enfin donc il faudrait que ce soit fini, donc on ira peut-être vite — ce qu’il me reste à faire, moi je le dis, parce que certains souhaitant des interventions, des questions, veulent un peu savoir : où on va maintenant ?

Je dis que, hélas, nous n’avons pas encore fini le premier aspect du parlant. Ce sera notre objet aujourd’hui, y compris du point de vue de la musique [1 :00] dans les rapports sonores-visuels. Mais ce n’est pas cet aspect là — j’essaie d’être très clair — ce n’est pas sous cet aspect-là que ce que j’avais annoncé comme le problème pour moi important de la musique apparaîtra. Car j’espère aujourd’hui qu’on en aura donc fini avec ce premier aspect du parlant, et vous vous rappelez notre hypothèse qui n’est pas, qui n’a rien d’originale, à savoir que ce n’est pas entre le muet et le parlant que s’est constitué un véritable changement dans le régime de l’image. Donc ce qui viendra normalement, ce qui devrait venir après, dès la séance prochaine, ce serait : aborder le second stade du parlant [2 :00] et le nouveau régime de l’image qu’il implique. Pas besoin de dire que ça me paraît complètement cohérent avec l’ensemble de notre année, qui a tourné sur la confrontation entre une image dite relativement classique et une image dite relativement moderne dans ses rapports avec la pensée. Donc là, c’est au niveau du sonore que nous reviendrions à une image dite moderne.

Et en effet, si vous m’avez suivi au point où nous en sommes dans l’analyse du premier stade du parlant, j’ai insisté déjà énormément sur ceci : ne croyez pas qu’il suffise qu’il y ait le parlant pour qu’il y ait une image sonore, [3 :00] car dans le premier stade du parlant, le sonore, sous toutes ses formes — y compris musicale, y compris parole — est une composante de l’image visuelle. Simplement c’est une composante spécifique de l’image visuelle. Donc au premier stade du parlant, je crois qu’ils n’ont pas encore le moyen de faire que le sonore soit pour lui-même une image autonome. Il n’y a d’autonomie que l’image visuelle, le sonore étant une composante spécifique de l’image visuelle, on a commencé à le voir.

Donc à partir de la prochaine fois, si on arrive assez à temps, [4 :00] si on ne perd pas trop de temps, ce que je suis en train de perdre là, déjà, on attaquera, de ce nouveau point de vue sonore-visuel, le régime de la nouvelle image. Et vous voyez tout de suite l’hypothèse qu’on sera amené à faire : autonomie respective de l’image sonore et de l’image visuelle. Le sonore cesse d’être une composante spécifique de l’image visuelle et devient une image autonome qui entre dans des rapports complexes avec l’image visuelle elle-même autonome.

Bon, et ça nous entraînera après… il faudra encore le justifier, ça doit vous rappeler… je ne prétends pas, ce n’est pas des choses… Beaucoup de gens l’ont dit, je crois, beaucoup de critiques ont été dans cette direction, [5 :00] mais j’insiste que ce qui m’intéressera particulièrement, c’est l’idée d’une autonomie de l’image sonore. Car voilà tout ce que je veux dire, et c’est la thèse que je ne cesse pas de vous proposer à partir de maintenant ; mais je vous le dis bien, pour le moment elle est inintelligible, je la donne comme point de repère pour vous.

La thèse que je voudrais essayer de justifier un petit peu, c’est que lorsque l’image sonore acquiert l’autonomie — c’est-à-dire lorsque le sonore devient image pour son compte au lieu d’être simplement composante spécifique de l’image visuelle — lorsque au lieu d’être composante spécifique, il est lui-même image autonome, qu’est-ce qui se passe ? Il se passe deux choses… [Pause] [6 :00] même trois choses, c’est ça qui fera la fin de notre année.

Première chose qui se passe : l’image sonore devient susceptible d’être cadrée pour son compte au point qu’il y a un cadrage sonore [Pause] en rapports à déterminer avec le cadrage visuel, les deux étant autonomes. Donc, la question pour moi très, très importante, où on risque de conclure : ah ben, non ! hypothèse ratée : qu’est-ce que peut vouloir dire « cadrage sonore », compte tenu même d’éléments techniques simples, actuels, [7 :00] alors que l’image classique au début du parlant niait qu’il puisse y avoir, et niait comme une chose allant de soi, qu’il puisse y avoir un cadrage sonore ? Bon, est-ce qu’on peut donner un sens à cadrage sonore du point de vue du son ? Et comment et de quel côté dans les recherches sonores ?

Deuxième point, que vous pouvez comprendre, même très abstraitement, il me semble : il n’y a plus de hors-champ même si, en fait, demeure le hors-champ. Pourquoi ? Parce que le hors-champ est une dépendance de l’image visuelle, et que lorsqu’on arrive au contraire à l’autonomie de l’image sonore et de l’image visuelle, [Pause] [8 :00] ce qui remplace le hors-champ, c’est l’interstice entre l’image sonore et l’image visuelle. Donc vous me direz en fait, il y a toujours du hors-champ… ben oui, en fait, comme dit [Samuel] Beckett, le vieux style. En fait, le cinéma conserve des lambeaux de vieux style, du vieux cinéma, il y a toujours du hors-champ en effet, mais ce n’est plus par là ça se fait. Il n’y a plus de hors-champ, il n’y a plus de hors-champ ; au hors-champ se substitue l’interstice, image sonore-image visuelle ou cadrage-sonore, cadrage visuel.

Troisième et dernier point : la musique au cinéma prend un tout autre sens, notamment parce qu’elle devient le [9 :00] traitement général de toutes les composantes sonores quelles qu’elles soient, quitte elle-même à changer de nature. Et de quel côté et de quel genre de musique, il faudra aller chercher ? Sans doute du même côté que celle qui aura été capable de nous apprendre un petit peu, ce qu’était le cadrage sonore.

Pour ceux donc qui veulent se préparer, je vois les essais très intéressants de [Michel] Fano, f-a-n-o, qui descend de [Alban] Berg, et qui a fait à peu près toute la musique de [Alain] Robbe-Grillet. [Sur Fano, voir L’Image-temps, pp. 301-302] Mais plus encore, je vois dans la direction et de cette nouvelle conception de la musique et [10 :00] d’une conception possible du cadrage sonore, je vois les textes actuellement abondants — dont je le dis pour ceux qui voudraient les feuilleter, les parcourir, ou les lire sérieusement — les textes multiples qui paraissent de cet étrange et très grand pianiste mort récemment : Glenn Gould, en vous signalant que Glenn Gould a fait des essais radiophoniques — qui débordent la musique d’ailleurs — dont on aura à parler. Ce serait simple, à l’issue, on pourrait dire : ah ben oui ! Si ce dernier niveau est bien fondé de l’autonomie respective de l’image sonore et de l’image visuelle, ça ne veut pas dire évidemment que les deux soient sans rapport, vous comprenez ? Simplement il faudra trouver le rapport entre les deux. Quel type, quel nouveau type de rapport, il y a alors entre le sonore et le visuel ? Et dans ce nouveau type de rapport, [11 :00] on aura répondu une dernière fois à notre problème : quels sont les rapports de l’image cinématographique et de la pensée ?

Or, si je souhaite, dans la même perspective qu’on a fait deux fois cette année des séances un peu d’interview, si je souhaite une interview qui n’exclurait personne, mais qui réunirait, notamment Dominique Villain, parce qu’elle s’est occupée du cadrage sonore, Pascale Criton, parce qu’elle connaît beaucoup sur les problèmes, les problèmes actuels de technique musicale qui, peut-être, autorise à parler de cadrage. Raymonde Carrasco pour aussi… Si je souhaite que l’on fasse une séance comme ça — il y avait quelqu’un qui m’avait demandé, et puis vous… — on verrait comment ça marche, [12 :00] et puis il n’y aurait pas de honte, même, je suppose, si on conclut, ah bah non, non, que mon hypothèse, elle ne peut pas tenir, ça ne tient pas debout. Ce serait formidable même une année qu’on terminerait en disant : ben, ça au moins, ça ne tient pas debout, c’est bien. Donc on a un mois à occuper, donc l’idéal, ce serait que je finisse aujourd’hui. Donc je vais aller assez vite sur cette première figure du parlant, donc on revient en arrière.

Vous vous rappelez où on en était ? — [Quelqu’un entre dans la salle, puis renferme la porte] Ils se sont trompés ! — On en était à dire, bien, le sonore, en général, est une composante spécifique de l’image visuelle ; [13 :00] il est entendu en tant que sonore, il est entendu, ça n’est plus le muet, il n’est plus lu. Mais ça ne l’empêche pas, en tant qu’entendu, étant une composante spécifique de l’image visuelle, il fait voir quelque chose dans l’image, il est lui-même vu. Bien plus, il arrive qu’il voie lui-même. Et inversement, l’image visuelle va devenir lisible d’une certaine manière. Donc on avait une évolution par rapport au muet ; je ne reviens pas là-dessus, on n’a plus le temps.

Mais comment ça se développe ? Je me dis, composante spécifique de l’image visuelle, jusqu’à maintenant, on n’a fait que commenter ça. Notre seconde question quant à toujours ce premier stade du parlant, notre seconde question [14 :00] c’est, eh bien, comment opère cette composante spécifique ? Comment opère cette composante sonore spécifique ? On nous rappelle très souvent qu’il est inexact techniquement de parler au cinéma d’une bande de son. On nous dit qu’il n’y a pas de bande de son. En effet, il n’y a pas de bande de son qui serait à mettre en parallèle à une bande visuelle. Et pourquoi ? Loin que ça me dérange, ça m’arrange, ça. Parce qu’en effet, si le sonore est une composante spécifique de l’image visuelle, il n’y a aucune bande de son autonome. Il ne peut pas y avoir. [15 :00]

Bien plus, il n’y a pas une bande de son, tout le monde sait qu’il y a des pistes, il y a des pistes sonores, et que les pistes sonores regroupent beaucoup de composantes. On peut même en rajouter : les grandes composantes sonores, c’est quoi ? Les bruits, les paroles, la musique. On peut en rajouter, on peut subdiviser. Vous concevrez une division en bruits. Les bruits, ils ont une certaine… moi, il me semble qu’on pourrait les définir comme isolants. Les bruits tendent à isoler un objet, et ils s’isolent les uns des autres, par exemple, un bruit de porte. Les sons, ce n’est pas tout à fait la même chose. Les sons, [16 :00] je dirais que les sons marquent toujours des rapports, et sont eux-mêmes en rapports mutuels. Donc on pourrait distinguer bruits, sons… et puis les phonations. Les phonations, elles découpent les rapports sonores. Ce peut être des cris, ce peut être de véritables jargons, comme dans le burlesque parlant, soit chez [Charlie] Chaplin, soit chez Jerry Lewis. Enfin, des paroles, des actes de paroles et de la musique, tout ça peut entrer en rivalité ; tout ça peut communiquer, tous ces éléments.

Dès le début du parlant, René Clair se lance dans des recherches extrêmement intéressantes sur [17 :00] les substitutions, les recouvrements, paroles, bruits, etc., et ce serait encore une nouvelle différence de l’acte de parole cinématographique et de l’acte de parole théâtrale, une différence très simple : c’est que, moi je crois que dès le début du cinéma, l’acte de parole est fait, en partie, pour être recouvert par les autres éléments sonores, ce qui n’est pas vrai dans les actes de paroles théâtrales. Mais, dans une tout autre direction, si je prends un auteur moderne, chez [Jacques] Tati, c’est célèbre, les recherches sonores de Tati, qu’est-ce qu’il va inventer ! Ça a été souvent dit : les sources d’émission des bruits rendues incertaines, par exemple : on reconnaît le [18 :00] bruit, mais on ne sait pas d’où il vient, très fréquent chez Tati, ça.

Et là, alors, on voit bien la composante sonore comme composante de l’image visuelle, un bruit de clé, mais de quelle poche, elle est tombée la clé ? Ça, il sait réussir ça — ce n’est pas facile à réussir au cinéma — il sait réussir ça admirablement. Déformation des rapports de son, déformation systématique des rapports de son puisqu’il opère toujours en post-synchronisé, tout ça. Fonction accordée à des bruits au titre de véritables personnages [Pause, ironiquement à cause du bruit d’une voix venue du couloir, qui fait rire Deleuze] et qui pour nous… [Rires, pause] [19 :00] Ahhhh, bon, etc., vous voyez quoi … Oui, la balle de ping-pong des Vacances de Monsieur Hulot [1953], ou bien comme le remarque dans une… — il fait de très belles analyses sur le son chez Tati, Michel Chion — ou bien la célèbre conversation par bruits, par bruits de fauteuil dans Playtime [1967]. Donc, on peut dire qu’il y a perpétuellement des permutations entre les différents éléments sonores à ce stade. Remarquez que, j’insiste là-dessus, je viens de prendre un auteur moderne, Tati ; comprenez, dans mon esprit, évidemment, je prends un auteur moderne, mais ce n’est pas par-là, à mon avis qu’il est moderne, ce n’est pas par là. Donc, dans les auteurs modernes que j’invoquerai dans cette partie, actuellement, je [20 :00] les prends sous un aspect par lequel, et sous lequel, ils ne sont pas à proprement parler modernes, mais appartiennent au cinéma éternel. Et c’est pour ça que je fais intervenir dès maintenant une thèse de Michel Fano, le musicien, thèse qui pourtant ne prendra tout son sens que dans le second stade.

Comprenez ce que je veux dire. Je veux dire : dès le premier stade du parlant, une thèse comme celle de Fano garde son sens — ou plutôt, pas garde — mais a déjà, a déja un sens, sens qui ne suffira pas à Fano puisque sa thèse, il ne pourra lui donner ou en expliquer le sens qu’en [21 :00] rapport avec la nouvelle image, l’image moderne. Et je dis : cette thèse trouve déjà un sens — un sens peut-être insuffisant mais quand même un sens — trouve déjà un sens dans le premier stade du parlant. Et elle consiste à nous dire quoi ? Eh ben, en fonction de cette compénétration de tous les éléments sonores, de leur recouvrement, de leur permutation, etc., ce que le cinéma nous présente, c’est un véritable « continuum sonore ». C’est un continuum sonore, [Pause] et l’expression « continuum sonore » apparaît chez Fano. [22 :00] Or, encore une fois, il s’en sert pour indiquer quelque chose qui est propre à l’image moderne, et là, je ne discute rien de ce qu’il dit, Fano. J’ajoute simplement, en un sens plus restreint il y avait déjà dans le parlant premier stade, un continuum sonore. À savoir que toutes les composantes entraient en communication, se recouvraient, se permutaient, et formaient en tant que — et c’est normal — en tant que composantes spécifiques de l’image visuelle, formaient un continuum sonore. [Sur le continuum sonore, voir L’Image-temps, p. 304-313]

Si bien que là encore, j’invoque un auteur moderne, [Jean-Luc] Godard. Godard a fait très vite tous les empiétements d’éléments sonores, tous les recouvrements, tous les… il a manié des continuums [23 :00] sonores très vite ; si vous pensez au début de Week-end [1967], la musique qui recouvre la confession de l’héroïne, laquelle confession est un texte en fait de Georges Bataille [Il s’agit de L’Histoire de l’œil (1928)] … [Interruption de l’enregistrement] [23 :18]

… les actes de paroles, les bruits de porte, les sons de la mer ou du métro, les cris de mouettes, les pincements de corde et les coups de revolver, les glissements d’archer et les rafales de mitraillettes, l’attaque de musique et les bruits de l’attaque de banque, etc., c’est un des plus beaux continuums sonores, dans Prénom Carmen [1983], de l’histoire du cinéma.

Or vous me direz, là aussi, tu prends un exemple [24 :00] tout à fait moderne. La réponse est la même : j’ai assez dit, à mon avis, ce qu’étaient les nouveautés de Godard comme cinéaste moderne pour pouvoir dire là, ce n’est pas par là qu’il est — même si c’est une exécution d’une prouesse fantastique — ce n’est pas par là qu’il est un cinéaste moderne. Que l’ensemble des éléments sonores forme une composante, c’est-à-dire un continuum, c’est le propre du cinéma sonore. Tous les éléments sonores forment une seule composante spécifique, c’est-à-dire un continuum sonore, et c’est en tant que continuum sonore [25 :00] que tous ces éléments se rapportent à l’image visuelle. Ce continuum sonore ne forme pas encore une image sonore ; il ne forme pas une image autonome. Il forme une composante de l’image ; il forme la composante sonore de l’image visuelle.

Vous comprenez que la vraie nouveauté de la thèse de Fano, ça va être lorsqu’il affirmera que non seulement il y a le continuum sonore, mais que ce continuum sonore est autonome. Alors là, oui, il y aura quelque chose de moderne. Mais sinon, l’affirmation d’un continuum sonore me paraît apportée par le parlant au cinéma, c’est-à-dire par le sonore aussi. Qu’est-ce que ça veut dire ça, et comment l’expliquer ? Eh ben, continuum sonore, ça veut dire que les différents éléments qu’on vient de voir et qu’on peut multiplier, les [26 :00] différents éléments ne se séparent pas. Ils ne se séparent pas. Ils ne se séparent pas. [Pause] Ils ne se séparent pas. Seulement voilà, un continuum, en effet, ses éléments ne se séparent pas. Les bruits, les sons, la musique, les paroles, ça ne se sépare pas. C’est par-là que c’est du cinéma.

Seulement, dire que ça ne se sépare pas, que les éléments ne se séparent pas, ça ne veut pas dire que le continuum ne se différencie pas. Les deux mouvements sont très différents, [Deleuze se lève et va au tableau] puisque se séparer, c’est si vous établissez une coupure, une différenciation, c’est [27 :00] si notre continuum diverge, non pas se sépare en éléments, mais [Deleuze reprend sa place] diverge suivant au moins deux directions. Je dis : la preuve du continuum sonore à ce stade où on en est, c’est qu’il n’a pas d’éléments séparables, mais il ne s’en différencie pas moins, et il s’en différencie, et il se différencie à chaque moment suivant deux directions divergentes, suivant deux directions divergentes — ce que je dis implique nécessairement que j’ajoute, là je n’ai pas le choix — suivant deux directions divergentes qui doivent être déterminées par une image visuelle. Pourquoi ? Parce que comprenez que si mon continuum sonore, il se différencie tout seul [28 :00] suivant des directions divergentes qui lui appartiennent, à ce moment-là, je suis fichu ; je ne peux plus maintenir, que c’est une composante spécifique de l’image visuelle.

Je dis donc que si le continuum sonore n’a pas d’éléments séparables, néanmoins il se différencie à chaque moment suivant deux directions divergentes qui, de toute manière, expriment son rapport avec l’image visuelle. Pourquoi les directions divergentes, le continuum sonore exprime le rapport avec l’image visuelle ? Là, on en est en plein dans la question : comment fonctionne le continuum ? Heureusement, c’est des choses qu’on a vues, mais malheureusement on les a vues les autres années, donc je fais comme si vous étiez tous là les autres années. [Pause] [29 :00] On les a vues les autres années. La réponse est simple : c’est que l’image visuelle comporte une dépendance, l’image visuelle cinématographique comporte une dépendance qui lui appartient essentiellement, au point où nous en sommes, et qui est le « hors-champ ». [Pause] Le hors-champ n’est pas vu, mais le hors-champ est une dépendance de l’image visuelle. Ça va de soi. Le hors-champ, c’est ce qui n’est pas vu dans le visuel. [Pause] [30:00]

Première question : de toute évidence, le cinéma n’a pas attendu le sonore pour qu’il y ait hors-champ. Dès qu’il y a eu une image cinématographique, il y a eu hors-champ. [Pause] Les films muets de [D.W.] Griffith donnent des exemples célèbres de hors-champs splendides, bon, ce n’est pas le parlant qui invente le hors-champ ; simplement, il le peuple. Il le peuple, c’est-à-dire, il le remplit de sa présence sonore. Il le remplit sonorement. Il ne le fait pas voir puisque le hors-champ par définition est non-vu. [Pause] [31 :00] Mais il le fait entendre. J’insiste, je ne cesse pas de le répéter, parce que j’y vois une confirmation fondamentale de la proposition : le sonore n’est qu’une composante au premier stade, n’est qu’une composante de l’image visuelle, car s’il est vrai que la fonction, ou une des fonctions fondamentales du sonore, c’est de peupler le hors-champ, le hors-champ est une appartenance de l’image visuelle et rien d’autre ! [Pause]

Mais pourquoi est-ce que le sonore aurait intérêt particulier à peupler le hors-champ plutôt qu’à se localiser [32 :00] dans l’image visuelle… ah, pardon, plutôt qu’à se localiser dans l’image vue ? [Pause] Vous connaissez tous la réponse. Et, là aussi, elle tombe avec le cinéma classique, le cinéma dit classique avec le premier stade du parlant. Et elle tombe sous la forme du fameux manifeste soviétique, le manifeste des trois [1928] – [Sergei] Eisenstein, [Vsevelod] Poudovkine, Alexeiev [Il s’agit plutôt de Grigori Alexandrov] — qui nous dit quoi ? Le son est d’autant plus intéressant qu’on n’en voit pas la source. Pourquoi ? Parce que le danger du parlant et même le danger du [33 :00] sonore, c’est quoi ? Faire redondance avec le vu. Comment faire pour que le son ne soit pas en simple redondance avec le vu ? Comment faire pour que l’entendu ne soit pas en redondance avec le vu ? Et ils se réclament et ils évoquent la nécessité d’une asynchronie — et j’attire votre attention quand vous lirez le texte — il y a tellement de sens du terme asynchronie ou synchronie. Là, « asynchronie » veut dire quelque chose de tout simple : non redondant. L’asynchronie du son dont se réclament les Soviétiques signifie uniquement que le son ne fasse pas redondance avec ce qu’on voit dans l’image. [34 :00] Dès lors, c’est pour que le son ne fasse pas redondance avec ce qu’on voit dans l’image, que le son va trouver sa destination élective dans le hors-champ, c’est-à-dire, peupler le hors-champ. C’est ce qu’ils appellent le contrepoint orchestral, ou le contrepoint sonore, c’est-à-dire, faire que le son ne soit pas le double d’un point vu, donc en faire un contrepoint ; pour qu’il ne soit pas le simple doublet d’un point vu, on en fait un contrepoint, contrepoint qui est une bande sonore.

Là, au point où j’en suis de ma terminologie, je dirais oui et non. Bien sûr, c’est sonore, mais c’est un contrepoint visuel. Le son devient contrepoint visuel au lieu d’être le double d’un point vu. [35 :00] Pourquoi ? Puisque peuplant le hors-champ – il ne faut pas oublier que le hors-champ est une dépendance absolue du champ visuel, de l’image vue — donc, je dirais du son hors-champ, c’est-à-dire dont la source d’émission n’est pas vue, que c’est — non pas qu’il est vu — mais que c’est un contrepoint visuel et non pas un point vu, et non pas le double d’un point vu. Exemple simple… Oui?

Une étudiante : [Inaudible ; quelques commentaires sur des aspects du hors-champ]

Deleuze : Complètement, ouais, tu as raison. [36 :00] Il y aurait un cas typique, je pense, de moderne, mais pas au sens de considéré comme moderne, d’Antonioni, complètement. Les étirements d’Antonioni sont typiques de ça. Alors qu’il emploie rarement la musique, mais quand il l’emploie, ouais, ouais, ouais, tout à fait.

Exemple tout simple : le bruit des bottes. Le bruit des bottes est d’autant plus intéressant qu’on ne voit pas les bottes. Le bruit des bottes est d’autant plus intéressant — c’est ça le sens du manifeste soviétique — le bruit des bottes sera d’autant plus intéressant que vous ne montrerez pas les bottes dans l’image vue. Le coup de révolver sera d’autant plus intéressant que vous en verrez l’effet dans l’image vue, mais que vous ne verrez pas le revolver dans l’image vue, c’est hors-champ. [Pause] [37 :00] Dès lors, nécessité que, bref, le son ne vienne jamais doubler le vu. Et, bien loin d’en conclure — c’est ça, c’est ma seule astuce si vous voulez — on en conclurait rapidement que dès lors il y a autonomie du sonore ; je dis, c’est le contraire. C’est exactement le contraire ; il n’y a aucune autonomie du sonore. Pour la simple raison, encore une fois, que vous situez la source du son hors-champ, vous faites du sonore quelque chose qui va peupler le hors-champ, sans qu’on en voie la source, mais le hors-champ, c’est la dépendance visuelle de l’image vue. Donc, [38 :00] c’est dans cette fonction hors-champ que le son assume sa situation classique d’être composante spécifique de l’image visuelle.

Et là encore — je lançais des tas de choses — de la non-redondance en même temps que les soviétiques, René Clair faisait des recherches très, très poussées avec une réussite merveilleuse qui est toujours citée dans les histoires du cinéma : dans Sous les toits de Paris [1930], où il a la grande idée de faire que deux amoureux, pas encore amoureux, se disputent l’un l’autre dans une chambre, chacun voulant céder le lit à l’autre. Chacun veut que ce soit l’autre qui couche dans le lit, et lui, il veut coucher par terre, tout ça, et puis la dispute monte, et puis ils éteignent et la dispute [39 :00] se continue dans le noir. C’est un très, très grand moment dès le début du parlant où là vous avez précisément une mise hors-champ de toute image puisque, c’est pire, la seule image vue est une image noire.

Mais lorsque vous trouvez chez [Robert] Bresson la réclamation précisément d’un principe de non-coïncidence ou de non-redondance — je lis un court texte, par exemple, là il y en a plein dans Bresson – « lorsqu’un son peut supprimer une image, alors supprimer l’image ou la neutraliser” [Notes sur le cinématographe (Paris : Gallimard, 1975) pp. 60-62] Il réclame donc un principe de non-redondance qui, à mon avis, dépasse le hors-champ parce que le « neutraliser, supprimer l’image », ça, c’est du hors-champ. [40 :00] Mais la « neutraliser », ce n’est pas du hors-champ, ça peut être dans l’image vu même, qu’il y a privilège de la composante sonore sur le vu.

Mais lorsque je lis des phrases comme ça chez Bresson, ça ne diminue en rien son génie que de dire Bresson, qui est un des cinéastes modernes les plus important de notre époque, ce n’est pas par-là qu’il est un cinéaste moderne ou qu’il est nouveau. Dans ces textes précis — c’est pour ça qu’il y a toujours des problèmes d’évaluation de texte — dans ce texte précis sur le rapport à l’image sonore, la phrase pourrait parfaitement être citée Eisenstein, ou plutôt elle ne pourrait pas être citée Eisenstein car, comme des spécialistes l’ont fait remarquer — je crois qu’ils ont raison — le manifeste des trois soviétiques signé, entre autres, Eisenstein et Poudovkine doit, semble-t-il, beaucoup plus à Poudovkine [41 :00] que à Eisenstein. C’est Poudovkine qui tient fondamentalement — et dans son œuvre parlante, ça apparaîtra nettement — c’est Poudovkine qui tient fondamentalement à la non-coïncidence, à la non-redondance et à ce que la source sonore soit hors-champ.

Et pourquoi, et pourquoi est-ce que ce n’est pas Eisenstein ? Parce qu’on va le voir : Eisenstein est engagé dans un autre problème très bizarre. C’est pour ça, ça ne paraît pas, et la preuve, c’est que dans les films parlants d’Eisenstein, Alexandre Nevsky [1938], Ivan Le Terrible [1945, 1958], le principe de redondance ne le gêne pas, ne le gêne pas du tout, tandis que ça gêne beaucoup, à équivalence, ça gêne beaucoup Poudovkine qui l’évite le plus possible. Donc en fait, [42 :00] je ne suis pas le premier à le dire, il semblerait que le manifeste des trois, le manifeste soviétique que vous trouvez, par exemple, recueilli dans les œuvres d’Eisenstein, doive plus à Poudovkine dans ce cas qu’à Eisenstein. Mais ça, c’est un détail.

Mais je n’ai pas réglé ma question. Tout ce qu’on sait, c’est que lorsque le son peuple ou habite le hors-champ, alors il sera dit — suivant une expression célèbre — il sera dit « off ». Lorsqu’il est localisé dans l’image vue, il est dit : « in ». Bon, voilà. Mais vous vous rappelez notre problème ? Je suggérais que si le continuum sonore ne se divise pas en éléments [43 :00] séparables, en revanche, il ne cesse de se différencier suivant deux jets qui expriment son rapport avec l’image visuelle. Bien, c’est ça qu’il faut montrer, et c’est pour ça que je suis forcé de rappeler — hélas pour ceux qui n’étaient pas là les autres années — de rappeler quelque chose qui a été de tout temps, les années précédentes, la base de notre analyse, que ce soit vrai ou faux, peu importe ; il est trop tard maintenant. Donc je le rappelle. [Deleuze va au tableau, s’éloigne donc du micro, et désormais, ses propos deviennent assez difficiles à saisir]

C’est que le hors-champ a fondamentalement deux aspects. L’idée, ça a été dit extrêmement bien par différents critiques, c’est-à-dire le seul point de nouveauté, à mon avis, que j’apportais dans les autres années, c’était [44 :00] une interprétation de plus de ces deux aspects du hors-champ, mais que les deux aspects fondamentalement différents du hors-champ dans l’image cinématographique, c’est une idée bien connue que vous trouverez récemment, je veux dire, bien avant moi, développée par [Pascal] Bonitzer dans Le regard et la voix [Paris : UGE, 1976] et par [Jean] Narboni dans le numéro spécial de [Alfred] Hitchcock [Alfred Hitchcock, « Visages d’Hitchcock », hors-séries 8 (Paris : Cahiers du Cinéma, 1980)], et reprise plus récemment — en la relativisant, en relativisant d’ailleurs la distinction, ce qui est intéressant — par Michel Chion dans La voix au cinéma [Paris : Editions de l’Etoile, Cahiers du Cinéma, 1982].

Et ça revient à dire quoi ? Ça revient à dire un truc… Prenons, assimilons ceci à un plan, [Deleuze dessine au tableau] ou, pour moi, ça revient au même, peu importe, un plan ou une image-mouvement, [45 :00] voilà. [Deleuze dessine au tableau ; quelques mots indistincts] Je dis : quel que soit le plan considéré ou l’image-mouvement considérée, il y a tout lieu, il est impossible au cinéma qu’elle ne se continue pas hors des limites de ce qui vous est donné à voir. En d’autres termes, toute image se prolonge dans d’autres images possibles qui seront données ou ne le seront pas. Donc en ce sens, je dis [46 :00] la caméra prélève, elle prélève une portion vue sur un ensemble plus vaste. Le premier sens de hors-champ, et que l’on pourra appeler, dès lors, « hors-champ relatif », [Pause] c’est que tout plan comme image-mouvement se prolonge dans des ensembles plus vastes de même nature que lui. Par exemple, j’ai un bout de campagne, il se prolonge dans un reste de campagne, peu importe qu’il y ait décor, pas décor, ça ne gêne absolument pas. Il se prolonge. [Pause] Ça va ? [47 :00] Dieu qu’il n’y ait pas de difficulté, parce qu’on va… bien, ça. [Sur le hors-champ relative, voir L’Image-temps, pp. 326-327]

Je dirais aussi bien, comme Bonitzer le dit très bien, entre le hors-champ et le champ, vous avez finalement un espace de même nature. Disons que le hors-champ relatif, c’est le — je vais chercher un mot — c’est « l’à-côté ». [Sur l’à-côté, voir L’Image-temps, pp. 73, 306] Pas d’image-mouvement, pas d’image cinématographe sans à-côté ; pas de champ sans hors-champ. [Pause] Mais d’autre part, il y a quelque chose de tout à fait différent. [48 :00] Je dis : d’une part, une image, l’image-mouvement, le plan se prolongent en d’autres images de même nature. Si on les voit, ça donne des plans en pointillés, qui se succèdent si on ne les voit pas. Mais d’autre part et aussi, l’image-mouvement ou le plan exprime un Tout, un changement, un Tout qui change, et qui est d’une toute autre nature que l’espace non-vu. [Pause] L’image-mouvement va [49 :00] exprimer un Tout qui change et qui est d’une autre nature qu’elle, et qui est d’une autre nature que tous les ensembles qu’elle présente ou dans lesquelles elle se prolonge.

Reprenons mon exemple : les oiseaux migrent, les oiseaux-là que je fais, hein ? Image-mouvement. Image-mouvement, c’est de la translation, c’est de la translation dans l’espace. [Deleuze dessine] J’ai bien un hors-champ, j’ai bien un hors-champ, c’est que ça ne s’arrête pas aux oiseaux que je montre. L’ensemble se continue au-delà de ce que je vois. Bien, mais il n’y a pas de mouvement dans l’espace qui n’exprime un changement dans un Tout. De quelque manière que vous conceviez le Tout — vous pouvez le concevoir le Tout [50 :00] de toutes sortes de façons — tout moment dans l’espace exprime un changement de Tout. A savoir la libération des oiseaux, c’est-à-dire leur départ, exprime ce qu’on appellera une « variation saisonnière ». C’est-à-dire un changement dans le Tout de la nature. Vous me direz : mais vous pouvez le montrer dans l’image, par exemple des feuilles, des feuilles d’arbre qui tombent. Mais rien du tout ! Des feuilles d’arbres qui tombent, c’est encore du mouvement ! Mais le changement qualitatif, le changement du Tout, vous ne le saisirez jamais que représenté ou exprimé par le plan ou l’image-mouvement. Mais le changement ou le Tout qui change, il est d’une autre nature que le mouvement dans l’espace. [51 :00] [Sur le Tout qui change et cette variation, voir L’Image-temps, p. 308] Pourquoi ? Il est de l’ordre du temps. C’est une autre dimension du hors-champ, ça. C’est un hors-champ absolu, [Pause] absolu parce qu’il est d’une autre nature.

En d’autres termes, l’image-plan se prolonge dans des images non données, dans des images possibles de même nature que lui, mais exprime ce qu’on appelait, pour rejoindre notre thème de cette année, mais exprime un concept vivant d’une tout autre nature. [52 :00] Avec les oiseaux, j’invoquais la variation saisonnière, le changement de la nature comme concept. Là on refait de la philosophie mais, comprenez, il y a des cas où c’est autre chose : le concept vivant ou le hors-champ absolu, il ne peut jamais être montré qu’indirectement par l’image, il ne peut qu’être représenté indirectement par l’image. Ce changement du Tout, ce temps, ce fond du temps, ce qui vient du fond du temps, ça parle de changement. Eh bien, ce n’est pas forcément un changement par les flancs de la nature, ça peut être, par exemple, une libre décision de l’esprit, ça peut être la libre détermination spirituelle, [Pause] [53 :00] la libre détermination spirituelle, quand elle exprime le choix ou la mutation d’un esprit chez les auteurs comme [Carl] Dreyer, comme [Robert] Bresson. [Sur le hors-champ absolu, voir L’Image-temps, p. 326]

Vous trouverez que l’image-mouvement renvoie elle aussi à un Tout, mais ce Tout, c’est quoi ? C’est le choix d’un esprit qui se conquiert. C’est la conquête de Gertrud par soi-même [référence au film de Dreyer Gertrud (1964) ; voir L’Image-temps, pp. 222, 231]. Il ne peut être montré qu’à travers des attitudes fortes et qu’à travers ses paroles, mais il ne peut qu’être représenté indirectement par l’image visuelle. L’image visuelle ne peut que montrer, ne peut représenter qu’indirectement la libre décision de l’esprit, tout comme elle ne peut représenter qu’indirectement [54 :00] la nature en son fond et le changement de la nature en son fond. Si bien que là, je disais, vous avez un hors-champ relatif. C’est l’à-côté, la manière dont une image se prolonge dans des ensembles supposés plus vastes. Et vous avez un hors-champ absolu : l’ailleurs, cette fois-ci la manière dont l’image visuelle exprime ou représente indirectement le concept vivant ou la détermination spirituelle. Hors-champ relatif, hors-champ absolu. [Pause] [Voir L’Image-temps, pp. 58-59]

C’est ma manière de le dire — mais encore une fois, [55 :00] là on n’a pas le temps, sinon vraiment j’aurais récité une fois de plus les textes de Bonitzer, de Narboni à cet égard — sauf que j’ajoute : admirez comme, suivant leur génie, les grands cinéastes devront, et suivant les cas, mettront l’accent sur tel ou tel aspect, soit qu’ils soient plutôt voués à l’un qu’à l’autre, soit qu’ils évoluent eux-mêmes, qu’ils passent de l’un à l’autre. Dans un texte de Narboni, je me rappelle, il y distinguait très bien — là dans le texte sur Hitchcock [Voir la référence ci-dessus et aussi L’Image-mouvement, p. 28 note 10] — il dit, prenez deux auteurs opposés de ce point de vue. [Jean] Renoir, il a toujours fait des cadres très ouverts. Qu’est-ce que ça veut dire des cadrages très ouverts de Renoir ? Ben, ça veut dire que chez Renoir, la caméra prélève toujours, [56 :00] elle prélève sur une aire prolongeable. [Deleuze continue à indiquer le plan au tableau] Renoir, il joue avec les hors-champs relatifs d’une manière fantastique.

Prenons, au contraire, des auteurs célèbres pour la « fermeture » de leur cadrage. Un des plus célèbres pour la fermeture de son cadrage, c’est Hitchcock. Je disais, je proposais même, je disais : ce n’est même plus du cadre, ce n’est pas du cadre de photo, c’est bien pire, que du cadre de tapisserie. Hitchcock, c’est un des cadres les plus fermés qui soient. Plus, je dirais, plus le pôle hors-champ relatif — l’à-côté – tend [57 :00] à prendre de l’importance, plus sans doute le hors-champ absolu prendra une valeur seulement secondaire — l’ailleurs. Inversement : plus le cadre sera fermé, c’est-à-dire le hors-champ relatif perdra beaucoup d’importance, le hors-champ absolu prendra une importance décisive. On a vu, on l’a vu quand on a analysé Hitchcock, il y a des années. [Voir la séance 12 du séminaire Cinéma 2, le 1 mars 1983] En effet, chez lui, ce qui joue le rôle de concept vivant, c’est quoi ? C’est un extraordinaire jeu de relations. Ce n’est pas par hasard que Hitchcock est un cinéaste anglais, un penseur anglais ; ce qui l’intéresse, c’est les relations de l’image. Ce que l’image cadrée est sensée exprimer [58 :00] indirectement, représenter indirectement, c’est le jeu des relations et les transformations des relations, et vous trouverez toujours les deux aspects.

Je prends un dernier texte, un dernier cas qui a été très bien analysé par Claude Ollier, c’est l’évolution d’Antonioni [Voir Souvenirs écran (Paris : Gallimard-Cahiers du cinéma, 1981), et aussi L’Image-temps, p. 17 note 14] Il dit : au début, dans ses premiers films, Antonioni va encore chercher ses personnages. Voyez ? Il cadre un espace, il ouvre le cadre, [Deleuze dessine au tableau] c’est-à-dire il passe à un plan suivant, plus large, qui accueille le personnage qui allait entrer dans le cadre. [59 :00] Je dirais qu’il joue sur le hors-champ relatif. [Pause] Plus ça va, nous dit Ollier, et, surtout à partir de L’Éclipse [1962], il renonce à ça, ça ne l’intéresse plus. Il ferme le cadre, il le géométrise au maximum, les splendides cadres géométriques d’Antonioni complètement fermés. Le personnage surgit dans le cadre, avec le sentiment — si vous essayez de vous rappeler l’atmosphère d’Antonioni, vous verrez ce qu’Ollier veut dire — sentiment très bizarre qu’on a : le personnage ne vient pas d’à-côté, il vient d’ailleurs. [60 :00] Il a traversé, comme dit Ollier — je me rappelle à peu près, je n’ai pas eu le temps de rechercher — il a traversé une sorte de « no man’s land », zone impossible à filmer blanc sur blanc. Autant dire que là, dans ce cas, ce n’est pas que tout hors-champ relatif ait disparu, mais le hors-champ absolu est devenu le pôle prévalant sur le hors-champ, voilà. Et ça se comprend qu’il y ait les deux, depuis le début — alors je m’accroche à ce qu’on a fait cette année — ça se comprend que vous ayez les deux dimensions du hors-champ – l’à-côté et l’ailleurs, hors-champ relatif et hors-champs absolu – ça se comprend, c’est même nécessaire puisqu’on l’a vu : ça a été le problème, depuis le début, du rapport image-pensée au cinéma… [Interruption de l’enregistrement] [1 :00 :58]

Partie 2

[61 :00] … Nous avions la double idée que toute image se prolongeait dans d’autres images associables. C’est le hors-champ relatif, mais que cela ne se faisait pas sans que l’ensemble des images associées s’intériorise dans un Tout, et que le Tout s’extériorise dans les images associées. La dimension d’après laquelle une image en prolonge une autre, c’est le hors-champ, c’est la dimension du hors-champ est relatif. La dimension par laquelle ça ne se fait pas sans que l’ensemble des images prolongeables ou prolongées, s’intériorise dans un Tout qui s’extériorise à son tour [62 :00] dans les images, ça c’est la représentation indirecte du Tout, c’est le hors-champ absolu.

Du coup, avant de vous demander si ça va, si je peux continuer — parce que je m’excuse beaucoup auprès de ceux… ça, ça suppose… je viens de résumer ce qu’on a fait en six mois, je ne sais pas quand, il y a deux ans. Mais il faut aller vite — avant de vous demander si ça va, je… Eh ben… Évidemment vous voyez bien que je ne retombe pas sur mes pieds comme ça.

La voix « off », elle aura nécessairement ces deux aspects. Ça ne peut pas être autrement précisément parce que le son, et notamment la parole, [Pause] [63 :00] ne peuvent éviter la redondance avec le « vu » qu’en peuplant le hors-champ : il y aura deux voix « off » et deux types de voix « off », et là je retombe sur une platitude qui a été souvent dite. Vous avez une voix « off » ou un son « off » relatif. [Pause] Par exemple : vous entendez le son, vous entendez un bruit de botte, et vous ne voyez pas les bottes : c’est un son « off » relatif. Vous pouvez voir les bottes, l’image suivante, elles appartiennent au même espace [Pause] [64 :00] que celui que présente l’image vue. [Pause] Ou bien ce que Renoir faisait déjà merveilleusement dans Nana [1926]. Non, Nana, après tout, j’ai peur tout d’un coup : c’est un film muet, Nana. [Quelques mots indistincts] En tout cas, chez Renoir… C’est un film muet ou c’est parlant, personne ne sait ? C’est muet ! Alors ce n’est pas ça ! Alors mon exemple n’est pas bon. Enfin, il faisait déjà ça très, très bien, les conversations « off » ; la conversation que vous entendez « off », avant et sans avoir vu les personnages qui parlent, c’est du hors-champ relatif. Bon. [65 :00]

Mais l’autre cas, le hors-champ absolu  : la manière dont l’image [Pause] va exprimer le Tout qui change, c’est-à-dire — là je reviens sur ces termes parce que moi, ils me font plaisir alors, vous vous en doutez — c’est-à-dire soit le concept vivant, soit la détermination des sons. Je m’y accroche, mais comme c’est la seule philosophie là-dedans, c’est… [Rires ; quelques mots indistincts] c’est quoi ça ? Ce sera des sons « off » de cette nature, qui correspondent au hors-champ absolu. [66 :00] Bien. [Pause]

Relativisons… plutôt, plutôt. Les sons « off » relatifs, ça sera plutôt, plutôt — parce qu’il y a des cas où ça ne sera pas comme ça — ça sera plutôt des bruits et des actes de parole homogènes aux actes de parole « in », c’est-à-dire, ceux dont on voit la source dans l’image. Or, les actes de parole « in », la dernière fois, on a vu leur statut, on a essayé de dire leur statut : ils sont interactifs. C’est la première catégorie des actes de parole : actes [67 :00] de parole interactifs. On a passé longtemps à cette fonction d’interaction, par différence avec le muet.

Je dirais :  les sons « off », première manière, au sens relatif, sont plutôt des bruits et plutôt des actes de parole interactifs ; [Pause] les sons « off », seconde nature, ceux qui expriment le rapport avec l’absolu, c’est-à-dire avec la détermination spirituelle ou avec le fond de la nature, [Pause] c’est, par exemple, c’est plutôt, ce que l’on va voir de plus près, [68 :00] c’est plutôt de la musique, plutôt de la musique, ou plutôt des actes de parole [mot indistinct], qui témoignent de quoi ? Qui témoignent d’un savoir absolu, d’une puissance absolue, d’une voyance absolue, ou presque absolue — il ne faut pas exagérer, tout ça est relatif [Rires] — et ce seront les actes de parole — du coup, j’ai ma seconde catégorie d’actes de parole — appelons-les, pour plus de commodité, pour ne pas compliquer, actes de parole réflexifs. Ça sera la voix « off » de celui qui se souvient, [69 :00] de celui qui explique, de celui qui sait. Bon.

Michel Chion a trouvé de grands, de grands effets… [Pause] Tout ce que je en peux dire jusqu’à maintenant : voyez ? En quoi [mots indistincts] … en quoi mon continuum sonore se différencie nécessairement… [1 :09 :43] [Interruption de l’enregistrement]

… on va aller du côté du « off » relatif, [Deleuze dessine au tableau] qui va se différencier en deux jets [70 :00] : l’un qui va constituer le prolongement, ou le « off » relatif, incarné plutôt par les bruits et les actes de parole « off » ; l’autre vers le « off » absolu, incarné plutôt par la musique [Pause] et les actes de parole réflexifs.

Mais, mais, mais, mais, mais… comprenez. Comme on en est toujours au stade de l’image-mouvement, ça ne reste jamais immobile, et c’est pour ça que Chion, d’une certaine manière, a raison de dire : d’accord, [71 :00] cette distinction, mais il faut aussi la relativiser. Je ne m’occupe pas des autres distinctions. Il y a une richesse dans la critique cinématographique sur le thème du hors-champ et de la voix « off » ; il y a une telle richesse des classifications. Moi, je vous propose celle qui me convient, mais je dis, je n’ignore pas qu’il y en a beaucoup d’autres.

Ben, là où Michel Chion a raison, c’est qu’il prend un exemple, un splendide exemple, l’analysant à merveille : Le Testament du docteur Mabuse [1933, de Fritz Lang] — vous allez voir — Là où on voit sur le vif le déplacement de… Car, en effet, ça n’irait pas si la différenciation ne reconstituait à chaque fois le continuum. Il faut à la fois que le continuum se différencie, [72 :00] et ne cesse aussi, ne cesse de se différencier, ne cesse de redonner du continuum. C’est ça qui serait bien, et c’est ça que le cinéma fait toujours sans qu’on s’en aperçoive, mais je crois que ça fait partie de sa rythmique la plus profonde.

Dans Le Testament du docteur Mabuse de Michel Chion, qu’est-ce qui se passe ?  Premier temps : [Deleuze reste toujours au tableau et écrit par moments] la voix, la terrible voix, du diabolique, la diabolique voix du diabolique docteur, ou en tout cas du diabolique héritier du docteur, du diabolique héritier du docteur Mabuse. Et cette voix, elle est toujours présentée comme « à-côté », on n’en voit jamais la source. La source est à-côté, donc voix « off » qui culmine [73 :00] avec la scène célèbre où la source d’émission semble être derrière un rideau. Je dirais ça, uniquement : la voix de Mabuse ou du pseudo-Mabuse, est une voix « off » relative, elle est à-côté. [Pause]

Le héros et l’héroïne, dans mon souvenir, ont le courage, enfin, franchissent le rideau, et tombent sur quoi ? Tout un appareil, tout un appareillage radiophonique. Le diabolique docteur les a eus. [74 :00] Ce n’était pas sa voix, c’était la retransmission de sa voix. Sa voix n’était pas à côté, elle est ailleurs. Vous me direz : « à côté d’à côté ? ». Non. Tout le monde comprend : dans un ailleurs d’une autre nature. On saute de la voix « off » relative à la voix « off » absolue. Et puis quand le diabolique héritier du docteur Mabuse est enfin identifié, ça reviendra de la voix « in », à ceci près qu’on n’en est pas sûr et que, merveille, ce qui tient au génie de Lang, aucun de ces moments n’annule le précédent. Aucun n’en annule le précédent, c’est les trois à la fois. Oui, la voix sera identifiée ! Et ce n’était pas le docteur Mabuse, [75 :00] mais c’était le successeur du docteur Mabuse qui devient fou à son tour. Mais ça n’annule absolument pas la voix « off » absolue, à savoir que cette voix « off » était vouée de toute puissance. Parce qu’elle était inspirée par le premier docteur Mabuse, fou dans sa cellule ? Peut-être. Parce que c’était le docteur Mabuse, qui apparaît comme un ectoplasme dans l’image, qui inspirait, mais c’était une voix d’ailleurs. Mais ça, ça ne l’annule pas. Et le fait que ce soit une voix « off » absolue, n’annule pas non plus l’ingéniosité alors relative, des mécanismes, par lesquels cette voix « off » absolue s’incarne dans des voix « off » relatives par le jeu des micros et par le jeu du système de surveillance. Aucun aspect n’est mis en doute. [76 :00] Bien plus, je dirais que chaque aspect recharge, et que ça va… le continuum sonore se différencie à chaque instant, mais pour reformuler le continuum.

Et ça peut se faire comme ça aussi, même avec la musique. Je pense à un portrait très beau chez Antonioni. Il est si spécial pour le problème de la musique ; il en met tellement peu ! Il a des raisons, enfin plutôt son musicien, c’est [Giovanni] Fusco. C’est ça, Fusco… Fusco, hein ? [Pause] Il y a tellement, il y a des moments tellement… Ce n’est pas parce qu’il y en a beaucoup que ça représente mieux que tout, une représentation du Tout ou de la détermination spirituelle. Mais il suffit parfois d’une petite ritournelle, [77 :00] la petite ritournelle, c’est le Tout.

Eh ben, qu’est-ce que je voulais dire ? Chez Antonioni, je prends une scène de L’Éclipse [1962 ; Voir L’Image-temps, p. 308] : Il y a les deux amoureux dans le parc et il y a un air de piano. Là, la musique est typiquement dans sa fonction « off » absolue. Les amoureux passent devant un groupe de vieillards sur le banc, dans mon souvenir qui n’est peut-être pas exact, sur un banc, il y en a un qui regarde fixement dans une direction, et qui dit : « oh il est bon, c’est un air de piano ». Il dit « il est bon, le pianiste ». Brusque saut, avant, ce n’est pas du « off » absolu, c’est du « off » relatif. La musique émane [78 :00] du pianiste à côté, qui joue à côté et qu’on ne verra pas, qui restera lui, en hors-champ. Et les amoureux quittent le parc, s’éloignent, et on les voit dans mon souvenir, s’éloignent, et on les voit, comme à la grue, de haut. Ils vont dans les rues, et la musique les suit. Elle reprend son cours. Et c’est tous ces timbres de circulation, et c’est tous ces timbres de circulation qui vont faire le continuum sonore. [Deleuze revient à sa place]

Alors, si vous avez compris, on se trouve devant un dernier problème. — Il nous faut un petit repos avant que… Il fait chaud ou c’est, ou c’est…

Un étudiant : [Propos inaudibles]

Deleuze : Il est quoi ?… Il fait très chaud ou ce n’est pas en moi ? Si c’est en moi, je suis malade.

Un étudiant : [Propos inaudibles]

Deleuze : Ah bon ; si c’est [79 :00] dehors… Comprenez. On se trouve devant un problème. On avance. Mais c’est triste, c’est triste la vie. À peine on avance, qu’on se trouve devant une autre difficulté, alors il vaudrait mieux rester sur place.

Maintenant on ne se trouve plus devant le problème du rapport de l’ensemble des éléments sonores avec l’image visuelle dont ils sont une composante. On se trouve devant, et ça s’enchaîne, un nouveau problème : quel est le rapport entre l’image visuelle et la musique ? [Pause] [80 :00] En tant que la musique ne va pas être seulement l’expression du Tout, [Pause] elle va assurer la circulation de tous les éléments sonores. Et si ce n’est pas de la musique, ce sera quelque chose qui fonctionne comme de la musique. À savoir, les nouveaux actes de parole, qu’on vient de découvrir, qui ne sont plus des actes de parole interactifs, mais des actes de parole réflexifs, et qui eux-mêmes pourront être traités musicalement — si vous pensez à la voix de Orson Welles, par exemple — qui peuvent être traités sous des formes modulatoires. Bon.

Alors c’est très simple : autant dire que… quel va être le rapport ? Si vous préférez, prenons la chose au plus simple : bon, quel est le rapport entre l’image visuelle [81 :00] et l’image musicale ? Non, je ne peux pas dire encore « image », pardon. Quel est le rapport entre l’image visuelle et l’élément musical ? Voyez, ce n’est plus le problème du rapport de la composante sonore et de l’image visuelle, mais c’est le problème de l’image visuelle avec la musique dans ce premier stade du parlant. Eh bien, il se trouve dans une sale situation, mais en même temps merveilleuse, merveilleuse. Et vous avez le choix.

Bon, est-ce qu’on peut se donner… 11 heure et demie, avec un peu de chance, j’ai fini. Si vous consentez à ce qu’on se repose vraiment 5 minutes. Mais vous regardez la pendule ! On se retrouve ici dans 5 minutes, sinon je n’aurai pas fini. [Interruption de l’enregistrement] [1 :21 :59]

[82 :00] … Bon alors écoutez, on recommence tout doucement. Tout doucement. On oublie cette histoire, on commence par cette histoire de musique, parce que je ne fais même pas les raccords, parce que les raccords, ça compliquerait…

Comment ça, se posait ? Vous voyez bien que on se trouve devant un problème nécessaire parce que, du temps du muet, je vous le rappelle encore une fois, tout le monde sait que le plus souvent, pas toujours, il y avait la musique, puis il y avait la musique extérieure, il y avait un pianiste d’accompagnement, tout ce que vous voulez. Mais dans les conditions du muet, c’était très difficile pour la musique d’échapper à un rôle figuratif, [Pause] [83 :00] à savoir de la musique triste quand le héros est triste. [Pause] C’était une musique – comment dire ? — illustrative ou, comme on dit dans certains cas, c’était de la musique à programme. Et comme [Bela] Balázs le déclare lui-même, le première acte libérateur du parlant, ça a été évacuer du cinéma la musique à programme, donc, ouvrir pour la musique des nouvelles possibilités, puisque, encore une fois, composante spécifique de l’image visuelle, ça ne veut pas dire qu’elle soit asservie à l’image visuelle. [Pause] La musique narrative ou illustrative, [84 :00] ou bien — ça revient exactement au même — qui serait elle-même illustrée par une image visuelle, permettez-moi d’appeler ça par commodité un rapport de correspondance externe. Le problème de la musique avec le parlant devient: comment introduire entre l’image visuelle et la musique un rapport qui ne soit pas de correspondance externe ? [Pause]

Là, ce n’est évidemment pas par hasard que le cinéma expérimental a été un moment déterminant. Mais dans quel sens est-il allé, précisément en tant que cinéma expérimental ? Au moins dans une grande partie de ses tendances, il est allé [85 :00] dans la voie de l’abstraction. [Pause] Jean Mitry, qui est à la fois critique — mais qui, comme cinéaste, s’est beaucoup occupé de ces questions — a fait un livre, un petit livre, Le cinéma expérimental [Paris : Seghers, 1974] dont les spécialistes, je crois, à juste titre, disent souvent beaucoup du mal, mais disent du mal pour la partie moderne. Car manifestement, il est trop lié à ses propres tentatives d’avant-guerre pour avoir bien saisi ce que les Américains, ce que les modernes, ont fait dans ce domaine cinéma-musique. Mais je crois que l’on peut garder au moins de ce livre toute sa première moitié qui analyse les tentatives d’avant-guerre et qui sont de deux sortes. Si j’avais le temps, je les raconterais, mais sinon, la plupart d’entre vous les savent et il y en a qui le savent mieux que moi. [86 :00] On a pu tenter d’établir des correspondances entre figures géométriques en mouvement, figures abstraites en mouvement, en déformation, et musique. Il y a eu de grands classiques dans le genre, par l’intermédiaire de la caméra.

Deuxième moment très important, illustré pas seulement, mais notamment, par une partie — tout ça, il faut le nuancer énormément — par une partie de l’œuvre du grand [Norman] McLaren : c’était l’inscription non plus des figures, mais de la linéarité et de la ponctualité, [87 :00] et ça ne passait plus par l’intermédiaire de la caméra, mais c’était l’inscription directe sur pellicule, cinéma sans caméra, qui a donné certains chefs-d’œuvre. McLaren n’a pas toujours procédé comme ça, mais qui a donné certains chefs-d’œuvre de McLaren. [Pause] [Deleuze se réfère brièvement à McLaren dans la séance 8 du séminaire Cinéma 1, le 26 janvier 1982]

Question : est-ce qu’on sort vraiment de la correspondance externe ? — Là je vais si vite que j’en ai honte. — Les pages qui me touchent dans le livre de Mitry, c’est celles-ci, où il dit : ben voilà, si beaux, si belles que soient ces tentatives, vous pouvez toujours faire l’expérience — et il l’a fait mille fois dans ses cours à l’IDHEC [l’Institut des hautes études cinématographiques] ou je ne sais plus où — vous projetez, [88 :00] vous projetez en silence, soit les transformations de figures géométriques, soit les tracés de lignes et les jets de points. Vous faites l’épreuve d’inverser. Il dit, c’est extraordinairement décoratif : vous êtes passé de l’illustratif au décoratif, c’est la ligne décorative. Mais en elle-même, elle peut être prise aussi bien dans un sens que dans un autre, alors que ce n’est pas vrai du mouvement musical. [Pause] Vous ne pouvez pas, sauf dans des conditions prévues par le compositeur, prendre par un bout ou par un autre. [89 :00]

Pascal Auger : [Propos inaudibles]

[Dans L’Image-mouvement (p. 154 ; The Movement-Image, p. 109), Deleuze se réfère à « Pascal Augé » à propos du terme suggéré par Pascal Auger, « l’espace quelconque », mais Auger a participé aux séminaires sur le cinéma depuis le début (voir notamment la séance 11 du séminaire Cinéma 1, le 2 mars 1982 ; la séance 14 du séminaire Cinéma 2, le 15 mars 1983 ; et la séance 23 du séminaire actuel, le 21 mai 1985]

Deleuze : Ce n’est pas vrai, non, non, du cinéma dont parle… Alors en effet, c’est toi qui dis ça ? Oui, oui, sûrement, tu as raison… Seulement [Propos inaudibles] [Rires] La question est bien… qu’est-ce que tu mets en question ? Si ça vaut la peine, parce que c’est très intéressant. Ou bien tu mets en question le principe de l’expérience de Mitry, à savoir : faire passer les transformations au linéaire indépendamment de la musique et voir s’il y a un rythme visuel ? Ou bien, tu acceptes l’expérience, le principe de l’expérience, et tu dis si, si, il y a rythme visuel à l’état pur même quand c’est séparé de la musique ?

Auger : Ça, ça dépend des films.

Deleuze : Ça dépend des films. [90 :00] Mais tu es d’accord sur ceci, qu’il y a deux problèmes…

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : Il y a, est-ce que l’épreuve proposée par Mitry est fondée, et à supposer qu’elle soit fondée, quelle réponse donner à cette épreuve ?

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : Oui, oui, comment est-ce que tu vois ?

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : Donc c’est l’épreuve que tu mets en question, c’est l’épreuve ?

Auger: Mais non, [Propos inaudibles]

Deleuze : Quoi ?

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : Non, non, d’accord, non, non, mais, c’est… [91 :00] Pour ton compte, c’est le « test » même que tu mets en question, oui ?

[L’échange suivant entre Deleuze et Auger se fait presque en entretien privé et reste donc quasiment inaudible]

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : [Propos inaudibles] … c’est un tout autre cas, là, il y a des formes bien modernes dont j’ai bien expliqué que les critères de, à mon avis, de [mots indistincts] des tout premiers qui ont préservé l’idée…

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : Oui, oui, oui… Si on le retourne sans musique, ce n’est plus du tout pareil…

Auger : C’est-à-dire que… [92 :00] [Propos inaudibles ; Auger semble traiter de la succession des plans et de leur rapport à l’image et la musique]

Deleuze : Oui, oui, oui…

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : Ouais, ouais, ouais, ouais, ouais… alors là, ça, tu laisses tomber parce que plan ou image-mouvement, il n’y a aucun problème entre eux. Ça, on l’a vu tellement dans d’autres années que ça me ferait six mois de travail… alors tu ne devais pas être là, mais les histoires, [93 :00] tantôt plusieurs plans, tantôt un seul plan, ça, on l’avait vu à fond, encore donc accorde-moi que tu ne me ramènes pas là. En revanche, ce que tu dis est très important. Seulement, moi, je veux bien, cette comparaison m’avance, mais ce qui m’embête, c’est ce que tu as dit là-dessus, alors que le film que je cite n’est pas abstrait. Pour établir un rapport cinématographique entre l’image visuelle et musique, c’est très secondaire.

Alors, tu cites un cas donc de suite visuelle qui, selon toi, développe un rythme cinétique. Là, tu me parais un peu injuste avec Mitry qui, lui, pose un autre problème : est-ce que, dans ce cinéma dit abstrait, on a établi une communauté entre [94 :00] un rythme visuel ou cinétique, un rythme cinétique et un rythme musical ? [Pause] C’est ça la question, et c’est là qu’il dit, « non », mais je ne dis pas du tout qu’il ait raison ; moi je souhaitais qu’il ait raison pour aller plus vite. [Rires] Sa réponse est « non » parce qu’on est resté à une correspondance qui, au lieu d’être une correspondance figurative, était une correspondance décorative. [Pause] À mon avis, il n’en dit pas plus. Alors, je suis sûr que tu as raison, que notamment pour McLaren, c’est juste.

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : Tout à fait, mais celui-là, je ne l’ai pas vu. Toi, tu l’as vu… Oui ? Oui, oui, oui. C’est sûrement ça. Il y a déjà des rythmes cinétiques. Mais on va voir que ça ne va pas [mots inaudibles]. [95 :00] Donc je t’accorde tout. Mais je t’accorde tout, mais de vrai cœur — pas comme je dis « n’en parlons plus » — parce qu’à mon avis, c’est un déplacement minuscule. Tu diras tout à l’heure si… Car, supposons, acceptons ; il dit — et je deviens beaucoup plus imprécis grâce à Auger — je dis, vous voyez, on peut toujours discuter, et dire : vous ne trouverez pas la correspondance image visuelle-musique du côté de l’illustration ou de la narration, c’est-à-dire du côté d’une musique illustrée ou illustrative. Je peux dire, quels que soient les auteurs, vous ne la trouverez pas davantage dans une image visuelle purement décorative, car en effet, du point de vue de la décoration, vous n’avez aucune nécessité [96 :00] du même type que celle du mouvement sonore musical.

Alors, même si McLaren dépassait, alors je crois que… Bon. Là-dessus, il tombe sur quoi, Mitry ? Il tombe sur Eisenstein. Il tombe sur ses propres tentatives. Parce que ce que je voudrais suggérer grâce à Pascal Auger, c’est que peut-être qu’il est tellement soucieux de sa propre originalité, ou de ce dont il a rêvé, Mitry, qu’il a tendance à expulser les autres, mais que les autres, peut-être… parce que qu’est-ce qu’il veut nous dire à partir de Eisenstein ? Il veut nous dire, finalement, la correspondance, s’il y a une correspondance image visuelle-musique, [97 :00] elle ne peut-être qu’interne, ni illustrative, ni décorative, car ce sont des correspondances encore externes. Elle ne peut-être qu’interne. Qu’est-ce que ça veut dire, une correspondance interne ? Ce serait — c’est très important tout ça parce que ça renvoie à des choses, chaque mot devient important — ce serait un mouvement, ou mieux, une vibration, comme élément infinitésimal de mouvement, un mouvement ou une vibration qui serait commune au mouvement visuel et au mouvement musical.

Question immédiate : dans quelles conditions peut-on trouver un tel mouvement ou une vibration commune [98 :00] à l’image visuelle [Pause] et à la musique ? Or ça, il le prend, peut-être pas seulement, mais il le prend à Eisenstein. Et c’est pour ça que je vous disais tout à l’heure que dans le manifeste des trois, des trois Soviétiques, il semble bien vrai de dire que c’est Poudovkine qui s’est tellement intéressé à cette histoire de hors-champ, parce que ce qui intéresse vraiment Eisenstein, c’est ce problème-là, et pas l’histoire du son hors-champ. Ce qui intéresse vraiment Eisenstein c’est : est-il possible d’obtenir des rythmes visuels qui aient un mouvement ou une vibration commune avec des rythmes musicaux ? Et sa grand tentative, ça va être avec [99 :00] [Sergei] Prokofiev dans Alexandre Nevsky [1938]. [Voir L’Image-temps, pp. 309-310]

Et il prend deux exemples, Eisenstein. Il prend deux exemples : la fameuse attente avant l’attaque, l’attente de Nevsky et de ses troupes avant l’attaque. Et l’autre exemple : la bataille des glaces, le galop des chevaliers teutoniques sur la glace. Il faut dire que c’est bizarre chez Eisenstein — vous le trouverez dans Film, Forme, euh Sens, je ne sais plus quoi, enfin, comme il y a des graphiques partout, vous le trouverez facilement. [Deleuze se réfère apparemment au recueil d’Eisenstein Le film : sa forme, son sens (Paris : Bourgois, 1976)] – [100 :00] Le premier cas qu’il donne, c’est un cas où l’image cinématographique est immobile, l’attente, l’attente avant l’attaque. Elle est immobile. Et voilà ce qu’il dit — donc il cherche la difficulté, il prend le cas d’une image immobile — et il va dire : je flanque à gauche — c’est un texte qui paraît extraordinaire, parce que là, du point de vue même de l’érudition, je crois que nous tenons quelque chose — je flanque à gauche une masse dominante qui fait fonction d’accord dominant, [Pause] [101 :00] et de cet accord va monter une ligne ascendante, comme une gamme ascendante. Bon, je ne développe pas ; il analyse ça très, très longuement, et il dit : c’est une certaine manière de faire lire l’image. Et vous verrez le texte, c’est un texte qui me paraît incroyable ; je ne crois pas qu’il ait été relevé, ce texte.

Je vais vous dire l’importance que je lui donne : c’est bien après et à propos du cinéma moderne qu’un critique dont j’ai déjà parlé, qui s’appelle Noël Burch, réinventera la notion d’image lisible ou lue, mais à propos de [102 :00] [Yasujiro] Ozu, et en lui donnant assurément un tout autre sens, en lui donnant un sens tout à fait nouveau. [La référence est sans doute au livre de Burch, Pour un observateur lointain (Paris : Cahiers du cinéma/Gallimard, 1982) voir L’Image-Temps, pp. 26-28] Et ce qui m’intéresse, c’est que l’idée d’image lue ou lisible, à ma connaissance, ait été introduite par Eisenstein dans ce problème du rapport image visuelle-musique. Il va jusqu’à parler d’une lecture plastique de l’image visuelle. Ce qui signifie quoi ? Ce qui signifie alors que l’image est immobile, d’accord, mais l’œil la parcourt ; la musique d’une part, non seulement la musique, mais la distribution, la distribution des éléments de l’image visuelle immobile, va forcer l’œil à la parcourir en un certain sens, comme par hasard, de gauche à droite. Là il est très embêté. Il dit, pourquoi j’ai choisi de gauche à droite, [103 :00] parce que c’est le sens de la lecture. Alors il aurait pu faire autrement, mais ça aurait été plus compliqué ; les gens auraient moins vu que c’était une idée d’une lecture plastique. [Toute cette discussion – sur Eisenstein, McLaren, et Mitry et sur les types de « correspondance » — se trouve de façon extrêmement succincte dans L’Image-temps, pp. 308-311 et surtout p. 310, note 26]

Il rend l’image lisible, et lisible en quel sens ? Voyez en quel sens très curieux, à savoir, il en fait comme l’équivalent, vraiment à la lettre, comme l’équivalent d’une partition en correspondance interne avec le mouvement musical. Car lire une partition, ce n’est pas la même chose que lire un livre. Il n’y a pas longtemps que la revue [titre indistinct, peut-être Poétique] avait fait un numéro intéressant sur le rôle de la lecture dans la musique et ce que signifiait lire une partition, et qu’un article de Boulez précisait en quoi la lecture d’une partition pouvait être non pas assimilée, mais confrontée avec le mouvement propre de la musique [104 :00] même, et « qu’est-ce que c’était qu’une partition moderne ? », par exemple. Mais c’est très curieux qu’il prenne donc ce premier exemple d’une image immobile, et c’est là qu’il prétend découvrir une correspondance interne entre la distribution des masses, la masse de gauche, située à gauche, faisant office d’accord, suivie d’une gamme ascendante, et la musique de Prokofiev plaquant un accord suivi d’une gamme ascendante.

C’est très, très curieux. Là-dessus Mitry râle. Mitry râle très fort : il dit, ah non ! Ça, ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible. Mitry a une très forte réaction contre cette notion d’image lue, et, à mon avis, il a une très forte réaction parce que, là, Eisenstein est très en avance, et que l’idée d’une image lue ou lisible, elle ne peut être reprise que dans un [105 :00] autre contexte plus tard. Mais peu importe. Aussi il dit : mais c’est complètement raté ! C’est complètement raté, son histoire de visuel-musique, dans cette première scène. En revanche, dit-il, c’est réussi dans la seconde scène, parce que là, l’image visuelle est elle-même en mouvement : l’attaque des chevaliers teutoniques sur la glace. Mais il devient très discret en quoi c’est réussi. Il devient assez discret. C’est réussi, eh ben, parce que c’est bien le même rythme, le rythme de la musique et le rythme cette fois-ci des chevaliers dont le galop, dont les chevaux vont de plus en plus, là, assurent de plus en plus — je ne sais pas quoi, un galop ou un trot, je ne sais pas — là, il y voit une correspondance interne, c’est-à-dire, un même mouvement — vous voyez, [106 :00] l’idée de Mitry, elle est simple — il faut qu’il y ait du mouvement dans les deux cas. Donc dans le cas des chevaliers teutoniques, il y a une correspondance interne entre le mouvement du galop sur les glaces et le mouvement de la musique. [Pause] Je continue… [Interruption de l’enregistrement] [1 :46 :25]

Partie 3

… Du moins, dit-il, c’est presque réussi. Presque réussi, presque réussi, qu’est-ce que ça veut dire, presque réussi? C’est que ce n’est pas tout à fait réussi, non, et Mitry dit ce qui lui rêve de faire, et ce qu’il estime avoir réussi, ou presque tout à fait réussi, dans son essai intitulé Images pour Debussy [1951, film d’essai de 14 minutes]. Il dit, [107 :00] pour trouver un véritable mouvement commun, pour trouver dans le visuel un mouvement qui serait commun avec le sonore, finalement il faut s’adresser à la matière, c’est-à-dire à une matérialité. Voyez ce qu’il veut dire : il ne faut s’adresser ni à des scènes, ni à des éléments géométriques — figure ou mouve… ou figure ou ligne, c’est par-là qu’il maintient les différences avec les tentatives dites géométriques — ne s’adresser ni à des scènes, qui sont forcément de l’illustration, ni à du géométrique, qui selon lui est forcément de l’abstrait ou du décoratif. [108 :00] Il faut s’adresser à une matérialité capable de vibration et de reflet, capable de vibration et de reflet. Et c’est à partir de cette matérialité capable de vibration et de reflet que l’on peut constituer un rythme visuel correspondant au rythme sonore, qui tombe sur Debussy, comme tentative expérimentale. Et en effet, les Images pour Debussy , il y en a… c’est toute une série, il y en a au moins une qui est très belle, bon, en effet, toujours sur la matière liquide, les vibrations, les vibrations de l’eau, les reflets d’eau, etc. Voilà.

Je reviens en arrière avec Eisenstein. [109 :00] Il est sévère pour Eisenstein, parce que ce qu’il y a de réussi dans la scène des glaces, est-ce que c’est seulement le rythme des chevaux, qui serait un rythme visuel encore illustratif, encore figuratif ? Ou est-ce que c’est déjà tout le jeu des glaces et des reflets ? C’est-à-dire, est-ce que Eisenstein, lui, n’aurait pas déjà fait ce que Mitry réclamait ?

Allons plus loin : il y a un texte qui n’est pas reproduit, il y a un texte d’Eisenstein très joli sur la barcarolle, sur la barcarolle à Venise allez, barcarolle, vous entendez, vous écoutez, barc… vous êtes sur votre gondole, [110 :00] et vous écoutez, barcarolle, hein ? — et voilà, Eisenstein dit exactement : [Pause] je peux toujours faire correspondre à la barcarolle l’étreinte dans la gondole d’un couple d’amoureux vénitiens — il ajoute, cinématographiquement ; c’est ce qu’a fait un tel, ajoute-il méchamment, mais cinématographiquement, c’est nul, ça veut dire, pas la musique illustrative [Pause] — et il dit, mais ça devient beaucoup plus intéressant si je supprime [111 :00] les amoureux, l’étreinte du couple amoureux, et si je ne retiens sur la lagune ou dans le canal de Venise que le mouvement de l’eau, le miroitement de l’eau, les jeux de mouvement et de miroir de l’eau. [La référence est à la composition de Jacques Offenbach, « Barcarolle » dans les Contes d’Hoffmann (1881)]

Je veux dire, ça me paraît mot à mot la thèse de, la thèse de Mitry. Voyez que leur réponse est : vous pouvez atteindre une correspondance — si j’essaie de résumer la réponse — vous pouvez atteindre une correspondance interne image visuelle-musique si vous dégagez un mouvement ou une vibration commune. Un mouvement ou une vibration [112 :00] commune : il faut qu’il y ait quelque chose de commun. Ce quelque chose de commun, ce sera la vibration, là sous sa forme sonore, ici sous sa forme d’une vue très spéciale, je ne peux pas dire exactement visuelle, sous sa forme d’une « vue artiste », un jeu de mouvements et de… et qui pourtant ne se ramène pas au jeu géométrique des figures.

Bien, qu’est-ce que j’y vois ? Si vous vous rappelez comment nous définissions, ou une de nos définitions de l’image classique au cinéma, c’était le culte, toujours, de cette commensurabilité. Il fallait toujours quelque chose de commensurable. [Pause] [113 :00] Il fallait quelque chose de commensurable, mais ça ne va pas, ça. Pourquoi est-ce qu’il faut toujours un rapport commensurable entre les deux mouvements ? Je veux dire, on retrouve le culte eisensteinien de la commensurabilité : il faut qu’il y ait un mouvement commun à l’image visuelle et à la musique. C’est bizarre ça ! C’est bizarre, parce que finalement cette correspondance, ça ne vaut pas mieux que l’autre.

Voilà ce que nous dit — pourtant ils ont en commun d’être marxistes tous les deux — un musicien de cinéma qui a beaucoup travaillé avec Brecht, et qui s’oppose, c’est [114 :00] Hanns Eisler. Il reprend l’exemple de la barcarolle : « supprimez les amoureux » dit-il ; « prenez aux scènes vénitiennes les seuls mouvements d’approche et de recul de l’eau, combinés avec les élans et les retraits de la lumière qui se reflète à la surface des canaux, et aussitôt vous vous éloignez d’au moins un degré de la série des illustrations » — ah, non, ça, c’était le texte d’Eisenstein, eh, je confonds ! — voyez, Eisenstein dit : si vous faites ça, vous vous éloignez au moins d’un degré, et vous êtes plus près de trouver un écho au mouvement profond bien compris du barcarolle. [Sur Eisler et la barcarolle, voir L’Image-temps, pp. 311-312]

Commentaire de Eisler : « un tel procédé ne conduit pas à la suppression de ce mauvais principe qu’est la liaison [115 :00] de l’image et de la musique obtenue au moyen d’une simple association ; [Pause]  ce ne serait que la transposition du même principe à un niveau plus abstrait, où sa grossièreté et son caractère tautologique sont moins manifestes. Réduire le jeu des vagues perçu par l’œil au seul mouvement de l’eau avec le jeu de la lumière à sa surface, mouvement qui doit être raccordé au clapotis d’ailleurs tout à fait discret de la musique » —  comme une barcarolle en ferait – « conduit en réalité à ces équivalences absolues » — ce que j’appelle les commensurabilités, ces équivalences absolues que Eisenstein rejetait, ou aurait dû rejeter. Alors, qu’est-ce que je veux dire, là ? — je vais trop vite, et en même temps, ça se mélange tout ça — Je veux dire… finalement on a beau chercher tous les exemples de correspondance interne… [116 :00] [Le texte de Eisler avec Theodor Adorno est Musique de cinéma (1969 ; Paris : L’Arche, 1972)] [Interruption de l’enregistrement] [1 :56 :00]

…autre, décorative ou géométrique. Et puis, il y a des correspondances qui se réclament d’une intériorité, des correspondances internes, du type : la barcarolle et le miroir des eaux, ou du type : Images pour Debussy de Mitry. Eh ben, la correspondance interne, elle ne vaut pas mieux, elle ne vaut pas mieux que l’autre ; elle ne vaut pas mieux que l’autre ; c’est même la même chose, strictement la même chose. [Pause] Et pourquoi ?

Qu’est-ce qui ne va pas ? Je veux dire, qu’est-ce que c’est le postulat dans tout ça ? [117 :00] Il me semble que le postulat, c’est que l’image visuelle — voyez exactement dans ce que je veux dire — le postulat, première tentative, c’est que l’on fait comme si l’image visuelle et la musique devaient former un Tout, devaient former un Tout [Pause] qu’elles exprimeraient de deux manières, de deux manières correspondantes, c’est-à-dire ces deux manières ayant dès lors une commune mesure, fameuse commune mesure du Tout et de la partie chez Eisenstein. [Pause] Mais remarquez qu’on se retrouve devant une situation inextricable, [118 :00] pourquoi ? Je dis, l’image visuelle déjà par elle-même exprime un Tout qui change. [Pause] L’image visuelle déjà par elle-même exprime un Tout qui change, on vient de le voir. Si elle forme un Tout avec la musique, c’est un second Tout. Dans quel rapport sont les deux Tout ? C’est le même, ce n’est pas le même ? [Pause]

En d’autres termes, ce que la musique dans le cinéma — au premier stade où nous en sommes, au premier stade du parlant — ce que la musique au cinéma devait nous faire découvrir, [119 :00] c’était pas du tout deux expressions commensurables d’un même Tout. C’était l’idée fondamentale que le Tout [Pause] pouvait être exprimé et devait être exprimé de deux manières incommensurables et non correspondantes. Ce qui comptait, c’était la non-correspondance du visuel avec la musique ; c’était l’idée que l’image visuelle exprimait un Tout, et que ce Tout était susceptible d’une double référence. Il allait être représenté indirectement par l’image visuelle — et je lâche tout quitte à… — Il allait être présenté [120 :00] directement par la musique, sans qu’il y ait commensurabilité entre une image visuelle et la musique, sans qu’il y ait la moindre correspondance entre l’image visuelle et la musique.

En d’autres termes, le Tout allait être simultanément l’objet d’une représentation indirecte par l’image visuelle, thème que j’ai développé toutes les autres années, mais voilà que la musique allait y ajouter une présentation directe, [Pause] présentation directe qui serait sans correspondance et sans commensurabilité avec l’image visuelle. Or si je vous dis qui a dit — vous devez vous rappeler quand je dis ça, vous devez avoir votre [121 :00], votre cœur forcément qui bondit déjà — vous savez d’où vient cette conception de la musique, et qui, en effet, n’est pas hégélienne ou eisensteinenne, qu’elle est en revanche la conception même que Schopenhauer et Nietzsche se firent de la musique dans la première partie du moins de son — non… Je recommence : c’était la conception que Nietzsche se fit de la musique dans la première partie de son œuvre. Ensuite, ne cessant d’aller de plus loin au plus loin, il se fera de la musique une tout autre conception, mais comme pour le moment on est au premier stade du parlant.

Donc, j’en suis à ceci : qu’est-ce que c’est alors que cette nouvelle conception qui consiste à dire : [Deleuze commence à hurler] Mais non, il n’y a aucun lieu de chercher une correspondance interne ou externe ! La correspondance interne ne vaut pas mieux que l’externe ! Tout ça, ce n’est pas bien du tout, ce n’est pas bon ! Ce qu’il faut, c’est au contraire [122 :00] que la musique fournisse une correspondan…  non, merde, [Rires] il faut que la musique fournisse une présentation directe du Tout, lequel Tout reçoit de l’image visuelle une représentation indirecte. [Le hurlement cesse] Et entre la présentation indirecte et la présentation directe, il y a peut-être des rapports, mais absolument pas des rapports de correspondance ; il y a au contraire des rapports d’incommensurabilité radicale, et c’est ça qui est intéressant, et c’est ça qui sans doute va préparer le cinéma de l’avenir sans du tout encore l’effectuer. [Voir à ce propos L’Image-temps, pp. 310-311]

Or je vois chez certains musiciens du cinéma une phrase qui donne très bien, un bon exemple. Pierre Jansen, il dit : la musique, la musique [123 :00] dans un film doit être comme un corps étranger dans l’œil. Elle doit fonctionner comme un corps étranger dans l’œil — ça m’intéresse rudement parce qu’il faut le prendre à la lettre — c’est une poussière dans l’œil, ça veut dire que elle n’a rien en commun avec l’image visuelle. Rien de commun, elle vient d’un autre monde. Quel autre monde ? Ça ne veut pas dire qu’elle n’ait pas de rapports avec le film, mais ce n’est pas au niveau d’une correspondance avec les images visuelles. « Elle doit accomplir quelque chose qui est dans le film sans y être montré ni même suggéré », dit le même Jansen, accomplir quelque chose dans le film sans y être montré, quelque chose qui est dans le film, sans y être montré ni même suggéré [La référence à Jansen pourrait être celle que Deleuze fournit dans L’Image-temps, p. 311, note 28 : « Table ronde sur la musique de film », in Cinématographe, numéro 62 (novembre 1980)].

Bon, on reste là parce que pour le moment on peut comprendre, mais on comprendra tout, [124 :00] ça devra devenir lumineux si je vous dis quelques mots de ce premier Nietzsche. Alors, on a juste le temps… [Pause ; Deleuze commence à parler loin du micro apparemment en se plaçant pour inviter l’intervention de Pascal Auger] Sur cette histoire — oui, alors on a tout de même transformé un peu le problème – sur cette histoire de correspondances et la solution Eisenstein-Mitry, si je la cite correctement, qui serait donc une correspondance empruntée à la matière, la matière comme étant présupposée comme support des mouvements problématiques. Est-ce que tu as quelque chose à…

Pascal Auger : Moi, j’ai vu un truc de… [Propos inaudibles]

Deleuze : Oui ! [125 :00]

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : Je vois, je vois ce que tu veux dire.

Auger : [Propos inaudibles ; Deleuze s’est éloigné du micro, donc ses propos ici sont soit inaudibles, soit des bribes]

Deleuze : Mais les conséquences, elles vont de soi…

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : Mais non… Ce n’est pas la… Ce n’est pas Duke Ellington, ce n’est pas son Duke Ellington ; c’est le vampire…

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : C’est sur le vampire, la musique de jazz, c’est formidable, oui, oui…

Auger : Mais il y a aussi, il y a aussi un air de jazz… [Propos inaudibles]

Deleuze : C’est quoi ? Il y a un air d’Ellington qui est fantastique, vous pardonnez mon anglais, eh… C’est « Black and Tan Fantasy », [126 :00] oui, qui se traduit en français, « tan », je ne sais plus ce qu’est-ce que c’est, « tan » parce que ce n’est pas la gaieté, quoi; et ça se passait comme ça tout le temps, il me semble.

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : Ça va complètement dans le sens, oui, oui…

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : Non, étirer la matière, c’est ça qui [mots inaudibles] ; c’est la différence entre la délimitation géométrique, je crois, et l’extraction de la matière. Pour eux, il y a sûrement une différence de nature ; c’est pour ça qu’ils diront, ah non, on n’est pas du côté McLaren, on n’est pas du côté d’un tracé sur pellicule de lignes, on n’est pas de ce côté-là. [127 :00] Et ça, au nom de, à tort ou à raison, ils ont tort, ils ont surement tort de, je veux dire, [mot inaudible] décoratif, mais ils ont peut-être raison de marquer la différence, ils ont besoin de travailler une matière pour en extraire ce qu’il y a d’essentiel. Il ne me semble pas que ce soit évident des autres… Oui ?

Une étudiante : [Propos inaudibles]

Deleuze : D’accord, mais le danger, [128 :00] ce sera que ça ait toujours l’air d’imiter le mouvement des personnages, ils ne dégageront pas du danger illustratif.

L’étudiante : Mais, ce n’est pas la même chose… [Propos inaudibles]

Deleuze : D’accord, mais à mon avis, ça, ils ne peuvent le découvrir que lorsqu’ils ont conjuré le danger de l’impression illustrative ; or ils ne pouvaient pas tellement dans le muet.

L’étudiante : [Propos inaudibles]

Deleuze : Et après ça va, oui tu as raison, ils ne vont pas encore [mots inaudibles] … ils y arriveront.

L’étudiante : [Propos inaudibles] [129 :00]

Deleuze : Non, non, pas du tout… oui, oui, oui. [Pause] Oui, tu as quelque chose à ajouter ?

Auger : [Propos inaudibles]

Deleuze : Oui, mais j’ai vraiment presque envie de te [130 :00] garder, de te mettre dans une espèce de frigidaire, [Rires] parce que ce que tu dis, c’est complètement… En effet, [Josef] Koudelka est quelqu’un de très, très important pour les rapports de image-son, dans le deuxième état, et si je ne me trompe, c’est la première. Alors, ce que tu m’a dit là, c’est que bien sûr, mais ça c’est une partie très, très mauvaise de Mitry, [Propos inaudibles] mais tous les rapports image sonore-image visuelle, là… à mon avis — pardon de te dire ça — ça ne peut pas entrer… c’est un autre chemin à toi, mais ça ne peut pas entrer dans le mien, puisque j’en suis au premier état du parlant, au moment où ils peuvent pas faire [Propos inaudibles] parce que à mon avis [Propos inaudibles] alors on en parlera [Propos inaudibles] avec des emplois de filtre, avec des emplois de [mot inaudible] même une technique [Propos inaudibles] du parlant [131 :00] pour assurer ce qui semblera peut-être [Propos inaudibles] de l’image sonore. Lui, il fait pleinement partie de l’image moderne, Koudelka. [Désormais, Deleuze se tourne vers les participants, non pas vers Auger, c’est-à-dire, loin du micro]

Alors, ce que je voudrais dire très vite, peut-être que vous n’en pouvez plus. Si je vous raconte cette petite histoire, en demandant pardon à ceux qui ont lu ce livre, La Naissance de la Tragédie de Nietzsche, donc, ne le prenez surtout pas pour un livre exprimant la pensée de Nietzsche, puisque immédiatement après La Naissance de la Tragédie, il rompra avec sa première philosophie. La Naissance de la Tragédie est un livre où Nietzsche est à la fois, et se réclame – ce n’est pas qu’il n’apporte pas du nouveau — mais il se réclame de Schopenhauer et de Wagner, et après La Naissance de la Tragédie, il fait sa grande rupture avec Schopenhauer et avec Wagner, si bien que La Naissance [132 :00] de la Tragédie ne peut être considérée que comme le premier état de la pensée de Nietzsche et pas du tout l’expression de la pensée de Nietzsche, y compris et surtout sur la musique. Ceci dit, je m’en tiens là, et c’est normal : premier stade du parlant, premier Nietzsche ! [Rires] [Voir L’Image-temps, pp. 311-312]

Je dis, voilà en gros ce qu’il nous dit, et vous allez voir à quel point ça peut nous servir. Il lance sa grande distinction Apollon-Dionysos. Tout le monde connaît un peu ça. Et comment est-ce qu’il les définit ? Très vite je dis : Apollon, c’est — je résume, évidemment je n’en ai tiré que ce qui m’intéresserait, mais… — c’est [133 :00] l’image, bien plus, l’image de l’image ; c’est l’apparence de l’apparence, c’est-à-dire le Beau. Et qu’est-ce que ça veut dire, le Beau, l’apparence de l’apparence ? Ça veut dire : l’apparence soumise au mouvement comme mouvement réglé ! — Ça y est, eh… ça je vous jure — l’apparence soumise au mouvement comme mouvement réglé ! Apollon est le dieu de la mesure, c’est-à-dire de la règle du mouvement. L’image apollinienne, [134 :00] c’est l’image visuelle. Que dire de mieux ? L’image apollinienne, c’est l’image visuelle ; c’est l’image-mouvement [Deleuze y insiste] en tant que réglée. [Pause] Dès lors, c’est l’apparence de l’apparence ; et alors que nous sommes malheureux dans les apparences, nous sommes soumis au mouvement qui nous entraîne, dans l’apparence de l’apparence nous nous donnons, au contraire, le spectacle du mouvement, et nous connaissons la rédemption, la rédemption par l’apparence de l’apparence, la rédemption par Apollon. [Longue pause] [135 :00]

Donc, si je résume en disant : bien, voilà, si Nietzsche avait connu le cinéma, il nous aurait dit exactement : Apollon, c’est l’image-mouvement en tant que réglée, c’est-à-dire en tant qu’elle représente indirectement le Tout, [Pause] en tant qu’elle représente indirectement le Tout — et là, ça ne vous étonnera pas, il ne pouvait  [136 :00] pas dire autre chose — Pourquoi j’ajoute : l’image visuelle qui procède par mouvement réglé, l’image-mouvement en tant qu’elle représente indirectement le Tout ? Mais c’est précisément parce que l’apparence, c’est l’apparence de l’apparence, c’est la présentation indirecte du Tout. Le Tout, c’est quoi ? Nietzsche préfère employer un autre mot, c’est l’Un, l’Être intime, dit-il encore, le Noyau, ou il lâche le mot de Schopenhauer, qu’il abandonnera : « le Vouloir », « le Vouloir Un ». Bien. [137 :00]

L’image-mouvement, elle est présentation indirecte de ce sans-fond, du Vouloir sans fond, de ce vouloir sans fond, représentation indirecte du Tout, par la mesure. Et on l’a vu, dans l’image classique de cinéma, le temps est second par rapport au mouvement, il dérive du mouvement par la mesure, en termes de cinéma, par le montage. Donc on retrouve mot à mot : image visuelle, apollinienne, image-mouvement, règle du mouvement, représentation indirecte du temps ou du Tout, c’est-à-dire du vouloir sans fond. [138 :00] Vous me suivez ? [Pause]

Et le terrible Dionysos ? [Rires] Le terrible Dionysos, il gronde sous Apollon. Et lui, qu’est-ce qu’il est ? [Pause] Lui, il est l’unité avec le Tout. Il rompt la mesure, il est la démesure, il est le temps dans sa fondation même, il est Chronos sous Zeus, il est les Titans. [Pause] Dionysos, il est la représentation du Tout, [139 :00] ou la représentation directe du Vouloir qui ne passe plus par le mouvement, [Pause] en d’autres termes, qui ne passe plus par l’image visuelle. Et alors, par quoi qu’il passe ? Pas besoin de continuer. Il passe par la musique ; il s’exprime directement dans la musique. Quelle musique ? Alors, une fois il y avait la musique apollinienne, oui, il y avait une musique apollinienne, la musique de la mesure. [Pause] Mais la musique de la mesure, c’est une musique mise au service, par Apollon, de l’image visuelle. La musique dans son essence [140 :00] en tant que musique est la présentation directe du Tout qui s’affranchit de toute mesure. Voyez comment le Wagner pointe déjà ; affranchir la musique de la mesure, pour y substituer quoi ? L’éternelle naissance et destruction, c’est-à-dire la mélodie continue, l’expression pure du Vouloir. N’oubliez pas que Wagner était schopenhauerien, et resta toute sa vie schopenhauerien, il y a un lien là Schopenhauer-Wagner-Nietzsche qui est très profond.

Bon… le schéma, là que je donne de ce… il nous aurait fallu une heure, on reviendra peut-être un tout petit peu là-dessus d’après vos questions sur… Regardez le schéma de Nietzsche [141 :00] — je ne parle même pas de Schopenhauer — le schéma de Nietzsche consiste à nous dire : s’il y a un principe des principes plus loin que tout fond des choses, c’est le Vouloir — peu importe pourquoi — c’est le Vouloir Un, le Vouloir Tout, l’Un-Tout, l’Un-Tout des Grecs, ce que les Grecs appellent l’Un-Tout, c’est le Vouloir. Bon. Alors, première grande proposition : Pourquoi ? laissez-vous aller ! laissez-vous aller !

Deuxième proposition : ce Vouloir, cette présence de Vouloir sans fond a une présentation directe qui est Dionysos musicien [Pause] — c’est la démesure, [142 :00] c’est l’éternel devenir, [Longue pause] c’est la résorption, la résorption des apparences, les apparences englouties dans le grand Dionysos. [Pause]

Troisièmement : le gentil Apollon — pas tellement d’ailleurs — lui, c’est la présentation indirecte du Tout, [143 :00] c’est-à-dire du Vouloir. Il ne faut pas croire qu’il n’ait pas de rapport avec le Vouloir, c’est la représentation indirecte du Vouloir par le mouvement réglé de l’apparence, c’est-à-dire par le dédoublement de l’apparence ; dès lors, il opère la rédemption de l’apparence. Pour ceux qui connaissent un peu Wagner, si vous ne voyez pas mot à mot Parsifal là-dedans, vous êtes des… méchants ; pour ceux qui ne connaissent pas Parsifal, aucune, aucun inconvénient de ne pas voir Parsifal là-dedans. Mais si vous vous rappelez, il y a les images visuelles apolliniennes, Parsifal qui lui vient d’un autre monde… enfin, c’est, il y a le problème de la rédemption, etc., il y a le problème de la rédemption, etc. C’est le grand thème, c’est le grand thème où Wagner mourant retrouve [144 :00] Schopenhauer. Bon…

Où j’en étais pour terminer ? Donc, voyez cet Apollon, là, rédemption de l’apparence, représentation indirecte du temps sans fond, du Vouloir Un, bon. Si bien que je peux dire, et c’est ça qui m’importe : le Vouloir, ou le Tout, ou l’Un-Tout sans fond, est simultanément le double objet, [Pause] l’objet d’une représentation indirecte dans l’image visuelle à mouvement réglé, et l’objet d’une présentation directe [Pause] dans la musique. [145 :00] Il n’y a aucune commensurabilité entre l’image visuelle apollinienne et la musique dionysiaque, aucune. [Pause] Il y a au contraire une incommensurabilité, mais qui chaque fois va être créatrice, sous quelle forme ? À savoir la supériorité des Grecs sur les barbares, là Nietzsche s’en donne à cœur joie car la supériorité des Grecs sur les barbares, dit-il, n’est pas ce qu’on croit. Ce n’est pas que les Grecques étaient moins barbares que les barbares — en un sens il le furent plus — c’est que les barbares n’avaient pas l’idée, n’avaient pas l’idée d’introduire Dionysos dans l’art. [146 :00] Le Dionysos babylonien ne s’introduit pas dans l’art ; il reste dans le domaine de la religion, du fond le plus sacré, il ne devenait pas artiste.

Les Grecs convoquent Dionysos à l’existence artiste. C’est terrible, parce que en même temps c’est, c’est la catastrophe, les Grecs sont une catastrophe. [Rires] Mais justement parce qu’ils l’introduisent et ils le convoquent sur la scène artiste, va se faire la chose la plus étonnante, comme derrière un rideau de feu. Il ne va pas y avoir une [147 :00] commensurabilité, mais des images apolliniennes vont comme des éclairs surgir du noyau dionysiaque. Ça, c’est une page merveilleuse de Nietzsche, parce que il la développe en — c’est de la très, très grande poésie, de la très, très grande philosophie — parce qu’ils ont su donner à Dionysos, c’est-à-dire à la musique, une existence artiste. Voilà que comme, sans qu’on puisse le voir, en effet, le voir en dépend, sans qu’on puisse le voir. Les traits de feu de Dionysos vont prendre l’allure d’images apolliniennes, et ce sera quoi ? Ce sera le mystère de ce qui s’est produit une fois en Grèce, à savoir : le mystère de la tragédie. [148 :00]

Car, dans la tragédie, qu’est-ce qui se passe ? — Je résume énormément, tout ça c’est uniquement pour vous donner l’envie d’aller voir — Qu’est-ce qui se passe dans la tragédie ? — et puis, pour nous éviter des contresens grotesques sur l’absurde opposition, une opposition trop facile entre Dionysos et Apollon — Car, qu’est-ce qui se passe dans la tragédie ? Comme l’a bien vu [C.F. von] Schiller, dit Nietzsche, la vraie origine de la tragédie, c’est le chœur. Le chœur n’est pas le représentant des spectateurs, comme le croient les chrétiens de l’époque [Rires] ; le chœur, c’est le chœur actif de la tragédie, à savoir : ce sont les émanations de Dionysos, et le chœur est musical, [149 :00] il n’est pas spectatorial. [Pause]

Et c’est la musique et le chant du chœur qui va susciter un ensemble d’images apolliniennes, qui va constituer quoi ? Ce qu’on appelle dans la tragédie « le drame ». La tragédie est l’union de la musique et du drame qui ne s’est produit qu’une fois chez les Grecs, et une seconde fois chez les Allemands avec Wagner, d’où : la Naissance de la Tragédie. Le sens est sur une longue comparaison entre Wagner et l’opéra wagnérienne et la tragédie grecque, admirable comparaison, [150 :00] jusqu’à ce que Nietzsche, ayant terminé son livre, s’aperçoit que Wagner n’avait rien à voir avec les Grecs, [Rires] et le lui fait savoir très, très durement. Mais c’est le cas où jamais de dire que il a pu changer complètement d’avis la beauté du livre, et, je dis bien, la vérité absolue du livre, la Naissance de la Tragédie reste intacte. Ensuite, Nietzsche dira autre chose, et dénoncera ce livre, dénoncera ce livre. Dénoncer un livre ne lui ôte pas un sous de vérité ni de beauté.

Donc je voudrais que vous réfléchissiez là-dessus. Voyez, c’est seulement les Grecs, et puis c’est les Allemands, enfin d’après le…, qui ont réussi ça, et c’est en effet, Wagner en était très conscient, il voulait refaire l’art total, l’art total qui avait été une fois dans l’histoire de l’art, [151 :00] la tragédie grecque. Mais, voyez ce que je retiens pour moi, ça me donne une fantastique, une fantastique confirmation, qui consiste à dire : eh bien oui, il faut distinguer deux niveaux, la représentation indirecte du Tout dans l’image visuelle, et la présentation directe du Tout dans la musique ; et les deux ne sont pas absolument commensurables, et en plus, ils ne sortent pas du même monde. Alors, quel va être leur rapport ? On le verra.

On va vite, aujourd’hui on a fait beaucoup ! [2 :31 :41]

 

Notes

For archival purposes, the augmented version of the complete transcription with time stamp was completed in September 2021. Additional revisions were added in February 2024 and February 2025.

Lectures in this Seminar

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Reading Date: October 30, 1984
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Reading Date: November 6, 1984
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Reading Date: November 13, 1984
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Reading Date: November 20, 1984
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Reading Date: November 27, 1984
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Reading Date: December 11, 1984
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Reading Date: December 18, 1984
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Reading Date: January 8, 1985
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Reading Date: January 15, 1985
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Reading Date: January 22, 1985
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Reading Date: January 29, 1985
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Reading Date: February 5, 1985
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Reading Date: February 26, 1985
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Reading Date: March 5, 1985
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Reading Date: March 12, 1985
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Reading Date: March 19, 1985
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Reading Date: March 26, 1985
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Reading Date: April 16, 1985
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Reading Date: April 23, 1985
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Reading Date: April 30, 1985
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Reading Date: May 7, 1985
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Reading Date: May 14, 1985
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Reading Date: May 21, 1985
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Reading Date: May 28, 1985
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Reading Date: June 4, 1985
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Reading Date: June 18, 1985
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April 23, 1985

As soon as there was the talkie, the first great American comedies – I’m not talking about musicals, I’m talking about American comedy – what do we see? Filming the conversation, filming the conversation, but in what form? Indeed, everyone speaks at the same time, except the one who is not in the know, except the one who maintains the social content or the determined social interest. But this guy, he tries to explain, but he is swept away by the game of interactions. It will be the game of interactions. And in this sense, we could classify. … If we didn’t have so much to do, that would make us a session for us – the American comedy is of such richness for the cinema.

Seminar Introduction

As he starts the fourth year of his reflections on relations between cinema and philosophy, Deleuze explains that the method of thought has two aspects, temporal and spatial, presupposing an implicit image of thought, one that is variable, with history. He proposes the chronotope, as space-time, as the implicit image of thought, one riddled with philosophical cries, and that the problematic of this fourth seminar on cinema will be precisely the theme of “what is philosophy?’, undertaken from the perspective of this encounter between the image of thought and the cinematographic image.

For archival purposes, the English translations are based on the original transcripts from Paris 8, all of which have been revised with reference to the BNF recordings available thanks to Hidenobu Suzuki, and with the generous assistance of Marc Haas.

English Translation

Edited

Alfred Hitchcock’s The Man Who Knew Too Much, 1956

 

Deleuze continues on the topic of “speech acts”, reemphasizing how the “readable” aspect of film viewing shifted toward the “hearable”, but also tending to weave together, causing new sorts of visions within the visual image, notably the rise of speech acts. Following World War II, in the second or modern phase, with the sound component gaining its autonomy, the “out-of-field” aspect is eliminated. Arguing this autonomy as being due to the growth of television, Deleuze then derives from Kant two terms with Greek etymology, “autonomy” and “heautonomy”, to indicate that after World War II, sound and the visual become two “autonomous” components of a one and same audiovisual image (cf. Rossellini and Godard), followed by “heautonomous” images (cf. Straubs, Duras, Syberberg), the complex relation developed previously of incommensurability, the irrational point and relinkages. Deleuze addresses the interactional nature of images (cf. Benveniste), but then distinguishes “persons” between which speech acts are engaged (for Benveniste) from speech acts as “interactions” (cf. Lang’s “M”). Deleuze enters the classification proper with three categories of traits, focusing on the first type: interactional speech acts with different poles (cf. in American comedy, Hawks, Capra, Lubitsch). Linking how conversations and sub-conversations develop a direct representation of conversation with its madness, Deleuze moves toward an aspect of this first type of speech act involving time and its bifurcations (cf. Mankiewicz). He argues that these bifurcations suggest a second kind, an “off” speech act inserted into the visual image through a circulation between one speech act hidden behind another, concluding with the spoken component’s three properties: causing visions as interactions and bifurcations; to be seen itself, the voice itself becoming visible in space; and itself to see, moving toward the second category, the reflexive speech act. [Much of the development corresponds to The Time-Image, chapters 9 & 10.]

 

Gilles Deleuze

Seminar on Cinema and Thought, 1984-1985

Lecture 19, 23 April 1985 (Cinema Course 85)

Transcription: La voix de Deleuze, Marina Llecha Llop (Part 1), Nathanel Amar (Part 2) and Stéphanie Mpoyo (Part 3); additional revisions to the transcription and time stamp, Charles J. Stivale

English Translation Forthcoming

 

French Transcript

Edited

Gilles Deleuze

Sur Cinéma et Pensée, 1984-1985

19ème séance, 23 avril 1985 (cours 85)

Transcription : La voix de Deleuze, Marina Llecha Llop (1ère partie), Nathanel Amar (2ème partie) et Stéphanie Mpoyo (3ème partie) ; révisions supplémentaires à la transcription et l’horodatage, Charles J. Stivale

Partie 1

… Tu vas être assez rapide, je crois ? C’est que, je souhaiterais, et elle aussi, que la demoiselle de la dernière fois explique non pas du tout ce qu’elle a voulu dire, mais qu’elle explique ce qu’elle entend par « un acte de parole ». Elle a fait, on peut considérer que la dernière fois, elle a fait un acte de parole, hein ? À elle d’expliquer ce qu’elle entendait par « acte de parole ». Allez, vous y allez !

L’étudiante : Bien. J’aurai besoin de place.

Deleuze : La mienne ! [Pause ; Deleuze se déplace]

L’étudiante : Bon. Je ne veux pas expliquer « l’acte de parole » de la dernière fois, parce que bon, je n’aime pas les justifications, pas du tout… Ce que je ferai sera faire [1 :00] un exposé sur ce que je crois qui est un « acte de parole » [Pause; on l’entend parler brièvement mais loin du micro ; on entend les bruits divers de gens qui bougent, puis interruption de l’enregistrement] [1 :56]

L’étudiante : … Ah non, mais pardon, maintenant vous remarquerez comment lui, [2 :00] le philosophe, il va mettre toute la cohérence à tout ce que j’ai dit. [Rires]

Deleuze : Je n’ai pas le sentiment, moi, d’être tellement cohérent. Je dis : c’est une classification des actes de parole, d’actes de parole. En effet, ça m’intéresse parce que, ce que diraient les… il n’y a pas de raison de dire d’avance qu’elle soit meilleure ou pire qu’une autre. Ça m’intéresse parce que, je vous l’avais déjà dit, il y a certain nombre de sociologues, il y a beaucoup de gens, qui ont fait des classifications d’actes de parole. Les pages de [Michel] Foucault auxquelles vous faites allusion, c’est des pages où il se réfère lui-même à [Jorge Luis] Borges, hein ? [3 :00] Et il explique qu’à la fin, en effet, la classification de ce qui n’entre pas dans la classification. Très bien. Alors… il y a tout ça, mais je n’ai pas souvenir, il y a une histoire de poisson rouge, dans le texte, hein ? Il n’y a pas une classification propre aux poissons rouges ? C’est bien là, hein ?

L’étudiante : Oui, il y a bien la classification…

Deleuze : Les poissons rouges, c’est très important, oui ? hein ? Alors… Ça pose en effet, d’une certaine manière, deux problèmes, que vous allez dire trop cohérents. Les classifications sont censées se faire, comme les catégories, d’après un principe qui va rendre compte de leur homogénéité. Et d’autre part, [4 :00] elles vont se trouver toujours devant la nécessité d’un résidu, alors un principe de résidu. Qu’est-ce qu’on peut faire ? Qu’est-ce qu’il faut faire avec ce qui ne rentre pas dans la classification ? Qu’est-ce que… Comment faire ? Alors là, je prends un système tournant… Très bien. Alors, contrairement à ce que vous croyez, je ne vais pas du tout mettre de la cohérence — je pourrais, je pourrais… Mais à ce moment-là, je serai forcé de changer les termes de la classification. Et je ne veux surtout pas y toucher ; c’est très bien comme ça. Dans un sens, il n’y a rien à dire. C’est une classification d’actes de parole. Je ne vois pas personnellement en quoi ce sont des actes de parole. Mais, ça peut en être comme ça ne peut pas en être. [Quelques propos indistincts] … voilà. Bon, [5 :00] il n’y a rien dire, moi je suis content, je suis content, il faut travailler là-dessus. Mais il faut faire la vôtre. [Deleuze revient à sa place]

L’étudiante : [Propos inaudibles]

Deleuze : Ah bon ? Mais vous verrez, c’est très difficile de, de travailler là-dessus… Vous verrez, c’est difficile de travailler sans…, vous serez bien forcée d’amener une espèce de cohérence. Même si c’est une cohérence animale, une cohérence… [Pause] Le problème, ce serait au niveau, enfin, quand on se retrouvera, ce sera au niveau de la fabulation : qu’est-ce que c’est qu’une parole fabuleuse ? [Deleuze revient à sa place] Eh ben… on retrouvera ce point, donc et en quoi vous m’avez devancé, [6 :00] vous m’avez devancé. Vous avez fait une classification que je serais incapable de rejoindre parce que la parole de l’être, ça ne me dit rien, mais enfin c’est un peu de vous, tout cela. Voilà. Alors, bon…

Mais je dis sans rire : j’essaie de rattraper ce problème, la classification des actes de parole. Et moi, je prends un exemple alors pour revenir à nos soucis de cinéma. Je crois que, dans le cinéma de Marguerite Duras, il y a un acte de parole qui est censé émaner d’un lieu de parole, et non pas d’un lieu visible, d’un lieu de parole, et ce lieu, c’est le lieu du désir, [7 :00] et cet acte de parole, c’est la passion. [Pause] Pour elle, c’est un acte de parole, c’est-à-dire que ce n’est pas une action. C’est un acte, un acte de parole. Bon. C’est cela qu’elle présentera comme parole fabuleuse. Peut-être que cet acte de parole débordera la parole, puisqu’il pourra consister en un cri, le cri du Vice-Consul, pour ceux qui se rappellent India Song [1975], le cri du Vice-Consul est un acte de parole. Ce qui nous intéresse principalement, nous, dans notre étude, c’est : en quoi en plus est-ce un acte de parole cinématographique ? Mais dans la liste que vous nous avez proposée, il y a peut-être un certain nombre d’actes de parole que on pourrait, [8 :00] ou dont on pourrait trouver des échos dans le cinéma.

Donc, moi, je reviens à mon thème parce que je voudrais encore une fois que vous ayez bien le schéma abstrait dans la tête, pas du tout pour en être convaincus, mais pour précisément ne pas l’oublier et savoir, à la fin de nos analyses, si vous êtes, si vous confirmez ce schéma ou si vous le jugez insuffisant. Mon schéma consiste à dire, je vous le rappelle, voilà ce qui se passe, voilà ce qui se passe, il me semble. Il me semble que la vraie coupure dans l’histoire du cinéma ne s’est pas produite avec le parlant — ça a été dit mille fois, je ne prétends pas dire des choses nouvelles — ça ne s’est pas produit avec le cinéma parlant, ça s’est produit, comme je vous dis toujours, ça s’est produit après la guerre, [9 :00] avec la guerre. Et je suis tout à fait la thèse de [Serge] Daney [dans La rampe (Paris : Cahiers du cinéma/Gallimard, 1983) ; voir L’Image-Temps, p. 214] : qu’est-ce qui a entraîné une mutation et un redépart du cinéma ? Ben, d’une certaine manière, ce n’est pas exagérer de dire que c’est Hitler. Et c’est Hitler de quelle manière ? C’est Hitler, mais seulement il faut comprendre, sans doute de deux manières, par quelque chose d’extérieur au cinéma, à savoir que, avec Hitler, l’État monte une telle mise en scène spectaculaire que Hollywood ne vaut plus rien. Et je vous rappelais le fait historique que Daney rappelle aussi : de la concurrence jusqu’au bout que [Joseph] Goebbels prétend faire à Hollywood.

Nous disions donc que, [10 :00] et ce point, il me semble, a été pressenti par un livre sur lequel il faudra qu’on revienne parce que ça me parait un livre très important, un livre de [Siegfried] Kracauer, livre célèbre : k-r-a… k-r-a-c-k-a-u-e-r, Kracauer, [le nom s’écrit sans le second ‘k’] qui est un philosophe dépendant de l’école de Francfort, d’Adorno, etc., et livre célèbre intitulé : De Caligari à Hitler [1947], “Le Cabinet du docteur Caligari” [1920] étant un des premiers films expressionnistes allemands et, ce qui revient à dire, si voulez : du cinéma allemand à Hitler, en quel sens ? Il y a une espèce de présence préalable du nazisme d’Hitler, [11 :00] une appréhension — au double sens d’appréhension — d’un phénomène hitlérien dans le cinéma expressionniste. [Pause] D’une autre manière, c’est un point intérieur au cinéma ; ce n’est pas Hitler simplement comme événement extérieur au cinéma qui rendrait impossible l’ancien cinéma. Non, c’est plus profond que ça. C’est Hitler comme cinéaste. [Pause] Là, c’est ce que dit, c’est ce que dit, dans des formules qui peuvent nous paraître obscures, [Hans-Jürgen] Syberberg [Pause] parce que Syberberg, dans son grand film Hitler [1977], dit [12 :00] : je n’ai pas voulu ressusciter, je n’ai pas voulu refaire Nuit et brouillard [1956] ; j’ai voulu affronter Hitler sur son propre terrain, c’est-à-dire Hitler comme cinéaste. Je veux dire que l’œuvre de Syberberg, c’est l’autre volet que le livre de Kracauer. Kracauer : du cinéma à Hitler, Syberberg : de Hitler au nouveau cinéma. Mais ça, cette fois-ci, ça se passe à l’intérieur du cinéma.

Je pourrais dire de la même manière, vous vous rappelez peut-être qu’on a beaucoup insisté sur le caractère automatique de l’image cinématographique, ben que, entre l’avant-guerre et l’après-guerre, [13 :00] ce n’est pas que le caractère automatique a disparu ; c’est que la nature de l’automatisme, le grand automate spirituel a beaucoup changé. Et là aussi, je pourrais dire : c’est pour une raison extérieure au cinéma — oui, c’est vrai, c’est pour une raison extérieure au cinéma — à savoir, l’automate n’est plus sensorimoteur, il est devenu informatique ou cybernétique. Mais ça, ce serait une raison extérieure au cinéma. Et elle vaut. Mais c’est aussi à l’intérieur du cinéma. Alors ça, on pourrait la suivre dans cinéma, ça va de soi. Si vous prenez les… En effet, moi, ce qui me frappe, [14 :00] et ce que j’essayais de dire, et je ne l’ai pas encore assez bien dit, que le fait que le cinéma soit le grand automate fait que nécessairement dans une forme même, soit formellement le grand automate, l’automate spirituel, fait que dans ses parties ou dans son contenu, il se réfléchit sous forme de personnages automates qui, au besoin, vont être comme son image diabolique, son image inversée.

Et je dis que dans l’école française, que si vous prenez avant-guerre, l’école française est remplie de personnages pendulaires, qui correspondent à des automates du type pendule — pensez à l’importance du personnage pendulaire chez [Jean] Renoir, par exemple [15 :00] — mais que dans l’expressionnisme, ces automates de contenu sont, eux, représentés par toute la galerie des somnambules, des Golems, et dès Le Cabinet du docteur Caligari, des suggestionnés, des hypnotisés. [Sur ces personnages, voir L’Image-temps, pp. 343-346] Et je crois que ce n’est pas par hasard que ces personnages surgissent dans le cinéma. Il y a un corrélat fondamental entre l’automate… entre le cinéma comme art de l’automatisme formel et sa réflexion dans des contenus inverses, à savoir, les personnages maudits. C’est un automatisme qui avant-guerre est un automatisme sensorimoteur. [16 :00] Le… le… comment on dit, là… ? Le somnambule, le somnambule du cabinet du docteur Caligari, qui va exécuter les meurtres, est typiquement un automate sensorimoteur.

Donc on trouve toujours là mon thème, avec la guerre, la disparition, l’écroulement du lien sensorimoteur, et c’est bien forcé puisqu’ils vont lui substituer un tout autre type d’automate : l’automate informatique ou cybernétique, ce qui n’est pas la même chose. Par exemple, l’ordinateur de [Stanley] Kubrick, le grand ordinateur de Kubrick, et bien d’autres choses, encore. [A ce propos, voir L’Image-temps, pp. 267-268 et 346-347] Et je crois que, on arrivera à ça bien plus tard, mais j’avance dans mon projet ; je vous dis déjà mes plans futurs, [17 :00] et je crois que, s’il y a un cinéaste qui a élevé le grand automate, le grand automate spirituel… [Interruption de l’enregistrement] [17 :00]

… elle se passe entre un premier groupe qui est le muet et premier état du parlant, et un deuxième groupe qui sera deuxième étape du parlant. C’est dans le parlant même que la mutation se fait ; ce n’est pas du muet au parlant. D’où la nécessité pour moi d’envisager — et on avait déjà quand même fort entamé ça — la nécessité pour moi d’envisager ce premier groupe qui correspond à l’image-mouvement d’avant-guerre. Ce premier groupe [18 :00] qui correspond à l’image-mouvement d’avant-guerre, à savoir le muet et le premier état du parlant, qu’est-ce qu’il y a comme différence, qu’est-ce qu’il y a comme ressemblance ? Comment se fera la rupture ensuite ?

Et je reprends mon schéma, pour une fois uniquement pour le mettre, le mettre en discussion auprès de vous. Je veux dire que, l’image dans le cinéma muet, vous avez entrelacement de deux images, l’image vue et l’image lue. Et vous avez deux fonctions de l’œil, la lecture n’étant pas la même fonction [19 :00] que la vision. Je ne reviens pas là-dessus. Qu’est-ce qui se passe avec le parlant ? Avec le parlant la première chose évidente qui se passe, c’est que le lu disparaît ou tend à disparaître : il devient entendu. Le lu devient fonction de l’oreille. Je veux dire, le lu disparaît au profit de l’entendu. Ne le prenons pas à la lettre, mais on a vu que c’était quand même vrai d’une certaine façon même à la lettre.

Je veux dire, le thème des manchettes de journaux apparaissant dans l’image visuelle reste bien dans le premier état du parlant mais très bizarrement — pas très bizarrement, très normalement, la plupart du temps [20 :00] — ces manchettes de journaux vont être reprises par la voix des crieurs. Donc en gros, je peux dire : avec le parlant, le lu devient entendu. Je n’ai plus image vue et image lue qui s’entrelacent. J’ai, premier point, le lu devient entendu. Et, parallèlement — voilà ce qui m’intéresse, et que l’on commençait à peine à pressentir la dernière fois — l’image visuelle, lorsque le lu devient entendu, l’image vue va changer aussi. Lorsque le lu n’est plus lu mais se fait entendre [21 :00], l’image vue, de son côté, l’image visuelle, l’image vue, va changer de statut : elle va tendre à devenir lisible pour son compte en tant que visuelle, non pas en tant que lue. L’image vue va tendre à devenir lisible en tant que visuelle. D’où un statut très curieux de l’image visuelle, ou de l’image vue, qui sera une image lisible en tant que visuelle.

Voyez, en principe, avec le cinéma parlant, il n’y a plus d’image lue, ou ce qu’il en reste, c’est des résidus. Maintenant on entend, il y a de l’entendu. Mais du fait qu’il y a de l’entendu, [22 :00] l’entendu « fait voir » quelque chose de nouveau dans l’image visuelle. Dès lors, l’image visuelle, en tant que visuelle, devient d’une certaine manière lisible. Et une image visuelle qui serait lisible en tant que visuelle, ça paraît très paradoxal. J’en vois l’introduction et je vois la formation de cette notion très bizarre chez [Sergei] Eisenstein. Mais dans quel cas — et ça ne me paraît pas avoir été assez renouvelé, assez relevé — lorsqu’il s’explique sur les rapports entre l’image visuelle et la musique et qu’il lance l’idée d’une image lue en tant que visuelle. [Pause] [23 :00]

Si bien qu’il va falloir nous attendre à des complications, car lorsque bien plus tard, et à propos du cinéma moderne, Noël Burch, dans des pages très intéressantes, lance l’idée que l’image visuelle est lue à sa manière, devient lisible, il en fait un caractère du cinéma moderne. [Pause] Il est évident dès lors — donc raison de plus pour nous attendre à des complications — il est évident que Burch alors entend « image lisible [24 :00] ou lue en tant que visuelle », il l’entend d’une toute autre manière que ne l’entendait Eisenstein : une coupure s’est faite. Et pourquoi ? Revenons toujours à notre premier groupe, le premier état du parlant. Le lu fait place à l’entendu. Dès lors, le vu devient lisible en tant que visuel.

Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi mettre de la cohérence dans tout ça ? Pour une raison très simple. C’est que, avec le parlant surgit une composante sonore : composante parlante, mais également [25 :00] comportant — nous le verrons ça, nous le verrons petit à petit, point par point — d’autres aspects sonores que la parole. Donc apparaît une composante sonore. Mais attention, c’est une composante sonore « de l’image visuelle » ; c’est une composante sonore de l’image visuelle. Pourquoi ? Ça, si on ne fixe pas ce point, je crois qu’on ne peut plus comprendre. Mais c’est bien comme ça que ça a été pris. Et c’est dans ce sens que je vous dis : avec le parlant, ne croyez pas que l’image soit devenue audiovisuelle. L’image n’est pas du tout devenue audiovisuelle, mais l’image visuelle a pris une composante [26 :00] sonore ; il y a une composante sonore de l’image visuelle. [Sur l’image lisible chez Eisenstein, voir L’Image-temps, p. 310, note 26 ; sur Burch à ce propos, voir p. 322, note 43]

Mais, qu’est-ce que ça veut dire, en quel sens ce n’est pas une image sonore ? Il n’y a pas une image sonore, il y a une composante sonore de l’image visuelle au premier stade du parlant. C’est dit pour des raisons très évidentes, très simples par [Béla] Balàzs : le cinéma n’est pas encore un art audiovisuel. Balàzs, dans son livre Le Cinéma [1948 ; Paris : Payot, 1979] page, page, page… page quoi ?… page 206-207 — ne confondez pas, il y a deux livres de lui presque semblables, hein ? Simplement il distingue, parce que tantôt il développe davantage, tantôt il développe moins, c’est Le Cinéma et L’esprit du cinéma [1930 ; Paris : Payot, 2011] — je cite là Le Cinéma : [27 :00] « Sous-titre : le son ne peut pas être représenté ; [Pause] ce qui nous parle de l’écran, ce n’est pas l’image du son » — ce qui nous parle de l’écran, ce n’est pas, du fond de l’écran – « ce n’est pas l’image du son, mais le son lui-même que le film a fixé et qu’il nous fait entendre. Le son n’a pas d’image » — pour moi, c’est un texte essentiel puisque toute notre… tout notre avenir, ça va être : en quel sens, et est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que le son a une image ? — « le son n’a pas d’image, le son lui-même se répète [28 :00] dans sa dimension originale avec ses qualités physiques, c’est lui qui nous parle de nouveau à partir de l’écran. Il n’y a pas » — bien entendu, vous pouvez le trafiquer, vous pouvez faire tout ce que vous voulez, ça ne vous donne pas une image de son – « il n’y a pas de différence de réalité de dimension entre le son original et le son reproduit, comme il existe une telle différence entre les objets et leurs images ». Il dit donc une chose très simple en effet : lorsque le micro vous fait entendre le son, vous fait entendre du son dans l’image visuelle — et ça ne constitue pas du tout une image sonore — le son et, fondamentalement le son et la parole, sont des composantes, de nouvelles composantes de l’image visuelle. [Pause] [29 :00] [Deleuze se réfère à Balàzs dans la séance 10 du séminaire Cinéma 1, le 23 février 1982 ; voir L’Image-mouvement, p.136 ; et il reviendra à Balàzs dans la séance 22, le 14 mai 1985 ; voir L’Image-temps, p. 328]

Et en quel sens ? En ce sens : quelle que soit l’importance donnée à la parole et à l’acte de parole dans le cinéma parlant, il n’y aura jamais autonomie ; il sera toujours subordonné à l’image visuelle. Je dis, même chez les auteurs qui vont lui donner une importance telle, et c’est peut-être parce que, c’est peut-être une des raisons pour lesquelles dès le cinéma d’avant-guerre, il y a une telle pression que ce cinéma d’avant-guerre devait craquer. Prenez un auteur comme [Joseph] Mankiewicz qui donne à l’acte de parole dans tout son cinéma une importance fondamentale comme ça n’en avait jamais eu d’équivalent. Il ne peut le faire que dans des conditions où les composantes parlantes [30 :00] sont encore soumises à l’image visuelle, si bien qu’il va y avoir une espèce de déséquilibre entre cette pression accrue de l’acte de parole et l’image visuelle qui doit maintenir l’acte de parole sous sa propre dépendance. Qu’est-ce que ça veut dire ? Oui.

Je saute tout de suite à quelque chose de… à quoi je n’ai pas encore fait allusion. Tout le monde sait bien qu’un des points fondamentaux, un des rôles fondamentaux de l’acte de parole dans le cinéma parlant, ça va être quoi ? Peupler le hors-champ — non pas inventer le hors-champ ; le hors-champ existe parfaitement dans le cinéma muet — mais l’acte de parole est sonore, donc [31 :00] peupler le hors-champ. [Pause] Or qu’est-ce que c’est le hors-champ ? On va mieux vite le voir très vite tout à l’heure mais je vais le dire immédiatement. Il ne faut pas quand même… il ne faut pas s’y tromper : le hors-champ, c’est par définition, c’est ce qui n’est pas vu, c’est ce qui n’est pas vu. Mais c’est une dépendance, ou c’est une appartenance de l’image visuelle, et il ne peut se définir que comme dépendance et appartenance de l’image visuelle. Il est non-vu ; il n’est pas du tout non-visuel. [Pause] [32 :00] C’est exactement ce qui se prolonge là à ma gauche quand je ne regarde pas : c’est du non-vu ; ce n’est pas du tout de l’invisuel. Je ne le vois pas, bon. Mais le hors-champ appartient à l’image visuelle exactement comme une dimension de cette image. Il n’appartient pas à ce qui est vu dans l’image visuelle, c’est tout.

Si bien que nous aurons beau dire : l’acte de parole remplit et peuple le hors-champ, nous ne sortirons pas de la situation. L’acte de parole reste, dans le premier état du parlant, une composante, une appartenance, [33 :00] une dépendance de l’image visuelle. Et c’est par-là que, sans doute par réaction, il a le pouvoir de rendre l’image visuelle d’une certaine façon lisible, lisible pour son compte, en tant que visuelle. Ça paraît compliqué comme schéma mais en même temps très simple, je ne sais pas comment l’expliquer… Enfin, on va peut-être voir en voyant plus concrètement.

Tandis que qu’est-ce qui va se passer, après ? Qu’est-ce que ça va être le grand acte au niveau du parlant — on verra qu’il y a bien des actes – mais [Pause] après la guerre, qu’est-ce qui se passe ? En quoi c’est un nouveau régime de l’image ? Ben moi, je crois que la composante sonore prend son autonomie, et que c’est ça qui définit l’image de l’après-guerre. [34 :00] La composante sonore prend son autonomie, c’est-à-dire, elle n’est plus une dépendance de l’image visuelle. Et c’est pour ça que, par parenthèse, la conséquence, la conséquence inéluctable, c’est, à ce moment-là que vous m’accordiez ce que j’ai déjà réclamé : dans le cinéma moderne — bien sûr ça peut rester, ça peut, on peut, ça peut rester mais à titre de résidu — dans le cinéma moderne, il n’y a plus de hors-champs, il n’y a plus de hors-champ, c’est fini. — On peut toujours, enfin dans le mauvais cinéma…

Une étudiante : Pourquoi ça ?

Deleuze : Pourquoi ? Non, ça, on verra après. Je dis : une des vraies nouveautés du cinéma de l’après-guerre, c’est que la composante sonore devient autonome. Si bien que l’on parlera de : image [35 :00] audiovisuelle lorsque vous aurez double autonomie de la composante sonore et de la composante visuelle pour une même image. [Pause] Ça implique la disparition du hors-champ. Ça implique un type de cinéma très nouveau, et c’est ce que je suggérais. Mais quelqu’un me signalait de tout de suite qu’il ne fallait pas croire qu’il suffisait de dire ça, mais je le redis, et en redisant aussi qu’il faudra s’expliquer là-dessus. Je crois que ça n’a pu se faire que en fonction de la télévision. Ça n’a pas pu se faire dans la télévision même. Mais c’est pour des raisons, encore une fois, que je ne peux attribuer que à la médiocrité, à la médiocritasation immédiate qu’a subie la télévision, à la [36 :00] débilification de la télévision, mais c’était le pouvoir. Et c’est le cinéma qui, lui, a su élever la composante sonore à l’état de composante autonome. Dès lors, la composante visuelle comme composante autonome, deux composantes autonomes d’une même image, dès lors, audiovisuelle. Et je crois que s’il y a un génie — à ce moment-là, il fallait tout reprendre à zéro — la marque de tout reprendre à zéro, ça a été : les grandes pédagogies. Et la première grande pédagogie de l’image cinématographique ainsi renouvelée, ça a été, [Roberto] Rossellini et l’œuvre télévisuelle de Rossellini. [Sur Rossellin et l’art, voir L’Image-temps, p. 222, et l’entretien avec Rossellini dans le recueil La politique des auteurs (Paris : Champs libre, 1972 ; Editions Cahiers du cinéma 2001), pp. 80-110]

Bon. Mais ça ne devait pas s’arrêter là. Chez Kant – [Deleuze rigole] il faut toujours se servir d’un mot, là, alors, quand les mots sont là chez Kant [37 :00] — il y a une distinction très rapide mais très intéressante entre deux termes qui sont dérivés du grec, autonomie et héautonomie, h-é. Et en effet, en grec, vous avez [Pause ; Deleuze va au tableau] deux mots : auton, a-u-t-o-n, et héauton, qui veulent dire à peu près la même chose, dans les dictionnaires, hein ? C’est soi, soi-même, soi, soi-même, le soi, le soi-même, auton et héauton. Kant, quand il va tirer habilement [38 :00] deux termes : autonomie et héautonomie, h-é-a-u-t-o-n-… C’était bien, ça. C’était bien à condition d’avoir quelque chose à en faire. Or il avait quelque chose à en faire, évidemment, Kant. Il pensait que quelque chose était « autonome » quand il contenait une loi. [Pause] Quand il contenait, si vous voulez, sa loi, une loi à soi, alors on pouvait parler de l’autonomie. Si je contiens une loi à laquelle vous obéissez, par exemple, ce qui est un rêve fou, je suis autonome. [39 :00] Mais je ne suis pas encore héautonome. Héautonome, c’est à votre choix, c’est mieux ou c’est moins bien. C’est lorsque la loi que je contiens s’applique à moi-même et sur moi-même. [Pause] [Sur la distinction autonome-héautonome, voir L’Image-temps, pp. 327-340]

Alors je dis, cette distinction, elle nous est très commode, prenons-la. Ne nous occupons pas des choses admirables, hélas, que Kant en tire puisque c’est dans d’autres sujets que le nôtre. Mais servons-nous des mots si beaux. Je dirais qu’après la guerre, le sonore et le visuel deviennent deux composantes autonomes d’une même image audiovisuelle. [Pause] D’une certaine manière ce serait – là, je [40 :00] schématise beaucoup, hein ? C’est pour que vous réfléchissiez vous-mêmes — ce serait Rossellini-[Jean-Luc] Godard. [Pause] Ça se voit bien. C’est quoi Rossellini-Godard ? Et là, la pédagogie de Godard, elle enchaîne avec celle de Rossellini. Il ne l’a jamais cachée, sa dette à l’égard de Rossellini, à cet égard. C’est quoi ? C’est la vieille pédagogie, la plus vieille pédagogie du monde, mais la plus nouvelle pour le cinéma, la plus vieille pédagogie du monde : leçon de choses et leçon de mots, leçon de choses et leçon de mots. Je ne sais pas si c’était comme ça, vous, quand vous étiez à l’école primaire. Nous, on faisait comme ça : il y avait la leçon de mots, puis la leçon de choses. Bon, c’est le grand principe Godard : leçon de choses et leçon de mots, [41 :00] et maintenant on passe aux mots, ou l’inverse. Six fois deux [1976] est construit sur la double leçon, la leçon de choses et la leçon de mots.

Mais le premier qui avait fait ça, c’était Rossellini. Il l’avait fait plus discrètement parce qu’il était moins provocateur que Godard. Il l’avait fait plus discrètement, mais ceux qui aiment l’œuvre télévisée de Rossellini, vous devez vous rappeler d’une chose qui est très, très frappante. C’est que tout le temps, il y a toujours deux points : la leçon de choses et la leçon de mots, groupées sur une même image, mais comme deux composantes autonomes. À savoir, je pense, qu’il y a toujours, comme il dit lui-même d’ailleurs, il ne s’agit pas de faire parler les gens, l’acte de parole, quoique ce soit essentiel ; il faut dégager la structure, la structure simple [Pause] [42 :00] qui correspond à un type nouveau d’acte de parole. C’est pour ça que, son œuvre télévisuelle, il va la faire comme historique, c’est-à-dire quel type nouveau d’acte de parole arrive avec Louis XIV ? [La] Prise de pouvoir de [par] Louis XIV [1967], quel type de — je le cite puisque c’est un des plus connus de Rossellini — quel type nouveau d’acte de… donc, quelle structure ? Quelle structure de langage il y a sous cet acte de parole ? Et il y aura un grand discours. Bien sûr, on voit le personnage, il y aura un grand discours — de Colbert dans mon souvenir — pour expliquer la structure que suppose le nouvel acte de parole de Louis XIV.

Et en même temps, il y a la leçon de choses : occuper les mains, [43 :00] il s’agit d’occuper les mains des nobles, pour qu’ils ne fassent pas la Fronde, pour qu’ils ne manient pas trop les épées. Et il y a les images splendides où Louis XIV, là, avec son côté grotesque, un petit gros, invente les costumes ridicules de la Cour et fait rajouter des rubans, des lacets, dit au… dit au couturier : non, mais ça ne va pas ? Il n’y a pas assez de boutons, il n’y a pas assez de lacets, il n’y a pas assez de rubans, allez, vous en remettez là, etc. Et lui-même va se déguiser de ce costume : c’est la grande leçon de choses, où il est, alors, le fin du grotesque, le fond même du grotesque, et tous ces rubans, tous ces machins, etc. Bon, ça c’est la leçon de choses : la leçon de mots, [44 :00] la leçon de choses, la leçon de mots, la leçon de choses.

Dans Le Messie [1976], quel est l’acte de parole nouveau issu du Christ ? Alors je pourrais, à partir de ces trucs-là, faire aussi un tableau des actes de parole possibles, hein ? L’acte de parole Louis XIV, ce n’est pas… Mais, dites-vous bien que chaque fois que Rossellini a lancé — tiens, je me retrouve à parler de tout un tas de choses à ce que je ne voulais pas vraiment — chaque fois que Rossellini a fait un truc de télévision, là, le schéma est le même : il s’installe toujours à un moment de l’histoire où un type d’acte de parole nouveau surgit. Par exemple, Saint Augustin [1976, Augustin d’Hippone], Le Messie, Socrate [1970]. Qu’est-ce que c’est, l’acte de parole nouveau que Socrate invente ? Qu’est-ce que c’est l’acte de parole nouveau qu’on entend avec [45 :00] le Christ ? Selon Rossellini, c’est la parabole. Qu’est-ce que c’est que ça, la parabole ? Mais toujours, vous n’y comprendrez rien si vous ne doublez la question, de : qu’est-ce qu’ils tripotent avec leurs mains ? La leçon de chose. Et Rossellini nous dit lui-même, par exemple, dans Le Messie : il ne met jamais les acteurs, il ne les laisse pas inoccupés ; il faut toujours qu’ils fabriquent un petit objet artisanal, il faut toujours… Jeu de mains, jeu de choses.

Vous me direz : mais c’est très banal, tout ça ; ça peut se faire dans l’ancien cinéma. Ça, ce n’est pas la question ; ça peut se faire dans l’ancien cinéma, il se trouve que ça n’aura pas cette portée-là. Je veux dire, dans l’ancien cinéma, ça pourrait évidemment se faire, mais pas sous la forme de l’organisation de deux composantes [46 :00] autonomes : une composante sonore ou parlée et une composante visuelle ou manuelle, qui vont être deux composantes autonomes. C’est ça qui est important, que ce soit deux composantes autonomes d’une même image qui, dès lors, puisque les deux composantes sont autonomes, là je peux dire l’image est déjà devenue audio-visuelle. Avant je ne pouvais pas le dire. Je pouvais dire : il y a composante autonome — comme composante non-autonome… Même pour parler savamment, il y a composante hétéronome de l’image visuelle — c’est seulement après la guerre qu’apparaissent, avec les grandes pédagogies du nouveau cinéma, [Pause] les [47 :00] composantes autonomes, sonores et visuelles, d’une même image, dès lors audiovisuelle.

Bon. Et puis, un pas de plus, il y aura un pas de plus — je ne dis pas qu’il sera plus beau encore — lorsqu’il n’y aura plus deux composantes autonomes, visuelle et sonore, d’une même image audio-visuelle, mais lorsque — vous pouvez achever, moi je peux me taire, vous pouvez achever, vous avez tout pour achever — il y aura deux images héautonomes. — C’est pour ça que j’avais besoin du mot si profond de Kant — il y aura deux images héautonomes. Il y aura image sonore et image visuelle. Mais alors, mon dieu, quel problème [48 :00] : quel sera le nouveau rapport entre l’image sonore et l’image visuelle, dans le régime de l’héautonomie ? [Pause] Et cette fois-ci, ce sera l’entreprise [Jean-Marie] Straub, l’entreprise Duras, l’entreprise Syberberg, toutes les trois fondées sur l’héautonomie des deux images. Alors, est-ce que ça veut dire qu’ils y ont cru ? La réaction de beaucoup, c’est — bon, de beaucoup — de ceux qui n’aiment pas ce cinéma, c’est : eh bien, alors autant mettre n’importe quoi sur n’importe quoi, n’importe quel son sur n’importe quelle vue. Il est évident que ce n’est pas ça.

Il est évident [49 :00] que là, nous sommes, d’une certaine manière par notre passé de cette année, nous sommes un peu armés pour répondre. Vous devez sentir que lorsque les deux images deviennent héautonomes, le régime qui va alors être immédiatement trouvé, c’est-à-dire le rapport complexe dans lequel elles vont entrer, c’est ce que l’on a découvert précédemment sous le nom de rapport d’incommensurabilité, [Pause] point irrationnel ou ré-enchaînement. Si bien que, à ce moment-là, notre année pourra finir, puisque elle sera comme avant, elle aura rejoint son début. Mais ça nous laisse beaucoup de choses à montrer avant.

Si bien que, voilà, j’ai insisté pour que vous soyez en mesure presque — c’est par honnêteté, ce n’est pas par goût d’être abstrait, c’est par honnêteté, c’est pour vous donner toute ma… [50 :00] toutes mes données à moi — dès lors que quand on avance maintenant, en faisant plus attention, en disant des choses plus concrètes, vous soyez à même que je vous… que vous n’ayez pas l’impression que je vous trompe, que je vous dis quelque chose pour m’en servir après sans vous avoir prévenus. Au moins je vous aurai prévenus de où je voulais aller. Alors ça vous permet plus de réfléchir à ce que vous en gardez, ce qui vous convient, ce qui ne vous convient pas. Oui ?

Une étudiante :  Je voulais poser une question : justement quel est le changement dans le cinéma d’avant et après la guerre ? Alors moi, je pensais… Le premier film que j’ai vu de muet, c’est le film de [Charlie] Chaplin. Alors justement, là, qu’est-ce que je vois ? Moi je vois que, à côté de l’image lue, il y a les images-gestes, [51 :00] les gestes. C’est-à-dire, je me cache, je déplace mon corps… Je pense que le cinéma après la guerre, c’est justement le geste qui disparaît comme disparaît l’image lue. Et moi, je compare ça parce que l’autre jour, j’ai eu un cours. Justement on est en train d’étudier « qu’est-ce qui se passe justement avec les religions chrétiennes et le monothéisme ? ». Alors je vais faire le rapport entre le cinéma avant-guerre, après-guerre et la naissance du monothéisme, et l’achèvement de la religion chrétienne. Quand Dieu parle avec Moïse et lui dit : « écoute, moi je voudrais que tu aies confiance en moi, moi ça ne m’intéresse pas les rites, ça [52 :00] ne m’intéresse pas la danse. Tu dois croire en moi ». Alors il lui a dit : « il faut que tu ailles parler avec le roi ». Alors Moïse lui dit : « Moi, tu sais bien, je ne sais pas parler ». Alors il va devant le roi, et Moïse est en quelque sorte un automate, parce que Moïse n’utilise plus son corps ; et c’est Dieu, c’est la parole de Dieu, qui est dans le corps de Moïse qui est en face du roi, tandis que les anciens magiciens ne parlaient pas. Ils n’interprétaient les rêves que avec les gestes, avec la danse et avec les rituels.

Et c’est justement ça qui disparaît après le cinéma, après la guerre : le geste disparaît, c’est-à-dire que c’est… Je pense qu’il y a un cinéma de discours, où il y a un dialogue entre les acteurs, n’est-ce pas ? Et il y a un cinéma comme celui de Godard où il n’y a plus de dialogue, mais ce dialogue, à mon avis, est [53 :00] remplacé par la question-réponse, c’est-à-dire le discours philosophique, où on se demande, par exemple, d’où vient la vie, d’où vient la vie. Alors on montre la réponse qu’il a donné ou bien avec des mots ou bien avec une image visuelle. On montre deux réponses, l’une où on montre le ciel, ou on montre une image où on voit l’eau, c’est-à-dire où on voit que la vie vient de la source naturelle, c’est-à-dire : il y a une réponse savante, il y a une réponse de l’ordre métaphysique ou religieux. [Pause] Voilà, je pense que c’est justement ça qui, à mon avis, est… je ne sais pas…

Deleuze : Est-ce que — ce n’est pas un reproche — vous étiez là l’année dernière ?

L’étudiante : Oui.

Deleuze : Alors là ça devient un reproche. [54 :00]

Étudiante : Pourquoi ?

Deleuze : Parce que ce n’est pas que ce soit sans intérêt ce que vous dites, mais vous me faites régresser d’un an. Parce que j’ai quand même passé un an à dire la différence entre les deux images : c’est que dans un cas, l’image vue, c’est l’image-mouvement et l’image-mouvement, c’est celle qui obéit aux schèmes sensorimoteurs, et que le cinéma moderne se définit entre autres par l’écroulement des schèmes sensorimoteurs, et qu’on ne peut le comprendre, en effet, ce que vous appelez la discussion des geste — on ne peut le comprendre…

Étudiante : Oui, justement, c’est le mouvement !

Deleuze : Alors, en ce moment, depuis cette année, on est au-delà de cette histoire qui pour nous est réglée, et vous me la ramenez comme pouvant aider à notre problème actuel. Donc, bien sûr, on retrouvera ce thème… L’image-temps, elle, n’est pas sensorimotrice, l’image-mouvement, elle est sensorimotrice. [55:00] Mais, au point où j’en suis, essayez de me comprendre : je ne peux pas revenir à cette chose qui, de notre point de vue — je ne dis pas de tous les points de vue — qui de notre point de vue ici, est réglée. Peut-être que je la retrouverai, je ne sais pas comment, mais je ne peux plus en faire dans mon histoire du parlant, là, je ne peux plus dire : ah, ben oui, la grande différence, c’est le rôle de la sensorimotricité ou pas…

L’étudiante : Un geste ne veut pas dire… une question sensorimotrice, ça veut dire un mouvement, simplement…

Deleuze : Vous connaissez des mouvements qui ne sont pas sensorimoteurs, vous ? C’est strictement la même chose.

L’étudiante : Je pense que mon intervention n’est pas aller en arrière parce que si vous dites, « qu’est-ce que c’est un acte de parole ? » alors… Vous posez une question que je crois m’intéresser, c’est-à-dire [56 :00] que vous demandez : « qu’est-ce qui a changé dans le cinéma après la guerre ? », et moi je dis justement, je me dis, je comprends très bien, que le cinéma, c’était un cinéma d’action, d’action-réponse, ça je comprends très bien, c’est le schéma sensorimoteur que vous nous avez appris l’année dernière, n’est-ce pas ? Mais ce qui disparaît à mon avis dans le cinéma muet et le cinéma de maintenant, c’est les gestes, et les gestes, ça n’implique pas une réponse d’action des milieux-individus aux individus-milieu. Ce n’est pas ça que je… je comprends, hein ?

Un étudiant : Je peux me permettre ?

Deleuze : Oui, certes.

L’étudiant : Ce que je crois comprendre dans ce que tu avances, là, si on prend le cas de Charlie Chaplin, par exemple, c’est ça, tu l’as avancé, ça, hein ? Bon, disons en gros, c’est un cinéma comique, bon. On pourrait dire ça comme ça, bon, pour aller vite, c’est un cinéma comique. Bon. Aujourd’hui il y a aussi du cinéma comique. Alors tu viens d’étudier, voilà, le geste a disparu d’une manière définie, [57 :00] aujourd’hui, qui est du cinéma de situation, de parole, etc. Je crois que tu mises beaucoup sur le fait, par exemple, dans cette notion de comique, sur le comique de geste. Évidemment il n’y a pas de discours dans Charlie Chaplin. Les situations ne sont pas comme ça, comment dirais-je… évidentes. Ce qui va faire rire beaucoup dans les attitudes de Charlie, c’est un comique de geste, évidemment, au lieu d’un comique de parole, d’astuce ou de situation. Parce que c’est ça qu’il veut dire. Je ne sais pas, mais il me semble que… Moi, c’est ça que je comprends. Tout à l’heure, je rapprochais les façons du geste ou au sens où Chaplin s’appliquait beaucoup — s’appuyait beaucoup, pardon — sur le geste pour faire rire, on pourrait dire : c’est un comique de geste. Ce n’est pas ça, que tu veux dire ?

L’étudiante : Non, ce n’est pas ça. C’est-à-dire que dans le cinéma avec la parole, il y a des rapports entre les gens au niveau du dialogue. Je n’ai pas besoin de voir l’image pour comprendre. [58 :00] Tu vois ? C’est-à-dire qu’il y a le discours, tandis qu’avant, il n’y avait pas ce dialogue. Il y a une réponse à travers des gestes, c’est ça que je veux dire.

L’étudiant : Il fallait tout illustrer par les images. [Pause]

Deleuze : Ouais, elle vient de dire quelque chose qui engage plus de différences, ça… ça me va très bien. Vous savez…

L’étudiante : Pardonne-moi. C’est-à-dire que, avant, c’était l’image qui pouvait remplacer l’image-lue à côté de l’image-geste. Bon, ça, on l’efface, et on met : dialogue. Et on est, par exemple, dans le cas des interactionnistes : qu’est-ce qu’on voit, finalement ? Si on veut comprendre, il faut voir les mots ! Il faut voir les dialogues ! Sinon, on ne comprend rien, c’est-à-dire qu’on met en valeur le dialogue entre les gens même qui ne se connaissent [59 :00] pas : la police et la bande qui est en train de faire chier M le maudit. Le dialogue, c’est un rapport où la pensée se met… C’est la pensée qui finalement prend le relief. C’est le cas, par exemple, de Godard ; pour moi, Godard c’est… une promenade philosophique dans ses images question-réponse. C’est comme ça que je le comprends. [Pause]

Deleuze : Oui, moi je n’y comprends plus rien. Je veux dire, tantôt il me semble que vous invoquez le premier état du parlant, tantôt au contraire vous invoquez le deuxième état du parlant. [Pause] C’est-à-dire, je ne sais plus du tout où j’en suis, moi, sinon que je sens que — voilà la seule question que je poserai, vous avez tous droit — je sens que peut-être vous, d’avance [60 :00] mais avec beaucoup de raison, vous n’êtes pas d’accord avec le schéma, même très abstrait, que je propose. C’est-à-dire vous dites : non, ce n’est pas vrai, l’image sonore du premier cinéma parlant, hein, ou plutôt, le sonore dans le premier cinéma parlant n’est pas une composante dépendante de l’image visuelle, a déjà de l’autonomie. Non, ce n’est pas ça que vous dites ? Eh bien, c’est bien, on va en arriver à un point où je ne comprends pas ce que vous dites et vous non plus.

Écoutez, on va faire comme on peut. Mais vous maintenez ce que vous dites ? Moi je ne vois pas très bien ce que… Je redoute beaucoup qu’on me ramène actuellement du sensorimoteur alors que je n’en ai plus besoin, alors qu’on a épuisé ça. Alors vous me dites : c’est un geste, ce n’est pas sensorimoteur. Mais je crois qu’il y a des formes de [61 :00] sensorimotricité très, très différentes. Le burlesque, ce qu’on appelle le burlesque, c’est des déformations extrêmement savantes et artistiques, c’est des déformations de la sensorimotricité. Quand vous regardez comment un burlesque marche, que ce soit [Buster] Keaton ou Chaplin ou n’importe, vous voyez comment ils marchent : ça se définit en termes de motricité, de motricité fondamentalement anormalisée. Tout ça, c’est du schème sensorimoteur, c’est un cinéma de l’image-mouvement, enfin… Ouais ?

Richard Pinhas : Je voulais dire juste une petite chose.

Deleuze : Dites-moi une petite chose, oui…

Pinhas : Je ne sais pas dans quelle mesure ça peut servir ou pas, mais j’espère que ça peut servir quelque part.

Deleuze : J’espère aussi !

Pinhas : En tant que musicien, je dirais qu’il n’y a [62 :00] pas d’image sonore, mais il s’avère qu’il y a un cadre technique — ce n’est pas par rapport au cinéma, hein ? C’est la musique en elle-même — il y a un terme technique qu’on utilise lors des mixages, ce qui correspond au montage, en gros, au cinéma, qui s’appelle l’image sonore, et qui est assez adéquat, littéralement. C ’est le moment où l’on va placer tel et tel son — à gauche, à droite, en avant, en arrière — par rapport à une espèce de spectre qui se déforme en stéréo, par exemple, entre la gauche et la droite, le centre, et on va faire ce placement de tel et tel son, par exemple, de la flûte ou du solo, de l’instrument solo, de la voix, n’importe quoi, grâce à des échos et des délais, grâce un placement spatial. Donc dans ce cas-là, le son est vraiment placé dans une image. Et c’est peut-être le seul, le seul… je pense que le terme de « représentation » se doit. Bon, littéralement, un son ne peut pas renvoyer une représentation. Donc littéralement ça ne veut pas dire grand-chose. Par contre, un son peut être mis en représentation, c’est-à-dire dans une position représentative, [63 :00] parce qu’il est non pas exhibé, mais parce qu’il est situé localement ou spatialement, par rapport à des modalités temporelles, par rapport à des modélisateurs de temps qu’on trouve dans les sources d’enregistrement. C’est le délai de réverbération, d’effet doppler, de choses comme ça. Il est situé en représentation, donc il subit un traitement qui est similaire au traitement que peut prendre la figure représentative. Voilà. Mais le terme image sonore lui-même existe… [Interruption de l’enregistrement] [1 :03 :29]

Partie 2

Deleuze : … une notion d’image sonore. Alors, il y a l’aspect que tu dis, mais j’ai aussi de grands espoirs, mais qui dépassent mes compétences sur les filtres,

Pinhas : Et moi, je les connais.

Deleuze : Tu connais tout là-dessus, tu connais hein ? Eh ben, avec les histoires de filtrage, plus que de stéréophonie, parce que la stéréophonie, moi je ne crois pas que ça va nous donner une image sonore, mais les filtrages, [64 :00] je pense que là on pourra peut-être trouver la possibilité de… enfin je t’expliquerai ; absolument, ce sera, absolument, ce sera notre dernier problème.

Pinhas : Enfin la stéréophonie ce n’est qu’une modalité, ce n’est qu’une modalité…

Deleuze : Oui, mais elle intervient, tu as sûrement raison, elle intervient à un niveau. Moi, ce qu’il me faut, c’est arriver à définir un cadrage sonore. Alors Dominique Villain, elle a posé le problème, elle a… mais ça…

Pinhas : Le problème fondamental des filtres, c’est là où c’est très important, c’est que ça fonctionne en termes de synthèses statiques analogiques.

Deleuze : Ça, ça t’arrangera très bien, toi. D’accord.

Pinhas : [Propos inaudibles]

Deleuze : [En riant] Vaguement… Bon, alors écoutez, on revient à de toutes petites choses, parce que on ne peut pas… Tu vois, vous vous rappelez, moi, je disais premier acte du parlant, la composante sonore de l’image visuelle, qu’est-ce que ça revient à dire ? Et j’essayais de dire : eh bien, voilà, [65 :00] la composante sonore de l’image visuelle dépend bien de l’image visuelle parce que elle nous fait voir quelque chose dans l’image, que l’image muette ne nous révélait pas. Je vous disais, qu’est-ce que c’était ? Eh bien, appelons ça « interaction ».

En d’autres termes, l’acte de parole en tant qu’entendu fait surgir les interactions entre personnes. Qu’est-ce que ça veut dire ça ? Ça veut dire que ça se distingue de quelque chose. Oui, ça se distingue des ensembles d’actions et de réactions dans des situations structurées. Ça alors en vertu du schème sensorimoteur, il y avait des actions et réactions dans des situations structurées dans l’image muette, dans le cinéma muet. [Pause] [66 :00] Tandis que les interactions, elles, ce sont des relations entre personnages qui s’effectuent dans des situations de circonstance ou des systèmes en déséquilibre. Et j’invoquais déjà la sociologie dite interactionniste. Bien.

Dès lors, on se trouvait devant le problème : comment définir une interaction par rapport à l’acte de parole ? Il y a des actes de parole qui font surgir des interactions. Et je disais, ben il y a deux manières de définir l’interaction à ce moment-là. [67 :00] La première est étroitement linguistique. Elle renvoie à [Émile] Benveniste ou à d’autres linguistes, mais je prends Benveniste comme étant particulièrement catégorique. Ce serait une relation entre personnes linguistiques, les personnes linguistiques étant « je » et « tu », c’est-à-dire les premiers des termes dit sui-référentiels. [Pause] Donc vous voyez l’interaction renverrait à l’acte de parole, lequel se définirait par la relation entre un « je » et un « tu » comme termes sui-référentiels. C’est une définition complètement linguistique. [Pause] [68 :00] Elle définit l’interaction comme rapport entre personnes, une fois dit qu’il n’y a que deux personnes, « je » et « tu », et que « il » est une fausse personne. Bon. [Pause] [Sur ces distinctions linguistiques, voir la séance précédente et L’Image-temps, pp. 294-295]

Je disais, c’est très curieux. Moi, cette conception linguistique, elle me paraît de nature à définir une relation linguistique entre deux personnes authentiques, « je » et « tu ». Bien entendu, ça a des conséquences. Pourquoi ? Parce que je pourrais trouver une relation linguistique entre deux lieux, « ici » et [69 :00] « là-bas », mais pour tous ceux qui ont lu un peu de linguistique, vous vous rappelez que « ici » et « là » sont des termes eux-mêmes sui-référentiels, qui dérivent des personnes « je »-« tu ». Donc je peux maintenir la définition. L’interaction, ce serait la relation entre personnes linguistiques authentiques qui définit l’acte de parole.

Je dis, c’est très curieux, mais il me semble que cette conception de l’acte de parole convient très bien au théâtre. Mais que justement, justement, sauf des contaminations qui les mélangent et ne trompent personne, [70 :00] jamais le théâtre et le cinéma n’ont eu de vraies rivalités. Bien sûr, on a toujours pu faire du théâtre filmé, bien sûr, mais je ne vois pas qu’il n’y ait jamais eu le moindre danger de confusion, tellement, dès le début, pas au niveau des discussions théoriques, au niveau des conceptions pratiques. Je dis, l’acte de parole au cinéma apparaît sous une tout autre forme. Ce n’est pas du tout une relation entre personnes linguistiques authentiques. Un « je » et un « tu », c’est quoi ? Je dirais beaucoup plus : une interaction, dans le cinéma, une interaction entre individus, c’est une relation qui s’instaure entre des personnes supposées indépendantes [71 :00] et séparées, dans une situation de circonstance. [Pause] En d’autres termes, c’est le mouvement du « on », il y a toujours un « on », et c’est dans l’ensemble de ce « on », dans la propagation du « on » que vont se faire des assignations transitoires d’individus, des passages d’individus indépendants à autres individus indépendants, l’ensemble [72 :00] des interactions tournant, convergeant, vers un point de perception — je dis de perception — convergeant vers un point de perception visuelle problématique.

C’est compliqué, vous allez dire, tout ça. Pas du tout. Dans le modèle linguistique de Benveniste, l’acte de parole se définit au niveau de la conversation organisée entre deux personnes. Au second niveau que je propose, plus conforme à la sociologie interactionniste, l’acte de parole a pour modèle fondamental la rumeur, la rumeur, [Pause] ou bien la flânerie, [Pause] ou bien la lecture du fait [73 :00] divers — c’est pour cela que la sociologie interactionniste attache tellement d’importance à la lecture du journal, aux situations sociales de lecture du journal — Lecture de faits divers, je dis, parce que c’est très différent de la lecture d’opinion. Quand vous lisez un article d’opinion, vous faites masse. Vous faites masse avec ceux qui sont censés penser comme vous. Quand vous faites la lecture de faits divers, ça se mélange, tout ça. Il y a toutes sortes de gens qui lisent les faits divers. Par exemple, ceux qui se plaignent de l’insécurité aujourd’hui, ils ont fait du fait divers une lecture d’opinion. Donc ça se mélange tout le temps.

Mais la lecture du fait divers pour elle-même, elle est très différente de la lecture du journal d’opinion. La lecture du fait divers, c’est une lecture que je fais pour mon compte avec d’autant plus d’intérêt que [74 :00] je sais que le lisent aussi des personnes avec lesquelles je n’ai pas d’intérêt commun. Donc ce sont des personnes, des individus supposés dispersés, tandis que dans la lecture d’opinion, je fais masse avec des gens qui ont des intérêts communs, les mêmes croyances que moi, les mêmes intérêts que moi, etc. Et jusque-là, ça va en zigzag, entre des gens qui ne se connaissent pas, ne se connaîtront jamais, pourtant dont le degré de conviction est renforcé par la certitude que d’autres qu’eux lisent, et cet ensemble interactif tend vers un point problématique du type « qui c’est qui a pu faire ça ? », « qui c’est l’assassin ? », etc. Et vous verrez que tout change si vous transformez le fait divers en fait d’opinion. Si vous répondez « ah, c’est encore un gitan, évidemment », vous avez transformé le fait divers en… Et à ce moment-là, c’est tout à fait différent. [75 :00]

Mais, bon, je disais, le modèle de l’acte de parole, à ce moment-là, c’est quoi ? Je reprends, c’est le grand début — enfin ce n’est pas tout à fait le début — le grand début, le grand acte de parole au cinéma, et là où vous pouvez voir en quoi ça n’a aucun correspondant théâtral possible, c’est au début de M le maudit [1931]. Au début de M le maudit, je vous rappelle très vite, je vous l’avais déjà lu la dernière fois. Premier point : un homme fait la lecture à haute voix, acte de parole, d’une affiche de police, devant laquelle il y a foule.

Deuxième point : le même texte, le même texte, c’est-à-dire le même acte de parole, se poursuit sous la forme d’une annonce radiophonique, et cette fois-ci, les auditeurs n’ont aucun rapport avec ceux qui lisaient l’affiche. Ce n’est pas un « je »-« tu », comprenez, ce n’est pas du tout un [76 :00] « je »-« tu ». C’est la propagation, c’est la propagation d’un acte de parole, qui va à chacun de ces moments assigner des sujets transitoires, bon ; puis lecture à haute voix d’un journal dans le café, bataille dans le café ; puis un homme assailli dans la rue par un groupe en disant « c’est toi, on t’a vu regarder une petite fille », tout ça.

C’est ça, il me semble, l’acte de parole, en tant que doué — dans un espace donné, à condition de définir l’espace, dans un espace donné — doué d’une circulation et d’une propagation qui lui sont propres, et tendant vers un point de perception problématique : « où il est, où il est ? » ou « de quoi s’agit-il ? », [77 :00] « qu’est-ce qui se passe ? ». Je dirais, et en effet, la splendide séquence de Fritz Lang se termine par — après tous ces moments, vous vous rappelez, je vous l’avais dit — se termine par : on voit de dos l’assassin — c’est sa première apparition — on voit de dos l’assassin, en amorce, en retrait de l’écran. C’est la première fois qu’on a une vague impression, ça reste sous la forme ; c’est ça le point problématique. Bien.

Et je dirais que là il y a bien un acte de parole proprement cinématographique, et que c’est une différence fondamentale entre théâtre et cinéma. Ce qui signifie qu’au niveau cinématographique, [78 :00] moi je crois que la conversation doit être comprise à partir de la rumeur, et non pas à partir des personnes linguistiques. À partir de la rumeur, c’est-à-dire à partir du « on », et pas à partir des personnes linguistiques. Qu’est-ce que vous voulez faire au théâtre d’une rumeur ? Pas moyen. Pas moyen, sauf par des procédés très modernes, et qui dériveront du cinéma. On peut faire état d’une rumeur, ça oui, il y a toujours un « je » et un « tu » qui peuvent se parler d’une rumeur, mais constituer une rumeur, ça… C’est dès le début que le parlant dans le cinéma trouve sa matière, trouve sa matérialité sonore qui lui est propre.

Si bien que si vous considérez, je dirais, la même chose alors pour, passons à conversation, il y a deux manières de concevoir les conversations. Il y a deux manières de concevoir une conversation. Je dirais, c’est la même chose, [79 :00] vous la concevez théâtralement ou cinématographiquement. [Pause] Quand vous considérez une conversation théâtrale, qu’est-ce qui se passe ? Ben, c’est une succession de « je »-« tu », c’est-à-dire c’est une succession de relations entre personnes authentiques, linguistiquement authentiques, « je », « tu », « tu » devenant « je », etc. Et de ce point de vue, je dois dire que la conversation a toujours un contenu, même si ce contenu est insignifiant, même s’il est du type « il fait beau », et la conversation a toujours un intérêt, un intérêt pas forcément pour le spectateur, mais correspond à des intérêts des personnages, par exemple, une mère qui dit à son enfant « t’es-tu bien couverte aujourd’hui ? », [80 :00] parce qu’il pleut. C’est une certaine conception de la conversation.

Tout change si la conversation n’est plus comprise comme déroulement d’une succession de relations entre personnes linguistiquement qualifiées, mais si la conversation est considérée comme l’ensemble de ce qui vient à être dit, l’ensemble de ce qui vient à être dit dans un espace donné, l’ensemble de ce qui vient à être dit dans un espace donné où les interactions ne se feront pas entre personnes authentiques linguistiques, « je » et « tu », mais se feront entre individus supposés dispersés et indépendants, [81 :00] c’est-à-dire c’est B qui parle avec C qui veut pourtant riposter à ce que A disait à D. Là vous allez avoir un ensemble interactif.

Et, la revue Communications [numéro 30 (1979)] a publié un article très, très bon… non, un ensemble d’articles, un ensemble d’articles très bons sur la conversation. Et un des auteurs, un des participants qui s’appelle [Frédéric] Berthet disait, pose une chose très… pose la seule question possible à ce niveau. [L’article est « La conversation » ; voir L’Image-temps, p. 299] Si vous considérez l’ensemble de ce qui vient à être dit dans une conversation, sous-entendu indépendamment des contenus et des intérêts en jeu, quel sujet demi-fou est capable de proférer, quel sujet demi-fou [82 :00] est-il capable de proférer un tel discours ? C’est ce que je vous disais une fois, la schizophrénie comme modèle de la conversation, quoi. Il n’y a pas de conversation entre schizophrènes pour une raison simple, c’est que toute conversation est schizophrénique. Dans quel sens ? Bien oui, c’est difficile là. C’est toutes les histoires que je signalais très rapidement de ce sociologue allemand, là, [Georg] Simmel. C’est curieux parce qu’il essaie de dégager l’interaction pure, et il dit l’interaction pure, eh ben, elle surgit, la forme même de l’interaction, elle surgit lorsque vous pouvez faire abstraction des contenus et des intérêts sociaux. C’est ce qu’il appelle les associations de jeu, les associations ludiques. [Pause] [83 :00] Mais c’est très ambigu parce qu’il dira : c’est la conversation à l’état pur, ça. Il dira aussi, et retenez parce que ça va nous intéresser tout à l’heure pour le cinéma, c’est la démocratie à l’état pur. Car la démocratie suppose que les individus aient fait abstraction de leurs propres intérêts économiques, des contenus sociaux qui les caractérisent, pour entrer dans un jeu d’interactions purs. En ce sens, la démocratie, c’est la société des égaux. Et il ajoute — il ne se fait pas beaucoup d’illusions dans une démocratie — elle ne peut se réaliser que dans des sociétés de conversation.

Mais troisième point, il nous dira aussi bien, [84 :00] c’est un état de folie ou sinon de folie, c’est un état très curieux. Il citait encore une fois comme exemple la coquette. Qu’est-ce que c’est que la folie de la coquette ? La folie de la coquette, c’est qu’elle ne dit ni oui, ni non. Elle ne dit ni oui, ni non, elle s’offre en se refusant, etc. Qu’est-ce que ça veut dire, elle s’offre en se refusant ? Ça veut dire qu’elle a fait abstraction du contenu et de l’intérêt érotique, pour parler comme [Søren] Kierkegaard, et comme Simmel aussi. Elle a fait abstraction de tout contenu érotique, [Pause] car seul le contenu érotique — par exemple le désir de l’homme, l’intérêt érotique, le désir de l’homme — exige une réponse. Alors c’est oui, c’est non ? La coquette, elle est au-delà de la sphère du contenu érotique. [85 :00] Elle a atteint à la forme, la forme pure de la sociabilité érotique. La forme pure de la sociabilité érotique, c’est l’alternative, oui ou non, et elle maintient à la fois dans la forme pure l’alternative pour elle-même, et c’est ça la coquette. Bien.

Ça revient à dire quoi ? Ça revient à lier trois notions que j’avais appelé… La conversation comme interaction pure, au sens qu’on vient de définir, à condition qu’on ait fait abstraction de tout contenu formel. Alors à ce moment-là, des différences de classes, des différences d’intérêt, etc. À ce pôle, [86 :00] ça donne la démocratie, la société des égaux. [Pause] Mais là-dessus, dans la conversation, dès qu’arrive quelqu’un avec un contenu et qui exige son droit au contenu, tout vacille dans la folie, de tous les côtés. L’étranger arrive dans la conversation, comme disait [Isaac] Joseph, dont je vous disais qu’il s’occupe beaucoup de ces questions, malaise dans l’interaction. [Dans Le passant considérable (Paris : Librairie des Méridiens, 1984)] Malaise dans l’interaction, qu’est-ce c’est ? Alors on s’en sort, parce que… par une procédure d’expulsion, tout se déchaîne, les expulsions, les interdits, etc. Bon. Peu importe, on n’a plus le temps, c’est pour vous …

Or, qu’est-ce qui se passe ? Je dis, reprenons [87 :00] l’exemple puisqu’elle l’invoquait, la comédie américaine, ils n’ont jamais fait du théâtre. La comédie française, elle a fait du théâtre au cinéma. Pourquoi ? Parce que les Français, c’est ça qui a compromis le cinéma français, c’est le « mot d’auteur ». Et je crois que le mot d’auteur ne pourrait s’interpréter, ce qu’on appelle un « mot d’auteur », ne pourrait s’interpréter que dans la conception linguistique de l’acte de parole. « Moi je te dis », de telle manière que l’autre n’ait rien à répondre, et ce serait assez proche de la première conception, celle que l’on vient de récuser, comme théâtrale justement, et non cinématographique. Et la comédie américaine, ce n’est absolument pas ça. Il y a Claire Parnet qui à un moment elle travaillait sur — elle ajoutera peut-être quelque chose [88 :00] — elle travaillait sur la voix dans la comédie américaine, sur l’utilisation. [Deleuze indique ce détail dans L’Image-temps, p. 302, note 15

Or c’est très proche du début du parlant, dès qu’il y a eu le parlant, les premières grandes comédies américaines — je ne parle pas des comédies musicales, je parle de la comédie américaine — or qu’est-ce qu’on voit ? Filmer la conversation, filmer la conversation, mais sous quelle forme ? En effet, tout le monde parle à la fois, sauf celui qui n’est pas dans le coup, sauf celui qui maintient le contenu social ou l’intérêt social déterminé. Or celui-là, il essaie d’expliquer, mais il est balayé par le jeu des interactions. Ça va être le jeu des interactions. Et on pourrait en ce sens classer. Là je vais très vite, parce que c’est, mais ça pourrait nous faire — oui si on n’avait pas tant de choses à faire, ça nous ferait une séance [89 :00] — la comédie américaine est d’une telle richesse pour le cinéma.

Je dis, moi je ferais un classement en trois — mais là je vais très vite, hein ? — en trois grands, mais j’en oublie encore, trois grands. Remarquez toujours que le grand thème, c’est quoi ? C’est très curieux, là on va trouver tous nos thèmes. Ils sont très proches de la sociologie interactionniste qui se fait à la même époque. J’aime beaucoup ça, ces rencontres entre, pourtant, entre les grands interactionnistes américains et les grands de la comédie américaine. Il me semble qu’il y a des ressemblances très, très grandes. Qu’est-ce qui se passe ? Tout y passe, je veux dire, il y a un thème perpétuel de la conversation : il faut toujours que tout le monde parle, avec une loi comme, on pourrait dire, une loi de la bonne forme, à savoir [90 :00] parler avec le maximum de vitesse possible en fonction de l’espace donné, en fonction de l’espace donné. Et ça doit fuser de partout. [A ce propos, voir L’Image-temps, pp. 300-302]

Claire Parnet : On n’a que prendre… [propos inaudibles]

Deleuze : Ça, il est exemplaire, celui-là.

Parnet : [Propos inaudibles]

Deleuze : Même [Howard] Hawks, en effet, Hawks, c’est le génie de cela, puisque Hawks a toujours déclaré… Comment il faisait lui, quel était le seul principe qu’il suivait dans la comédie américaine ? C’était précipiter le tempo, forcer les acteurs à parler sur un tempo accéléré. Alors, avec Katharine Hepburn, il avait trouvé l’actrice de sa vie, ça c’est, c’est évident. Mais elle est formidable, tout y passe, dans un jeu d’interaction. Mais [Cary] Grant, lui, ce n’est quand même pas tout à fait la même chose, parce que Grant, c’est le pauvre type. [Dans ce qui suit, il s’agit du film L’Impossible Monsieur Bébé (1938, Bringing Up Baby)]

Parnet : [Propos inaudibles]

Deleuze : Enfin, en tout cas, il ne pourra pas en placer une, [91 :00] comme on dit, parce que lui, il a toujours un contenu ou un intérêt social déterminé. L’autre, au contraire, c’est une fille très riche, de très bonne famille, d’une insolence… C’est une fille de classe, de classe au sens de classe sociale, une fille qui appartient à sa classe, etc., qui s’en fout pas mal. Tandis que lui, il est à comment trouver l’argent pour mon diplodocus, pour mon [mot indistinct], pour mon, etc., si bien qu’il ne pourra pas parler, qu’il ne pourra pas dire un mot. Et elle, elle n’est pas amoureuse de lui ; c’est évident que non, elle n’est pas amoureuse parce que dans le monde de la sociabilité pure, dans le monde de l’interaction — comment dirais-je ? — ce sont les interactions et les excitations propres à l’interaction qui va décider si on tombe amoureux ou si on ne tombe pas amoureux. [92 :00] Ce n’est pas du tout l’inverse. Ce n’est pas parce qu’on est amoureux qu’on entre dans la conversation. Ça, tous les séducteurs le savent bien. Ce sont les jeux, ce sont les jeux de l’interaction et l’exaspération de l’interaction, l’intensification des interactions, qui va décider si on tombe amoureux ou pas. C’est ça la comédie américaine en fait ou pas. C’est son premier pôle.

Et son second pôle, c’est quoi ? La démocratie. La démocratie américaine. Il s’agit toujours de rappeler, même quand la fille la plus capricieuse du monde, que c’est malgré tout, le monde de vie américain, la grande démocratie, où chacun a sa chance. Et, dernier aspect, c’est la folie. À l’autre pôle, c’est la folie, [93 :00] à savoir la folie ordinaire d’une famille américaine, qui va être redoublée par l’intrusion d’un encore plus fou. Ça va être une grande formule de la comédie américaine. Alors avec tous les personnages de l’interactionnisme aussi, le clochard, le migrant, etc., qui reviennent au galop, pensez aux grands classiques, à Madame et son clochard [1938 ; Merrily We Live] … Quoi ?

Claire Parnet : L’alcoolique ?

Deleuze : L’alcoolique. Alors, admirez quelqu’un comme [Frank] Capra. Ça s’explique tout. L’œuvre de Capra, elle est très, très, très unitaire. Capra, il fait de grandes comédies, par exemple, du type Arsenic et vieilles dentelles [1944 ; Arsenic and Old Lace]. Ça, ça répond tout à fait, folie ordinaire de la famille américaine dans laquelle pénètre un fou encore plus fou. Bien. Mais c’est aussi le même qui fait la grande série Pourquoi nous combattons [1942-1945, Why We Fight ; sept films], [94 :00] sur la démocratie. Comédie américaine de la conversation, film propagande de la démocratie. Comment expliquer ça mieux ?

Eh ben, revenons à la comédie américaine. Si vous voyez quel jeu entre tous ces pôles, de la conversation à la folie, de la conversation à la démocratie, de la démocratie à la folie, de la folie à démocratie, etc., et tout ça en fonction des interactions, de l’acte de parole conçu comme interaction, ça me paraît… on pourrait, oui, proposer comme trois… Les grands auteurs de comédies américaines qui se font sur la conversation. Ce n’est pas facile encore une fois, puisqu’il faut assurer les bonnes formes, c’est-à-dire la vitesse de parole par rapport à l’espace manifeste, par rapport à l’espace… Ça c’est [George] Cukor, [95 :00] mais c’est avant tout Hawks, [Pause] c’est [Leo] McCarey. Cukor, oui, beaucoup. [Pause]

Et, il y a un autre cas, mais je n’ai pas le temps d’insister plus, ce serait trop long. Je pense que… à quelqu’un de très important dans notre littérature, à savoir Nathalie Sarraute, a fait une analyse de la conversation, splendide analyse de la conversation dans le roman, en découvrant et en disant que, de plus en plus, les romanciers s’apercevaient que la conversation était strictement inséparable d’un domaine qu’elle baptisait — là elle crée un concept pour ce domaine nouveau — qu’elle baptisait la « sous-conversation », et que toute conversation impliquait [96 :00] une sous-conversation. Et elle disait, le génie des romanciers anglais et américains, et certains américains, du début du vingtième siècle, c’est d’avoir fait surgir la sous-conversation. Alors, je n’y tiens pas ; pour ceux que ça intéresse, lisez un livre admirable de Nathalie Sarraute qui s’appelle L’ère du soupçon [Paris : Gallimard, 1956], où vous trouverez tout un chapitre « conversation et sous-conversation ». Et Nathalie Sarraute elle-même pense avoir conçu la sous-conversation dans ses propres romans, avoir amené la sous-conversation à un certain état romanesque.

Pour ceux qui aiment, par exemple, qui ont de l’admiration pour un auteur comme James, je cite un cas comme Henry James. Je cite un cas, un faux cas, j’invente, j’invente un dialogue de James. Dieu, quelle science du dialogue parce qu’il ne faut pas [97 :00] croire que ce soit facile à faire. « L’avez-vous remarqué ? », dit un personnage, « l’avez-vous remarqué ? ». Réponse : « comment voulez-vous que cela, je ne l’aie pas remarqué ? ». Réponse : « ah ! Parce que ça vous intéressait aussi ? ». Réponse : « n’était-ce pas convenu entre nous dès le début ? C’était l’essentiel », etc. Et ça peut durer trois pages. Ce n’est pas trois pages où on s’ennuie, et ce n’est pas trois pages où on fait du surplace. Tout un domaine, comment dire… L’implicite, ce qui est impliqué dans la conversation, les [98 :00] présupposés implicites de la conversation, mais dont, vous lecteurs, vous n’êtes pas encore au courant, dont vous deviendrez au courant, dont vous passerez au courant par une longue lecture qui est celle… Et où chaque phrase de James sera un enchantement, et où vous ne vous demandez même pas, même pas, de quoi il parle, tellement ça va se faire tout seul, tellement vous allez l’apprendre. Bien. Mais vous allez l’apprendre sous quelle forme ? Vous allez apprendre en même temps qu’il va vous faire voir quelque chose.

J’en reviens toujours à mon problème : perception visuelle problématique. Il faudra qu’à la faveur de ces interactions dans l’acte de parole, toutes les interactions pointent sur un point de perception visuelle problématique. Ou bien, il y a d’autres méthodes plus brutales. Nathalie Sarraute invoque un auteur très grand, [99 :00] une vieille dame anglaise, dans la littérature anglaise, c’est dans le Souvenir aux génies de la littérature, à savoir Ivy Compton-Bernett [Ivy Compton-Burnett] — Bennet ? Bernett ? Bennet ? Barnett ?

Quelques étudiants (y compris Parnet) : [Propos divers]

Deleuze : Complétez de vous-même… Enfin, madame, enfin madame Compton, [Rires] qui met sur le même plan, si vous voulez, l’arrière-pensée, ce qui est dit, et en même temps — j’exagère, je trahis. Il faut en lire un peu pour voir, le procédé qui est très… — elle fait affleurer ce que quelqu’un pense en même temps que ce qu’il dit, et elle le met à plat. Alors comme c’est généralement des discussions entre héritiers qui se haïssent.

Si vous tenez au cinéma, en gros, vous avez la même chose avec les [frères] Marx, du moins avec Groucho. [100 :00] Groucho avec la splendide héroïne des Marx, il n’arrête pas de faire la conversation et la sous-conversation. Il lui dit : « ah ! Comme vous êtes belle. Qu’est-ce qu’elle est moche, mais elle est riche ». [Rires] Bon, tout ça, il dit à plat, sur le même… Si bien que, l’actrice, qui est géniale, passe par des sourires et des « Oh ! », etc., puisqu’elle entend tout, elle entend et la sous-conversation et la conversation. Alors les Marx, eux, en effet, comme ce n’est plus de la comédie américaine, c’est du grand-burlesque, eux, ils ont pu passer à une expression totale de la sous-conversation.

Mais au cinéma, dans la comédie américaine, il y a quelqu’un qui est connu pour son art. Alors si je classais là les trois grands, Cukor, McCarey et surtout Hawks dans la conversation, c’est déjà… s’il y en a un qui a su faire surgir la sous-conversation [101 :00] à un point de finesse, etc., c’est bien connu, c’est [Ernst] Lubitsch. [Sur tous ces cinéastes, voir L’Image-temps, pp. 300-302] Et il y a ce qu’on appelle l’art propre de Lubitsch, le style de Lubitsch, c’est que, vous verrez, la conversation est toujours nourrie, complètement montée par une sous-conversation, qui généralement, rarement, dans de rares cas, c’est un des plus beaux cas de Lubitsch, n’échappe à aucun des deux, qui se parlent, et qui se comprennent très bien, mais plus généralement, échappe à l’un des deux. Il n’y en a qu’un des deux qui sait tout l’implicite de ce qui est en train d’être dit. Par exemple, vous prenez, je ne sais plus, le film où il y a mon acteur préféré…

Parnet : Angel.

Deleuze : C’est Angel [1937] ? Où Marlene explique à Herbert Marshall, mon acteur préféré — ce n’est pas une Marlène Dietrich, Herbert Marshall — elle explique à Herbert [102 :00] Marshall qu’elle va le quitter, qu’elle n’en peut plus de cette vie, et lui, lit le journal et prend ça comme une aimable plaisanterie, comme une taquinerie. Il dit : « tu vois, hein, c’est bien de se taquiner un peu, comme ça ». Bon, il ne comprend rien, mais en même temps, la conversation est de plus en plus chargée d’une sous-conversation. Ça c’est les méthodes de Lubitsch qui n’a pas d’équivalent français. Je crois même que dans le roman, à cet égard, il est l’équivalent d’un grand romancier.

Et puis, alors, il y a eu un fou incroyable. Pour moi, Capra, ce n’est pas le meilleur, mais c’est un fou, parce que lui, il ne s’est pas contenté de faire de la conversation l’objet du cinéma parlant, ni même de la sous-conversation. Lui, il a pris ce qui semblait le plus rebelle, à savoir le discours. Voilà qu’il s’est mis à filmer [103 :00] des discours, et des discours américains typiques. C’est-à-dire le grand discours de la démocratie, et il le fait dès ses comédies. Encore une fois, c’est évident que c’est le même qui fera Pourquoi nous combattons. Il le fait dès ses comédies. Il filme des discours, d’interminables discours, dans Monsieur truc au Sénat [1939, Monsieur Smith au Sénat], et dans John… dans deux films interminables d’ailleurs, qui sont durs, hein, enfin que les Américains, il faut être Américain, je crois.

Mais c’est un point que les autres ont touché, parce qu’il n’y en a pas beaucoup, même McCarey dans un film qu’on a redonné il n’y a pas longtemps, L’admirable monsieur Ruggles [1935 ; L’extravagant Mr. Ruggles (Ruggle of Red Gap)], là tout s’affronte, c’est très américain puisque dans la conversation, tout va s’affronter, [104 :00] les classes… Puisque les contenus objectifs ne comptent plus, les classes, les pays, les régions. Alors, affrontement de l’Amérique avec successivement la France, l’Angleterre. Dans L’admirable monsieur Ruggles, c’est l’Amérique qui règle ses comptes avec l’Angleterre. Dans le Lubitsch fameux avec Greta Garbo [1939, Ninotchka], c’est l’Amérique qui règle ses comptes avec l’URSS. Dans d’autres, je ne sais plus quoi, c’est l’Amérique qui règle ses comptes avec la France. Bon, il y a les régions, l’homme du Texas, il y a le migrant, il y a tout ce que vous voulez, il y a tout ça.

Mais ce que je voulais dire, c’est que… Bon, je ne sais plus du tout ce que je voulais dire. Ce que je voulais dire, vous voyez, c’est, bon, mais faire du discours l’objet propre du cinéma, ça suppose quoi ? Ça suppose que Capra, et [105 :00] à la même époque, je vous assure, les interactionnistes en sociologie découvraient quelque chose d’équivalent. Ils découvraient que le discours devait être étudié — Vous me direz, ça va de soi aujourd’hui ; ça a été à ce moment-là que c’est parti — le discours devait être étudié comme interaction avec le public, le discours politique comme interaction avec le public. C’est devenu pour nous aujourd’hui une évidence, et tous les hommes politiques le savent, et vous savez aussi qu’ils ont mis très longtemps à le savoir. Là aussi d’ailleurs, ce n’est pas sans liaison avec Hitler. Mais, les hommes politiques les plus démocrates ont appris que le discours, quand ils parlent eux-mêmes tous seuls à la radio, était une question d’interaction avec le public. C’est à ce niveau, je crois, que Capra se propose déjà de filmer le discours, et il donne cet objet à la comédie américaine. [106 :00] La comédie américaine aura filmé, tour à tour ou simultanément, la conversation et sa folie, la sous-conversation et ses haines, et le discours et sa démocratie.

Alors, bon, je voudrais dire encore, oublions tout ça un instant. Invoquons parmi les très grands auteurs — on oublie la comédie, la comédie c’est en effet un moment du parlant — j’y vois une confirmation, vous comprenez, l’acte de parole au cinéma, comme composante sonore, comme composante entendue, nous fait voir des interactions d’un type spécial, [Pause] [107 :00] des interactions d’un type spécial entre personnes, encore une fois, entre individus, pas personnes, entre individus supposés indépendants, dispersés, sans intérêt commun, etc.

Bon, prenons un des plus grands auteurs du parlant, [Joseph] Mankiewicz. Comme j’en ai parlé il y a un an ou deux ans, je ne voudrais là aussi pas revenir là-dessus, mais reprendre juste un point. [Voir les séances 7 et 18 dans le séminaire Cinéma 3, le 10 janvier et le 15 mai 1984] Je dis, chez Mankiewicz il y a deux actes de parole. Et là, c’est la première fois que nous voyons une seconde espèce d’acte de parole, puisque pour le moment, moi, contrairement à vous, je n’ai encore — mais je ne vais pas m’en tenir là — mais je n’ai encore qu’une catégorie d’acte de parole. Je le dis pour résumer un peu cette séance, je [108 :00] n’ai qu’une catégorie que j’appellerais les actes de parole interactifs. Et pour moi, ce sera la première espèce des actes de parole au cinéma, puisque ce qui m’intéresse, c’est les actes de parole cinématographiques. Je dirais, ce sont des actes de parole interactifs. Or chez Mankiewicz vous trouvez que tout est en acte de parole.

Une étudiante [celle qui avait posé les questions plus tôt] : Mais en acte…

Deleuze : Non, je ne peux pas, non je ne peux pas, ça va me faire perdre mon idée…

L’étudiante : Mais [mots inaudibles] aussi, on peut concevoir comme un acte de parole interactif…

Deleuze : D’accord, d’accord, je ne dis pas que j’ajoute, oh non je n’ajoute rien, moi. Je n’ajoute rien. Mais ça d’accord, tout y est là. [Longue pause] [109:00]

Ouais. Chez Mankiewicz, il y a une formule de [Jean] Douchet sur laquelle on ne peut pas revenir, à savoir : “Mankiewicz en personne, c’est la vertu cinématographique du langage” [Dans « Cinéma américain », Cahiers du cinéma, numéro 150 (décembre 1963) pp. 146-147]. Seulement, ce qui compte, c’est « cinématographique ». Qu’est-ce que ça veut dire la vertu « cinématographique » du langage ? Première dimension, tout est en acte de parole. [Pause] Deuxième dimension, je le dis tout de suite, parce que ça, ça m’intéresse, ces actes de parole pointent vers quelque chose de problématique dans la conception visuelle… [Interruption de l’enregistrement] [1 :49 :47]

Partie 3

… [quelque] chose qui fait problème, c’est quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Ou qu’est-ce qui vient de se passer ? [110 :00] Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui s’est passé à travers cet acte de parole ? Et toujours, là, je le… on l’avait tellement analysé il y a une année, je me rappelle que c’est une grande conception du temps alors qui appartient à Mankiewicz, toujours c’est une bifurcation. [Pause] Je veux dire, chez Mankiewicz, on pourrait maintenir la formule : l’acte de parole, entendu, fait voir dans l’image visuelle, une interaction. Seulement les interactions, chez Mankiewicz, c’est des bifurcations. Les interactions chez Mankiewicz — c’est comme ça qu’il dit — c’est la manière dont des individus bifurquent, c’est-à-dire, se détournent l’un de l’autre, sans même s’en rendre compte — c’est des bifurcations — ou se détournent du but qu’ils avaient. [111 :00] Il y a toujours une bifurcation ; ce qui définit l’interaction, c’est la bifurcation, l’acte de parole fait voir une bifurcation.

Exemple : dans celui qu’on a redonné à télé, là si vous voulez un exemple tout simple, il n’y a pas longtemps, comment il s’appelle ?

Parnet : On murmure dans la ville.

Deleuze : Ah, oui, On murmure dans la ville [1951 ; People Will Talk], On murmure dans la ville. Il y a le héros qui s’en va chez le père de la jeune fille, pour expliquer au père qu’elle est enceinte — le héros est médecin — votre fille est enceinte, il veut lui expliquer. Ça bifurque, et il se trouve en train de faire une déclaration d’amour à la fille et de lui demander le mariage, alors qu’elle n’est pas enceinte de lui du tout. Ça, c’est la bifurcation typiquement Mankiewicz, elle s’est faite à travers des actes de parole. Qu’est-ce qui se passe ? Acte de parole : [112 :00] avoir une interaction dans le champ visuel où quelque chose bifurque. Il y a une bifurcation qui fait mystère. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Il allait dire au père « votre fille est enceinte », et puis voilà qu’il dit à la fille : « épousez-moi ! » Ça ne va pas tout ça, non ! À la fois, ça devient plus sérieux, c’est Soudain l’été dernier [1959]. Bon, c’est un jeu d’acte de parole pointé sur quelque chose dans la perception [qui] fait problème : qu’est-ce qu’était le fils mort ? Qu’est-ce qu’il a fait ce fils ? Bon, ça bifurque, ça bifurque, bien, on apprendra successivement horreur sur horreur. Lorsqu’on sait bien que quand on a appris qu’il était [113 :00] homosexuel, ce n’est pas encore ça la vraie bifurcation. Il y a toujours une bifurcation derrière la bifurcation.

Alors ça donne quoi ça, ce second moment chez Mankiewicz ? Ça donne quelque chose de formidable, c’est que, en même temps, moi ce que je présente comme successif, c’est simultané. Ce que ça donne de formidable, c’est que comme ce que fait voir l’acte de parole actuel, est toujours problématique dans la perception visuelle, il faudra un deuxième acte de parole. Cette fois-ci, l’acte de parole « off », pour reprendre et découvrir ce qui était donné à voir, et vous aurez une circulation : de l’acte de parole interactif — première espèce d’acte de parole — à un point problématique de la perception [114 :00] qui ne peut être élucidé lui-même que par un second acte de parole, si bien que l’image visuelle sera entre deux actes de paroles : l’acte de parole interactif qui s’exerce sur elle, qui s’exerce plutôt en elle, l’acte de parole « off » qui s’exerce sur elle. Et ça fera une fantastique circulation qui sont les grands rythmes de l’œuvre de Mankiewicz. Si bien que déjà vous devez sentir qu’on est en train de tenir un deuxième, un deuxième acte de parole.

Alors je voudrais juste conclure parce que qu’est-ce que j’ai pris comme retard ! Réfléchissez à tout ça, vous verrez. Mankiewicz, ce serait très, très important à reprendre, et c’est dans ce sens que je disais l’année dernier — ou je ne sais plus quand, quand on s’est occupé de Mankiewicz — il y a une conception du temps : c’est le temps qui bifurque chez Mankiewicz. Jamais, il n’y a jamais de temps linéaire chez Mankiewicz. [115 :00] C’est exactement comment on dit pour un cheveu ? Fourchu ! C’est toujours, le temps, c’est un cheveu fourchu chez Mankiewicz. Le temps, il se définit par les instants de bifurcations. Alors ça fait, c’est une conception extraordinaire du temps ; c’est la conception du temps la moins linéaire que je connaisse au cinéma, celle de Mankiewicz, et c’est à cause de ce jeu, vous voyez ! [Sur ces bifurcations, voir L’Image-temps, pp. 68-75]

Ce jeu où finalement l’interaction des individus c’est toujours une bifurcation, ça marque toujours une bifurcation. La jeune fille dans « Soudain l’été dernier », un des chefs d’œuvre de Mankiewicz, la jeune fille découvrira qu’elle sert d’appât, bon, qu’elle sert d’appât à son cousin pour attirer les garçons. Mais qu’est-ce qu’elle a encore à découvrir à part ça ? C’est en premier, elle croyait vaguement que son cousin l’aimait. [116 :00] Bon, là ça fait une bifurcation dans, c’est les garçons, les garçons. Il y a quelque chose d’autre, il y a quelque chose d’autre, ça, elle pourrait le dire, elle pourrait s’y faire, mais il y a quelque chose encore plus atroce. Quoi ? Qu’est-ce que ça va être ? Et c’est dans la progression des actes de parole que, petit à petit, l’autre parole, la parole « off », va suggérer un quelque chose de tellement abominable, de tellement indicible que on ne peut pas le dire. Je vous le dirai volontiers si vous me donnez cinq sous, [Rires] mais enfin, et même si on le dit, même si on le dit, ça ne vaut pas. Il suffit d’aller voir le film, j’espère, pour comprendre. Eh bien, je voudrais terminer très vite.

Voilà ! Je recommence. Il n’y a plus [117 :00] d’image lue, sauf par simple résidu dans ce premier état du parlant, mais il y a composante sonore et parlante. Toutefois cette composante sonore et parlante, cette composante sonore et parlante est entendue. Il ne s’agit pas de dire quelle n’est pas entendue. Vous comprenez ce que je veux dire, c’est « en tant qu’entendue » qu’elle reste subordonnée à l’image visuelle. Elle reste encore subordonnée à l’image visuelle, parce qu’elle dépend des adhérences de cette image. Même en passant dans le hors-champ — ce que nous verrons la prochaine fois [118 :00] — elle ne peut pas faire oublier que le hors-champ est une dépendance du champ visuel, que le hors champ est visuel même quand il n’est pas vu. [Pause] Donc il faut dire que c’est une composante sonore de l’image visuelle, qui va faire « voir » dans l’image quelque chose de nouveau. En fonction de ceci, l’image visuelle devient comme lisible, c’est-à-dire acquiert une qualité nouvelle. Elle devient lisible « en tant que visuelle », lisible en tant que vue. Tandis que dans le muet, l’image lue elle était lue en tant que lue : c’était l’intertitre, c’est tout à fait différent.

Dernier point, [119 :00] je ne vais plus en pouvoir… [Pause] Aie, aie, aie ! … Il y avait un point essentiel ! ah oui !… Dernier point, on pourra dire aussi bien alors, de ce point de vue, que la composante entendue, que la composante parlante a trois propriétés, ou peut avoir trois propriétés. Elle fait voir — on vient de le développer — des interactions, des bifurcations, etc., saisies comme points problématiques dans une situation de circonstance. Je crois que ça problématise toute l’image visuelle, c’est pour ça qu’elle devient lisible l’image visuelle. Donc elle est elle-même, elle fait voir quelque chose. [120 :00]

Deuxième point, elle est elle-même vue ; l’acte de parole est lui-même vu d’une certaine manière. Qu’est-ce que je veux dire ? Eh ben, pensez au muet. Dans le muet, il y avait d’étranges et très émouvants équivalents de l’élément sonore. Je prends trois exemples : les jets lumineux, les jets de lumières violentes dans Métropolis de Lang [1927] qui valent d’une certaine manière pour des sirènes. Mais un cas plus beau, le coup de sifflet de la mauvaise femme, dans Aurore de Murnau [1927 ; Sunrise], [121 :00] on la voit siffler, et l’homme qu’elle détourne de son devoir, a à chaque fois un sursaut. Et l’image est splendide du sifflet au coup de sifflet, au sursaut du coup de sifflet qu’on n’entend pas, au sursaut de l’homme, l’image splendide et c’est une manière [Deleuze baisse la voix, quelques mots indistincts]. Tabou de Murnau [1931] donnera aussi ces espèces d’équivalences optiques du son. Mais là, qu’est-ce qu’on fait ? L’équivalence optique est gagnée dans la mesure où on donne une espèce de présentation, de représentation du chemin parcouru par le son. Par exemple, dans Murnau pour avoir indiqué le grossissement de l’appel du guetteur [122 :00] qui annonce l’arrivée du navire, il y a une série de gros plans successifs, ou bien il y a le trajet du projecteur de Lang. Bien.

Avec le parlant, c’est très différent évidemment, parce que cette fois-ci, c’est la voix, que l’on voit se frayer un chemin dans l’espace. C’est dans ce sens que je dis la voix se fraye un chemin dans l’espace, et on la voit, elle est vue [Pause], elle est vue. Pas toujours, vous me direz ; non, souvent la voix n’est pas vue. Elle est vue dans toutes les situations qui précisément sont non théâtrales et qui théâtralement seraient nulles, où elle rencontre des difficultés à se faire entendre, quand elle est couverte par d’autres bruits, et on verra que c’est le cas général au [123 :00] cinéma. Là, la voix est toujours couverte par d’autres bruits. À ce moment-là, la voix essaye de se frayer un chemin dans l’espace et en l’âme, c’est comme une espèce de vision de ce qu’on entend. On ne cesse pas de l’entendre, mais on voit ce qu’on entend.

M’ont touché en ce sens — mais il y aurait toutes sortes d’autres films — deux exemples que je veux donner très vite pour ceux qui se rappellent le film : La femme à abattre de [Raoul] Walsh [1951 ; The Enforcer] : il y a la situation du policier qui doit d’urgence prévenir. Il y a une jeune fille sur le marché, dans un marché ou dans un lieu public qui est poursuivie par des bandits. Il faut la prévenir d’urgence de se cacher tout de suite, de téléphoner et de trouver une cabine téléphonique et de prévenir la police de l’endroit où elle est puisqu’ils ne savent pas où elle est dans le marché. Et il y a l’inimitable voix de [Humphrey] Bogart qui est une voix très, très déjà, très [124 :00] neutre, très neutralisée, qui est une voix, on dirait, blanche, mais pas au sens de [Robert] Bresson, mais au sens d’une arme blanche. Il y a le policier, Bogart, qui prend, qui prend le micro et qui fait son discours au marché, et on voit la voix, on voit la voix, là diffractée, aller dans toutes les directions et atteindre la fille à cinq cents mètres de là, à quatre cents mètres de là, qui tout d’un coup se pétrifie. Là on voit la voix se frayer son chemin. Moi je dis, c’est une situation proprement d’acte de parole cinématographique.

Autre exemple encore plus, alors très connu, le [Alfred] Hitchcock : L’homme qui en savait trop [1956]. Lorsque le petit garçon est [Pause] [125 :00] emprisonné par les espions et qu’il est caché dans une chambre de l’ambassade où la maman décide de chanter, elle va chanter la pénible chanson « Que sera, sera », et seulement ce qui est réussi par Hitchcock, ce que Hitchcock n’a évidemment pas raté, ce que la caméra l’aide évidemment, mais on voit la voix. Elle hésite, elle prend un couloir, elle recule avec la caméra, et c’est vraiment la voix qu’on voit monter l’escalier, fouiller une chambre vide, etc., et enfin atteindre la bonne chambre, c’est-à-dire là où l’enfant l’entend, il a mis très longtemps à l’entendre. Là, Hitchcock n’a pas raté ce truc. Cette fois-ci, il ne s’agit pas, vous comprenez, de reconstituer l’entendu avec le chemin supposé parcouru par le son ; il faut filmer la parole comme quelque chose de visible. [126 :00]

Et là, Alain Philippon dans un film, dans un film dont j’aurai l’occasion de parler : Beyrouth la rencontre [1981] — c’est un très beau film — dit quelque chose qui à mon avis vaut pour tous le parlant. Alain Philippon dit, dans les Cahiers du cinéma [numéro 347 (mai 1983), p. 67] : « on voit véritablement la parole se frayer un difficile chemin au travers des ruines … il s’agit de filmer » — alors c’est cela qui m’intéresse – « il s’agit de filmer la parole comme quelque chose de visible, comme une matière en mouvement ». On ne peut pas dire mieux ! [A ce propos, voir L’Image-temps, p. 303]

Troisième et dernier point, enfin, comme cela a été dit, la voix à son tour, voit dans le premier stade du parlant. Non seulement elle fait voir, [127 :00] elle est vue, mais elle voit … donc on a tout ce qu’il faut. Qu’est-ce que c’est que la voix qui voit ? [Ici, Deleuze fait remarquer un son issu d’un des étudiants qui semble ronfler] — C’est Richard [Pinhas] ? … mais tu fais un bruit de bébé [Rires], de tout petit enfant ; je me disais, il y a un petit enfant là, et mon cœur déjà s’apitoyait, [Rires] mais enfin tu as passé l’âge de dormir comme ça, hein ?

Pinhas : [Propos inaudibles]

Deleuze : Eh ben oui, en effet, c’est la voix de lait… [Rires] Ahh, quelle honte ! Je me disais, eh bien, prends exemple, j’ai bien vu un petit garçon, je me disais, c’est lui qui a dû s’écrouler, [Rires] mais enfin…

Une étudiante : C’était au moment de « Que sera sera »…

Deleuze : Ah, c’est au moment de « Que sera sera », que tu as… c’est pourtant ta musique préférée, non ? [Rires] [128 :00] …

Alors bon, je termine, c’est la fameuse voix qui voit. Dans son livre sur La voix au cinéma [Paris : Éditions de l’Étoile, Cahiers du Cinéma, 1982] Michel Chion en fait une analyse très satisfaisante, et je vous renvoie à ce livre, mais justement ça nous permet de conclure. Bien, qu’est-ce qu’une voix qui voit ? C’est ces « voix » de toute puissance, de tout savoir et de tout voir. La voix qui voit, c’est la voix dans le Testament du Docteur Mabuse [1932], la voix qui sait tout, la voix qui peut tout, la voix qui voit tout. Mankiewicz en fait un très grand usage de la voix qui sait tout, qui voit tout, la voix du fantôme. Vous trouverez encore dans l’admirable [La] Splendeur [129 :00] des Amberson [1942, de Welles] vous trouverez encore une voix « off » qui sait, prévoit, voit, bon. Une voix voyeuse… la voix voyeuse, c’est typiquement, sans doute, une des premières fois où elle apparaît dans l’histoire du cinéma, ça doit être sans dans le Testament du Docteur Mabuse, je n’en suis pas sûr mais, bien.

Il analyse ça très bien, Michel Chion. Pourquoi ? Parce que vous comprenez bien que la voix qui voit tout, elle ne peut être que « off », elle, elle ne peut être que « off » sauf, sauf un cas où en effet, il y a un fantôme qu’on voit dans l’image visuelle même. Et pourtant il peut y avoir circulation. Dans le Testament du Docteur Mabuse, Michel Chion met très bien en jeu la circulation. [130 :00] Chaque fois, les héros croient que la voix est derrière le rideau, c’est-à-dire dans l’espace d’à côté, elle est déjà « off » Mais à ce titre, c’est encore une voix relative, elle est à côté. Ils ouvrent le rideau, il y n’a que des instruments qui reproduisent cette voix qui est toujours ailleurs. Cette fois alors, elle est dans un ailleurs beaucoup plus absolu, c’est dans ce sens qu’elle voit tout et sait tout. Et puis enfin, elle sera identifiée à quelqu’un dans le film, mais cette identification finale n’enlève pas le mystère ; il le montre très bien. Il n’enlève pas le mystère des deux autres voix, la circulation, voix “off” un, voix « off » deux, voix « in », tout y est, là, sans que un moment annule l’autre.

Alors il faut dire que [131 :00] c’est cette première conclusion à laquelle je voulais arriver : l’acte de parole, dans le premier état du cinéma, nous fait voir quelque chose, est lui-même vu, et voit lui-même quelque chose — c’est déjà vrai pour Mankiewicz — il voit quelque chose. À partir de ces données, qu’est-ce qui se passe ? Puisque nous savons que nous tenons déjà à l’issue de cette première analyse, nous tenons une seconde espèce d’acte de parole. Nous avons dégagé les actes de paroles interactifs, mais nous sommes sur le chemin d’un deuxième, d’une deuxième espèce d’acte de parole qu’on pourrait appliquer là par pure commodité : les actes de parole « réflexifs » [132 :00] — je peux, je vois, je sais tout, je me rappelle, [Pause] la voix du souvenir, la voix du commentaire, la voix etc. — qu’on grouperait là sous le terme, sous ce terme décevant de « réflexion » pour aller plus vite, les actes de paroles réflexifs.

Donc on en est là, mais la prochaine fois, je préviens que j’aurai, que j’aurai alors besoin de beaucoup d’aide parce que j’aurai à aborder le problème plus important du rapport avec musique.

Un étudiant : Ça sera quoi ?

Deleuze : … du rapport avec la musique. [Fin de l’enregistrement] [2 :12 :38]

 

Notes

For archival purposes, the augmented version of the complete transcription with time stamp was completed in September 2021. Additional revisions were added in February 2024 and February 2025.

Lectures in this Seminar

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Reading Date: October 30, 1984
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Reading Date: November 6, 1984
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Reading Date: November 13, 1984
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Reading Date: November 20, 1984
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Reading Date: November 27, 1984
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Reading Date: December 11, 1984
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Reading Date: December 18, 1984
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Reading Date: January 8, 1985
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Reading Date: January 15, 1985
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Reading Date: January 22, 1985
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Reading Date: January 29, 1985
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Reading Date: February 5, 1985
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Reading Date: February 26, 1985
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Reading Date: March 5, 1985
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Reading Date: March 12, 1985
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Reading Date: March 19, 1985
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Reading Date: March 26, 1985
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Reading Date: April 16, 1985
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Reading Date: April 23, 1985
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Reading Date: April 30, 1985
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Reading Date: May 7, 1985
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Reading Date: May 14, 1985
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Reading Date: May 21, 1985
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Reading Date: May 28, 1985
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Reading Date: June 4, 1985
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Reading Date: June 18, 1985
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April 16, 1985

Let’s try to see more clearly, namely, we pose the question: what does the speaking component “make” us see? See, we have two questions. It’s precisely, first question: how does the speaking component make us see something in the visual image? Second question: in what way does the visual image henceforth tend to become readable insofar as being visual? To me, the two questions seem clear — they may be false, they may be incorrectly stated, it will be up to you to say — … The answer would be … that the silent image, as we have seen, the image “seen” in the silent film, was composed, was a naturalized image, that is, one that presented structures, situations, actions and reactions to us. What is the hearing component going to show us in the visual image? It’s what we must call: interactions, interactions insofar as being interaction — interaction between visible things: the speech act, insofar as being heard, would make us see interactions, while the silent image was doomed to make us see only actions and reactions. This is at least one answer: what does the speech act make me see in the visual image? Answer: it makes us see interactions.

Seminar Introduction

As he starts the fourth year of his reflections on relations between cinema and philosophy, Deleuze explains that the method of thought has two aspects, temporal and spatial, presupposing an implicit image of thought, one that is variable, with history. He proposes the chronotope, as space-time, as the implicit image of thought, one riddled with philosophical cries, and that the problematic of this fourth seminar on cinema will be precisely the theme of “what is philosophy?’, undertaken from the perspective of this encounter between the image of thought and the cinematographic image.

For archival purposes, the English translations are based on the original transcripts from Paris 8, all of which have been revised with reference to the BNF recordings available thanks to Hidenobu Suzuki, and with the generous assistance of Marc Haas.

English Translation

Edited

F.W. Murnau’s The Last Man (aka The Last Laugh), 1924

[Please note that the order presented here of the 16 April 1985 session transcript varies significantly from the transcripts on the Web Deleuze and Paris 8 sites where the version posted reverses sections 1 and 2. The version’s order here is transposed to follow the recording: part 1 now starts after Easter break (and contains the awkward intervention by a student), ending on the topic of “le parlant”; part 2 starts on “le parlant” and ends on discussion of Simmel; part 3 starts with discussion of Simmel and ends with Deleuze dismissing class.]

 

One of the most peculiar of any session finds Deleuze contending with an intrusive female student who engages in a confrontational and quasi-amorous dialogue with Deleuze. Then he reviews many key points discussed before Easter break (cf. The Time-Image, chapter 9 part 1), proceeding again through the “seen” and “read” aspects of silent films. Then, asking what occurs when speech is no longer read but heard, Deleuze anticipates future discussion of post-World War II cinema by reflecting on television’s impact on filmmakers as their work becomes audiovisual. Considering speech and, more specifically, the speech act, as an auditory element as well as visual, Deleuze suggest that spoken components cause one to see something visual and how the visual image renders itself readable, a “something” Deleuze calls “interactions”. He returns to Benveniste’s use of “shifters”, undertaking an analysis of Lang’s “M” and identifying the movement of speech acts as a kind of wave form, the propagation or opposition or innovation of “waves of belief and desire”, with the interactions occurring within the wave movements in “M”. Deleuze closes with the themes of collaboration and degradation as interactive modes, comparing silent films (“Strike”, “The Last Man”) and first phase speaking films (“M”, “The Blue Angel”). Insisting that the speech act causes an interaction to be seen in the visual image, Deleuze concludes by establishing aspects of the auditory relationship with the image, at once visible and readable, as a focus for most of the remaining sessions.

 

Gilles Deleuze

Seminar on Cinema and Thought, 1984-1985

Lecture 18, 16 April 1985 (Cinema Course 84)

Transcription: La voix de Deleuze, Anselme Chapoy-Favier (Part 1), Sara Fadabini (Part 2), and Mauricio Martorell (Part 3); additional revisions to the transcription and time stamp, Charles J. Stivale

English Translation Forthcoming

 

French Transcript

Edited

L’ordre de la transcription ci-dessous suit rigoureusement l’ordre de l’enregistrement, en contraste avec l’ordre transposé des transcriptions correspondantes situées aux site de Paris 8 et Web Deleuze.

Gilles Deleuze

Sur Cinéma et Pensée, 1984-1985

18ème séance, 16 avril 1985 (cours 84)

Transcription : La voix de Deleuze, Anselme Chapoy-Favier (Partie 1), Sara Fadabini (Partie 2), et Mauricio Martorell (Partie 3) ; révisions supplémentaires à la transcription et l’horodatage, Charles J. Stivale

Partie 1

Vous rappelez-vous que, avant Pâques, on avait engagé une partie très générale sur le cinéma et le langage, et cette partie se divisait en deux : une, posant la question : le cinéma est-il une langue, ou même un langage sans langue ? Et nous avions été amenés à confronter notre point de vue avec des conceptions d’inspiration linguistique. Et puis, cet examen nous avait conduit à la seconde… au second aspect de cette partie, à savoir, les actes de parole au cinéma et le rôle de ces actes de parole. Alors, pendant les vacances, vous avez sûrement réfléchi à tout ça. [1 :00] Est-ce qu’il y en a pour qui il est nécessaire d’ajouter, ou de revenir sur des points ?

Un étudiant : Il est possible que la dernière fois, on n’était pas là, pas dans le cours avant Pâques.

Deleuze : Ah bon ? Il y en avait beaucoup qui n’étaient pas là ? Il n’y en avait qu’un ? Bon alors je vais… Mais ça va aller tout seul, oui, parce que ceux qui n’étaient pas là, ne peuvent pas savoir et ceux qui étaient là ne peuvent pas se rappeler puisque… [Rires] Donc tout va bien…

Je disais : voilà, voilà ce qui se passe… [Pause] Donc on en est sur : qu’est-ce que c’est que les actes de parole ? Est-ce que l’on peut parler d’actes de parole cinématographiques ? Et en quel sens « acte de parole » ? Vous sentez [2 :00] que ça va être une partie où on va être amené à déborder évidemment le point de vue des actes de parole ; notamment il faudra bien considérer que tous les actes de cette nature ne sont pas de « parole » forcément, mais qu’il y a des actes musicaux ; on va tomber dans ce problème inextricable de la musique de cinéma ou de la musique dite de cinéma, enfin bien des choses. On va tomber sur le problème des rapports généraux du sonore et du visuel dans l’image cinématographique.

Mais nous partions, donc là — rien que pour toi — nous partions d’un point de vue très élémentaire, à savoir, qu’est-ce qui se passe ? Comment se fait la répartition dans le muet ? Car encore une fois, [3 :00] le muet n’a jamais été « muet » comme cela a été dit plusieurs fois. Le muet n’a jamais été muet, puisque les gens, les personnes sur l’image dite muette, ne cessent pas de parler. Simplement on n’entend pas ce qu’ils disent. Bon. Mais ça, ça implique quand même une certaine distribution de l’image. Et il faut que vous l’ayez présent, bien présent à l’esprit parce que sinon, comme ce qu’on a à faire est très, semble assez… — je vous promettais que ça ne serait plus difficile, et en effet ça ne l’est plus difficile. — Mais ça exige que l’on progresse petit à petit. Et puis il y a pour moi des points encore si confus que vous corrigerez de vous-même.

Je dis, dans le cas du muet, vous avez bien deux images, [4 :00] mais quelles sont ces deux images ? [Pause] L’une sera dite « vue », et l’autre sera dite « lue » : l’intertitre. [Pause] Ces deux images sont visuelles. Je peux dire en gros : il n’y a pas d’image audiovisuelle. Objection immédiate que vous me ferez : dès le muet, il y avait commentaires ou, le plus souvent, musique, d’accord, d’accord, extérieurs à l’image. Il y avait un commentateur parfois, pas toujours, [5 :00] et plus souvent encore, il y avait une présence musicale, soit improvisée par un pianiste, soit même programmée. Mais, comme on dit, ça ne « venait » pas de l’image. Je dis que l’image pour elle-même nous présentait une image vue et une image lue ; ces deux images étaient visuelles.

Elles étaient visuelles en quel sens ? Il y avait deux sortes d’images visuelles : l’image vue et l’image lue, une fois dit que voir et lire constituent deux fonctions de l’œil. Je ne dis pas du tout que ce soient les seules, mais j’essaie d’ouvrir vers nos problèmes futurs : les fonctions de l’œil, ce serait intéressant de faire, la liste des fonctions de l’œil. Il y a bien autre chose que voir et lire. [6 :00] Par exemple, la voyance, si ce nom a un sens, être un voyant, ce n’est ni voir ni lire, c’est encore autre chose, hein ? Mais pour le muet, on reste comme ça : une image vue et une image lue. [Pause]

L’image vue, je dis, elle correspond, en gros, à ce que [Émile] Benveniste appelle le récit. Je ne reviens pas sur mon problème de la narration au cinéma, hein, tout ça, — je parle très, très… le plus simplement possible –, ce n’est pas du tout que je change d’avis, c’est que là je parle au plus simple ; je dis l’image vue nous présente un récit, [Pause] une [7 :00] histoire, sur le mode du « il », de la troisième personne, qui… [7 :11]

[Dès ce moment (jusqu’à vers la minute 16) une échange de plus en plus délicate commence entre Deleuze et une étudiante apparemment avec une intervention à présenter, dont le sujet semble être le cinéma du « second parlant » (c’est-à-dire moderne) et non pas le cinéma muet auquel Deleuze s’adresse au départ. Certains des propos sont peu compréhensibles à cause du placement des personnes]

Une étudiante : Vous parlez encore [du muet]

Deleuze: Ouais… Déjà…

L’étudiante: [Inaudible]… C’est le jour du cinéma deuxième parlant…

Deleuze: C’est le jour de ?…

L’étudiante : Deuxième parlant, c’est le cinéma muet, mais c’est le jour du deuxième parlant, du deuxième parlant, et aujourd’hui vous avez dit que c’est le jour du deuxième parlant. Alors le deuxième parlant arrive, et vous êtes là en train de parler encore [du muet]

Deleuze: [Rires] Je ne comprends pas…

L’étudiante : Vous étiez au premier parlant et encore, maintenant, vous voulez faire le deuxième parlant.

Deleuze : Non je fais le muet là ! [Rires] Je fais le muet, mais vous ne le remarquez pas.

L’étudiante : Alors je veux parler.

Deleuze: Vous voulez parler ?

L’étudiante : Oui.

Deleuze: Alors, parlez ! [8 :00]

L’étudiante : Mais dans la sémiotique pure ?

Deleuze : Non, pardon, vous me dites que vous souhaitez parler…

L’étudiante : Oui…

Deleuze : Je vous dis : « Eh bien, parlez » ; je ne peux pas vous dire de quoi vous allez parler.

L’étudiante : Ah oui… Alors… Je vais parler dans la sémiotique pure, parce que ça, c’est le langage que j’aime bien, efficace. C’est beau, c’est bien d’être dans la sémiotique pure parce que, bon, c’est une position tout à fait drôle parce que dans la sémiotique pure, comme ça, le positions sont tout à fait distinctes. Alors, je ne sais pas comment je pourrais commencer…

Deleuze: C’est bon, c’est bon. Vous vous mettez là… [Deleuze lui offre sa place]

L’étudiante : Mais non, mais non, je ne vais pas là ! Je ne vais pas là… [Réactions et rires parmi l’assistance]

Deleuze : [Il s’adresse aux participants] Je vous demande de ne pas rire parce que je sens que quelque chose se passe… [9 :00]

L’étudiante : Mais oui, ça c’est vos responsabilités, la sémiotique pure !

Deleuze : Ouais.

L’étudiante : Je vais parler ici.

Deleuze : Ouais…

L’étudiante : Oui si vous me laissez…

Deleuze : Oui, mais lâchez mes épaules [Rires ; apparemment l’étudiante s’est placée derrière Deleuze et le tient]

L’étudiante : Mais oui ! Mais oui !

Deleuze : Appuyez-vous là, vous serez beaucoup mieux !

L’étudiante : Mais non, non je ne veux pas votre place.

Deleuze : On va changer, on va changer…

L’étudiante : Non, non je ne veux pas votre place ! [Afin de se séparer d’elle, Deleuze se déplace]

Deleuze : Bon, alors vous vous mettez là, vous vous asseyez là. [Deleuze se lève, s’éloigne du micro] Vous vous asseyez là et vous serez très bien. Vous avez une idée ?

L’étudiante : Oui, j’ai une idée.

Deleuze : Alors très bien.

L’étudiante : Une idée…

Deleuze : Allez-y !

L’étudiante : C’est une idée philosophique, ce sera un peu difficile.

Deleuze: Très bien.

L’étudiante : Oui, mon idée, c’est : j’aime la vie et je t’aime.

Deleuze : Une bonne idée, oui…

L’étudiante : Oui, c’est joli hein ? Ce n’est pas mal, hein ? Parce que je ne sais pas si vous vous rappelez, Descartes, il disait : « je pense et donc je suis » ; moi ce serait tout à fait plus ça, [10 :00] je vis et je t’aime.

Deleuze : Hum… Alors en quoi est-ce de la sémiotique ? [Rires ; pause]

L’étudiante : Parce que je le sens…

Deleuze : Vous le sentez comme sémiotique ? [Pause]

L’étudiante : Non, non, maintenant vous commencerez à me faire l’entretien comme toujours, et alors vous m’arriverez à où vous voulez.

Deleuze : Ouais.

L’étudiante : Alors je ne veux pas d’autre traitement.

Deleuze : Bon…. Alors qu’est-ce que tu veux ?

L’étudiante : Vivre avec vous. [Rires ; pause]

Deleuze : Ah, vous ne seriez très malheureuse… Alors évidemment… [Pause]

L’étudiante : Parce que, ainsi on peut aussi solutionner toute la première partie de notre programme. Par exemple, tous les points que vous nous avez laissés [11 :00] sans réponse… Vous vous rappelez ? Alors… Je sais très bien ce que ça veut dire que la pensée vient du dehors. Ça, je le sais très bien. Vient de dehors, [mot inaudible], le corps y attire l’intériorité. Très bien. Après, la phrase « donnez-moi un corps ». Voilà. Un corps. « Donnez-moi un cerveau ». Voilà. Un cerveau. Donnez-moi un [mot inaudible], ça fait tout, je ne veux parler plus. [Ici, il s’agit de plusieurs phrases-clé présentées pendant l’année précédent, dans le séminaire Cinéma 3]

Deleuze : Oui, [Pause] mais ce n’est pas moi qui vais vous donner tout ça… [Pause] Vous allez le trouver toute seule, tout ça.

L’étudiante : Oui, [mot inaudible] parce que la parole est là comme un acte politique.

Deleuze : Oui… Et en quoi est-ce un acte politique ?

L’étudiante : Parce que je demande. [12 :00]

Deleuze : Oui, mais les demandes, ce n’est pas des actes politiques. [Pause] Un acte politique, à mon avis…

L’étudiante : [Propos inaudibles]

Deleuze : Il faut que vous y réfléchissiez, hein ? [Pause] Là, vous venez prendre la parole ici, et c’est des choses qui ne sont pas encore au point pour être dites. Il faut un peu encore les tourner dans votre tête. Il faut que vous réfléchissiez beaucoup avant de dire : « ‘je t’aime’ c’est un acte de parole » [Pause] [13 :00] et donc c’est de la sémiotique. » Il faut que vous y pensiez… Vous faites un travail ?

L’étudiante : Non, je voudrais, c’est ça, commencer le travail.

Deleuze : Vous allez commencer le travail là-dessus ?

L’étudiante : Maintenant, à partir de ce moment.

Deleuze : Oui, mais toute seule ? Vous n’avez pas…

L’étudiante : Mais non, comment toute seule ? Avec vous ! [Pause] Comment toute seule ?

Deleuze : Ce n’est pas comme ça qu’on travaille. On travaille toujours seul. Une fois que le travail est engagé, on se réunit, on demande…

L’étudiante : Mais oui, mais j’ai commencé aussi, c’est une partie de ma vie le travail [propos inaudible], c’est ça.

Deleuze : [Propos inaudible]

L’étudiante : L’acte de parole…

Deleuze : … l’acte de parole, mais il faut le faire [14 :00] à votre façon.

L’étudiante : Justement … [Propos inaudibles]

Deleuze : Que vous êtes… ?

L’étudiante : [Propos inaudibles]

Deleuze : Ce que vous faites maintenant comme travail, ça vous travaille. [Pause] Vous faites une déclaration que vous allez travailler [Pause] ou que vous avez travaillé, ce n’est pas du travail. [Pause] Voilà ce qu’il faut faire, écoutez-moi bien. Vous allez rentrer chez vous, et puis vous allez préparer quelques réponses pour la prochaine fois [Pause] et une manière de dire, [15 :00] de nous dire à tous, comment vous, vous concevez un acte de parole. C’est ça qu’il faut faire, et comme ça, on va travailler. Mais aujourd’hui, il ne faut pas rester. Voilà. [Deleuze commence à se lever] On se retrouve mardi prochain… [Pause]

L’étudiante : Au revoir !

Deleuze: Au revoir, à mardi.

L’étudiante : Comment concevoir un acte de parole ?

Deleuze : C’est ça. [Deleuze revient à sa place]

L’étudiante : C’est ça, le sujet…

Deleuze : Et en quoi ce que vous avez dit exactement, je ne sais plus quoi, « je t’aime » est un acte de parole…

L’étudiante : Ah oui, très bien…

Deleuze : En quoi c’est un acte de parole. [Pause ; on entend l’étudiante partir]

Deleuze : [Il parle très doucement] Je m’excuse auprès de [16 :00] vous, mais vous savez, il y a eu un temps, il y a eu un temps quand Paris 8 était à Vincennes, ou ce, ou ce type — certains d’entre vous le savent et l’ont vécu – où ce type de… Il y avait deux types d’intervention, une intervention brutale mais très raisonnable, et un type d’intervention parce quelqu’un allait mal. Je sais que cette jeune fille va mal en ce moment … [Interruption brève de l’enregistrement] [16 :37]

… quand on a fait des confidences, dans le temps j’avais beaucoup plus de dureté, plus de dureté, et beaucoup plus d’habileté. [Pause] En vieillissant, il m’est venu tellement de pitié, [17 :00] pas une pitié offensante, tellement de pitié que je me sens presque désarmé… Je croyais que c’était fini, que ça n’arriverait plus, hein ? [Pause]

Je dirais que la question de l’hospitalisation est toujours quelque chose de très, très délicat. Et il y a des cas où, je sais qu’il y a des cas où seule l’hospitalisation est bonne. J’espère que… j’espère que ce n’est pas, que le cas de cette demoiselle n’est pas, n’est pas là, mais j’ai des inquiétudes parce que cela a vraiment l’aspect d’une petite bouffée délirante. [18 :00] Alors pour tout vous avouer, parce que là je vous dois des explications, elle a débarqué chez moi cette semaine avec une proposition du même type. Donc, elle est en état de, elle est en état de crise. [Pause] Personne ne la connait ici ?

Une étudiante : Je l’ai vue quelquefois [mots inaudibles]. [Pause]

Deleuze : Vous la connaissez depuis longtemps ?

L’étudiante : Non, non. Je la connais depuis cette année justement.

Deleuze : Mais vous n’habitez pas au même endroit, vous ?

L’étudiante : Non, non.

Deleuze : Moi, j’ai le sentiment d’une espèce de — pour parler technique [19 :00] — d’une espèce d’épisode maniaque.

L’étudiante : Je ne sais pas, j’ai parlé avec elle…

Deleuze : Vous ne savez pas si elle a eu des dépressions déjà, ou…

L’étudiante : Non. C’est-à-dire [Propos inaudibles]. Elle a envie de vivre quelque chose, je la vois comme ça… Mais peut-être que [mot inaudible] cette activité, c’est justement le travail philosophique, moi je la vois comme ça. Et elle m’a dit qu’elle allait mieux aujourd’hui, justement…

Deleuze : Il n’y a rien d’offensant, ce qui me gêne dans ce que vous dites, c’est que vous ne semblez ne pas voir que c’est quelqu’un qui, provisoirement, est malade.

L’étudiante : Non, justement elle m’a dit qu’elle avait envie, qu’elle voulait prendre [20 :00] la parole et faire une intervention. C’est ça qu’elle m’avait dit.

Deleuze : Vous y croyez, vous ?

L’étudiante : Je ne sais pas. [Longue pause]

Deleuze : Vous ne savez rien, vous ne savez pas si elle est suivie ?

L’étudiante : Non, non. [Pause]

Deleuze : Bon. [Pause] [21:00]

L’étudiante : Vous savez que, pour moi, elle est [inaudible] en train d’écouter ou [inaudible], je le vois bien.

Deleuze : Elle écoute anormalement.

L’étudiante : Mais non, c’est-à-dire que son comportement, pour moi, est normal, mais… [Pause]

Deleuze : Son comportement n’est pas normal. [Pause]

L’étudiante : Mais ça m’étonne parce qu’elle ne m’a rien dit qu’elle est allée vous voir ; elle m’a téléphoné hier, et elle m’a dit : « demain je voudrais parler ».

Deleuze : Gardez-le comme secret.

L’étudiante : Oui, bon, si elle a envie de dire quelque chose. Elle m’a dit… [Propos inaudibles] [22 :00] … Je ne sais pas, moi, je le vois comme ça.

Deleuze : Vous êtes rassurante… Moi je ne le vois pas comme ça.

Un étudiant : [Propos inaudibles]

Deleuze : Oui, oui, oui, oui…

L’étudiant : Je veux dire que pendant tout le temps [23 :00] que je la regardais comme ça, ici parmi les autres, je remarquais qu’elle était complètement absorbée par ta personnalité, par ta présence, par exemple, qu’elle était complètement prise. Elle parle à toi de telle sorte que je ne sais pas pourquoi elle était là, elle n’a rien… [Propos inaudibles] Je ne dirais pas que tu t’étais [Propos inaudibles] sur elle, mais d’une manière que je comprends qu’elle te considère, comme beaucoup d’entre nous, et sans aucune flatterie, beaucoup plus jeune que nous. Tu as fait bien de lui parler très doucement de je ne sais pas quoi, et je comprends que tu es bien le contraire, et que toi, pour elle comme pour beaucoup d’entre nous, tu as donc l’air de faire tout à fait jeune que tu l’es [Propos inaudibles]… [24 :00] Bon, il me semble que vraiment, sans exagérer, il serait bien que tu parles quelque temps avec elle pour lui montrer que toi, tu n’es pas tout à fait jeune ! [Gros rires] Je le vois comme ça … [mots inaudibles à cause des rires] Non, c’est un problème… [mots inaudibles à cause des rires]

Deleuze : Seulement oui, il n’ y a qu’un inconvénient, c’est que cette tâche est celle d’un psychanalyste. [Pause] Alors en effet, même à supposer que le sentiment que tu dis soit partagé par une partie d’entre vous, ça n’empêche pas que cette salle est moyennement normale. [Rires]

Une étudiante : [Inaudible] [25 :00] C’est quelqu’un [inaudible] sentimental [inaudible] passionnée par [Inaudible] tu as parlé d’amour [Propos inaudible]… Il me semble qu’elle est sujette à des crises par rapport à ce qu’elle était avant, ou elle avait simplement une espèce d’exaltation philosophique.

Deleuze : Oui, oui, oui, oui exactement. Non, il y a un seuil qu’elle a franchi. Alors moi, je ne crois pas beaucoup, vous savez, même… pour vous ôter tout sens péjoratif à ce que je dis parce que, [26 :00] quel que soit le mot, même dans les scènes d’hystérie, la théâtralisation, ça explique peut-être quelque chose. [Pause] Je déteste ça, ça me remet dix, quinze ans en arrière.

Bon, eh bien… Reprenons. [Pause ; Deleuze tousse] J’ai peur qu’elle fasse quelque chose. [27 :00] Je veux dire, ça me paraît plus qu’un trouble dans les comportements d’action, qu’un trouble d’idées… Enfin je ne sais pas, je n’en sais rien… Oh là là ! Bon. Alors là-dessus, je ne sais plus ce que je voulais dire, moi.

Mais vous voyez, vous avez l’image vue, l’image lue, et c’est le domaine des images visuelles dans le cinéma muet. [Pause] J’ajoutais donc, l’image vue, assimilons là en gros, au niveau visuel, à ce que Benveniste dans ses études linguistiques appelle « le récit ». En effet, elle se fait à la troisième personne ; elle nous présente des événements. Vous sentez, c’est tout simple, c’est une mise, c’est une mise en… L’intertitre, l’image lue, lui, il renverrait à ce que dans sa linguistique, Benveniste appelle le discours, par distinction avec le récit. Un acte de parole est lu. [Pause] Ce n’est plus le domaine de la troisième personne « il ». Mais l’acte de parole, selon Benveniste, implique [29 :00] les deux premières personnes qui sont les seules vraies personnes. « Il » est une fausse personne selon Benveniste, — c’est très… on verra en effet, Benveniste a toujours fait une linguistique qu’on pourrait appeler personnaliste ou personnologique — vous voyez les deux seules vraies personnes, c’est « je » et « tu ». Et si le discours se distingue du récit, c’est parce que le discours met en présence un « je » et un « tu », qui s’expriment, là, par exemple, comme elle disait, sous la forme « je t’aime » ou « je vais te tuer ».

J’ajoute que [Pause] — et on l’a vu – [30 :00] que l’intertitre a beau marquer, par exemple « je t’aime » ou nous faire lire « je t’aime » ou « je vais te tuer », le fait qu’il soit lu et non pas entendu a de grandes conséquences ; à savoir : nous le lisons comme si le fait que nous le lisions, le fait tendre déjà vers un discours indirect. Je ne dis pas, m’étant servi souvent de cette fonction, — surtout pas de cette notion — je ne dis surtout pas un discours indirect libre. Je dis « un discours indirect » au sens classique du terme : discours indirect. Quand je lis l’intertitre « je vais te tuer », je le lis sous la forme « il dit qu’il va la [31 :00] tuer, le tuer. » C’est-à-dire qu’il n’y a pas de discours indirect ordinaire. Benveniste, bon, là aussi — si je m’accroche à lui un instant — a très bien prévu cette situation et montre comment le discours indirect, par différence avec le discours qui, lui, met directement en relation « je »-« tu », le discours indirect est comme une projection du discours vers ou sur le récit mais n’en garde pas moins son appartenance au discours. Il appartient au discours. Simplement il [32 :00] prend une forme où le discours devient combinable avec le récit. Le discours indirect, ce serait précisément cette fonction d’intégration du discours dans le récit. Tout ça est relativement clair.

Je vous disais, dès lors, le problème du muet — et surtout, ça, il ne faut pas le négliger, parce que, quand on se trouvera dans le cinéma moderne, on retrouvera ça — c’est : assurer l’entrelacement des deux images visuelles. Il n’y a pas d’image audiovisuelle dans le muet, si l’on laisse de côté pour le moment le problème du cinéma, de la musique d’accompagnement. Et la musique, encore une fois, on ne pourra l’aborder que plus tard. Donc, il n’y a pas d’image audiovisuelle. Il y a entrelacement de deux images visuelles, renvoyant à deux fonctions de la vue [33 :00] : voir et lire.

Ce qui est lu — j’insiste, pardon d’insister parce qu’on va avoir des résultats ensuite si surprenants, à mon avis, qu’il faut que j’insiste sur ces platitudes [Pause] — ces deux images sont distinctes : ce qui est vu n’est pas lu ; ce qui est lu n’est pas vu bien que l’œil opère dans les deux. Dès lors, je dis, le problème du cinéma muet, ça va être — sauf dans le cas où il supprimera le sous-titre ou les intertitres, ce qui arrivera dans un certain nombre de cas mais assez tardivement dans le muet [34 :00] — ce sera l’entrelacement des deux images visuelles : la vue et la lue. Et, je vais juste indiquer, quant à l’histoire du cinéma muet — alors ce serait une maigre contribution — mais je dis juste que, à ma connaissance, il y a deux manières d’assurer cet entrelacement, et que ces deux manières ont posé des problèmes esthétiques très importants.

Première manière : assurer de véritables blocs vus-lus, [Pause] et ce fut, il me semble, la grande manière soviétique, d’abord avec [Dziga] Vertov, ensuite avec [Sergei] Eisenstein. Et [35 :00] sur ce point, Vertov a raison, je crois, de considérer que Eisenstein lui a pris quelque chose, à savoir : cette manière dont Vertov réussissait, au début de son œuvre, de véritables blocs images vues-images lues. Ça peut s’accompagner de recherches graphiques très poussées, ou relativement poussées, par exemple, l’intertitre traitant sur fond liquide, lettre déformée, lettre grossissante, lettre diminuante … Prenez, je rappelle une fois de plus, l’exemple de Eisenstein : « frères, frères » dans Octobre [1927] où « frères, frères, frères » [36 :00] est écrit de plus en plus gros. [Deleuze indique qu’il s’agit plutôt du Cuirassé Potemkine (1925), dans L’Image-temps, p. 294] Je rappelais que les cartons de [D.W.] Griffith, si Griffith éprouvait le besoin de signer ses propres cartons, c’est que pas seulement il attachait de l’importance au contenu, il y avait une recherche graphique très importante chez Griffith. [Voir la correspondance directe de cette partie de la séance avec L’Image-temps, chapitre 9, partie 1]

Deuxième manière d’assurer l’entrelacement : ce sont des injections. On fera des injections d’écrits dans l’image lue, dans l’image vue, pardon. On fera des injections scripturales, des injections d’écrit dans l’image vue, par exemple, un cimetière avec des croix qui comportent des, des – je ne sais pas comment on appelle ça ? [Pause] [37 :00] Enfin, vous voyez, quoi — des inscriptions, avec des croix qui comportent des inscriptions, ou bien, une lettre. [Pause] Là, vous voyez que le cas est plus compliqué, mais que cette fois-ci, sur la même image, c’est une seule et même image visuelle avec deux sortes d’éléments : des éléments vus et des éléments lus, des éléments scripturaux. [Pause]

Voilà, sur ce point même — je concevrai toutes sortes de développements sur ces entrelacements et… — mais je vous citais un exemple, et un des meilleurs exemples, chez Buster Keaton. Je me demande même si chez Buster Keaton, ce n’est pas très fréquent, c’est très, très fréquent — par exemple, prenez dans le burlesque — c’est très fréquent qu’une affiche [38 :00] arrive dans l’image vue. Ou bien, pensez aux intérieurs, tout le problème des intérieurs dans le cinéma muet, des intérieurs pour présenter, en effet, des calendriers qui sont à lire, ou bien des légendes qui sont à lire. Je citais l’exemple des Lois de l’hospitalité [1923, Our Hospitality] de Buster Keaton. Voilà. Ça c’est mon point de départ.

D’où la question éclate, je veux dire la question que je voulais faire éclater, c’est : bon, qu’est-ce qui se passe quand l’acte de parole n’est plus lu mais entendu ? Je définirai le parlant de la manière la plus rudimentaire sous la forme [39 :00] : l’acte de parole cesse d’être lu et est entendu. [Pause] On a envie de dire immédiatement, ben, c’est tout simple ce qui se passe : l’image devient audiovisuelle. À mon avis, absolument pas. L’image cinématographique au premier stade du parlant n’est pas une image audiovisuelle. Pourquoi ? Si j’essaie même, pardon, d’éclaircir pour rendre pour vous les choses [40 :00] un peu plus faciles, à mon avis le cinéma ne deviendra audiovisuel que bien après, et, sous l’influence de la télévision. C’est la télévision qui rendra possible une image audiovisuelle. C’est pour ça que, pour moi, la coupure la plus importante dans le cinéma, pour moi et pour beaucoup d’autres, la coupure la plus importante dans le cinéma n’est pas le parlant. La grande coupure, c’est l’après-guerre, et comme par hasard, elle coïncide avec l’avènement de la télévision. On laisse de côté pour le moment en quoi l’image-télévision serait une image audiovisuelle. Ce que je remarque [41 :00] déjà, c’est que, pour moi, les rapports cinéma-télévision sont tout simples ; on les retrouvera, on les rencontrera plus tard, donc je m’avance là pour fixer des idées.

On les rencontrera plus tard sous quelle forme ? On parle toujours d’une espèce de crise : la télévision qui a tué le cinéma ou qui est en train de tuer le cinéma. Ça me paraît vrai et ça me paraît faux. Pour moi, le schéma est un peu plus compliqué : c’est que la télévision avait la puissance, a apporté la puissance d’une image audiovisuelle. Seulement cette puissance dans sa nullité profonde et dans son élimination de tous les gens qui avaient quelque chose à dire à la télévision, c’est-à-dire un moyen vraiment de se servir de la télévision, [42 :00] donc dans sa nullité profonde qui a des raisons, il y a des raisons, n’a jamais pu effectuer cette puissance. L’audiovisuel, c’était la puissance de la télévision, elle ne l’a jamais réalisée. Quand je dis « jamais », j’exagère. Supposons qu’elle l’ait rarement réalisée.

En revanche, le cinéma a saisi dans la télévision une puissance dont il n’avait pas eu l’idée et que, lui, allait se charger de réaliser. Lui, dans le second stade du parlant, il accéderait à une image audiovisuelle, que la télévision inspirait, mais que la télévision était incapable de remplir elle-même, de fournir elle-même. Si bien que les grands cinéastes d’après-guerre sont hantés par la télévision. Et si la télévision est ce qu’elle est aujourd’hui, si elle est en train de tuer [43 :00] le cinéma, c’est pour une raison très simple : c’est parce qu’un barrage fondamental s’est formé, qui a empêché les grands auteurs de cinéma de faire de la télévision.

Mais si vous prenez les grands auteurs de cinéma d’après-guerre, tous, tous, à ma connaissance, sont hantés par la télévision. Pourquoi ? Parce qu’ils découvrent grâce à la télévision la possibilité d’une image audiovisuelle. La télévision n’arrive pas à la faire ; eux cinéastes, ils savent la faire. Et ils trouveraient très normal d’en rendre l’hommage à la télévision puisque c’est là qu’elle se fait le mieux. Je cite quelques noms, dans ce qui est important, depuis la Guerre : [Orson] Welles, [Pause] [44 :00] [Alfred] Hitchcock, [Pause] [Roberto] Rossellini, [Jean-Luc] Godard, les Straub [Jean-Marie Straub et Danièle Huillet], toute leur œuvre… Je ne dis pas que toute leur œuvre soit faite pour la télévision, mais toute leur œuvre est faite avec un regard tourné vers la télévision. Il faudra bien se demander — on rencontrera ce problème — comment expliquer, par exemple, que la fin de l’œuvre de Rossellini soit une œuvre en grande partie télévisuelle. [Pause] Donc, je suppose, [45 :00] vous voyez, qu’il ne suffit pas que le cinéma soit parlant pour devenir audiovisuel. Le cinéma deviendra audiovisuel dans des rapports complexes avec la télévision, à mon avis, après la guerre. Mais il sera parlant, il aura été parlant depuis longtemps. [A ce propos, voir L’Image-temps, pp. 328-330 ; sur Rossellini, la croyance et l’art, voir L’Image-temps, p. 222 ; voir aussi la discussion sur Rossellini dans la séance 3, le 13 novembre 1984, aussi bien que l’entretien entre Rossellini, Éric Rohmer et François Truffaut dans le recueil La politique des auteurs (Paris : Champs libre, 1972 ; Editions Cahiers du cinéma 2001), pp. 80-110]

Et quand le cinéma sonore ou parlant s’établit, pourquoi est-ce-que l’image ne devient pas par-là-même audiovisuelle ? Le son est entendu, la parole est entendue. D’accord. [Pause] Mais à quel titre ? [Pause] Elle est entendue — et je ne dis pas encore pour le moment qu’elle soit vue, [46 :00] du moins pas encore, je ne le dis pas encore — je dis qu’elle est entendue, mais elle est entendue comme une composante spécifique de l’image visuelle. Elle est entendue dans l’image visuelle comme une composante spécifique de cette image. Elle n’est pas entendue comme une image sonore. Elle n’est pas entendue comme une image sonore de telle manière qu’on pourrait distinguer image sonore-image visuelle ; elle est entendue comme une composante spécifique de l’image visuelle, [Pause] c’est-à-dire comme une nouvelle dimension. Et comprenez bien, en tant qu’entendue en tant qu’elle est entendue, ou plutôt en tant qu’il est entendu, le sonore, [47 :00] le parlant apparaissent comme une dimension spécifique de l’image visuelle… Oui ?

Un étudiant: [Question inaudible]

Deleuze : Oui, pardon, oui, ce sera pour plus tard, si je le dis maintenant comme on est… Je fais des avances, tantôt j’ai raison, tantôt j’ai tort parce que ça engage… mais ce sera un problème : en quoi l’image télé est une image audiovisuelle et pas l’image cinématographique ? C’est un problème ça, que vous avez tout à fait raison de dire qu’il faudra le résoudre, il faudra dire en quoi…

Alors je dis : l’image sonore en tant qu’entendue est une dimension spécifique ou une composante de l’image visuelle, [Pause] [48 :00] c’est-à-dire une nouvelle composante, elle n’existait pas avant. Pourquoi ? C’est que, comme le dit très bien [Béla] Balázs — qui est un grand critique des débuts du parlant — comme le dit très bien Balázs — mais à ce stade, il ne présente pas l’autre stade — avec le parlant, il n’y a pas d’image sonore. [Sur Balázs, voir la séance 10 du séminaire sur Cinéma 1, le 22 février 1982, et aussi L’Image-temps, pp. 294-295] On ne peut absolument pas parler d’une image sonore. Le micro [Pause] n’est pas du tout un appareil à images, il n’y a pas du tout une image sonore… On fait entendre — le micro fait entendre — une voix : ce n’est pas une image sonore. [Pause] [49 :00] Le micro n’est pas du tout à l’oreille ce que la caméra ou même l’écran est à l’œil. [Pause] Le micro va mettre la composante sonore ou parlante dans l’image visuelle, mais il ne va jamais constituer une image sonore distincte de l’image visuelle.

Vous entendez ce que disent les gens que vous voyez. Ne me faites pas encore l’objection : et le hors-champs ? Là vous sentez tout de suite ce que je répondrai à l’objection, mais là aussi, je ne vais pouvoir le développer que plus tard, mais le hors-champs, il ne faut pas se faire d’illusion, c’est évident que c’est une dépendance de l’image visuelle. [50 :00] Le hors-champs est une appartenance, une dépendance de l’image visuelle. Donc, même si j’invoquais déjà — ce qui est trop tôt pour mon analyse — même si j’invoquais déjà l’existence de sons et de paroles hors-champs, ça ne changerait absolument rien au problème. Le sonore, le parlant sont entendus comme composantes de l’image visuelle.

Qu’est-ce que ça veut dire ça ? Eh bien, ça veut dire que… et ça ne vaut que s’ils nous « font voir » quelque chose, il faut que le parlant fasse voir en tant qu’entendu… je ne dis pas encore qu’il est lui-même vu. J’ajoute que plus tard, j’essaierai de montrer que le parlant, [51 :00] en fait, est vu, que la parole est vue, que le sonore est vu, mais pour le moment ce n’est pas mon objet. Je dis en tant qu’entendus, le parlant et le sonore, étant composantes spécifiques de l’image visuelle, donc nouvelles composantes, nouvelles dimensions de l’image visuelle, doivent nous faire voir quelque chose dans cette image.

Et qu’est-ce qu’il va nous faire voir ? Là, j’avance pour donner tout de suite mon schéma. Ce qu’il va nous faire voir, ça va nous donner bien du souci. Qu’est-ce que le parlant ? Qu’est-ce que le fait du sonore et du parlant nous fait voir dans l’image visuelle que nous ne pouvions pas voir dans le muet ? [Pause] [52 :00] Il fait voir quelque chose qui n’apparaissait pas librement dans le muet, [Pause] ou si vous préférez, si vous vous rappelez notre analyse de l’image muette, tout se passe comme si l’image vue sous l’action du sonore et du parlant était en quelque sorte « dénaturalisée ». [Pause] Quelle sera la conséquence ? Dans la mesure où le sonore et le parlant nous fait voir quelque chose – à supposer que ce soit vrai, je n’ai encore rien justifié de tout ça — à supposer que le sonore et le parlant, comme composantes spécifiques de l’image visuelle, nous fasse voir quelque chose dans l’image visuelle, il faudra dire, inversement, que [53 :00] l’image visuelle tend de plus en plus, en tant que visuelle, à être lisible. [Pause] Ce que le parlant va me faire voir dans l’image visuelle, c’est quelque chose de lisible ; l’image visuelle va tendre à devenir lisible pour son compte.

Là j’ai besoin, du coup, d’un petit schéma, parce que c’est, c’est ça qui m’intéresse. [On entend le bruit de Deleuze qui se déplace vers le tableau] Si je mets là ma situation visuelle, [Pause ; Deleuze écrit au tableau] j’ai : image vue-image lue, [54 :00] mais ce sont deux images. Situation du parlant : ce n’était pas une image sonore. Encore une fois, je ne vois pas une image sonore à ce stade ; je vois une composante auditive entendue, une composante auditive de l’image, de l’image visuelle. [Pause ; Deleuze écrit au tableau] À titre de composante auditive de l’image visuelle, le sonore et le parlant me fait voir quelque chose dans l’image. [Pause ; Deleuze écrit au tableau] [55 :00] Inversement, à mesure que la composante auditive de l’image visuelle me fait voir quelque chose dans l’image visuelle, l’image visuelle tend à devenir lisible pour son compte, en tant que vue.

L’acte de parole, en tant qu’entendu — j’insiste sur le « en tant qu’entendu » qui est essentiel — l’acte de parole en tant qu’entendu, me fait voir quelque chose dans l’image visuelle, laquelle image visuelle, dès lors, tend à devenir lisible en tant que visuelle. Tandis que tout à l’heure, dans le muet, l’image lue et l’image vue, [56 :00] l’image lisible et l’image visuelle, c’étaient deux images distinctes. Là ce sera en tant qu’image visuelle qu’elle tend à être lue, et ce sera en tant qu’entendue, que la composante auditive fait voir quelque chose dans l’image visuelle. Mais ce qu’elle fait voir dans l’image visuelle ; ça va être en même temps le mouvement par lequel l’image visuelle tend à devenir lisible, lisible en tant que vue. [Deleuze semble revenir vers sa place] Je veux dire, logiquement, je me sens sûr de moi, mais c’est pour ça que j’ai voulu placer ce schéma. Je ne sais pas si c’est intelligible ou complètement inintelligible, on le laisse comme ça. Vous comprenez un peu ou pas du tout ? Je veux dire, pas [57 :00] comprendre au sens de me donner raison, mais comprendre au sens de… ? On va voir puisqu’on va passer à du concret. J’y reviendrai. Bien.

Admettons, le micro ne constitue pas une image sonore. Ça c’est acquis. Bon. Mais le parlant et le sonore avec le micro forment une composante auditive de l’image visuelle et, à ce titre, me fait voir quelque chose dans l’image visuelle. Encore une fois, c’est ce quelque chose, voyez, c’est une circulation parfaitement. Conceptuellement il me semble que ça tient. Ah oui, c’est l’essentiel, je pourrais m’arrêter là. Et parallèlement, ce qui est ainsi vu dans l’image visuelle, sous l’effet de l’acte de parole, va entraîner l’image visuelle à devenir lisible en tant que visuelle. [58 :00] Voyez la différence énorme avec le cinéma muet, où, encore une fois, la lecture s’adressait à l’image lue par différence avec l’image vue, tandis que là, c’est l’image vue qui va tenir, qui va tendre pour son compte à devenir lisible. D’où ce paradoxe d’une image lisible en tant que visuelle. Donc je dirais, du muet aux premiers stades du parlant, il y a une redistribution totale… [Interruption de l’enregistrement] [58:46]

Partie 2

[Deleuze est revenu à sa place] … Essayons d’y voir plus clair. À savoir, on tient la question : qu’est-ce que [59 :00] la composante parlante nous fait voir ? Voyez, nous avons deux questions. Exactement, c’est, première question : en quoi la composante parlante nous fait voir quelque chose dans l’image visuelle ? Deuxième question : en quoi l’image visuelle, dès lors, tend-elle à devenir lisible en tant que visuelle ? Pour moi, les deux questions paraissent claires ; elles sont peut-être fausses, elles sont peut-être mal posées. Ce sera à vous de le dire. [Pause]

La réponse, ce serait, si je donne tout de suite ma réponse — ça doit être tellement compliqué ; je  ne croyais pas que c’était tellement compliqué, [60 :00] dans ma tête c’est moins compliqué que ça ; comment cela arrive, je ne sais pas — ma réponse, je la donne de suite pour que vous suiviez : c’est que l’image muette, on l’a vu, l’image vue dans le muet, était composée, était une image naturalisée, bon, c’est-à-dire qui nous présentait des structures, des situations, des actions et des réactions qui en découlaient. Ce que la composante auditive va nous faire voir dans l’image visuelle, c’est quoi ? C’est ce qu’il faudrait appeler des « interactions », des interactions en tant que l’interaction, l’interaction entre choses visibles. L’acte de parole, en tant qu’entendu, nous fait voir [61 :00] des interactions, tandis que l’image muette était condamnée à ne nous faire voir que des actions et réactions. [Pause] C’est au moins une réponse : qu’est-ce que l’acte de parole me fait voir dans l’image visuelle ? Réponse : elle nous fait voir des interactions. [Pause] Soit, admettons, ne serait-ce qu’en fonction du mot, que l’interaction ne soit pas la même chose qu’un ensemble action-réaction.

Ben, qu’est-ce que c’est qu’une interaction ? [Pause] Revenons à Benveniste — [62 :00] ce serait une hypothèse, il nous donne au moins une hypothèse — Benveniste nous dirait : une interaction, c’est une relation entre les deux personnes authentiques : « je » et « tu ». [Pause] Ce qui implique quoi ? Ce qui implique que l’acte de parole soit défini par les personnes. Et en effet, pour Benveniste, un acte de parole est défini par les deux premières personnes qu’il appellera [« sui-référentiel », voir le paragraphe suivant] … [Interruption de l’enregistrement] [1 :02 :58]

[63 :00] … ou que les linguistes appellent plus généralement « shifters », shifters — vous corrigez mon anglais – shifters [Deleuze prononce le mot à la française, « sheef-taire »; là on reconnaît les âmes innocentes, ce n’est pas mal ce que je dis, les âmes innocentes qui sont restées pures de toute linguistique… — Alors, gardons « sui référentiel », mais c’est la même chose : qu’est-ce que « je » ? « Je », c’est celui qui dis « je ». [Pause] Vous voyez en quoi ? « Je », c’est celui qui remplit l’instance d’énonciation en disant « je ». « Je » en ce sens est « sui-référentiel ». [Pause] [64 :00] C’est en ce sens que Benveniste dit : « je » et « tu » sont les deux seules personnes authentiques, puisque « je » et « tu » sont sui-référentiels, tandis que « il » ne l’est absolument pas. [Sur le « sui-référentiel », voir Benveniste, Problèmes de linguistique générale (Paris : Gallimard, 1966), p. 263, 274]

Donc Benveniste pourra définir l’acte de parole comme l’interaction entre deux termes sui-référentiels. Par-là, il se donne les personnes, et c’est par les personnes qu’il définit « acte de parole ». [Pause] Et en effet, [65 :00] pour ceux qui n’ont pas du tout fait de linguistique, je vous rappelle que, à peu près en même temps, le linguiste [J.L.] Austin et le linguiste Benveniste tombent sur ce problème de l’acte de parole qui consiste en quoi ? Eh bien, comment définir l’acte de parole ? Il y a acte de parole au sens au plus étroit lorsque [Pause] je fais quelque chose en le disant, lorsque je fais quelque chose en le disant. Faire quelque chose [66 :00] en le disant : si je dis « fermez la fenêtre », je ne fais pas quelque chose en le disant. Si je dis « je me promène », je ne me promène pas en disant « je me promène ». Si je dis « j’ouvre la séance », j’ouvre la séance en disant « j’ouvre la séance ». Si je dis « j’ordonne », j’ordonne en disant « j’ordonne ». Il y a donc des actes que je fais en le disant, en les disant et du simple fait que je les dise. Si je dis « je vous promets d’être plus clair la prochaine fois », peu importe que ce, ce soit une fausse promesse ou pas, je fais une promesse en disant « je [67 :00] promets ».

Voyez pourquoi à partir de là, Benveniste dira qu’un acte de parole renvoie aux deux personnes authentiques, prises dans leur sens authentique, et il sera même amené à dire que « je me promène », là, le « je » est un ersatz de la personne parce que, si je dis « je me promène », le « je » est homogène à un « il ». Ce n’est donc pas une vraie personne. Lorsque que je dis « j’ordonne », « je t’ordonne de te taire », [Pause] [68 :00] je fais un acte en disant « je t’ordonne ». Je fais un acte. Et cet acte, bon, je ne le fais pas quand je dis « il ordonne ». Si je dis « il déclare la séance ouverte », si je dis « je déclare la séance ouverte », trois petits points, c’est qu’il faut qu’il y ait une condition, la séance est ouverte du fait que je dis « je déclare la séance est ouverte », je fais quelque chose en le disant. C’est ce qu’Austin appellera le perlocutoire — non, qu’est-ce que je dis ? — l’illocutoire, l’illocutoire. L’acte de parole est illocutoire. [Pause] [69 :00] — Non, d’ailleurs, je me trompe ; ah, oui, oui, oui, nous n’y sommes pas encore parce que justement je voulais éviter de passer par les conséquences de l’illocutoire, pardonnez-moi. — C’est ce qu’Austin appelle le performatif, le performatif : « j’ordonne », « je promets », « je déclare la séance ouverte », etc.

Je dis donc : l’acte de parole est défini par la présupposition des personnes saisies dans leur authenticité linguistique, c’est-à-dire saisies comme des sui-référentiels. Voyez ? Évidemment il y a toutes sortes de difficultés — là je ne veux pas insister — il y a toutes sortes de difficultés parce que comment expliquer [70 :00] notamment qu’il ne suffit pas de dire « je déclare la séance ouverte » pour que la séance soit ouverte ? Il faut que ce soit quelqu’un de qualifié, de socialement qualifié. Il faudra que Benveniste explique ça : il faut que la personne « je » qui dit « je », soit source de l’obligation. Bon. [Pause] là, Benveniste est très rapide parce que là, ça concerne la sociologie, ça concerne le domaine sociologique, mais qui sont quand même très important pour la linguistique puisque, en effet, tous les verbes, tous les verbes à la première personne, ne sont nullement des performatifs. Encore une fois « je me promène » n’est pas un performatif. En tout cas, c’est seulement dans le performative que les personnes « je », « tu », [71 :00] effectuent leur hétérogénéité avec le « il », avec la troisième personne. [Pause]

Moi je me contente d’insister sur : d’où vient cette source d’obligation sociale ? Bien, pour ceux que ce problème intéresse, il y a une très longue discussion du linguiste [Oswald] Ducrot, dans un très beau livre Dire et ne pas dire, édition Hermann [1972], une très longue discussion de Ducrot avec Benveniste, d-u-c-r-o-t. Moi, pour des raisons, je n’ai pas envie, ce serait toute une séance qu’il nous faudrait, [72 :00] je me dis, vous voyez, l’acte de parole, ce n’est pas possible de le définir par une « personnologie linguistique ». Je n’invoque même pas cette histoire de la nécessité de faire intervenir une source d’obligation sociale. Je voudrais insister sur un autre aspect ; je voudrais insister sur un autre aspect que celui souligné par Ducrot.

Je dirais qu’il me semble que l’acte de parole est fondamentalement quelque chose qui circule, qui se propage. Je veux dire : il est en mouvement, ce qui nous arrange pour le cinéma. En effet, c’est un cas de mouvement. [Pause] Et le « je »-« tu », moi [73 :00] je n’y verrais pas une donnée première ou un présupposé de l’acte de parole. J’y verrais une conséquence du fait qu’il y a circulation de l’acte de parole. [Pause] À quelles conditions ? Comprenez qu’en disant ça, je m’engage à quelque chose. Car si je disais : oui, il y a circulation de l’acte de parole entre un « je » et un « tu », ça n’irait pas du tout. Je reviendrais exactement à la thèse de Benveniste. Je ne dis pas qu’elle soit mauvaise, peut-être que c’est lui qui a raison, hein ? Et si je disais l’acte de parole — suivez-moi bien — si je disais l’acte de parole circule et se propage, il se meut, [74 :00] mais il se meut entre un « je » et un « tu », je n’ajouterais strictement rien à la thèse de Benveniste, et je pourrais dire Benveniste a raison.

J’étais en train de dire, moi, je vois un autre point de vue que celui de Benveniste, ce qui signifie que si l’acte de parole est présenté comme circulant et se propageant, il doit circuler et se propager non pas entre personnes déjà reliées par le « je »-« tu », mais entre personnes quelconques, non liées, indépendantes, isolées. [Pause] [75 :00] À ce moment-là, il y aurait interaction. L’interaction serait donc non pas la relation entre personnes préexistantes, ne serait-ce que linguistiquement ; l’interaction serait la relation entre personnes isolées, indépendantes, distantes.

Vous direz, mais ce n’est pas possible ça. Prenons un cas. Petit (a) raconte une histoire à petit (b), dans le marché, dans un marché, là, dans une boutique. Petit (a) raconte une histoire, histoire à petit (b). [76 :00] Et puis petit (b) raconte la même histoire, grossie, déformée, un peu transformée, à petit (c). Vous me direz, n’empêche qu’il y a une personne commune pour assurer la propagation ; évidemment ce n’est pas ce qui m’intéresse. Ce que j’appelle interaction, c’est la relation entre (a) et (c), c’est-à-dire entre les deux personnes comme isolées, distantes, etc. Qu’est-ce qui s’est passé entre ces deux personnes qui ne se connaissent pas ? Il ne s’est pas seulement passé quelque chose entre (a) et (b), entre (b) et (c). Il s’est passé quelque chose entre (a) et (c). C’est ce qu’on appellera la propagation d’une [77 :00] rumeur. C’est très intéressant, une rumeur.

Est-ce que c’est par hasard que le cinéma parlant s’est beaucoup intéressé à la rumeur ? Moi je crois qu’il n’y a jamais eu le moindre danger de la confusion entre le parlant et le théâtre. Pour s’intéresser à des phénomènes de rumeur, le théâtre est très, très incapable. Je prends trois grands films : Toute la ville en parle [1926 ; The Whole Town’s Talking] de [John] Ford, et les termes anglais, je n’ose pas les dire parce que j’en ai assez de vous faire rire. Là c’est strictement la traduction pour une fois, ce n’est pas la traduire, et puis [78 :00] le titre français est une véritable traduction. Toute la ville en parle, de Ford. On murmure dans la ville [1951 ; People Will Talk] de [Joseph] Mankiewicz, et surtout dès le début du parlant, on va revenir là-dessus, un incroyable chef-d’œuvre, M le maudit [1931 ; Fritz Lang], et la rumeur, la propagation de la rumeur, entre personnes indépendantes dans M le maudit . [Sur l’interaction et la rumeur dans ces films, voir L’Image-Temps, pp. 294-296]

Qu’est-ce que veut dire la propagation de la rumeur entre personnes indépendantes ? Noël Burch, excellent critique, qui s’est beaucoup intéressé à Lang et notamment à M le maudit , donne le résumé suivante de cette séquence. [La référence à Burch qui suit se trouve dans Cinéma, théorie, lectures, éd. Dominique Noguez (Paris : Klincksieck, 1973), p. 235 ; voir L’Image-temps, p. 296] Je vous demande de bien l’écouter ; je numérote, moi je la numérote, lui ne la numérote pas puisque… [79 :00]

Premièrement, « un homme fait la lecture à haute voix d’une affiche de police devant laquelle une foule s’est assemblée », « un homme fait la lecture à haute voix d’une affiche de police devant laquelle une foule s’est assemblée ». Il y a déjà quelque chose qui m’intéresse beaucoup là-dedans. L’image nous montre une affiche. Dans le muet, qu’est-ce que j’aurais ? Ce serait typiquement ce que j’appelais tout à l’heure « une incrustation ». [Deleuze n’a pas encore employé ce terme] J’aurais « incrustation » d’une image lue dans l’image vue. Pourquoi Lang éprouve-t-il le besoin que l’homme fasse la lecture à haute voix ? [Pause] [80 :00] C’est essentiel. Le cinéma parlant, dès ses débuts, reprendra le vieux procédé du cinéma muet : incrustation écrite dans l’image vue, incrustation à lire dans l’image vue, par exemple, les images des manchettes de journaux, du journal en train de se faire. Mais vous remarquerez, je ne dis pas dans tous les cas, mais dans la plupart de cas, le cinéma parlant se récupère parce qu’il y a toujours une voix parlante, une composante auditive pour reprendre l’inscription et pour la transformer de lue en entendue. Par exemple, le journal est évité, donc c’est une image lue [81 :00] dans l’image visuelle, mais il y a tout de suite les marchands de journaux qui se mettent à courir en criant la nouvelle de la manchette. C’est comme si, reprenant le vieux procédé du muet, le parlant éprouvait absolument le besoin de le réinvestir dans l’entendu. Donc c’est le premier stade. [Pause] Un homme fait la lecture à haute voix devant une affiche de police devant laquelle une foule s’est assemblée.

Deuxièmement : « le même texte se poursuit sous la forme d’une annonce radiophonique [d’abord, puis sous la forme de la haute lecture d’un journal] dans le café qui sert de cadre et où les clients surexcités finissent pour en venir aux [82 :00] mains ». [Pause] Voyez, ça c’est le second segment : la radio, cette fois-ci donc une source sonore, dans le café, qui lit le communiqué. Mais on l’entend. Et les gens se battent dans le café, se disputent. Les clients surexcités finissent pour venir aux mains.

Troisièmement : un des types qui a été battu, accuse son assaillant d’être « un souilleur de réputation », troisième niveau. Voyez, la propagation de l’acte de parole et la transformation de l’acte de parole, et là, sur son circuit, sur son circuit entre personnages isolés [83 :00] les uns des autres et indépendants, c’est ça qui m’importe.

Quatrième, non, « cette phrase par laquelle la scène s’interrompt, rime » … ah ben oui. Quatrièmement : donc il y a la victime qui vient de dire à l’autre « tu es un souilleur de réputation », nouveau stade, « cette phrase par laquelle la scène s’interrompt rime avec ‘quel diffamateur’ » — quel diffamateur, nouvel avatar de l’acte de parole — « lancé par un homme dont la police fouille l’appartement sur la foi d’une lettre anonyme » — à nouveau, l’élément scriptural.

Donc là, c’est à nouveau, personnage complètement indépendant, dénoncé par… Voyez, il y a eu l’affiche, [84 :00] non seulement lue mais dite à voix haute, entendue. Ensuite il y a eu la radio et la scène du café ; ensuite il y a eu la police qui fouille l’appartement sur la foi d’une lettre anonyme, tous ces segments sont indépendants. « Enfin, lorsque cet homme, injustement soupçonné » — dont on fouille l’appartement – « avance que le tueur pourrait être n’importe qui dans la rue, cette réplique introduit le dernier épisode de la série : quelqu’un [un quidam] se fait malmener par la foule à la suite d’un malentendu tragique » — c’est dans un autre lieu de la ville. Il a dû, il a dû caresser les cheveux d’une petite fille, et tout le monde lui est tombé dessus.

Voyez, c’est ce segment indépendant [85 :00] à travers lequel, qu’est-ce qui se passe ? Je dirais que c’est comme une onde. Une onde de quoi ? Ben, il faudra savoir de quoi. Comme je suis en train d’essayer de définir l’acte de parole, je ne puis pas dire une onde de parole. Non, c’est comme une onde ou plusieurs ondes. [Pause] Et entre une et plusieurs ondes, il peut se passer quoi ? Il peut se passer une propagation, propagation de l’onde, [Pause] il peut se passer une opposition de deux ondes diverses,  [Pause] [86 :00] les uns disant : ah ce n’est pas si grave que ça — ce n’est pas le cas dans M le maudit, mais… — les autres disant : si, si, c’est très grave. Troisième cas : il peut se passer une innovation, une invention à partir de deux ondes qui se croisent, espèce de phénomène d’invention qui va en faire naître une troisième. [Pause] C’est cela, ce sont ces ondes, en tant que reliant des personnages indépendants, isolés les uns des autres, que je propose par commodité d’appeler « interaction ». [Pause] [87 :00]

Est-ce que c’est seulement par commodité ? Je prends un autre exemple, non plus la rumeur, mais la propagation d’une rumeur dont M le maudit nous donne, mais un autre exemple célèbre dans cinéma : la lecture du journal. Tout ça, reconnaissez au moins que ce n’est pas du tout des situations de théâtre. Au théâtre, je peux voir quelqu’un lire un journal. Mais la propagation du journal comme le développement de la rumeur, ce n’est pas possible au théâtre. La lecture d’un journal, qu’est-ce qui se passe ? Les gens qui lisent le journal sont indépendants les uns des autres, [Pause] [88 :00] et en même temps, leur croyance est singulièrement renforcée par la lecture qu’il y en a d’autres qui lisent la même chose. [Pause] Je dirais que dans la lecture du journal, il y a une interaction entre lecteurs qui ne se connaissent pas. [Pause] Les ondes, c’est quoi alors ? Je définirais l’acte de parole comme [Pause] recevant et renvoyant une onde, soit sous la forme de la propagation, soit sous la forme de l’opposition, soit sous la forme de l’innovation. Onde de quoi ? [89 :00] On l’a vu, des ondes de croyance et de désir. [Pause]

Les actes de paroles marqueront donc des positions sur le cheminement d’une onde de croyance ou de désir, ou de plusieurs ondes de croyance et de désir, qui confrontent des individus indépendants, isolés les uns les autres. Et vous direz s’il faut rétablir des charnières entre ces individus indépendants les uns des autres, peu importe. Ce n’est pas ça qui m’intéresse parce que, à ce moment-là, les charnières n’interviendront que comme conditions matérielles de possibilité. [90 :00] Ce qui est intéressant, c’est effectivement la propagation de l’acte de parole de (a) à (c), même si elle implique (b) pour se faire, (a) et (c) ne se connaissant pas et (b) connaissant (a) et (c).

Je ne voudrais pas aller là trop loin non plus, je vous signale seulement pour ceux que ça intéresse, que donc toute une sociologie au début du 20ème siècle s’est constituée, et bizarrement s’est constituée dans trois pays à la fois, dans trois pays à la fois, et indépendamment : en France, en Amérique et en Allemagne. Et cette sociologie s’est nommée interactionniste, interactionniste, et elle est célèbre pour des [91 :00] choses – je n’en retiens vraiment, je vous en parle comme je vous parlerais d’un roman, je n’essaye pas du tout d’analyser l’interactionnisme parce que, encore une fois, c’est hors de mon sujet — En France elle se confond finalement avec ce qu’on peut appeler aussi une « microsociologie ». En France, c’est Gabriel Tarde — l’ennemi de [Émile] Durkheim, ou plutôt c’est Durkheim qui était l’ennemi de Tarde, car Tarde était un homme doux, qui n’en voulait à personne — Gabriel Tarde, t-a-r-d-e, qui est un très, très grand sociologue ; en Amérique, [Robert E.] Park, p-a-r-k, qui donnera une longue suite nommée l’école de Chicago, l’école de Chicago ; [Pause] en Allemagne, [92 :00] un auteur très étrange et très éblouissant qui s’appelle [Georg] Simmel, s-i-deux m-e-l. Et tous les trois se réclament de l’interactionnisme. [Deleuze avait déjà parlé de Tarde dans la séance 8, le 8 janvier 1985, et il y reviendra dans les séances 3 et 9 pendant le séminaire sur Foucault, le 5 novembre 1985 et le 7 janvier 1986 ; voir aussi L’Image-temps, p. 295, note 6, et Mille plateaux, p. 267]

Et si je prends le cas de Tarde, ça veut dire quoi ? Eh ben, ça veut dire toujours… Faire de la microsociologie, ça veut dire quoi ? C’est trouver une situation qui ne soit ni la sociologie de masse, [Pause] ni la psychologie ou l’interpsychologie des personnes. Et Tarde, par exemple, [93 :00], je l’estime beaucoup, Tarde par exemple, il dit une chose très simple. Il y a Durkheim, vous vous rappelez peut-être, il y a Durkheim qui explique que nous sommes entourés de représentations collectives, et c’est ça notre appartenance à la société. Ce sont des représentations collectives, et il y a une différence de nature entre les représentations collectives, objet de la sociologie, et les représentations individuelles, objet de la psychologie. Et Tarde, lui, il dit non, non, ce n’est pas ça la société, parce que ça suppose la société déjà faite, mais la sociologie, elle ne peut pas se donner la société déjà faite, elle doit construire son objet. Et comment construire son objet ? À un niveau micro. Il faut faire de la microsociologie.

Là-dessus il sera accusé partout [94 :00] de faire de la psychologie, mais ce n’est pas vrai. Qu’est-ce qu’il fait ? Il dit, ce n’est pas les représentations collectives ; ce qui compte, c’est les croyances et les désirs. Et pourquoi il dit ça ? Parce que les croyances et les désirs, ils sont objets d’une quantification infinitésimale. C’est du micro, à savoir ils sont inséparables des ondes : ondes de croyances, ondes de désirs qui parcourent un milieu déterminé. [Pause] Ces ondes ont comme des points privilégiés, [95 :00] points d’augmentation et de diminution, quand une onde se propage, quand une rumeur se propage ou bien s’éteint. Elles ont des points d’oppositions, quand deux ondes contraires s’affrontent. Elles ont de points d’invention, quand une troisième onde naît. D’où les trois grandes catégories de Tarde : la propagation, l’opposition et l’invention.

Et Tarde analyse très, très brillamment, très brillamment une chose comme la lecture des journaux, le journal. C’est une sociologie très insolite. Qu’est-ce qui se passe quand on… — De son métier à l’origine, il était juge de paix, alors il en connaît un bout sur la rumeur, c’est un des plus grands sociologues de la justice pénale, [96 :00] mais au niveau, toujours au niveau des petites histoires — alors évidemment à côté de Marx, à côté de Durkheim, il dit quoi ? C’est du micro, c’est du travail microsociologique. On lui reproche de faire de la psychologie, mais pas du tout. Ce qui lui l’intéresse, ce sont les ondes de croyance et de désir en tant qu’elles sont saisies dans des actes de paroles repérables. C’est en ce sens que je dis : l’acte de parole nous fait voir des interactions, interactions entre, encore une fois, personnes isolées, distantes, séparées. [Pause]

Alors ça n’empêche pas que vous me direz : mais là-dedans, [97 :00] tu oublies le principal, à savoir c’est facile de faire de la microsociologie puisque, par nature, on supprime l’essentiel, à savoir la grande représentation collective ou la structure, à savoir le journal lui-même. Ce journal lui-même, c’est une institution, c’est une macro-institution. Il ne supprime pas, il ne supprime pas du tout. Les structures, les structures sociales vont subsister. [Pause] Les situations sociales vont subsister. [Pause] Seulement voilà, saisies dans le jeu des [98 :00] interactions, ce sont à la lettre les conditions de l’interaction. Ce sont les conditions de l’interaction. Vous me direz, mais alors quelle différence ? C’est la structure qui compte, les conditions de l’interaction, c’est la structure, c’est la nature de la société, c’est la structure. Eh ben, non !

Et c’est là qu’il va avoir une drôle d’idée. C’est que les conditions de l’interaction, c’est-à-dire la structure, tend de toute façon vers une espèce de point problématique. La structure ou les conditions de l’interaction n’ont pas un usage constituant, ne sont pas constituantes ; elles sont régulatrices, c’est-à-dire elles tendent toujours vers un point problématique. Elles tendent toujours vers un point problématique, quoi ? Entendez bien, [99 :00] dans le champ visuel. Je cite un interactionniste américain qui me paraît le dire très bien : l’interaction reste structurée par de telles conditions, des conditions structurales, mais demeure problématique au cours de l’action. Elle demeure problématique au cours de l’action.

Revenons à M le maudit. À la fin de toute cette séquence de la propagation de la rumeur, qu’est-ce qu’on voit ? On voit quelque chose de formidable : comme à la limite des interactions enchevêtrées, on voit le tueur, M, mais on le voit « assis de dos en amorce », en faible amorce, [Pause] [100 :00] [Deleuze cite l’analyse de Noel Burch, citée ci-dessus ; voir L’Image-temps, p. 296] c’est-à-dire sous le champ des interactions. Toutes les interactions vont tendre vers un point, oui, mais vers un point qui va être problématique : où est le tueur ? Est-ce le tueur ? Mais quel est le visage du tueur ? La lecture du journal tendrait également vers ces points problématiques sauf, sauf si c’est un journal d’opinion parce que le journal d’opinion suppose, présuppose le journal d’information parce que le journal d’opinion, il a constitué un ensemble. Et ses lecteurs ne lisent plus le journal comme, en tant que lecteurs dispersés du journal ; ils n’agissent plus en tant que lecteurs dispersés ; ils ont formé un groupe, et donc c’est un cas second.

Et Park, [101 :00] lui et toute l’école de Chicago, nous parle de quoi ? C’est une très curieux, leur sociologie. Il nous parle aussi de la rumeur ; il nous parle aussi de la lecture du journal. Il nous parle du migrant. Les interactions entre le migrant et la civilisation dans laquelle il arrive, les premières grandes études qui ont fondé l’interactionnisme américain, c’était les migrants polonais dans certaines villes des USA, ou bien le déviant, ou bien, ou bien — comme ils ont fait énormément d’études sur les villes du type Chicago — ou bien le flâneur. Voyez comme le flâneur répond bien à ce [102 :00] thème, tout l’ensemble des interactions entre personnes dispersées, la promenade dans une ville. À la limite, l’école de Chicago, elle fait des choses, hélas, esthétiquement moins belles, mais qui sont inspirées, qui seraient à la limite inspirées, par les grandes pages de Virginia Woolf : la promenade de Mrs Dalloway, tout ça.

Voyez comment dans une promenade, flâner — moi je n’aime pas, mais je ne parle pas pour mon compte — mais pour ceux qui aiment marcher dans les villes, les marcheurs de ville, ce n’est pas du tout la même chose que les marcheurs de campagne. Les marcheurs de ville, ils sont malheureux comme tout à la campagne ; ils n’ont que des vaches à voir, et cela ne les intéressent pas du tout, ce n’est pas leur truc. [Rires] D’ailleurs vous reconnaissez un marcheur de ville à ce que, dès que vous le mettez à la campagne, il s’endort, il ne bouge plus, [Rires] il ne marche plus du tout. Dans la littérature, vous pouvez distinguer : Henry Miller est un grand marcheur de ville. Vous n’imaginez pas Miller à la campagne — si, il s’est retiré à la campagne quand il ne pouvait plus sortir, quand il ne pouvait plus marcher, ça oui. – Mais les grands marcheurs de ville, alors là, ils répondent bien à ce que j’essaie de définir très confusément comme l’interaction : ils passent, ils entrent dans un bistrot, ils voient quelque chose. Ils voient.

Il y a un bon commentateur actuel qui s’occupe de l’interactionnisme en France et qui s’appelle Isaac Joseph, il a fait beaucoup d’articles, il a fait un livre dont le titre vous allez pouvoir le comprendre maintenant, s’appelle Le passant considérable, Le passant considérable [Paris : Librairie des Méridiens, 1984]. Il essaie d’expliquer un peu les concepts interactionnistes, bien. [104 :00] Mais, un flâneur de ville, c’est étonnant là comme il suit réellement des ondes. Curieux, il est toujours là où quelque chose qui se passe, et il traverse, là, ces passages qui mettent en jeu perpétuellement des personnages isolés, indépendants les uns des autres, etc. La flânerie dans une ville, bon.

Simmel, l’étranger, son grand personnage, c’est l’étranger, et le flâneur, c’est aussi un étranger, c’est un type d’étranger, c’est un type de déviant : l’étranger, le déviant, l’homme de la conversation. [Pause] La coquette. [105 :00] Qu’est-ce qu’elle vient faire, la coquette, là-dedans ? C’est une typologie assez curieuse, c’est une typologie. Alors, ça a l’air d’être de la simple psychologie, si vous le prenez comme description de personnages ; si vous le prenez comme étude microsociologique, c’est de la pleine sociologie. Je passe, je dis, enfin, pour terminer quelques points sur Simmel. Il va nous montrer son unité avec les autres.

Il nous dit, ce qu’on voit avant tout dans une société, c’est finalement ses structures et ses contenus. Qu’est-ce qu’on appelle ses contenus ? Ben, par exemple, c’est des intérêts, [Pause] intérêts économiques, idéologiques, guerriers, érotiques, religieux, etc., autour desquels se constituent des associations, [Pause] [106 :00] autour desquels se constituent des associations. Ces associations, on peut dire que c’est de grosses associations définissables par leur but, par les intérêts. Mais, dit Simmel, là-dessous il y a bien autre chose qu’on ne pourrait définir que par le jeu, bien entendu, le jeu des interactions. Et car, pour que les associations soient possibles dit-il, il faut bien d’une certaine manière qu’il y ait un plaisir de l’association pour elle-même et qu’il ait des règles du jeu. L’association pour elle-même, il l’appellera la « sociabilité ». C’est la micro-société. La sociabilité, [107 :00] elle comporte aussi bien de l’insociabilité, l’étranger qui est mal reçu, tout ce que vous voulez. Mais il dit : imaginez une société qui ne se définisse plus par ses contenus, c’est-à-dire par ses intérêts et ses buts. [Pause] À première vue, ce seront des sociétés très superficielles. Et, il dit, à ce moment-là, il ne faut plus parler de technique au niveau de ces sociétés, il faut parler de jeu et d’art. Le plaisir d’être avec ; il lance la notion « d’être avec ». Et il n’y a plus de contenus, il n’y a plus d’intérêts, ou plutôt, il y aura un [108 :00] jeu d’interactions, ou plutôt c’est le jeu des interactions qui déterminera les intérêts provisoires et les buts provisoires.

Qu’est-ce que c’est ça ? Alors il donne évidemment son propre exemple : la conversation, la conversation. Cette fois-ci, il n’y a pas des buts et des intérêts préalables dans la conversation. C’est, au contraire, les interactions et le passage des ondes qui vont fixer des buts uniquement transitoires, des buts de jeu, des intérêts de jeu. Tout se passe comme si remontait du fond, dans des situations qui nous paraissent superficielles, ce qui il y a de plus profond dans l’association, à savoir la forme de [109 :00] l’association indépendamment de ses contenus. La sociabilité, c’est la forme de l’association indépendamment de ses contenus. Elle va se réaliser dans la conversation et les règles de la conversation qui sont comme des règles de langage… [Interruption de l’enregistrement] [1 :49: 17]

Partie 3

ne poursuivant pas de but commun. Et, dit-il, où est-ce que ça se réalise le mieux, la société de conversation ? Ça devient plus sérieux : c’est la démocratie. La démocratie, dit-il, dit Simmel, ça ne pourrait se définir que par l’importance qu’il y a d’une sociabilité formelle par opposition aux associations matérielles. À savoir, ce serait une association d’égaux [Pause] [110 :00] dont l’acte fondamental serait la conversation et les jeux de la conversation, donc, une forme de sociabilité qui se distingue des contenus sociaux.

C’est là qu’intervient la coquette. Qu’est-ce que c’est la coquette, pour Simmel ? Je vais vous lire le passage, parce qu’il est charmant… Je le lirais moins, si… Qu’est-ce qu’il dit sur la coquette ? À l’entendre, la coquette — c’est ça qui me gêne, c’est dans le même texte — la coquette, ce serait la pure démocrate, mais… [Rires] « Si la question érotique entre les sexes tourne autour du consentement et du refus » — ça, c’est l’association, c’est l’association sexuelle, [111 :00] oui ou non, hein ? – « Si la question érotique entre les sexes » — là, il y a lutte, intérêt, désirs – « Si la question érotique entre les sexes tourne autour du consentement et du refus… c’est l’essence même de la coquetterie féminine » — le texte est écrit il y a longtemps, hein [Rires] – « c’est l’essence même de la coquetterie féminine que d’insinuer à la fois le consentement et le refus, d’attirer un homme sans que ce soit décisif, et de le repousser sans lui retirer tout espoir. La coquette porte son pouvoir séducteur à son comble en laissant l’homme en suspens, à deux doigts de parvenir à ce qu’il désire [112 :00] sans que cela ne devienne trop sérieux pour elle-même. Ainsi » — c’est là que ça devient important – « Ainsi elle montre en badinant, elle montre en badinant, la forme, la forme simple et pure du choix érotique, elle montre en badinant la forme simple et pur du choix érotique, et elle peut combiner ces deux pôles opposés dans une conduite cohérente ». [Le titre du texte de Simmel, traduit en anglais par Everett C. Hughes, est « The Sociologie of Sociability », American Journal of Sociology, vol 5, numéro 3 (novembre 1949) pp. 254-261 ; ce texte se trouve à la page 258] \1

Vous pouvez achever. Elle peut maintenir le « oui » et le « non », parce que la dissociation du « oui » et du « non », « c’est oui ou c’est non », ne peut venir que d’un contenu social, ou d’un contenu érotique, ne peut venir que d’un contenu. Mais la forme même de l’érotisme va faire surgir [113 :00] l’alternative du « oui » et du « non » en maintenant les deux aspects, les deux côtés de l’alternative comme deux ondes sur lesquelles se situent, se situeront les actes de parole correspondants, dans un système interactif. « Ainsi, elle montre en badinant la forme simple, la forme… » En effet encore une fois, au nom de son contenu, le choix érotique réclame que l’on dise « oui » ou « non », mais au nom de sa forme, le choix érotique implique au contraire que l’on ne dise ni « oui » ni « non ». C’est la démocratie. [Rires] Oui, la coquette, c’est la démocrate érotique, hein ?

On dira la même chose de la conversation. C’est pour ça que dans une conversation, [114 :00] qu’est-ce qu’il y a de grossier ? Dire « j’ai raison », vouloir imposer son avis. Ça, c’est très grossier dans une conservation. Jamais personne, on ne fait surtout pas ça ; il y a des règles du jeu, des distances, des rapprochements, etc. Et vous voyez que ce qui est important, c’est que, chaque fois, les interactions passent entre personnes saisies indépendamment des intérêts qui les uniraient ou des contenus qui les associeraient. C’est en tant que personnes indépendantes que l’interaction s’exerce, en tant que personnes dispersées. Si bien que la solution de Benveniste du « je »-« tu », qui implique la dépendance réciproque des deux personnes, ne peut pas me convenir. Je me sens pur interactionniste pour les besoins de la cause, à savoir : l’acte de parole ne se définit pas par la relation préalable du « je » et du « tu », c’est-à-dire [115 :00] de personnes supposées interdépendantes. L’acte de parole se définit par les interactions entre personnes distantes, isolées, n’ayant ni intérêts communs, ni contenus communs, séparées, distantes, etc., et en tant que telles, séparées, distantes, etc.

Je voudrais juste vous lire le passage sur … [Pause] je ne le trouve plus. Voilà : [Pause] [116 :00] « La sociabilité crée, à condition qu’on le veuille, un monde sociologiquement idéal. Dans d’autres formes d’association, le défaut de réciprocité est combattu par l’impératif éthique qui les gouverne, et non par la nature intrinsèque de l’association. Le monde de la sociabilité, le seul dans lequel une démocratie d’égaux est possible sans fiction, est un monde artificiel » — c’est tout à fait ce que j’entendais par l’image dénaturalisée – « est un monde artificiel, composé d’êtres humains qui ont renoncé aux aspects objectifs ou purement personnels de leur intensité ou de leur expansivité vitale, afin de produire entre eux une interaction pure, libérée [117 :00] de tout accent matériel parasitaire ». Et il continue : « Si l’association est une interaction, elle se donne à voir » — tiens, je n’avais pas remarqué – « elle se donne à voir dans sa forme la plus pure et la plus stylisée, lorsque elle se produit entre égaux ». [Simmel, p. 257] \2 Évidemment, une relation entre inégaux… Mais entre égaux aux deux sens du mot, c’est-à-dire entre égaux, c’est-à-dire non-hiérarchisés par un intérêt social, mais « égaux » au sens aussi, pas du tout unis par une relation préalable.

D’où ma seule remarque, je veux dire, tout ça est d’une confusion énorme. Mon but, c’est uniquement, voyez que, si l’on donne la première réponse : ce que la composante auditive de l’image visuelle fait voir, [118 :00] c’est un ensemble d’interactions, sous-entendu entre personnes isolées, séparées, comme dans la rumeur de M le maudit. Là, on voit bien ce que la composante parlante apporte de nouveau dans l’image visuelle. Je dis que la séquence résumée telle que je viens de la lire de M le maudit ne pouvait pas se faire, ou n’aurait pu se faire qu’avec une lourde, lourde … qui convainquait d’y renoncer d’avance, ne pouvait pas se faire s’il n’y avait pas eu le parlant. Il faut la composante auditive. Elle nous fait voir quoi ? L’ensemble des interactions entre les personnes mises en cause.

D’où qu’est-ce que ça a été ? D’où alors [119 :00] — je vais aller très vite hein, parce que… — d’où, d’où, d’où, d’où. Je prends un exemple. J’avais terminé là-dessus la dernière fois. Je vous disais : il faudrait chercher des exemples où un même thème est traité, à la fin du muet et au début du parlant. Moi, j’en voyais deux — eh ben oui, j’ai oublié de vous demander : je vous avais supplié de consacrer vos vacances de Pâques à en chercher d’autres, mais vous me l’auriez dit si vous l’aviez fait. — Prenons deux thèmes, j’en vois deux : la dégradation [Pause] et la collaboration, collaboration police-pègre. [Pause] [120 :00] Vous la trouvez en plein dans quelques images inoubliables de La Grève [1925] d’Eisenstein. [Pause] Les espions des patrons vont sortir le peuple des tonneaux, de ses tonneaux, c’est-à-dire, le sous-prolétariat, pour briser la grève. Bien. Je dis, là, il faudrait de longues analyses, là, qui n’ont aucun intérêt. Je dis, voyez ce film ; il est muet, et il répond aux lois de développement d’une situation conformément à un schème d’action et de réaction. Il y a une société qui a une nature [121 :00] — le capitalisme — les patrons y ont des ouvriers, [Pause] et quand les ouvriers protestent, on fait venir le sous-prolétariat, on tire de ses tonneaux le sous-prolétariat. C’est souvent arrivé en Amérique, c’est souvent arrivé dans la Russie tsariste ; il n’y a plus de sous-prolétariat en URSS. Enfin si, il doit y en avoir, je ne sais pas.

M le maudit, revenons à M le maudit : dans des images encore plus célèbres que celles que j’invoquais tout à l’heure. Qu’est-ce qui se passe ? [122 :00] Il y a le point problématique, puisque les interactions tendent vers nous faire voir un point problématique dans le champ perceptif. Le point problématique, c’est : où est et qui est M ? Qui est l’assassin des petites filles ? Et voilà. Deux pointes vont se former : la police et la pègre. [Pause] Et c’est le grand coup de génie de Lang, ce qui fait de M le maudit un des plus beaux films dès le début du parlant. Vous vous rappelez : une phrase commencée dans le lieu de la police est achevée [123 :00] dans le lieu de la pègre. Du type : « Il faudrait l’arrêter », commence le chef de la police, et le chef de la pègre fait écho : « l’arrêter est devenu indispensable pour nous ». Bon, et puis ça continue comme ça. Vous me direz : est-ce que on ne pouvait pas le faire sans le parlant ? Au niveau d’un exemple, oui : il y a des rimes visuelles. Est-ce qu’on ne pouvait pas le faire avec des rimes visuelles ? On verra tout à l’heure le problème des rimes visuelles. À mon avis, on ne pouvait le faire dans le muet que sous forme action-réaction.

Mais l’interaction entre la pègre et la police dans une situation qui n’est plus une situation structurale [124 :00] — ça, ce n’est pas une situation structurale, c’est exactement ce que l’école de Chicago appelle une « situation de circonstance » — l’interaction pègre-police dans une situation de circonstance — ce qui ne veut pas dire que cette collaboration ne soit pas très profonde — en tant qu’elle se fait entre personnages indépendants — tandis que le peuple des tonneaux n’est absolument pas indépendant du patronat dans la grève — là, c’est l’apport du parlant. Et puis je me sens plus sûr de moi pour dire — pardon de vous avoir fait passer pour toutes ces abstractions, mais, à mon avis, si j’avais donné l’exemple immédiatement, on ne pouvait rien en tirer, on n’en tirerait rien — à savoir, ce que je peux conclure, c’est, il me semble, c’est un cas typique où [125 :00] l’acte de parole, comme composante auditive de l’image visuelle, fait voir dans l’image visuelle une interaction, et non pas un enchaînement d’action-réaction.

Deuxième exemple : la dégradation. Là, c’est intéressant aussi que certains membres de l’école de Chicago se soient beaucoup intéressés aux cérémonies de dégradation. Quand on dégrade, c’est rare, mais enfin, quand on dégrade quelqu’un, quoi, version muette : Le dernier des hommes [1924] de [F.W.] Murnau. Le portier d’un grand hôtel, qui a la plus vive conscience de tenir une fonction enviable, [126 :00] tout à fait remarquable, une fonction clé du grand hôtel, le portier du grand hôtel, vieillissant, va aller de déchéance en déchéance. Il va passer par une très grande discussion de, pas de discussion, il va se faire injurier par — en muet, il y a une activité phonatoire — par le directeur de l’hôtel, et finira gardien des lavabos. Vous ne pouvez pas citer une plus grande dégradation que cette dégradation qui mène un homme de l’admirable porte-tambour d’un grand hôtel à la porte des lavabos qui s’enfonce. Et là, j’insiste là-dessus, Murnau a fait toutes les rimes : toutes les rimes plastiques, toutes les rimes [127 :00] visuelles, entre le jeu des deux portes, entre… Ceux qui l’ont vu savent que c’est l’un des plus grands films du muet. Et je dirais, à la lettre, il descend une pente… Et c’est même pourquoi ce film peut se passer de sous-titres ; il n’y a pas de sous-titres dans Le dernier des hommes, tellement la pente descend, action-réaction, action-réaction. Tout ça, dans la structure du grand hôtel. [Pause] C’est-à-dire, il n’y a pas de point problématique ; c’est une structure constituante, c’est inexpiable. À aucun moment on ne se dit, [128 :00] il y a problème, à aucun moment. [Pause]

L’autre exemple, au début du parlant, L’Ange bleu [1930] de [Josef von] Sternberg. C’est une dégradation encore plus douloureuse puisqu’elle concerne un professeur, [Rires] un professeur de lycée, qui a la plus vive conscience de l’importance de son métier, mais qui va être séduit par une mauvaise femme, entraîné à devenir saltimbanque. [Pause] [129 :00] Et la mauvaise femme et le directeur iront jusqu’à le ramener dans la ville où il exerçait son métier de professeur, pour attirer du monde, en disant que au moins ça ramènera des spectateurs, à la limite de l’abjection. Il retourne mourir dans sa classe, voilà. [Pause]

Qu’est-ce qu’il y a, qu’est-ce qu’il y a de spécial là-dedans ? Ce qu’il y a de spécial, on le connaît. Est-ce que le muet pouvait faire ça ? Oui, à première vue, oui. Il y a par définition, là je parle par définition, il y a quelque chose que le muet ne pouvait pas faire. La question, c’est, qu’est-ce que ça entraîne, ce qu’ils ne pouvaient pas faire ? [130 :00] C’est les deux cocoricos, les deux cocoricos célèbres. Une première fois, le professeur rompt avec le lycée et décide de suivre la femme aimée, la dangereuse Lola-Lola, et, dans le banquet de mariage, il pousse son fameux cocorico qui est comme la manière dont il se fait admettre par la troupe. Et l’acteur est formidable ; là il pousse un cocorico d’abord timide, quand il voit que ça marche, que tout le monde l’applaudit, lui dit qu’il a beaucoup de talent, il lance un cocorico plus clair, qui est comme le passage réussi [131 :00] du lieu « lycée » au lieu « cabaret ».

Et puis il tombe de dégradation en dégradation, d’abjection en abjection. Il revient dans la ville où est le lycée. On le force, il n’en peut plus, il est fini, il est foutu. On le force en lui cassant des œufs sur la tête en plein spectacle, à repousser à nouveau son cocorico, qu’il va évidemment pousser sur un tout autre ton. Il y a une recherche sonore, là, qui va de soi. Et ce second cocorico, cette fois, présente le passage en sens inverse, du lieu « cabaret » au lieu « école », puisque, tout de suite après ce second cocorico de l’abjection, il essaie au passage [132 :00] d’étrangler Lola-Lola, mais, surtout, il se précipite dans la rue, et il va mourir dans sa classe.

Si vous y ajoutez que toute la structure du film est faite sur lieu vide-lieu occupé, d’un côté et de l’autre, c’est-à-dire : lieu silencieux-lieu bruyant, le cabaret bruyant et même la loge de Lola-Lola bruyant, tout le monde y passant, et puis la loge de Lola-Lola vide, quand elle n’y est plus, et qu’il n’y a déjà plus personne dans la loge ; de même, la salle de lycée, la classe de lycée vide, et la classe de lycée — habité, animée — il me semble que l’on trouvera la confirmation que les deux cocoricos forment l’interaction [133 :00] des deux lieux indépendants, [Pause] lycée-cabaret, qui n’a pas cessée de courir à travers tout le film, et que c’est l’acte de parole — c’est en ce sens qu’il faut le traiter comme un acte de parole — c’est l’acte de parole, le cocorico du professeur, qui fait voir l’interaction d’un lieu à l’autre, interaction qui cette fois-ci — voyez, ça confirmerait presque ce que je dis — cette fois-ci, ce n’est pas une interaction entre personnages indépendants, dispersés ; c’est une interaction dans le même personnage, [134 :00] une interaction dans le même personnage. [Pause]

Alors, presque, là, je conclus, personne n’en peut plus. Ce que je voudrais conclure, quitte à ce que vous disiez des choses, vous, un peu, là-dessus, je peux un peu mieux exprimer mon schéma, mon second schéma. Le premier stade du parlant n’a nullement introduit une image audiovisuelle au cinéma. Ce n’était pas son affaire et, en plus, il ne pouvait pas en avoir l’idée. En revanche, il introduit une composante [135 :00] auditive dans l’image visuelle. Or, une image visuelle à composante auditive n’est pas une image audiovisuelle. Elle a, parmi ses composantes, du sonore. Dès lors, la composante auditive introduite dans l’image visuelle a un effet sur l’image visuelle : elle nous fait voir l’interaction, elle nous fait voir les interactions. [Pause] Conséquence de l’autre côté : en même temps que les interactions sont vues, l’image visuelle en tant que visuelle commence à devenir [136 :00] visible. En d’autres termes — je pousse, mais ça, je ne pourrais le justifier que la prochaine fois – l’image… non, pas l’image… la composante entendue fait voir, la composante entendue fait voir et non seulement fait voir, mais — nous le verrons, ça reste à traiter la prochaine fois — voit elle-même et est vue elle-même. [Pause] Et, inversement, [Pause] l’image visuelle, du coup, tend à devenir lisible pour son compte en tant que visuelle. [Pause] [137 :00] Voilà. Est-ce qu’il y a des remarques ?

Une étudiant : … quand je dis j’ai raison convaincre est infécond…

Deleuze : Non seulement convaincre est infécond, mais convaincre est malpoli, est mal élevé. Qui a jamais voulu convaincre ? Ouais, ouais, non seulement infécond, mais c’est grossier, quoi, à moins qu’il y ait un intérêt. Oui, dans une société de contenu, dans une association de contenu : l’avocat, lui, il a un intérêt à convaincre, c’est son métier, ça oui, ouais. Mais, dans un cours, par exemple, qui fait partie des sociabilités pures, aucun [158 :00] intérêt à convaincre. [Pause]

Garavito ? Il est là, [Edgar] Garavito ? Ouais, tu viens me voir ! [Fin de l’enregistrement] [2 :18 :24]

Notes

1/ Georg Simmel: “If the erotic question between the sexes turns about consent or denial (whose objects are naturally of endless variety and degree and by no means only of strictly physiological nature), so is it the essence of feminine coquetry to play hinted consent and hinted denial against each other to draw the man on without letting matters come to a decision, to rebuff him without making him lose all hope. The coquette brings her attractiveness to its climax by letting the man hang on the verge of getting what he wants without letting it become too serious for herself; her conduct swings between yes and no, without stopping at one or the other. She thus playfully shows the simple and pure form of erotic decision and can bring its polar opposites together in a quite integrated behavior.” “The Sociology of Sociability », American Journal of Sociology, vol 5, numéro 3 (novembre 1949) p. 258. 

2/ Georg Simmel: “Sociability creates, if one will, an ideal sociological world, for in it-so say the enunciated principles-the pleasure of the individual is always contingent upon the joy of others; here, by definition, no one can have his satisfaction at the cost of contrary experiences on the part of others. In other forms of association such lack of reciprocity is excluded only by the ethical imperative which govern them but not by their own immanent nature. This world of sociability, the only one in which a democracy of equals is possible without friction, is an artificial world, made up of beings who have renounced both the objective and the purely personal features of the intensity and extensiveness of life in order to bring about among themselves a pure interaction, free of any disturbing material accent. … If association is interaction at all, it appears in its purest and most stylized form when it goes on among equals.” “The Sociology of Sociability », American Journal of Sociology, vol 5, numéro 3 (novembre 1949) p. 257. 

 

Notes

For archival purposes, given the disorder of the three sections on previously available versions of this session (at Web Deleuze and Paris 8), we transposed the transcription to correspond to the actual recording in June 2020. The augmented version of the complete transcription with time stamp was completed in September 2021. Additional revisions were added in February 2024.

Lectures in this Seminar

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Reading Date: October 30, 1984
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Reading Date: November 6, 1984
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Reading Date: November 13, 1984
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Reading Date: November 20, 1984
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Reading Date: November 27, 1984
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Reading Date: December 11, 1984
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Reading Date: December 18, 1984
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Reading Date: January 8, 1985
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Reading Date: January 15, 1985
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Reading Date: January 22, 1985
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Reading Date: January 29, 1985
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Reading Date: February 5, 1985
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Reading Date: February 26, 1985
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Reading Date: March 5, 1985
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Reading Date: March 12, 1985
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Reading Date: March 19, 1985
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Reading Date: March 26, 1985
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Reading Date: April 16, 1985
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Reading Date: April 23, 1985
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Reading Date: April 30, 1985
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Reading Date: May 7, 1985
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Reading Date: May 14, 1985
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Reading Date: May 21, 1985
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Reading Date: May 28, 1985
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Reading Date: June 4, 1985
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Reading Date: June 18, 1985
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March 26, 1985

So, we saw this slightly unusual author among linguists, Gustave Guillaume, offering us an idea. And you already sense that it is complicated because of this idea: Is it in linguistics the maintenance of a certain tradition that linguists usually rejected? Is it, on the contrary, a new way of posing linguistic problems? Or is it both? It may well be that they are both at once. In any case, it’s a very particular point of view consisting in telling us that, in a certain way, there is a pre-linguistic material. … That’s why I made the connection with Hjelmslev. However pure a linguist he is, when Hjelmslev tells us, “there is form and substance, in language, substance being a formed matter”, but adds that, henceforth, there is of course in any mode at, one that’s very complicated, an unformed non-linguistic matter that language presupposes, an unformed non-linguistic matter, then I am saying that Hjelmslev remains very discreet on this matter. It is like a linguistic presupposition, whereas Gustave Guillaume is much less discreet. He tells us that there is “a signified of power”. And this “signified of power” is truly pre-linguistic material.

Seminar Introduction

As he starts the fourth year of his reflections on relations between cinema and philosophy, Deleuze explains that the method of thought has two aspects, temporal and spatial, presupposing an implicit image of thought, one that is variable, with history. He proposes the chronotope, as space-time, as the implicit image of thought, one riddled with philosophical cries, and that the problematic of this fourth seminar on cinema will be precisely the theme of “what is philosophy?’, undertaken from the perspective of this encounter between the image of thought and the cinematographic image.

For archival purposes, the English translations are based on the original transcripts from Paris 8, all of which have been revised with reference to the BNF recordings available thanks to Hidenobu Suzuki, and with the generous assistance of Marc Haas.

English Translation

Edited

Sergei Eisenstein’s Battleship Potemkin, 1925

 

Deleuze announces that the class will first complete the transition from the linguistic and semio-critical review and then shift to discussion of the intersection between visual and sound elements. He thus continues with the linguistics of Gustave Guillaume and Hjelmslev, their different concepts corresponding to “processes of thought-movement”, with verbs producing processes of “chrono-genesis”. After arguing that Guillaume’s system of differential-inclusive oppositions had significant subsequent consequences for semiology and post-structuralist linguistics, Deleuze presents his own doubts about three key points of semiology’s take on cinema, arguing for “pure semiotics” operating with images, signs, and non-language processes determining these images and signs, creating something “utterable” (énoncable). This “anti-semiological semiotics” is one developing a Bergsonian process of thought-movement on which instantaneous views are obtained. Deleuze then shifts to the second phase, to study what a properly cinematographic image is and what its relation is with non-language processes both in silent and sound films, also announcing possible interventions after the Easter break (e.g., Giorgio Passerone, Eric Alliez). He then forecasts development in coming session of the cinematographic statement’s three key stages (silent cinema with reference to Soviet, American, and French examples; spoken cinema part 1, pre-World War II; and post-War cinema). He starts here with the silent era’s successive visual facets (e.g., images and intertitles), and concludes with Benveniste’s distinction of story plane (corresponding to the historical visual image) and discourse plane (non-historical visual image), understood in terms of the passage from readable and visible silent cinema into the intertwining of these within the phases of spoken cinema. [Much of the later section’s development corresponds to The Time-Image, chapter 9.]

 

Gilles Deleuze

Seminar on Cinema and Thought, 1984-1985

Lecture 17, 26 March 1985 (Cinema Course 83)

Transcription: La voix de Deleuze, John Stetter, relecture : Stephanie Lemoine (Part 1), Mélanie Pétrémont (Part 2) and Mélanie Petrémont (Part 3); additional revisions to the transcription and time stamp, Charles J. Stivale

English Translation: Graeme Thomson & Silvia Maglioni

 

Deleuze Notebook 01
Image from Deleuze’s Notebook.
Deleuze Notebook 02
Image from Deleuze’s Notebook

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Part 1

[Here Deleuze lists the main points to address in order to continue the seminar in the light of certain more or less urgent questions raised by participants]

… because I find it a bit grotesque the way the question of what it means “to be racist” is presented on TV. What would this be? And it comes down to things like: Would you be happy if your daughter married a white man, or a black man, or an Asian man? So, I don’t know, I have the feeling that one cannot pose the problem of racism exactly in these terms. On the other hand, I don’t know of any question that is satisfactorily posed, politically speaking, on the matter of, for example, equality… equality among people. How do you frame it? Considering how everyone replies: “Oh, I’m for equality”, even [Jean-Marie] Le Pen. But the question isn’t… it’s not whether one is for or against. Equality is like the existence of God, it depends entirely on what you mean by God. There’s no answer to the question: Do you believe in God? It all depends on what you refer to as God. Equality is a similar matter.

So, a good questionnaire, it seems to me, would consist in saying: You certainly believe, including Le Pen, you certainly believe in equality between people, that’s for sure. It’s better not to have a trial, then. But explain to us a little where you locate this equality between people? Well, I heard the Archbishop of Lyon give an interesting answer, which is the Church’s answer, very cautious, but very interesting: “For equality to exist, there must be dignity”. We don’t know what intelligence is either, it’s not up to us to decide, we don’t know what… and so on and so forth. But in any case, equality is a question of dignity. That’s an ecclesiastical notion, equality in terms of dignity.

Indeed, I think my dream would be to come up with a questionnaire that anti-racist movements could send to [Jacques] Chirac, and they would get very annoyed if he didn’t reply… they could send it to all types of politicians, because it strikes me that in many cases, the statement “We’re not racist” is considered sufficient. But it’s not true, it’s not sufficient. You have to say in what way you’re not racist. Again, it’s not… I don’t think it’s… – because I’d be very happy, if my daughter married a black man – but that’s not enough not to be racist, no, that’s not sufficient. It concerns something else.

But I’ll ask you right now if any of you would like us to devote part of… In my view, I would say, it’s pointless, given the nature of our work here, to denounce racism. I don’t think we should try to do it here. On the other hand, how can we effectively participate in the struggle against racism today? I have to admit that my ideas are quite poor, because apart from those shared by everyone else, those of all the anti-racist movements, I would only propose to put together a mass questionnaire, especially concerning, and addressed to, political parties.

Because… what makes this period… I don’t know what you think – now I only think in case the Socialists lose the election – me, I don’t believe that the reaction will be moderate. I don’t think, as some people do… Some people say, “Oh, the Socialists are moving towards the center” and all that… and also, “In some respects there won’t be any major changes.”[1]

I believe, on the contrary, that if they lose the elections, well, if they get trounced, there will be a very, very harsh reaction at all levels, at all levels. It won’t be moderate at all. I don’t know what you think about this. Having said that, it’s an important question regarding our individual attitudes. We are… If you think, as I do, that if you lose the election, the reaction will be very harsh, that implies a certain attitude, right now, towards the government, towards the Socialist government, which is not the same as that of those who think the reaction will be more hypocritical. Well, all that is… Actually, I don’t think it’s necessary, unless someone here thinks it’s necessary, to interrupt our work to talk about a question on which, as far as I know, we all share the same opinion. Any comments? Okay, there are no comments.

Second question on our agenda today: to smoke or not to smoke. Well, I’d like to point out that it may seem a small thing but it’s no healthier breathing in other people’s smoke than smoking yourself. Breathing other people’s smoke… it’s in the atmosphere, it’s terrible, terrible, even for smokers. That’s why I have only one solution to offer: you can smoke, but only one at a time. But then we’ll realize that it’s always the same person… so that’s no good either. So now that you’ve smoked a lot, I hope you’ll stop when you can’t take it anymore. If only there were rules, let’s say, there wouldn’t have to be only one, but we could go to fifteen. So, when fifteen people need to smoke at the same time, we’ll stop, and they can go and smoke in the courtyard, and we’ll just carry on, and then they’ll have to catch up as best they can. Fine… So, any of those solutions will work. But I’d like to point out that those who protest against the high density of smoke in this room are obviously not doing so out of malice or bad temper, but out of a physical panic reaction. So please respect them, because smokers are not respectable… okay?

Third point in the agenda: let’s work, let’s work a little… I can see you’re very uncomfortable down there, they have to leave you some space… So, again, I’d like our session today to be quite a gentle one… and it will consist in two parts: the end of the difficult part and the start of the easy part, which will continue after the vacations, as this is our last session before vacation.

[Music in the room: “Thus Spake Zarathustra” by Richard Strauss, Prologue to the film 2001 A Space Odyssey by Stanley Kubrick]

But that’s not gentle music… You see? That’s exactly what I meant. Oh, dear! Whose is that? Is it yours?

Student: No, absolutely not!

Deleuze: Whose music is it?

Student: But it’s not bad!

Deleuze: Ah, yes, so… you prefer listening to that?

Student: No, no, I don’t prefer it, but in small doses… it’s actually quite pleasant.

Deleuze: Oh la-la! For me… it blocks my ideas… So, okay, I’d like you to… I don’t know, I’d be happy if… it’s not important, once again, that you understand everything, but I’d like you to become aware of certain problems that seem to me crucial with regard to the semiotic and the semiological question. I’m slowing down to try to help you understand.

So, we saw that this unusual linguist, Gustave Guillaume, proposed an idea. And you can already feel that it’s complicated, because this idea… does this idea imply maintaining a certain tradition in linguistics that linguists usually reject? Or is it, on the contrary, a new way of posing linguistic problems? Or is it both? It may very well be both. In any case, his particular point of view consisted in telling us that, in a way, there exists a pre-linguistic matter. There is a pre-linguistic matter. That’s why I made the connection with [Louis] Hjelmslev. When Hjelmslev, despite being a pure linguist, tells us that here is form and substance in language, there is form and substance… substance being a formed matter… but then he adds that, consequently, there is indeed in some way, in a very complicated way, a kind of matter that is non-linguistic, but which is presupposed by language, a non-linguistically formed matter. Here I would say that Hjelmslev remains very discreet about this matter. It’s like a presupposition of linguistics. Gustave Guillaume, on the other hand, is much less discreet. There is, he tells us, a “signified of potentiality”, and this “signified of potentiality”, is truly a pre-linguistic matter.

Before we get to this point, you can immediately guess the reaction of other linguists, who will say: Guillaume may be an excellent linguist, but on this point, he brings back all the old metaphysics, a precondition for language that would be like a non-linguistically formed matter, like a pre-linguistic matter, and which he calls the “signified of potentiality”. As we’ve seen, he also sometimes called it a “psyche of potentiality”, and in what form did he present it? He presented it in the form of a thought-movement, or a movement of thought. And perhaps, don’t get me wrong, perhaps such movement, such a signified of potentiality, doesn’t exist independently of language. That’s possible. It exists only through and in language. But even if it exists only through and in language, it exists as something presupposed by language, presupposed by right, ideally presupposed by language.

This signified of potentiality is a movement, and it corresponds to the meaning… to the meaning of a linguistic unit. Hence the fundamental idea that a linguistic unit has only one single meaning, whatever its use in language. So, in any case, we’re advanced enough to know that there’s no point in looking for a term or a concept that would convey this single meaning for a linguistic unit. Once again, it’s a movement, a movement of thought. And in this sense, every linguistic unit… or rather, a linguistic unit has this signified of potentiality for meaning. But according to its uses in language, it will operate with regard to this meaning or to this movement through cuts, and each use will correspond to a cut of this movement or a particular aim, he sometimes says, a particular aim with regard to this movement.

For example, as we’ve seen, the article “a”, the indefinite article “a” or “an”. It has only one signified of potentiality, only one meaning. It’s the movement of particularization. The indefinite article particularizes. It’s the movement of particularization. You see, the indefinite article is a sign, it refers to a signified of potentiality that constitutes its meaning, the movement of particularization. But the uses of the sign of the indefinite article in language will each be, or each time will give to the signs, to the article, a particular aim with regard to its meaning, that is, with regard to the movement of particularization, or they will constitute a particular point of view regarding the movement of particularization.

What might this be? The movement of particularization, we might as well say, it’s the movement by which something, a something, tears itself away from a background. For instance, a wolf appears… a wolf or an Indian appears. It’s this movement, and Guillaume makes a very fine analysis of the relation we’re forming here, and the indefinite article will extract something from the background. But it all depends. If I grant myself the movement of particularization as the signifier of potentiality, well, everything depends on what level you put it. It will always be “a”. The signified of potentiality is this movement of particularization… But I can determine a use for the indefinite article that I will call close to the origin. Close to the origin means that it’s close to what is general, since the movement of particularization is what goes from the general to the particular, close to the general. I can put it at the end, very close to extreme particularity… There, a man is mortal. That is, a man, whoever he may be, is mortal. Or a man has come. This is close to the maximum of particularization.

You see, I’d have to distinguish between three terms: the signified of potentiality is the thought-movement or the movement of thought, the pre-linguistic movement or non-linguistically formed movement that constitutes meaning, in this case, the movement of particularization. The sign is “a” in relation to its different occurrences in language. It is at every level of the possible cuts of the movement of particularization, namely the movement from the general to the particular. Thus, each position corresponds to a value of the sign, of the sign “a”. Insofar as it aims at the movement of particularization, at the signified of potentiality, we’ll say that the sign is charged with a signified of effect… insofar as it aims at the movement of thought, which is to say, at the signified of potentiality, it is charged with a signified of effect which, at that point, is attached to such and such a point of view. “A man is mortal” will be defined by and in relation to a certain signified of effect, and this signified of effect will not be the same in “a man has come”, whereas the signified of potentiality will be the same. Is that clear? You’ll see, I’m going slowly, because the consequences, when we get to consequences, they seem to me to be enormous for linguistics, as well as for philosophy.

But then, as I was saying, with the article “the”, you see, it’s the same thing. Let’s go back to the definite article “the”. The definite article, its signified of potentiality, or the thought-movement that constitutes its meaning, is different. It is generalization, that is, the movement from the particular to the general. So, it starts with the particular and rises to the general. But it’s the same thing. The definite article [le] has only one signified of potentiality.[2] In each of its uses in language, it operates a cut or a point of view with regard to the movement of generalization, that is, to the signified of potentiality. By the same measure, in each of its positions – it has positions, that’s the important term in Guillaume’s work, it has positions that it takes with regard to the movement that constitutes the signified of potentiality – insofar as it is apprehended in such and such a position, it has a signified of effect.

So, closest to the origin of the movement of generalization, namely closest to the particular, I have something like “l’homme qui est venu” [the man who came]… When I say “l’homme qui est venu hier” [the man who came yesterday], for example… in terms of the destination, namely of the maximum generality, I have a formula like “l’homme est mortel” [man is mortal]. You see, it’s always my three points: the pre-linguistic signified of potentiality, the linguistic unit that takes positions with regard to the movement implied in the signified of potentiality, the signified of effect that corresponds to each position.

So, I could always establish correspondences, and Guillaume establishes correspondences between my two series. For example, if I put together “un homme est venu” and “l’homme qui est venu hier”, there’s a match. Or if I put together “un homme est mortel” and “l’homme est mortel”. This comparison is perfectly valid, except that these are two positions – one of the indefinite article, the other of the definite article – these are two comparable positions, but two positions taken from two completely different movements, and which are in this case even two opposing movements: the movement of particularization and the movement of generalization. So that in one case, “un homme est venu”, the “un” will be a position – how shall I put it? – of the extremity of the indefinite article, while “l’homme qui est venu” will be a position of origin of the definite article. Why is this? Because they’re not taken from the same movement.

The same operation… and this is what makes Guillaume’s work so fascinating – and I’m not pretending to give a lecture on this, I’m just mentioning it very quickly – what makes Guillaume’s work so fascinating is that he will perform the same operation I’ve just summarized regarding the article, he will perform the same operation on the noun, which will lead him to… the distinctions multiply, it’s extremely precise, but it’s very amusing at the same time. Basically, he will say: we have two articles corresponding to two movements, definite and indefinite. As for nouns, he will distinguish three terms that also refer to the signified of potentiality, meaning to movements: the noun, the adjective and the adverb – which are for him the three fundamental forms of the noun.

It’s all very original, it’s a classification… and as you know, I really like classifications, I take great pleasure in… So, I’ll leave it at that, because we could have covered this another year, it would have taken us a whole term to go through it all. Guillaume is also interested in verbs, and this interest me for reasons we’ll look at in a minute…. I’m sure it hasn’t escaped you that his entire analysis refers to… – and it’s not by chance that I chose to refer to him – his entire analysis of the article refers to a signified of potentiality that presents itself in terms of movement of thought, a thought-movement.

So, I’d say, well, if we take a word that is useful here, “procedure” or “process”, in the case of the article the signified of potentiality is a process, a process of movement, whereas… I’ll leave aside his analysis of the noun. There’s a text, one of Guillaume’s most difficult texts, and also one of his finest ones, on verbs. If you’re interested in reading it, you can try to find it in the library – it’s called Époques et niveaux temporels dans le système de la conjugaison française… and this is where it gets tricky. It’s in Cahiers de Linguistique Structurale, number 4 [1955], Laval University, Canada. But as far as I remember, they don’t even have it at the National Library… no, they don’t even have it there. What to do? You could get someone to send it to you, as I did, someone sent me a photocopy… anyway, as I was telling you, Edmond Ortigues’ book on this subject, Le discours et le symbole, published by Aubier [1962], is a very remarkable book, and he devotes a whole chapter, chapter 6, to the conjugation of verbs according to Guillaume.

And he is… and, well, maybe he’s right, I don’t see it quite the way he does, but… Basically, as I’ve simplified a lot, it doesn’t matter. I just want you to remember, and please correct me if you read it, what I was saying about Ortigues. Well, I’d like you to remember… what interests me in the case of the verb is that it operates what he calls a chronogenesis, that is to say, the time that belongs to the signified of potentiality of the verb… it seems to me, it is a process of temporalization, a process of temporalization… [Interruption of the recording, 35:51]

… it’s the signified of potentiality of the verb, it can’t yet give us the tenses of a verb, since it’s a question of producing the genesis of the tenses. What are the verb tenses? They are signifieds of effects, they are the values taken on by the verbal linguistic sign, when it has an aim or when it takes a position with regard to the movement of temporalization. In other words, we need a chronogenesis, a chronogenesis of tenses. This chronogenesis cannot presuppose tenses. So, what will be the tool… what will be the means of chronogenesis? It will be the modes, and again, an extremely odd organization of modes.

What is the great movement to which the verb refers? Just as we were looking for the movements of the article, and his answer was that the article refers sometimes to the movement of particularization, sometimes to the movement of generalization, as a signifier of potentiality or thought-movement. Here, he invents a number of notions… the verb sometimes refers to a process he calls incidence, sometimes to a process he calls decadence. What is incidence? It implies that every verb marks a tension, every verb has a tension immanent to it. This is the notion of tension. Incidence is the occurrence of tension, the exertion of tension on matter. And decadence is the opposite, namely it’s accomplished tension, extenuated or exhausted tension, on which at that point we have an external point of view. Exhausted tension is called process of decadence. And this is the first stage of chronogenesis.

Incidence: “to sing” in the infinitive, the infinitive. I’m simplifying enormously here, enormously, my only wish is that rather than discussing this, you retain an impression. The infinitive expresses the internal tension of the verb. Exhausted tension is decadence. So, we place it on the other side… This time, the exhausted tension is no longer in the infinitive, but in the past participle “sang”. You’ll notice that the exhausted tension can be taken up again, as I said earlier, it can be taken up again from an external point of view, and that’s what happens with the infinitive, when one says “to have sung”. You take up the tension from an external point of view. So that here we’ve already achieved a movement that justifies putting on the same line, provisionally… a position-sequence, that is, one that is like… one that reunites and prolongs the incidence in a decadence that is being formed, a sequence that will be represented by the gerund, “singing”.

The first level of chronogenesis will therefore focus on incidence-decadence, as a signified of potentiality, and the three key positions, the three points of view of the verbal linguistic sign, are: the infinitive, the past participle and the present participle, which then take on a signified of effect. You see, it’s the same principle. This is what he calls the first stage of chronogenesis, namely, it’s a mode as nominal of the verb. It doesn’t matter why, he says, it’s the mode closest to the state of the noun to which I only briefly alluded earlier.

And then – I’ll go quickly because you’ve already understood everything he says – the second stage of chronogenesis is the subjunctive. What does the subjunctive bring in? It introduces some very, very new things compared to the first stage: it brings in the introduction of persons. But above all, it brings… it doubles the incidence and decadence of another movement. Guillaume’s texts are extremely complex. It seems to me that he sometimes uses the terms ascendance or descendance, a movement of ascendance or a movement of descendance, which would occur at the level of the subjunctive. But what does this mean? It’s that the subjunctive, ascendance, would be the relation of the term, of the linguistic unit, with a virtual… it would be the process of the virtual, it would be the signified of potentiality, or of the possible – I consider these two notions to be equivalent – which is to say that the process of ascendance would consider the totality of the possible. Example: “that I love”, present subjunctive, where I not only consider love as possible but I consider it as referring to a totality of the possible.

What would descendance be? I think Guillaume is trying to tell us something like this: even within the possible, even without involving the real, even within the possible, there are irreconcilable possibilities. I could say, for example, this is another point of view… from a certain point of view, I could say: speed, safety – what else? I can’t think of anything else to add – speed, safety, etc. form the totality of possibilities from the point of view of the car in its ideality. And then I would say, and it’s not opposed to that, I’d call it the point of view of ascendance – and this example is my responsibility… as it’s not in the book. It’s the point of view of ascendance. And so, I would say, be careful, even from the point of view of the possible, the more speed you have, the more you risk, the less you risk. Since it’s a risk, you won’t be safe. The more safety you have, the less speed you have. Suppose that’s true. Don’t say it’s not true. I’ll have to find another example, but it will be very tiring.

Here, not everything is, as Leibniz would say… not all possibilities are compossible, not all possibilities are reconcilable. So, you have a movement by which we rise towards the whole of possibility, and another movement by which the possibilities dissociate. The first moment is “that I love”, and the second moment is “that I loved”. And there are some sublime, some very beautiful passages in Guillaume that show why past subjunctive tenses have the tendency to disappear in French, because… according to him, it’s not because they’re formulas that sound barbaric. On the contrary, he says, if they sound barbaric, it’s because they imply a contradiction. Tension implies a contradiction. If I say “that I love” and then if I say “that I loved”, there’s a kind of double, contrary tension. You see, on this line, he flanks us with the two subjunctives that refer to what I call, roughly speaking, movement of ascendance and movement of descendance in the virtual or in the possible.

Third level, and it’s a chronogenesis. There, I’ll have… present subjunctive and past imperfect subjunctive – you see, he defines each very well. What it engenders, you have to read horizontally, while chronogenesis, you have to read vertically. At each stage of chronogenesis, you can see that he has generated verbal units defined as positions with regard to a thought process. So, at the first level, he defined three positions: infinitive, present participle, past participle. At the second level, he has defined two main positions: present subjunctive, past imperfect subjunctive. On the third level… what will we have? That’s where the present or the real comes in. That’s why it is so important to show that for the subjunctive, we remained precisely in the virtual and the possible, even when incompatibilities specific to the past imperfect subjunctive begin to emerge.

So, what will the present do here? It’s very interesting. Why does he want to introduce… the present is the real. He’ll jump to a position for the present. And you’ll see that in its own way the present takes up both the movement of incidence-decadence and the movement of ascendance-descendance. In fact, if I understand correctly, he’s saying something like: every actual moment is present, every actual moment is present. And at the same time, every present is defined by its difference from the former present, which is no longer present, and the future present, which is not yet present. So, from a certain point of view, I can say that the present is the Whole of the actual, the Whole of the actual, and at the same time, the present is what differentiates the actual from what has ceased to be, or from what is not yet.

Yet it depends on what… it depends on what I can put on my line, which you can now see is going to be the indicative line… so I’ll have my three lines: nominal mode of the verb, subjunctive mode of the verb, indicative mode of the verb, with the key position of the present tense. And in the position of incidence, I will have “I sang”, that is to say the imperative… no, sorry, what am I saying, past simple. On the contrary, in a position of decadence, I’ll have “I was singing”, the simple past continuous. In fact, when I say “I sang”, well, I’ve already finished singing. But in the past tense, I’ll have a position of incidence: I sang, I sang… the past simple. When I say “I sang”, the past simple means that I started singing in the past, and there you have a position of incidence linked to the past and to the dimension of the past.

On the future side, you have… a future of incidence, “I will sing”… “Yes, I will sing… tomorrow I will sing”, and then you have a position of decadence. In which case you will say “I will have sung”. Ha ha! No… you haven’t understood. The auxiliary… “I will have sung” implies an auxiliary. And the auxiliary is a reprise, the auxiliary is always a reprise. It can’t be “I will have sung”, it’s “I would sing”. You might say this is the conditional but it’s not a mode, it’s a false mode, it’s a false mode, “I would sing”. It’s in a position of decadence or descendance, since both will enact – it’s going to get so complicated – you see how both are going to enact, I would say, a position of descendance since, in effect, when I say “I would sing” in the conditional, it requires that in terms of possible events, there isn’t an incompossible that prevents my singing. Here, I’m no longer putting myself in a position of ascendancy, in a whole of the possible – “I will sing” – but on the contrary, in the possibility that there are irreconcilables in the possible: “I will sing if you ask me nicely enough”. If, if… and so on… I will sing.

So, having said all that, I’d just like to confirm something. You can see what type of linguistics we’re dealing with here… it’s a linguistics of a very, very odd kind. I mean, every time I can go back to my theme… What’s necessary is not that the examples be very clear. What’s enough for me is that the whole system of examples I’ve given you, should help you familiarize yourselves with this idea. It’s the familiarity with the idea that’s important to me, that you develop it… In each case, he will define a signified of potentiality which, please understand this well… which is above all not an essence, nor a concept, but a dynamic or a process, a thought-process that he calls the signified of potentiality. A linguistic unit is a sign whose meaning is the signified of potentiality. But as a sign, the linguistic unit implies that it occupies a position… a position taken from the process. Not only one, but one position among a set of possible positions: the set of possible positions of the indefinite article “a”, and the set of possible positions of the definite article “the”… [Interruption of the recording] [1:00:48]

 

Part 2

… If you consider, lastly, if you consider the linguistic unit in one of its positions… in one of its positions, you would say that this is its signified of effect. So, according to Guillaume, the linguistic sign is constituted by the sign and its signified of effect, and yet the linguistic sign refers to a pre-linguistic condition which, at the same time, is a correlate of language, which does not exist outside of language, but which is not itself linguistically formed. That’s what’s important, the non-linguistic correlate of a language system.

Hence, I would say, for linguistics, there are three fundamental consequences… for this type of linguistics. And here again, if we take up the example of “that I love”, it seems to me that it’s around the following three questions that you must decide whether you are Guillaume’s disciples, or whether you refuse to be his disciples, or else, it’s of no importance to you one way or the other.

I would say, the first important point in this type of linguistics is the affirmation of a prior, pre-linguistic matter… but prior is not a good word. Once again, I use prior not from the point of view of existence. It’s not a question of saying, there’s a pre-linguistic matter before language. It’s a de jure pre-existence, although it’s a correlate of language. A correlate… when I say it’s a correlate, I mean that as a correlate, it’s not linguistically formed. Language refers to a correlate that doesn’t exist outside of it and yet, by itself, in itself, is not linguistically formed. This is what we call “matter”. I would say, perhaps, underlining three times the word perhaps – please don’t misunderstand me – perhaps, perhaps, perhaps… this is what Hjelmslev means when he speaks about matter. In any case, that’s what Guillaume means when he speaks about the signified of potentiality.

And you can see why all linguists are opposed to this point of view, since it seriously calls into question the sufficiency of language and the possibility of treating language as an abstractly closed system. Now, the possibility of treating language as an abstractly closed system – they know very well, I mean, linguists know very well that it’s not a closed system in concrete terms – but they claim the rights of being scientific, namely: to treat their object as a closed system. Well, all linguists will obviously oppose this point of view, denouncing Gustave Guillaume’s insistence on an old metaphysics, an old metaphysical point of view. Well, is this old metaphysical point of view simply an old metaphysical point of view, or a call for a new linguistics?

Second essential point. All linguists since [Ferdinand de] Saussure have told us that language is a system of differences. You know this, I suppose, and it’s even in this sense that it constitutes a system. As we’ve seen, it’s a system of differences at the phonemic level. A phoneme exists only in its difference from other phonemes. To take my example, /b/ only exists in relation to /p/ under certain determinable conditions. This is why a phoneme is not a letter. Similarly, a system of oppositions, a system of differences, as we’ve seen, is paradigmatic. So much so that I quote a famous sentence by Saussure: “[Signs’] most precise characteristic is in being what the others are not”.[3] In other words, we must attribute to a sign only those phonic elements or semantic elements by which it is distinguished from another. Right.

I’m saying that all linguistics from Saussure onwards, and in linguists very different from Saussure, for example [Roman] Jakobson, or even Hjelmslev, it seems to me – it would be more… it’s perhaps more complicated. Hjelmslev is so… But anyway, among the distributionalists, among all of them, it seems to me, the essential idea is that language is a system of distinctive oppositions, exclusive of one another, where terms exclude one another other, a system of distinctive and exclusive oppositions, sometimes binary – think of Jakobson’s efforts to make binary oppositions at the level of phonemes – sometimes multipolar. But the idea of language as a system of difference is most often interpreted by linguists as an appeal to distinctive and exclusive oppositions.

Everything I’ve said allows me to move very quickly. Guillaume, as far as I know, is making a real shift here. Of course, there are oppositions… of course, of course, of course, but that’s not what language is in essence. What is language for him? If I want to sum it up, it is a system of differential-inclusive positions. He replaces distinctive-exclusive oppositions with differential-inclusive positions. Let me go back to my simplest example. Take the indefinite article, the movement, the signified of potentiality, the movement of particularization. The indefinite article will have a whole series of differential positions that will be the points of view on the cuts of the movement of particularization, and they are inclusive because each one preserves something of those that precede and prepares something for those that follow. And Ortigues understood this very well. I’m reading, because it seems to me one of the essential points, even if it’s very odd that he didn’t see, I don’t know why, the history of the signified of potentiality and of… and yet he has clearly understood this point “It’s impossible to see” – pages 98-99 – “it’s impossible to see in the various linguistic units only oppositions of values” – which was Saussure’s great notion – “… only oppositions of values, since these values are defined by the positions they occupy in a hierarchical system of functions”.

It’s the end of the sentence that doesn’t work for me. It’s not in a hierarchical system of functions, it’s in relation to the signified of potentiality, which is to say in relation to pre-linguistic matter, precisely because as he didn’t want to take account – but I know why, it’s because Ortigues is a Lacanian, that’s why he couldn’t do it – he couldn’t take into account, he couldn’t, as he wanted both to make Guillaume an essential element in modern symbolic thought and to take account of the history of the signified of potentiality… in other words, he couldn’t be Lacanian. He wanted to be both a Guillaumist and a Lacanian. That was his own choice. What a strange choice!

But then, he’s seen it correctly, but in fact it’s not a question of a hierarchical system of functions at all. It’s a question of a set of movements, movements of thought that constitute signifieds of potentiality. But that doesn’t matter. He continues: “Between the forms” – that is, linguistic forms in the manner of Saussure  – “between the forms, it is sufficient to admit a principle of external or classificatory difference proceeding by reciprocal exclusion, but it is necessary to admit between the functions” – which I translate as between the points of view of the signified of potentiality – “it is necessary to admit between the functions a principle of internal differentiation such that each position in the system is inclusive of all those subordinate to it”.

In other words… well, let me put it another way. It’s no longer – and this is really a crude summary I’m making here – it’s no longer a question of a distinctive-exclusive oppositions, a system of distinctive-exclusive oppositions. It’s a matter of a series of differential-inclusive positions. It seems to me that this is linguistics at its most original… You must understand that, at this level, it’s not really a question of… – I have a feeling I’m right – it’s not a question of discussing, it’s not a question of saying… First of all, try to feel the novelty of this. And then, if need be, depending on your own problems, you might say to yourself, Ah, well no, yes, I myself feel more drawn to the side of the oppositions because I find it more useful. It serves you better, it serves you better to set, your, to pose your own problems. And to feel that Guillaume achieved something that in my view was not taken up by linguistics. They may have taken it into account, many linguists have taken Guillaume into account, but the essential thing is that what we could call Guillaume’s originality, precisely insofar as it went beyond the theory of the signified of potentiality, was lost, was necessarily lost because it derived from the signified of potentiality.

Third point, which is going to be very important for us, because that’s what I wanted to get to. Well, you understand, you understand, you understand… what happened, and what does it mean, the expression we use, sometimes semiotics, sometimes semiology? Well, it’s not difficult, it’s not difficult. When you look at semiologists and semioticians, you realize that if there’s one notion they don’t discuss, it’s the sign. At first, this may surprise us a little. How can semiologists not speak about signs? At a second glance, we’re even more astonished, because we realize that they actually detest this notion, and that they declare it pre-scientific. So, they are in some way very deeply against it. So, I’d say, provisionally if you like, a definition of semiology could be… it’s a semiotics that doesn’t speak of signs and that operates without signs.

And it says so itself, since it claims to constitute itself as a truly rigorous discipline, on condition that it renounces the notion of the sign. Those interested in this point will find an excellent appendix in [Oswald] Ducrot and [Tzvetan] Todorov’s Dictionnaire de linguistique, published by Éditions du Seuil.[4] The last section of the dictionary, which is a fairly short appendix, explains why modern semiology has settled its scores with the notion of the sign, citing three examples. It’s very scholarly in the best sense of the word, and very clear. They explain, first of all in a purely logical sense, but just so as to understand, that semiology was based on the following fact: the famous Saussurian signifier-signified distinction, the signifier and the signified being the two sides of the same linguistic reality, two sides of the same linguistic reality. The sign was in fact this two-sided element, signifier and signified.

Semiology developed from the realization that the balance between the two sides was necessarily unstable, and that either we would have to give precedence to the signified, and fall back into the worst of the old metaphysics, or we would have to give precedence to the signifier. Which meant what? It meant that in every signified there remained the trace of the signifier, and that it was the signifier that had primacy in the signifier-signified relation. And very schematically, from a very general point of view, this is [Jacques] Derrida’s theory at the time of his Of Grammatology,[5] to explode the notion of the sign in favor of the signifier and to threaten us by telling us that if you don’t, you’ll be forced to grant primacy to the signified, and by granting primacy to the signified, you’ll go back to the old metaphysics of essences or the intelligible, that would be primary in relation to the language system.

The second fatal blow, logically speaking – I say logically because this second blow chronologically preceded the first – came from Lacan, who this time didn’t even pose the problem at the level of the signifier in its relationship with the signified, but at the level of what he called the “signifying chain”. It was the signifying chain alone that would suffice to shatter to a large extent the notion of the sign, rendering it radically useless. To what extent… to the extent of Lacan’s famous interpretations of Saussure’s hyphen in the signifier-signified relation in his own celebrated formulas, where this hyphen was to be understood as a bar… as a bar. So, semiology would be the science of the signifying chain, or the discipline dealing with signifying chains – in other words, psychoanalysis as the discipline of the unconscious in its relation with language systems.

The third stage – and you can find out more about this third stage if you’re interested – takes the sign beyond the signifying chain to Julia Kristeva’s original notion of “signifiance”.

Fourth… Oh, there are more, surely… but that’s enough for now, that’s enough, there are more surely, there are surely more. So, I’d say, let’s look at the other side…. So, I would say, what we call semiotics is a discipline that deals not with the sign but with the signifier, signifying chains or significance, both in language and in any kind of language system. From that point, both language systems of different types, such as non-verbal languages, and language itself, will exclude anything that may be called a sign. And indeed, if I return to Christian Metz, you’ll find in his book Film Language,[6] an explicit denunciation of the notion of sign.

Following [Charles Sanders] Peirce, I will call semiotics a discipline that has the following two characteristics: firstly, it maintains the absolutely indispensable character of the sign, and secondly, it engenders the operations of language systems – and here I mean language systems and not only speech. It engenders the determinations of language from a non-linguistic matter that involves signs. I feel – but this is just my feeling, I may not be right – I feel very close to semiotics and very far from semiology. Which means what – we’ve almost finished the difficult part – which means what?

I’ll take up again the doubts I expressed about semiology in cinema. My first doubt was that cinematographic semiology seemed to me to be based on three points. And I had my doubts about each of these points. The first point was narration, which was presented to us as a fact, but it seemed to me that narration was never a fact, it was neither a given of the image nor the effect of a structure beneath the image. But it was the result – as you can see, I’m keeping my semiotic promises here – it was solely the result of a process affecting images and signs, a process of specification, a movement of specification. I don’t need to go back to Guillaume’s movements, which were determined by grammar. If I’m dealing with cinema, I obviously need to find completely different movements. When I speak about the first movement of images, I mean the movement of the specification of the movement-image. As we’ve seen, the process of specifying the movement-image constitutes three kinds of movement-images: perception-image, affection-image, action-image. This has nothing whatsoever to do with narrative. I only obtain narration when, according to a law that is the law of the sensory-motor schema, I combine these three kinds of images.

So, you see, here I feel very much a disciple of Guillaume. I would say exactly that there’s a process of specification that acts upon images, pure movement-matter, it’s a movement-matter, which gives us the three kinds of images and which constitute precisely a non-linguistically formed process, and yet one that fully constitutes the first stage of semiotics. The process of specifying the movement-image in terms of three kinds of images is non-linguistically formed, even though it is perfectly formed cinematographically.

Second point: Can we assimilate the cinematographic image to a statement, as semiology does? No. In fact, my trouble stems from this: if you equate it with a statement, it’s an analogical statement. But you can’t equate the cinematographic image with an analogical statement unless you’ve already bracketed its movement. In fact, the cinematographic image at this second level is inseparable from a process that we’ve seen to be that of differentiation and integration, a process very different from that of specification. The process of specification, you’ll recall, was once again the specification of the movement-image in terms of three main types of image. The process of differentiation-integration is the dual aspect of the movement-image insofar as, on one hand, it refers to a Whole whose change it expresses – integration. Secondly, movement is distributed, divided between the objects framed in the image. This is differentiation. The two never cease to communicate, to form a circuit. In what sense? In the sense that the linkage of the specified images – you see, I return to my first process, images specified in terms of three kinds of images – a linkage of specified images doesn’t happen without the images thus linked becoming themselves internalized into a Whole, at the same time as the Whole is externalized in the images. I can say that my second process, my second process of differentiation-integration, is directly linked to the first.

Regarding the time-image, if I were to speak about time now, I’d again take up – and obviously this wouldn’t be the same process as Guillaume’s,  here I’m going very fast – in this case, I’d distinguish two processes concerning images, their matter and their relations: a process of serialization of time, as we’ve seen, the series of time, and a process of ordering time, of relations of time, the coexistence of relations of time. I repeat: there’s nothing linguistic about these two processes. They constitute – by reacting upon cinematographic images – they constitute the signs of time, just as earlier I had the signs of movement. In other words, these processes taken together and the play of images and signs that result from them, in no way constitute a language system, any more than they do a language. What is it, then? That’s why I needed it so badly: it’s the non-linguistically-formed correlate of all language systems and all possible languages. It’s Hjelmslev’s matter, non-linguistically formed matter. It’s Guillaume’s signified of potentiality.

That’s why I needed this long analysis. For my purposes, it’s what I’d call the enunciable. It’s not enunciations, it’s the enunciable as matter. This is the object of pure semiotics. Pure semiotics works with images, signs and non-linguistic processes that determine these images and signs. In this way, it forms an enunciable. The enunciable is neither language system nor language, but the ideal correlate of all language. It’s not a linguistic process. We’ve seen what linguistic processes are: they’re syntagms and paradigms, syntagmatic and paradigmatic. The processes I mentioned – specification, differentiation-integration, serialization, ordination – have nothing to do with this, they’re not linguistic processes.

In semiology, I can’t understand how they’re able to escape from what seems to me a vicious circle, that is, telling us that the cinematographic image is a statement since it is subject to the linguistic processes of syntagm and paradigm, and at the same time telling us that it is subject to the linguistic processes of syntagm and paradigm because it is a statement. For me, the cinematographic image is not a statement, but an enunciable. The difference is immense. For me, the cinematographic image is not subject to the linguistic process of syntagm and paradigm. It is determined by and in. It is determined semiotically and not linguistically, by the list of non-linguistic processes I have just recalled.

It’s in this sense that I’m a proponent of anti-semiological semiotics. I’m in no way saying that I’m right. It would be quite enough for me if you told me that you understood the difference between the two points of view. If I was told… if I was told that I’m maintaining an old metaphysics with this conception of the enunciable, I’d say: What an honor! I’d just like to add that I’d like you to sense the Bergsonian aspect of all this. For this pre-linguistic yet language-related matter is entirely in line with movement and temporality as defined by Bergson, which is to say a kind of thought-movement or thought-process regarding which we take instantaneous views, which is why Guillaume remained very Bergsonian.

And I’ll finish on this note. Yes, you can see why we’re in a very joyful position! We’re done, the hard part is over! We’ve changed everything. I mean, we’ve changed everything because where the others were in difficulties… no, rather, where the others were having it easy, we were in difficulties. That happens all the time. But now, where they got into difficulties, it’s going to be absolutely easy for us. What’s going to be easy for us? Let’s not exaggerate. With pure semiotics, which speaks about anything but language and language systems, it’s a bit awkward, I must tell you: we’re talking about the non-linguistically formed conditions of all languages and language systems. So, we’re making the prolegomena to all linguistics, something Hjelmslev himself didn’t manage to do.

But then, what are we going to do with language systems? Because in the end, pre-linguistic matter should be more than enough for us. Oh no, the enunciable has to be enunciated, of course. The enunciable must be enunciated. I call… I call “language system” any statement or enunciation whose object is all or part of the enunciable. The enunciable, you grant me, is neither related to nor assimilable – what we’ve called the enunciable, I hope you understand – is assimilable neither to the object to which the enunciation relates, nor to the signified of the enunciation, nor to the signifier of the enunciation. We are in a different area here. So, my problem is obviously that the enunciable will be grasped in acts of enunciation. How can we design the act of enunciation so that it expresses the enunciable? Or more simply, I’d say here, almost as if it were valid for the moment, the act of language, or if you prefer, speech acts. What is the role of language acts and speech acts? Well, as you can see, it’s no coincidence that semioticians distinguished between them, constructing a separate code for the audiovisual. For us, it’s not a separate code at all.

We will therefore call a properly cinematographic enunciation any act, any speech act that refers to an enunciable, meaning a linkage of images, an image or a linkage of images taken from the processes previously defined. Needless to say, silent cinema, no less than talkies, presents us with acts of language. There is no cinema without acts of language. Clearly, from the silents to the talkies, the status of speech acts is likely to undergo major transformation. But it’s not with the talkies that properly cinematographic speech acts emerge. In other words, there are enunciations that are properly cinematographic, but that can’t be reduced to literary enunciations, theatrical enunciations or… anything else.

So, our task from now on, and that’s why we’d made it clear that this part would be studied from two angles – concerns the second aspect. What is a cinematographic enunciation? What is its relation with matter, with the movement-image or the time-image that we’ve just been discussing? What is its relation with the non-linguistic processes we’ve just been talking about? So, we’re now in a position to begin our study of cinematographic enunciations from the point of view of both silents and talkies. Well, all that was difficult, but we’ve finished with the difficult part… [Interruption of the recording] [1:43:33]

 

Part 3

… but I forgot one little conclusion, as it was essential, that the whole problem, the whole initial problem, was: How could the first thinkers of cinema, or the first great filmmakers, equate cinema with interior monologue? As you can see, there’s no longer any problem for us, because as I was saying, the interior monologue is a very interesting thing. But why? Because the Soviets tried to understand the interior monologue as a proto-linguistic system. A proto-linguistic system can mean many things: it can mean a primitive language, an infantile language, we’ve seen all this with [Lev] Vigotsky, when I was referring to this very interesting author, fine.

And for us, following our conclusions, we can only say – on our own account, because this is how we proceed, that’s what we want, that’s how it is… for us, it doesn’t mean so much – the interior monologue is not a language system. We don’t even need to invent a proto-language, you see, we don’t even need a proto-language. What we now call interior monologue… and we’ll say: well yes, cinema is interior monologue. But in what sense? The interior monologue isn’t a language system, it’s the enunciable. It’s the enunciable of language systems. In other words, it’s a non-linguistically formed, yet cinematographically formed matter. If it weren’t cinema, I’d say it was aesthetically formed matter that is not linguistically formed.

So, I can say, yes, cinema is interior monologue, provided I’ve given interior monologue the status of being the non-linguistic matter that conditions language systems and the operations of language systems. But I can only say this for one case – and this is where you’ll have to be kind enough to follow me right to the end – I can only say this with regard to the movement-image and the processes of the movement-image, the non-linguistic processes of the movement-image. The non-linguistic processes of the movement-image were its specification in terms of three types, and its integration-differentiation. So, here I can say yes. Here, the set of movement-images and their signs constitute the interior monologue, that is, the enunciable, or the non-linguistically formed matter of the language system. It’s not part of the language system, it’s the non-linguistically formed matter of the language system. So, what does the time-image do with this? We’ve seen that the time-image is caught up in other processes. It, too, forms a non-linguistically-formed matter, but a very different one, and one that will no longer be expressed in the form of an interior monologue. So, what form will it take? Everything is just right, perfect, we’ll only be able to say when we’ve studied the question of properly linguistic… no, sorry, properly cinematographic utterances.

So next time, when we return after Easter, I suggest that those of you who would like to do so, reflect a little on this semiotic-semiological relation, as we’ve now been doing for several sessions. Then we’ll have another session, with you intervening. I can already see who might speak… [Giorgio] Passerone on Pasolini, Eric [Alliez] also on Pasolini or on other things, some of you on semiology… and we can see if there are things we need to fine-tune. I mean, it doesn’t make sense to do it now, we don’t have enough time, and then it would be… It’s better to finish on a simple note. That will get us going again, and it will be after Easter.

So there comes the always delightful moment when I say to you, well, let’s forget everything we’ve done so far. We’ll just have to remember it after Easter. But for now, we can completely forget, and then we will start again, start again from scratch, we can start again from nothing or from very little. As I was saying, well, now we have to keep in mind, however vaguely, this cinematographic enunciable, but an enunciable that refers to acts of enunciation.

So, there are cinematographic enunciations. What is a cinematographic enunciation? Do you realize what we’re dealing with here? Because as I was saying, in my view, we’ll be forced to go through three stages, to distinguish three stages. There is no unity in talking pictures. We’ll have to distinguish between the silent period, where there are already cinematographic utterances, and the time of the talkies, which is a vast reworking of cinematographic utterances that will give rise to genres, that will bring new genres to cinema. And contrary to what people say, with no risk of exaggeration, these are lousy films. Well, there’s nothing wrong with lousy films! They’re lousy, and that’s that. I don’t see what the problem is? There’s never been a problem in talking about cinema-theater. Never, except, once again, when the films are very, very bad, but when the films are very bad, they don’t seem to pose a problem, they don’t pose a problem!

You see, when, for example, I take a major genre that coincides with the arrival of the talkies like American screwball comedy, it never stops talking. It never stops talking. Imagine that the equivalent in the theater is grotesque. Yes, it is. Long after American comedy, someone in the theater will manage to produce effects very similar to those of American comedy, but in terms of a completely different level of seriousness. It’s in the periods when he plays the comedian, in fact, it’s in that period of Bob Wilson’s productions, which are theatrical masterpieces, but which obviously presuppose cinema. Without cinema, he couldn’t have done that. Okay.

But if you think of an American comedy, well, it’s amazing the way the voices overlap. It’s all a matter of having everyone talk at the same time. Everyone at the same time, though there’s always one who is unable to do so, Ah ah ah… That’s why it’s cinema, not theater. You might try to do that in theater, but the effect would be pitiful. It goes off in every direction, pure conversation, independent of any object. That’s American comedy, pure conversation independent of any object, it’s an invention of cinema. Theater had never risked anything like that. And once again, when Bob Wilson did it himself – at a time well after it’s cinematic heyday – he did it using his own genius, these conversations that go off in every direction, well, we might say, they’re crazy! At which point we become aware of something more profound. That’s why American comedy is so striking. It’s a very, very important element of cinema, it concerns people who are crazy, but what you think is craziness is simply the ordinary madness of the American family, and this is how it is presented, the ordinary madness of the American family. And we find ourselves saying that every time we listen to a conversation, we realize that they’re the ones who discovered conversation.

Take a conversation in a restaurant. We sometimes say… you see, very, very interesting studies have been carried out on schizophrenic conversations, for the way they follow difficult and obscure laws. This is very important, you know. There’s a question of distance. You can get close, but not too close, or you can move further away, there are questions of territorial boundaries. I’ll speak to you at such and such a distance. If you breach this distance, I won’t talk to you anymore, and so on. There’s a whole problem of conversational space.

Well, this has been fairly well studied from the point of view of schizophrenia – in particular there are some very fine texts by R.D. Laing on the conversations of schizophrenics, though he doesn’t give enough importance to the spatial aspect. However, other psychiatrists have understood these problems of space. For example, those of you who frequent La Borde, like Erik, well… when you talk to a schizophrenic, they can be very approachable, but you can’t speak to them any old way! I mean, first of all, there’s a form of politeness. And then, if you get too close, even when they ask you for a cigarette, if you get too close… well, no, it’s not okay. But also, if you stay too far away, they could become aggressive, out of fear, and so on… what we call being at ease with others, being at ease with those who are different… well, the nurses have a way with a schizophrenic, just like someone who has a way with children.

But why do I say this? Because it’s not conversation that provides a good way of defining schizophrenia, it’s actually the opposite. Schizophrenia is the fundamental criterion of any conversation. If you go into a café, you sit down – I don’t do this anymore, but I used to like doing it a lot – like many of you, just to sit in a café and listen to people, but we need certain conditions. And you find yourself thinking, these people are completely bonkers! They’re raving lunatics, the way they joke, the way they pretend to be angry, the way one subject cuts off the other, the way one is always silenced, going Ah ah ah! Wanting to say things but never being able to… I mean, it’s a bit like that in [Michel] Polac’s shows…[7] completely from a psychiatric point of view, because notably there’s always one guy who you know in advance will never speak. He starts… Ah! And then there’s the one that you know… a guy who’s like Katharine Hepburn, not as beautiful as Katharine Hepburn but… because that was Katharine Hepburn’s genius, the way she spoke so fast, so incredibly fast, and with such haughty insolence.

There’s also something interesting about American comedy in the way it can be so political. It’s very political. Katharine Hepburn’s haughty insolence is a wonderful thing, and the way she decks the male lead, no matter who the actor is! Besides, the role of the actor playing against Katharine Hepburn is to try, as they say, to get one over on her. And he’s never able to. He’s never able to, and not simply because she talks so much. She’s always so over the top in what she says that the guy is always one step behind. So, it’s very, very odd, and it’s a discourse that takes off in all directions. It disappears off-screen and then comes back from the other side… it’s very striking, it’s… well, I’m just saying.

So, there are cinematographic utterances in the talkies. But that’s not all. There are extraordinary cases in American talkies, and even in films that… perhaps especially in film noir. I was quoting American comedy, but in detective films, there are tricks that are so good that you can no longer assign, you can no longer assign a line that was said by one actor, it could have been said by the other. Not only is there an effacement of any object of enunciation, the conversation can be about literally anything, but there’s also an elimination of the subjects of enunciation, who become completely interchangeable.[8]

And the most striking case of this, obviously – where it goes the furthest – is when it’s a conversation between a man and a woman, when it’s in a flirtatious conversation. There’s one case that I find quite sublime. This time, I want to cite two actors because there are times when you have to cite actors, and this is Lauren Bacall and [Humphrey] Bogart. If you take [Howard] Hawks, there are two Hawks films, well, in the sort of immediately amorous, immediately passionate relationship they have, if you close your eyes and if there wasn’t a female voice and a male voice, what one of them says, the outrageous things they say make you think it must be the man who’s saying this.[9] There’s a kind of absolute reversibility of points of view in the conversation, where it becomes impossible to assign a subject of enunciation. You just have a whole slew of utterances. All this is to say, well, how this marks one stage of the talkies.

But what we’ll also be looking at – and this is just to give you an idea of the kind of program we’re going to cover, which will be very rich – is that, after the war too – which is why the real frontier, the real rupture, if there is a rupture, was not in the transition from the silents to the talkies – but after the war, when the talkies assume a completely different status… a completely different status. And if you think, for example, of the great, great contemporary filmmakers of sound cinema, well, immediately – independently, of course – there’s [Alain] Resnais, there’s, well, there are many, but, but those who really transform sound cinema into a modern problem and do so in very specific conditions, this would above all be [Jean-Marie] Straub… the Straubs and Marguerite Duras. Well, it’s clear that this also represents a completely new type of cinematographic enunciation.

So, it’s quite a big task we have in front of us, but once again, as you can see, it will be quite easy – no, not in the last case I mentioned, not in the case of the Straubs, for example, the Straubs are very demanding but yes, it seems to me that there has been a major attempt to analyze these… – and I think we’ll have something to draw on here in terms of formulating a general theory of enunciations. There will be something we can learn from these three stages: the silents, the early talkies and modern sound cinema.[10]

So, I just want to say very briefly – because we’re coming to the end of the session – I just want to say, yes, in fact, as I started to say, in so-called silent cinema, what do we have? As you’ll recall, I was referring to remarks made by [Jean] Mitry and [Michel] Chion, when they said: Well, actually no, silent films were never really silent, because they have articulation, they have phonation. People never stop talking, you just can’t hear what they’re saying. Okay, so there’s no such thing as silent cinema. Mitry and Michel Chion are absolutely right to say: it’s not silent cinema, it’s not they who are mute, it’s you who are the ones who are deaf. It’s the spectator who’s deaf, it’s a very different situation. I would say that if there is a silent cinema – and here I’ll digress for a moment – it’s in Marguerite Duras’s work, when she eliminates the movements of the actor’s phonation, to begin with the simplest case.

So, what’s happening here, since silent cinema isn’t silent, there are utterances. As I said, it’s not difficult, you have two images, and silent cinema is defined by the coexistence of two images. There’s an image that is seen and an image that is read. The image that is read – let’s start with the simplest element – is called the intertitle. We’ll leave aside the all too obvious objections that there have been silent films without intertitles. Oh, well, you have to explain that one, it’s going to be a problem. Can the image that is read be reduced to the intertitle? No, of course not, but let’s start with the biggest, the simplest, the most obvious.

But I would say, take a good look at what happens when we are in the regime of intertitles. Seeing and reading are two functions of the eye. So, I could say that a cinematographic image, at this stage, is visual. It is visual. Quite simply, the eye has two functions: regarding the seen image, its function is vision. As for the read image, its function, as in the case of intertitles, its function is reading. These are two very different functions. What happens to the intertitle considered as a read image? Well, what strikes me is that the read image always assumes a kind of abstract universality. It assumes a kind of abstract universality to the point that, no matter how directly it is proposed to us, we always transform it into indirect style.

For instance, I once gave you an example, I think, and this is where I’m going to start from again… take a seen image. We see a cruel-looking man, who pulls out a knife and brandishing his knife advances towards a poor young girl – I’ll simulate this for effect – and then there’s the intertitle: “I’m going to kill you!” Right. It’s obvious that we, the viewers, read: “He says he’s going to kill her”, since, even in the idiotic notion of identification, which really seems to me – you know this business stories about identifying with, not identifying with – even if there is identification, it’s with the seen image and not with the read image. The intertitle “I’m going to kill you!”, I actually read as: “he says he’s going to kill her”, that is, the read image is read in indirect style even when it’s presented in direct style. In this sense, it takes on a kind of abstract universality.

Whereas… I’m getting ahead of myself, but what I’m saying is that it applies to something of the order of an any-law-whatever, that’s what abstract universality is. He says he’s going to kill her in the name of the law of the strongest, even if it’s the strongest, it’s still a kind of law, whereas the seen image is charged with everything that could be called, it seems to me, everything that I would call “naturalness”, naturalness. There’s something natural about it. It takes on the natural aspect of things and beings. And I’d even go so far as to say that this is what constitutes the beauty of visual images in silent cinema, and that this, as we’ll see, will necessarily disappear afterwards. That’s why, I mean, there’s a naturalness to the visual image. It’s as if the visual image took on the aspect of nature, while the read image, the intertitle, took on – well, what isn’t nature – the abstract universality of law. You’ll tell me: Oh, you’re going too fast, too fast not in the sense of being too difficult, but in the sense of being too arbitrary. A film critic, Louis Audibert…[11] [Interruption of the recording] [2:08:28]

… So, this is not Murnau case… but if the case of Murnau has served us well, it’s because, even when it’s not Nanook of the North [1922] and when it’s not Tabu [1931], what does silent cinema basically show us? What does it show us? It shows us a society. It shows us the structure of this society. It shows us the roles in this society: the boss, the worker, the soldier and so on. It shows us the places and functions in this society. It shows us the actions and reactions of the people who occupy such and such a place, or fulfill such and such a function.

Structure-situation, place and function, actions and reactions, all of it social, yes, all of it social. What’s more, it shows us… the visual image of this cinema shows us the conditions of the speech act, meaning, in a given situation, you are forced to respond or to speak. The character speaks or else responds. So, these are the conditions of the speech act. The visual image also shows us the consequences of the speech act. For example, someone says something and gets slapped in the face. I call this the consequence of a speech act. What’s more, we’re even shown the articulation of the speech act. The way a character articulates in silent cinema.

Well, I would say and I maintain, that’s why – I insist on this – even under these conditions, silent cinema, the seen image, the visual image… the seen image presents us with the nature of a society, and the same way that it presents us with the nature of a society, its attitudes and roles, its functions and places, it also presents us with the social physics of actions and reactions. Okay, it’s a social nature, but a society has a nature. For example, there’s a nature of capitalism. There’s a nature of capitalism, there’s a social physics of actions and reactions. There is a social physics of those who command and a social physics of those who obey: action-reaction.

So, I would say that even when the silent image, when the seen image in silent cinema, presents us with the elements of the purest classical civilization, and not a supposedly immediate natural life, this seen image remains as if naturalized. And once again, this is what constitutes its beauty. The set may be deliberately presented in the most artificial way imaginable. But these sets have a nature. Think of one of the greatest filmmakers of silent cinema in this respect, [Marcel] L’Herbier’s sets. Yet these are not natural sets. They’re highly architectural sets, okay. Yet the image is profoundly naturalistic, and it’s this weight of naturalness that forms such a large part of the beauty of the silent image, that makes it something like a secret of the silent image.

I always try to anticipate… well, in this case, I try to anticipate all possible objections. Someone might say, okay, but watch out. That doesn’t prevent me from… They might say: Look at the Soviets, think of the Soviets, the way they never cease to show how society is, in their view, fundamentally transformable through an act of revolution. Yes, and it’s true, I think of a well-known text by [Sergei] Eisenstein, which I mentioned in a previous year, where he reproaches [D.W.] Griffith, saying that when you watch a Griffith film, you always get the impression that rich and poor are so by nature, that it is their own nature.[12]

And Eisenstein objected, saying: This isn’t how I see it. What I want to show is that wealth and poverty are products of society. So, he seems to be opposed to this kind of naturalness. But in fact, he’s not. Not at all. That’s why it wouldn’t be an objection. What needs to be said, and it’s not surprising, is that Eisenstein and Griffith conceive of nature in two totally different, even opposing, ways. For one simple reason, which is that Griffith has an American conception of nature: nature is fundamentally an organism. It’s an organic nature, and society has an organic nature, especially American society. There are sick societies, and there are healthy societies. American society is the healthy society par excellence, the organic society. It’s organic nature. So rich and poor pertain to an organic nature.

As for Eisenstein… although he himself uses the term “organic”, he obviously gives it a completely different meaning, since for him, there are no organic givens of nature, and nature is not defined organically, it’s defined dialectically. And what does this mean? It means that nature is the dual process of transformation, as Marx put it in a beautiful phrase, that it is the dual process of transformation of man’s natural being and nature’s social being. There is a natural being of man and there is a social being of nature, and dialectics is the movement by which man and nature exchange their determinations, which implies a transformation of society.

But it goes without saying that for Eisenstein, as for Griffith, there is a nature of capitalism. There is a social physics of actions and reactions in a society. A famous example showing what we mean by the naturalness of the silent image is the famous Odessa fog sequence from Battleship Potemkin [1925], regarding which Eisenstein explains that there are three elements involved, and that the image is built on these three elements: water, earth and air. Yes, water, earth and air. The water of the harbor, the air of the mist, and the earth as the place where the corpse is carried. And he says that the fourth element is missing. And the fourth element will be brought to the surface by man, and how? Through fire, and in the form of a revolutionary explosion. It’s a typical text, it seems to me, that shows how… that comments word for word on Marx’s phrase: transformation of man’s natural being and of nature’s human being – in other words, the dialectical identity of nature and man. It is by bringing out the fourth element of nature, namely fire, that man will assure the transformation of society. In this case, the passage – which here in the case of Battleship Potemkin is doomed to failure but the promised passage, the inevitable passage in the future from a capitalist society to a communist society, and yet both these societies have their own nature.

You see, it’s in this sense that I would maintain that in silent films, the seen image has a kind of naturalness. So, something [André] Bazin said only with regard to silent films… no, sorry, something he said regarding cinema in general, seems to me to apply particularly to silent films. Bazin said, You understand, in cinema, we go from the set to the human being, whereas in theater, we go from the human being to the set. So, in cinema, the set always functions as nature. By this he didn’t mean anything specifically natural. He knew very well that the sets could be city sets, but that wouldn’t change anything. At that point, what’s being presented is the nature of this city, the nature of this society. He added that even human faces will be treated in this way. Even human faces will be treated… in what way? As you prefer, as backdrops, as landscapes, as events charged with naturalness.

And he gave the famous example of [Carl] Dreyer’s The Passion of Joan of Arc [1928], where the faces, as he was already saying, where the faces, are landscapes. And this is clearly intrinsically cinematographic and obviously not at all theatrical. Whereas theater goes from man to a supposed nature, cinema, on the contrary, always goes from a supposed nature to man, even if this supposed nature simply takes the form of the face. Simply the face of the human being where, in fact, when you see a close-up of one of the judges of Joan of Arc, or of Joan of Arc herself, every time you see these faces in close-up, they are real landscapes, with craters… everything is visible. So, this seems correct to me, that there is a true naturalness of the visual image.[13] At that point, the visual image is truly naturalized.

You see, for me, the opposition is not between nature and history. Not at all! The visual image is just as much naturalized as it is historical, it’s the nature of this society, it’s the nature of this city, it’s the nature of this historical moment. Okay. So, this visual image is historico-natural. And what is it opposed to? Once again, it’s opposed to the intertitle, the read image, which is not historico-natural. What is it, then? It’s a discourse. The read image is a discourse, a discourse which, being read, is normally expressed in indirect style, and therefore it lacks naturalness.

So, what does this mean? It means that I don’t distinguish between nature and history… so, I distinguish between what two things? What I want to say here is a very simple thing, because [Émile] Benveniste said it very well… in his Problems of General Linguistics[14] He says, and it’s a very, very simple thing… he says that we have to distinguish between two planes: there’s what he calls the plane of story. It doesn’t matter what words he uses. The narrative plane is this… “The events are set forth chronologically, as they occurred.” You see that this is perfectly within the story… “events are set forth chronologically, as they occurred on the horizon of history”. They can be natural events or historical events. It could be thunder, a storm, or it could be a human act, people taking to the streets, or people walking through a city. “No one speaks here”. Which means there’s no determined speaker. “The events seem to narrate themselves…”The events seem to narrate themselves. Indeed, in many classical tales, this is what happens

That’s the story plane, which covers events in both nature and history, and how is this defined? Once again, this story plane is: no one speaks here, even though it’s a story. Events narrate themselves. It’s as if I were to say to you: yes, on the fourteenth of July, this happened. It’s as if events narrated themselves. Benveniste contrasts this with the plane of discourse, and claims there is a fundamental distinction between historical narrative and discourse. And discourse, he says, according to his preferred and continually restated definition of the word, is where real persons come in, the real linguistic persons, of which there are two – according to him – “I” and “you”, since “he” is not a person. “He” is part of the story. But “I” and “you” are variables of enunciation. Only when we have variables of enunciation can we say there is a real discourse, that is, there is only discourse when there is someone who says “I”. There’s someone who says “I” when this someone, the same someone, also says “you” to someone else, who in turn will say “I”.

I’ll just add – and for those who wish to refer to Benveniste’s text, you’ll see how he anticipated this – if I read a speech, I’m mechanically forced to put it in indirect discourse. If I read it, when I hear it, I hear it as direct speech. For example, I hear one of you say: “You’re bothering me”, “You’re bothering me”, or “I’ll go tomorrow”, well, that’s what I hear. If I read “You’re bothering me, he says”, I naturally translate this as “he says that”. I translate it in indirect style. That implies that the distinction between the story plane and the plane of discourse is completely obvious, and it coincides perfectly with the two elements I’ve tried to elucidate: the visual image which, whether historical or not – this is exactly the duality I’m trying to introduce – the visual image, whether historical or not, is always burdened with a kind of naturalness. And far from this being a reproach to silent cinema, I would say it’s a secret of the visual image in silent cinema. And at the other pole, it’s the read image that takes charge of discourse, it’s the intertitle that takes charge – I’d almost say, then, to follow Benveniste – it’s the seen image that takes charge of the story, whereas it’s the read image, the intertitle, that takes charge of discourse…[15]

Hence – and this is the fundamental problem – once again, ensuring the interweaving of the seen image and the read image, and this will be the problem of the talkies, to guarantee their interweaving. The guarantee of this interweaving takes place in two ways – and silent cinema cannot be defined independently of this interweaving – either through graphic experimentation, which will link the seen image to the read image… there was already graphic experimentation in Griffith, as well as the famous graphic experiments of the Soviet school. For example, the “Brothers, brothers, brothers, BROTHERS” [in Battleship Potemkin] that grows in size on the screen, I don’t know if you remember, when the revolutionaries arrive and address the reactionary soldiers, launching their great appeal, “Brothers”, which begins small and grows and grows in size: “Brothers, brothers, brothers”. There have been many graphic experiments of this type. Or there were the ways letters could be made to tremble, which wasn’t necessarily the best direction to take, every technique you could imagine. Graphic experiments have gone very far. There must even be some books that focus on this subject, on the graphic experiments of the silent epoch. Griffith hand-wrote his intertitles, he hand-wrote them, we have Griffith’s own handwriting on his large intertitles. That’s how much he considered them an integral part of the cinematographic image.

Or, as I was saying, and I’ll end on this note, regarding this interweaving, the other case, the one that seems to me to have gone the furthest in his genius for this, is [Dziga] Vertov, not in Man with a Movie Camera [1929], which has no intertitles, but in his earlier work, where there is a level of interweaving of text and visual image that has never been surpassed. It’s a prodigious achievement.

Okay, and then there’s the other procedure, the other procedure which, in a way, is more subtle: you introduce scriptural elements, which are therefore legible, readable, you introduce scriptural elements into the seen image. For example, this is the method… this is Murnau’s method in Tabou: the message is presented as part of the visual image. Or in a horror film, you might have a cemetery with inscriptions on the crosses. You have the legible in the seen image, which posed problems in the early days of silent cinema when, for example, the same scene had to be shot several times in different languages, depending on the countries where the film was to be distributed. Right. Now, you find that constantly, the role of letters in the image… in silent cinema, for example, in a letter that someone reads, even if it’s then doubled by the intertitle that gives the gist of the letter, you’ve seen the legible element in the image. You see, this time there’s not simply interweaving, there’s an “injection” of the legible into the visible.

And this method is obviously very interesting because it allows us, it allows for very subtle combinations. And when we talk about… some filmmakers today who have brought modern cinema closer to the silent era, they obviously appeal, and never fail to appeal, to bring together, rightly or wrongly – I don’t know if it’s possible to do so – for example, the role of written texts in [Jean-Luc] Godard’s work that are injected into the visual image, the most famous and obvious case being the notebook in Pierrot le fou [1965], the notebook in Pierrot le fou, which is so important. Here we have a typical case of a visual image that must be read, and that is inserted into the visual image itself.

So, this is the point we’ve now reached. I’d like you to think about this point, which will allow us… I’d like you to be try to pose the following question, during the vacations: When the talkies arrived, what innovation did they introduce in terms of this distribution of the two images, the seen image seen and the read image? What did they introduce that was new? We’ll be able to sense… and it seems to me that if we manage to compare the same themes, as they are treated in silent films, and in the talkies. I can already see two innovations, and what I want to do now is to tell you about them so that during the vacations, you can reflect on what others there might be.

I see a first theme: degradation, where we’re lucky enough to have… degradation is a very interesting social process, the social process of degradation, in the sense of degrading someone, stripping them of their rank. Well, Murnau’s The Last Laugh [1924] is a silent version of a degradation, the degradation of the great hotel doorman. While in the early talkies we have [Josef von] Sternberg’s The Blue Angel [1930], recounting the degradation of a high school teacher. This in the talkies.

Second example: collaboration. Firstly, silent collaboration, collaboration between employers and police – for simplicity’s sake –- police-mob in Eisenstein’s Strike [1925], the people who live in barrels, the barrel people who will serve as strikebreakers. Collaboration between the police and the sub-proletariat, or the police and the underworld. And then a sound version at the beginning of the talkies, M [1931, Fritz Lang], the great and famous police-mob collaboration to find the murderer.

It’s in terms of these examples that we might do some practical exercises, and we will, with the question: What innovations do the talkies introduce in cinema? If they bring something new, what is it? This will enable us to define the new regime of images. We assume that, with sound, there is a new regime of images, which is no more beautiful, oh certainly not more beautiful, but different. So, I’d like to ask you if you have any ideas about a comparison we could make – you’ll need to look at films from the early days of the talkies, for this to be… – where there is a silent version at the end of the silent era and a sound version at the… in terms of the theme of degradation, I mean, and the theme of collaboration and so on. Well, have a nice break. [End of the session] [2:38:02]

Notes

[1] Deleuze here is thinking, on the one hand, of the 1985 by-elections – which would show the growing support of the Front Nationale among voters – and on the other, of the 1986 national elections, which the Socialists would indeed lose – hence the first cohabitation of a left-wing President, François Mitterand, with a Prime Minister from the conservative majority, Chirac. However, the Socialists would regain the majority two years later with Mitterand’s re-election.

[2] It should be noted here that in French the use of articles with regard to the movement from the particular to the general differs from their use in English, where in most cases generalization is signalled through the omission of the definite article (e.g. “man” as opposed to “the man”). For this reason, we will revert back to the original French “le” when necessary in the interests of clarity.

[3] See Course of General Linguistics, New York: The Philosophical Library, 1959, p. 117.

[4] See Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, 1972.

[5] See Derrida, Of Grammatology, Baltimore: Johns Hopkins UP, 1976.

[6] See Film Language : A Semiotics of the Cinema, Chicago: Chicago UP, 1991.

[7] Host of a TF1 show, Droit de réponse.

[8] Deleuze cites Hepburn, Bacall, Bogart and Hawks’ films in chapter 9 of The Time-Image, pp. 233-234.

[9] The two Hawks films Deleuze refers to in The Time-Image are To Have and Have Not (1944) and The Big Sleep (1946).

[10] On these stages, see chapter 9 of The Time-Image.

[11] See Deleuze’s reference to Audibert on Murnau’s silent film in The Time-Image, pp. 225-226.

[12] This could be Eisenstein’s text, Non-Indifferent Nature (Cambridge: Cambridge UP, 1987). See session 11 of Cinema 2, February 22, 1983, and The Movement-Image, pp. 39, 83 and 181-183. However, it could also be Eisenstein’s collection of articles, Film Form/The Film Sense (Meridian: New York, 1957). See The Time-Image, p. 308, note 4.

[13] For this discussion, see The Time-Image, p. 225.

[14] See Problems in General Linguistics: Miami: Miami UP, 1971.

[15] Although Deleuze seems to be reading from Benveniste’s text, these remarks on the visual image are not to be found in the text, and so we have decided not to use quotation marks.

French Transcript

Edited

Gilles Deleuze

Sur Cinéma et Pensée, 1984-1985

17ème séance, 26 mars 1985 (cours 83)

Transcription : La voix de Deleuze, John Stetter, relecture : Stephanie Lemoine (1ère partie), Mélanie Pétrémont (2ème partie) et Mélanie Petrémont (3ème partie) ; révisions supplémentaires à la transcription et l’horodatage, Charles J. Stivale

Deleuze Notebook 01

Partie 1

[Comme cela devient évident plus loin, Deleuze est au départ en train d’énumérer les “ordres du jour,” c’est-à-dire comment poursuivre le séminaire à la lumière de quelques questions plus ou moins urgentes soulevées par les participants]

…. parce que quand même je trouve un peu grotesque la manière dont à la télé s’est présentée, sous la forme : “être ou ne pas être raciste”. Qu’est-ce que c’est ? Et ça revient à des choses comme : Est-ce que vous seriez contente si votre fille épousait à un blanc ou à un noir, ou à un jaune ? Alors, je ne sais pas bien, j’ai le sentiment confus que le problème du racisme ne se pose pas exactement à ce niveau-là. En revanche, je ne connais pas encore de questionnaire qui soit assez bien fait, politiquement, sur le thème, par exemple : l’égalité, l’égalité des hommes. Où la mettez-vous ? À supposer que tout le monde réponde : « oh, moi je suis pour l’égalité », même [Jean-Marie] Le Pen. Mais la question, ce n’est pas, ce n’est pas [1 :00] si on est pour ou contre. C’est comme l’existence de Dieu, l’égalité, tout dépend de ce qu’on entend par Dieu. Il n’y pas de réponse à « Est-ce que vous croyez en Dieu » ? Ça dépend de ce que vous appelez Dieu. L’égalité, c’est un peu pareil.

Alors, un bon questionnaire, il me semble, consisterait à dire : Vous croyez certainement, y compris Le Pen, vous croyez certainement à l’égalité des hommes, ça c’est sûr. Il vaut mieux ne pas avoir de procès, alors. Mais expliquez-nous un peu, où elle est pour vous, l’égalité des hommes ? Alors, j’ai entendu de l’archevêque de Lyon une réponse qui a été intéressante qui est la réponse de l’Église, très prudente, mais très intéressante : « il y a une égalité en dignité ». [2 :00] Nous ne savons pas ce qu’il en est de l’intelligence, ce n’est pas à nous de le décider, nous ne savons pas ce que… etc. Mais de toutes manières, il y a une égalité en dignité, ça c’est une notion ecclésiastique : l’égalité en dignité.

En effet, il y a là, je crois, moi mon rêve ça serait d’arriver à un questionnaire, alors que les mouvements antiracistes pourraient envoyer à [Jacques] Chirac, qui serait très ennuyé s’il ne répondait pas, pourraient envoyer à toutes sortes d’hommes politiques, car je suis frappé que dans beaucoup de cas, la déclaration : « nous ne sommes pas racistes » est considérée comme suffisante. Mais ce n’est pas vrai, ce n’est pas suffisant ; il faut dire en quoi on ne l’est pas. Encore une fois, ce n’est pas… moi je crois que ce n’est pas — parce que je serais très content, à supposer que je le sois, [3 :00] que ma fille épouse un Noir — ce n’est pas pour ça que je ne serais pas raciste, non, ce n’est pas pour ça. C’est pour autre chose. Voilà, bon !

Mais enfin, je demande tout de suite si certains d’entre vous souhaitent que nous consacrions une partie de… A mon avis, je vous dis, c’est inutile, vue la nature de notre travail ici, dénoncer le racisme, non. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de le faire ici. En revanche, en revanche, comment participer effectivement dans la lutte contre le racisme actuellement ? Je dois vous dire que mes idées sont pauvres, parce qu’outre celles de tout le monde, celles de tous les mouvements antiracistes, je n’aurais de réclamation que pour la [4 :00] constitution d’un questionnaire de grande divulgation, portant notamment et adressé aux partis politiques. [Pause]

Parce que… Ce qui rend la période… Je ne sais pas ce que vous vous pensez — maintenant je ne pense qu’au cas où les élections soient perdues par les Socialistes– moi, je ne crois pas que la réaction se fera en douceur. Je ne crois pas que comme certains le pensent ; certains disent : « Oh les Socialistes, ils font des pas vers le centre », tout ça, « à certains égards il n’y aura pas des changements [5 :00] fondamentaux ». [Deleuze pense sans doute, d’une part, aux élections partielles de 1985 qui pourraient montrer le soutien grandissant du Front national de la part des électeurs, et d’autre part, aux élections nationales de 1986 que les Socialistes perdront en effet – d’où la première cohabitation avec un Président de gauche, François Mitterand, avec un Premier Ministre de la majorité conservatrice, Chirac – mais ils reprendront la majorité deux en plus tard avec la réélection de Mitterand]

Moi je crois, au contraire, que si les élections sont perdues, enfin perdues dans des conditions graves, il y aura une réaction très, très dure, à tous les niveaux, à tous les niveaux. Ça ne se fera pas en douceur du tout. Je ne sais pas ce que vous pensez à cet égard. Cela dit, cette question est importante quant à notre attitude à chacun. On est… Si on pense, comme moi, que en cas de perte des élections, la réaction sera très dure, ça implique une certaine attitude, dès maintenant, par rapport au gouvernement, par rapport au gouvernement socialiste, qui est par-là même que si l’on pense que la réaction se fera de manière plus hypocrite. [6 :00] Bon, mais enfin tout ça, c’est… Bon, comme moi je crois qu’il n’est pas nécessaire, sauf si quelqu’un ici le trouve nécessaire, qu’il n’est pas nécessaire de faire un arrêt dans notre travail pour parler d’une question sur laquelle nous sommes, à ma connaissance, strictement tous du même avis. Pas de remarques ? Pas de remarques.

Deuxième point de l’ordre du jour : fumer ou ne pas fumer. Enfin, je signale qu’en effet, ça a l’air de rien, mais ce n’est pas sain de respirer la fumée des autres que fumer soi-même. Respirer la fumée des autres, c’est dans l’atmosphère, c’est terrible, terrible, y compris pour les fumeurs. [7 :00] C’est pour ça que je n’avais qu’une solution : fumez, mais un par un. [Rires] Mais, on s’aperçoit que c’est toujours le même, [Rires] donc ça ne va pas non plus. Donc là vous avez bien fumé, vous arrêtez quand vous n’en pouvez plus. Il suffirait qu’il y ait des coutumes, mettons que, il faudrait qu’il n’y ait pas un seul, mais quinze. Lorsque quinze craquent en même temps, on fait un arrêt, et ils vont fumer dans la cour, et nous on continue, ils rattraperont comme ils pourront, quoi, voilà ! Donc toutes les combinaisons sont permises. Mais moi, je tiens à signaler que ceux qui protestent contre le haut niveau de fumée dans cette salle ne le font évidemment pas par méchanceté, ni par mauvais caractère, [8 :00] mais par une réaction physique de panique. D’où respectez-les, car le fumeur, lui, n’est pas respectable. Hein ? [Rires] [Pause]

Troisième point de l’ordre du jour : on travaille, on travaille un petit peu… [Pause] Vous êtes très mal là, [Sans doute les étudiants coincés peut-être sans chaises] il faut qu’ils se poussent… [Longue pause ; bruits des chaises] [9 :00-10 :00] Alors je souhaiterais que notre séance là aujourd’hui soit à nouveau très douce et comporte deux parties : la fin de la partie difficile, et le début de la partie facile, laquelle partie facile va s’étendre après les vacances, puisque c’est la dernière séance avant les vacances.

[Musique dans la salle : « Ainsi Parlait Zarathoustra » de Richard Strauss, Prologue du Film « A Space Odyssey » de Stanley Kubrick] [Gros rires]

Mais, ce n’est pas de la musique douce ça. [11 :00] Ben voilà ! C’est exactement ce que je voulais dire. [Rires] Ben ! Bon dieu, c’est à qui ça ? C’est à toi ?

Un étudiant : Mais non, absolument pas !

Deleuze : À qui est-ce ça ?

Une participante : Mais, c’est peut-être très bien ! C’est bien quand même.

Deleuze : Ah, oui, alors, oui, vous préférez ça ? [Rires]

L’étudiante : Non, non, non, je ne préfère pas ça, mais enfin c’est quand même assez agréable un petit moment.

Deleuze : Ah la-la ! [Rires] Oui, et moi, [12 :00] ça me retire mes idées… Ouais, alors voilà, je voudrais que, bon… Je ne sais pas, moi je serais content… Ce n’est pas l’important, encore une fois, que vous compreniez tout, c’est que vous preniez conscience de certains problèmes qui me paraissent très importants dans la question sémiologique et sémiotique. Alors, je traîne un peu là, j’essaie de vous faire comprendre.

On a vu donc cet auteur un peu insolite parmi les linguistes, Gustave Guillaume, nous proposait une idée. Et vous sentez déjà que c’est compliqué parce que cette idée, est-ce que c’est dans la linguistique le maintien d’une certaine tradition [13 :00] que les linguistes d’habitude récusaient ? Est-ce que c’est au contraire une nouvelle manière de poser les problèmes de linguistique, ou est-ce que c’est les deux à la fois ? Il se peut très bien que ce soit les deux à la fois. En tout cas, le point de vue très particulier consistait en ceci, à nous dire, d’une certaine manière, il y a une matière pré-linguistique. Il y a une matière pré-linguistique. C’est pour ça que je faisais le rapprochement avec [Louis] Hjelmslev. Lorsque Hjelmslev, si pur linguiste qu’il soit, nous dit : il y a la forme et la substance dans le langage, il y a la forme et la substance, [14 :00] la substance étant une matière formée, mais ajoute que, dès lors, il y a bien sur un mode quelconque, sur un mode très compliqué, une matière non-linguistiquement formée, que le langage présuppose, une matière non-linguistiquement formée, et je dis, Hjelmslev, lui, reste très discret sur cette matière. Elle est comme un présupposé de la linguistique. Tandis que Gustave Guillaume, lui, est beaucoup moins discret. Il y a, nous dit-il, un « signifié de puissance », et ce signifié de puissance est véritablement une matière [15 :00] pré-linguistique.

Voyez tout de suite, avant même qu’on retrouve ce point, voyez tout de suite la réaction des linguistes qui vont dire : Guillaume a beau être un excellent linguiste, sur ce point il réintroduit toute la vieille métaphysique, [Pause] une condition préalable au langage qui serait comme une matière non-formée linguistiquement, comme une matière pré-linguistique, et qu’il appelle le « signifié de puissance ». [Pause] Et on a vu que le « signifié de puissance », il l’appelait aussi parfois un « psychisme de puissance », [16 :00] et qu’il le présentait sous quelle forme ? Il le présentait sous la forme de « mouvement-pensée » ou de « mouvement de pensée ». Et peut-être, comprenez bien, peut-être de tels mouvements, un tel signifié de puissance, n’existent pas indépendamment de la langue. C’est possible. Il n’existe que par et dans la langue. Mais, même s’il existe seulement par et dans la langue, il existe comme présupposé par la langue, présupposé en droit, présupposé « idéellement » par la langue. [Pause] [17 :00]

Ce signifié de puissance est donc, de toute manière, un mouvement, et il correspond au sens, au sens d’une unité linguistique. D’où son idée fondamentale, une unité linguistique n’a qu’un seul et même sens, quel que soit son emploi dans le langage. [Pause] Alors, en tout cas donc, nous sommes assez avancés pour savoir qu’il n’y a pas lieu de chercher [Pause] un terme ou un [18 :00] concept qui dirait ce sens unique pour une unité linguistique. Encore une fois, c’est un mouvement comme mouvement de pensée. [Pause] Et là-dessus, chaque unité linguistique, [Pause] ou plutôt, ouais, une unité linguistique a donc ce signifié de puissance pour sens. [Pause] Mais d’après ses emplois dans le langage, elle va opérer [19 :00] sur ce sens ou sur ce mouvement des « coupes », et à chaque emploi correspondra une coupe de ce mouvement ou une « visée particulière », dit-il parfois, une visée particulière sur ce mouvement.

Exemple, on l’avait vu, l’article « un », l’article indéfini : « un », « une ». Il n’a qu’un signifié de puissance, un seul sens, c’est le mouvement de la particularisation, l’article indéfini particularise. C’est le mouvement de la particularisation. [Pause] [20 :00] Voyez, l’article indéfini est un signe, il renvoie à un signifié de puissance qui constitue son sens, mouvement de la particularisation. Mais les emplois du signe de l’article indéfini dans le langage vont être chacun, ou vont donner aux signes, à l’article, chaque fois, une visée particulière sur le sens, c’est-à-dire sur le mouvement de la particularisation, ou vont constituer un point du vue particulier sur le mouvement de particularisation.

Ça peut être quoi ? [21 :00] Par le mouvement de la particularisation, on pourrait aussi bien dire, si vous voulez, c’est le mouvement par lequel quelque chose, « un quelque chose », s’arrache à un fond. [Pause] « Un loup survient, [Pause] un loup survient », « un Indien surgit ». [Pause] C’est ce mouvement, et Guillaume analyse, a une très belle analyse sur le rapport qu’on forme, là, et l’article indéfini va tirer quelque chose hors du fond. Mais tout dépend. Si je me donne donc comme signifié de puissance le mouvement de particularisation, ben, tout dépend à quel niveau, tout dépend à quel niveau [Deleuze s’éloigne du micro, donc vers le tableau] [22 :00] on le met. Ce sera toujours « un ». Le signifié de puissance, c’est ce mouvement de particularisation. [Pause ; Deleuze commence à écrire au tableau] Mais, je peux fixer un emploi de l’article indéfini que j’appellerai près de l’origine. Près de l’origine, ça veut dire que c’est près de ce qui est général, puisque le mouvement de particularisation, c’est ce qui va du général au particulier, près du général. Je peux le fixer à la fin, tout près de la particularité extrême. [Pause; Deleuze écrit au tableau] Là, « un homme est mortel ». [Pause] [23:00] C’est-à-dire un homme, quel qu’il soit, est mortel. « Un homme est venu ». [Voir images 1 et 2] Là, c’est près du maximum de particularisation.

Vous voyez, je devrais distinguer comme trois termes : le signifié de puissance, c’est le mouvement-pensée ou le mouvement de pensée, le mouvement pré-linguistique ou le mouvement non-linguistiquement formé qui constitue le sens, ici, le mouvement de particularisation. [Pause] [24 :00] Le signe, c’est « un » rapporté à ses différentes occurrences dans le langage ; [Pause] il est à tous les niveaux des coupes possibles du mouvement de particularisation, c’est-à-dire du mouvement qui va du général au particulier. Donc, à chaque position [Pause] correspondra une valeur du signe, du signe « un ». En tant qu’il opère une visée sur le mouvement de particularisation, sur le signifié de puissance, on dira que le signe [25 :00] se charge d’un « signifié d’effet » ; en tant qu’il opère une visée particulière sur le mouvement de pensée, c’est-à-dire, sur le signifié de puissance, il se charge d’un signifié d’effet qui, dès lors, est attaché à tel point de vue. « Un homme est mortel » se définira par et en fonction à certain signifié d’effet, et le signifié d’effet ne sera pas le même dans « un homme est venu » tandis que le signifié de puissance sera le même. [Pause] Vous comprenez, c’est clair, ça ? [26 :00] Vous allez voir, je vais lentement parce que les conséquences, quand on arrivera aux conséquences, elles me paraissent énormes pour la linguistique, aussi bien que pour la philosophie.

Mais enfin, et je disais avec « le », voyez, c’est la même chose. [Voir image 2] On prend maintenant l’article défini : « le », « la ». L’article défini, son signifié de puissance, ou le mouvement-pensée qui constitue son sens, est différent. C’est la généralisation, c’est-à-dire, c’est le mouvement qui va du particulier au général. [Pause] Donc lui, il commence par le particulier, et il s’élève vers le général. [Pause] [27 :00] Mais, ça sera la même chose. L’article « le » n’a qu’un seul signifié de puissance. Dans chacun de ses emplois dans le langage, il opère une coupe ou un de point de vue sur le mouvement de généralisation, c’est-à-dire, sur le signifié de puissance. Par-là même, il se charge dans chacune de ses positions — il a des positions, c’est même ça le terme important chez Guillaume, il a des positions prises sur le mouvement qui constitue le signifié de puissance — en tant qu’il est pris à telle ou telle position, il a un signifié d’effet. [Pause] [28 :00]

Alors, le plus près de l’origine du mouvement de la généralisation, c’est-à-dire, le plus près du particulier, j’ai quelque chose comme : « l’homme qui est venu », lorsque je dis « l’homme qui est venu hier ». Au niveau de la destination, c’est-à-dire, le maximum de généralité, j’ai une formule du type « l’homme est mortel ». [Pause ; Deleuze écrit au tableau] Vous voyez, c’est toujours mes trois points : le signifié de puissance pré-linguistique, l’unité linguistique qui a des positions sur le mouvement impliqué dans le signifié de puissance, le signifié d’effet qui correspond à chacune de ses positions. [29 :00]

Et je pourrais toujours établir des correspondances, et Guillaume établit des correspondances entre mes deux séries. Par exemple, je rapproche « un homme est venu » et « l’homme qui est venu hier », « un homme est venu hier », et « l’homme qui est venu hier », il y a correspondance. Je rapproche « un homme quelconque est mortel » et « l’homme est mortel ». Mais ce rapprochement est parfaitement valable à ceci près que ce sont deux positions — l’une de l’article indéfini, l’autre de l’article défini — ce sont deux positions comparables, mais deux positions prélevées sur deux mouvements tout à fait différents, et même [30 :00] dans ce cas deux mouvements opposés : mouvement de particularisation et mouvement de généralisation. Si bien que dans un cas, « un homme est venu », le « un » sera une position — comment dire ? — d’extrémité de l’article indéfini, tandis que « l’homme qui est venu » sera une position d’origine de l’article défini. Pourquoi ? Puisqu’ils ne sont pas prélevés sur le même mouvement. [Pause]

La même opération, ce qui rend passionnante l’œuvre de Guillaume — et je ne prétends pas faire un cours [31 :00] là-dessus, je dis très vite — ce qui rend passionnante l’œuvre de Guillaume, c’est qu’il va faire la même opération que je viens de résumer sur l’article, il va faire la même opération sur le nom, ce qui l’amènera en gros — les distinctions se multiplient, c’est extrêmement précis, mais c’est très amusant en même temps — en gros, il dit : il avait les deux articles correspondants à deux mouvements, défini et indéfini. Pour le nom, il va distinguer trois termes qui vont aussi renvoyer à des signifiés de puissances, c’est-à-dire, à des mouvements : le substantif, l’adjectif et l’adverbe, qui seront les trois formes fondamentales du nom.

C’est très original, tout ça, c’est une classification. [32 :00] Moi, qui aime beaucoup les classifications vous pensez mon plaisir, c’est… Alors je laisse ça, parce qu’en effet, on aurait pu concevoir une autre année, ça nous prendrait un trimestre de raconter tout ça. Et puis il s’intéresse aussi aux verbes, et là ça m’intéresse pour une question vous allez voir. C’est que ne vous a pas échappé que toute son analyse renvoie — ce n’est pas par hasard que je l’avais choisi pour dire un petit quelque chose — toute son analyse de l’article renvoie à un signifié de puissance qui se présente en termes de mouvement, mouvement-pensée. [Pause] [33 :00]

Je dirais, bon, en prenant un mot qui est commode, « procès » ou « processus », le signifié de puissance dans le cas de l’article est un procès, est un procès de mouvement, tandis que — je laisse de côté son analyse du nom — il y a un texte, un des plus difficiles, un des plus beaux de Guillaume, sur le verbe. Alors soit vous essayez de le lire en bibliothèque, ceux que ça intéresse — ça s’appelle Époques et niveaux temporels dans le système de la conjugaison française, « Époques et niveaux temporels dans le système de la conjugaison française », alors c’est là que ça devient délicat : Cahiers de Linguistique Structurale, [Pause] numéro 4 [1955] [34 :00] Université de Laval, Canada. [Pause] À mon avis, dans mon souvenir, ils ne l’ont même pas à la [Bibliothèque] Nationale, alors… ils ne l’ont même pas à la Nationale. Que faire ? Bon. Sinon, ou bien vous vous le faites envoyer – moi, on m’avait envoyé une photocopie — sinon, il vous reste, je vous disais que le livre à cet égard d’Edmond Ortigues, Le discours et le symbole chez Aubier [1962], était un livre très remarquable, et il consacre tout un chapitre, le chapitre 6, [Pause] « La conjugaison du verbe d’après Guillaume ». [35 :00]

Et c’est, et c’est, bon, c’est peut-être lui qui a raison, je ne vois pas tout à fait comme lui mais… En gros, moi comme j’ai simplifié énormément, ça n’a aucune importance. Je vous voudrais juste que vous reteniez, et même vous corrigerez ce que j’aurai dit si vous lisez Ortigues. Bon, moi je voudrais en retenir… Ce qui m’intéresse dans le cas du verbe, c’est qu’il opère ce qu’il appelle lui-même « une chrono-genèse », c’est-à-dire cette fois-ci que le signifié de puissance du verbe, c’est, il me semble, un procès de temporalisation, un procès de temporalisation … [Interruption de l’enregistrement] [35 :51]

… c’est le signifié de puissance du verbe, [36 :00] il ne peut pas nous donner déjà les temps d’un verbe, puisqu’il s’agit de faire la genèse des temps. Les temps du verbe seront quoi ? Ce seront des signifiés d’effet ; ce seront des valeurs prises par le signe linguistique verbal, lorsqu’il opère une visée ou lorsqu’il prend une position sur le mouvement de temporalisation. En d’autres termes, il faut une chrono-genèse, une chrono-genèse des temps. [Pause] Cette chrono-genèse, elle ne peut pas supposer les temps. Donc, quel va être l’instrument ? Quel va être le moyen de la chrono-genèse ? [37 :00] Ça va être les modes, et encore, une certaine organisation des modes très, très curieuse. [Pause]

Quel est le grand mouvement auquel renvoie le verbe ? Tout comme on cherchait les mouvements auxquels renvoyait l’article, et sa réponse avait été : l’article renvoie tantôt au mouvement de particularisation, tantôt au mouvement de généralisation, comme signifié de puissance ou mouvement-pensée. Là, il invente des notions. [Deleuze écrit au tableau] Le verbe renvoie tantôt à un processus qu’il appellera « d’incidence », [38 :00] tantôt à un processus qu’il appellera de « décadence ». Qu’est-ce que c’est que l’incidence ? C’est que tout verbe marque une tension ; tout verbe a une tension qui lui est immanente. C’est la notion de tension. [Pause] L’incidence, c’est la survenue d’une tension, c’est l’exercice d’une tension sur une matière. [Pause] Et la décadence, [39 :00] c’est le contraire, c’est-à-dire c’est la tension accomplie, la tension exténuée, [Pause] la tension épuisée [Pause] sur laquelle on a dès lors un point de vue extérieur. [Pause] La tension épuisée, on l’appelle procès de décadence. [Pause] Et voilà la première étape de la chrono-genèse. [Pause] [40 :00]

Incidence : [Pause] « chanter » à l’infinitif, l’infinitif. — Je simplifie énormément, énormément, je voudrais juste que ouais, puis que moins que jamais vous ne songiez à discuter, que vous reteniez une impression — L’infinitif exprime la tension interne du verbe. La tension exténuée, [Pause] c’est la décadence. Nous, on la met de l’autre côté. [Pause ; Deleuze écrit au tableau] [41 :00] Cette fois-ci, la tension exténuée, vous l’avez non plus dans l’infinitif, mais dans le participe passé : « chanté ». Vous remarquerez que la tension expirée peut-être reprise, je vous disais tout à l’heure, elle peut être reprise d’un point de vue extérieur, et c’est ce qui se passe pour l’infinitif, lorsque vous dites « avoir chanté ». Vous reprenez d’un point du vue extérieur la tension. Si bien que, là déjà, je réussis un mouvement qui justifie de mettre sur la même ligne provisoirement, et quoi encore, [42 :00] une position-séquence, c’est-à-dire, qui soit comme, qui réunisse et prolonge l’incidence dans une décadence en train de se former, une séquence qui sera représentée par le participe présent, « chantant ».

Le premier niveau de la chrono-genèse portera donc sur incidence-décadence, comme signifié de puissance, et les trois positions clés, les trois points de vue du [43 :00] signe linguistique verbal, sont : l’infinitif, le participe passé et le participe présent, qui se chargent dès lors d’un signifié d’effet. Vous voyez c’est le même principe. C’est ce qu’il appellera la première étape de la chrono-genèse, à savoir, c’est un mode comme nominal du verbe. Peu importe pourquoi ; il dit, c’est le mode le plus proche de l’état du nom auquel je n’ai fait qu’une rapide allusion tout à l’heure. [Pause] [44 :00]

Et puis – je vais vite parce que vous avez compris tout ce qu’il dit — deuxième étape de la chrono-genèse, ce sera le subjonctif. Qu’est-ce qu’amène le subjonctif ? Il amène des choses très, très nouvelles par rapport à la première étape, il amène l’introduction des personnes. Mais surtout, il amène, il double l’incidence et la décadence d’un autre mouvement. Là, les textes de Guillaume sont très, très complexes. Il emploie parfois, [45 :00] me semble-t-il, les termes « ascendance », « descendance », un mouvement d’ascendance ou un mouvement de descendance, qui surviendrait au niveau du subjonctif, et signifiant quoi ? C’est que le subjonctif, l’ascendance, ça serait le rapport du terme de l’unité linguistique avec un virtuel ; ça serait le procès du virtuel, ce serait ça le signifié de puissance, [Pause] ou du possible — je considère ces deux notions comme équivalentes –, [46 :00] ou du possible, c’est-à-dire que le procès d’ascendance à la limite considérerait la totalité du possible. [Pause] Exemple : « que j’aime », « que j’aime », subjonctif présent, [Pause] où je considère non seulement l’amour comme possible, mais je le considère en référence à une totalité du possible. [Pause] [47 :00]

« Que j’aime », la descendance, ce serait quoi ? [Quelques propos indistincts] Guillaume veut nous dire quelque chose comme ceci : même dans le possible, même sans faire intervenir encore le réel, même dans le possible, il y a des possibles inconciliables. [Pause] Je dirais, par exemple, c’est un autre point de vue. D’un certain point de vue, je peux dire : la vitesse, la sécurité — quoi d’autre ? je ne vois rien d’autre à ajouter [48 :00] — la vitesse, la sécurité, etc., forment la totalité des possibles du point de vue de l’idéal de la voiture. Et puis, je dis, et ça ne s’oppose pas, j’appellerais ça le point de vue de l’ascendance — et cet exemple, il est sous ma responsabilité ; il n’est pas dans le livre — c’est le point de vue de l’ascendance. Et puis je dis, attention, même du point de vue du possible, plus vous aurez de vitesse, plus vous risquez, moins vous risquez. Comme c’est un risque, vous n’aurez pas de sécurité. Plus vous aurez de sécurité, moins vous aurez de vitesse. Supposez que ce soit vrai. Ne dites surtout pas « ce n’est pas vrai ». Aucun intérêt à ce moment-là ; il faudrait que je trouve un autre exemple, [49 :00] ce qui nous fatiguerait tous.

Là, tout n’est pas, comme dirait Leibniz, tous les possibles ne sont pas compossibles, tous les possibles ne sont pas conciliables. Donc, vous avez un mouvement par lequel on s’élève vers le tout du possible et un autre mouvement par lequel les possibles se dissocient. Le premier moment, c’est « que j’aime », et le second moment, c’est « que j’aimasse ». Et il y a des pages sublimes, très, très belles de Guillaume pour montrer pourquoi les formules du subjonctif imparfait tendent à disparaître en français, [50 :00] parce que, selon lui, ce n’est pas parce que c’est des formules dont les sons sont barbares. Il dit, au contraire, si les sons sont barbares, c’est parce que c’est une formule qui implique une contradiction. La tension, là, implique une contradiction. Si je dis que j’aime et si je dis que j’aimasse, il y a comme une espèce de double tension contraire. Vous voyez, sur cette ligne, il nous flanque les deux subjonctifs qui renvoient à ce que j’appelle, en gros, mouvement d’ascendance et mouvement de descendance dans le virtuel ou dans le possible.

Troisième niveau, et c’est bien une chrono-genèse. Là, j’aurai [Deleuze écrit au tableau] subjonctif présent et subjonctif imparfait, [51 :00] à chacun il l’engendre bien. Ce qu’il engendre, il faut le lire en horizontal ; la chrono-genèse, il faut la lire en vertical. À chaque étape de la chrono-genèse, vous voyez qu’il a engendré des unités verbales définies comme des positions sur un procès de pensée. Alors, au premier niveau, il a défini trois positions : infinitif, participe présent, participe passé. Au second niveau, il a défini deux positions principales : subjonctif présent, subjonctif imparfait. Au troisième niveau, ça va être quoi ? Là surgit l’actuel ou le réel. C’est pour ça que c’était très [52 :00] important de montrer que dans le subjonctif, on restait précisément dans le virtuel et le possible, même quand se dessinaient des incompatibilités propres au subjonctif imparfait.

Alors, bon, le présent, qu’est-ce qu’il va faire, lui ? Très curieux. Pourquoi il va introduire… le présent, c’est le réel. Il va sauter à une position pour l’actuel. Et vous allez voir que le présent reprend à sa manière et le mouvement d’incidence-décadence et le mouvement d’ascendance-descendance. En effet, [53 :00] si je comprends bien, il nous dit quelque chose comme : tout moment actuel est présent, tout moment actuel est présent. [Pause] Et en même temps, chaque présent [Pause] se définit [Pause] par différence avec l’ancien actuel qui n’est plus présent et le futur actuel qui n’est pas encore présent. Donc, d’un certain point de vue, je peux dire le présent, c’est tout l’actuel, [54 :00] le Tout de l’actuel, et en même temps, le présent, c’est ce qui différencie l’actuel de ce qui a cessé de l’être ou de ce qui ne l’est pas encore.

En fonction de quoi, [quelques mots indistincts lorsqu’il se tourne au tableau] en fonction de quoi je peux mettre sur ma ligne, dont vous sentez dès lors qu’elle va être la ligne de l’indicatif, j’aurai mes trois lignes : mode nominal du verbe, mode subjonctif du verbe, mode indicatif du verbe, avec position clé du présent. [55 :00] Et j’aurai en position d’incidence : « je chantais », l’impératif… pardon, l’imparfait ! [Pause] — qu’est-ce que je dis ? — J’aurai en position, au contraire, en position de décadence « je chantais », l’imparfait. En effet, lorsque je dis « je chantais », ben j’ai fini de chanter. [Pause] [56 :00] Mais, également du côté du passé, j’aurai une position d’incidence : « je chantai », « je chantai », [Deleuze exagère une terminaison -ai distincte de -ais] le passé simple. Le passé simple lorsque je dis « je chantai », ça veut dire que je me suis mis à chanter dans le passé, et là vous avez une position d’incidence liée au passé et à la dimension du passé. [Pause]

Du côté du futur, vous avez [Deleuze écrit au tableau] un futur d’incidence, « je chanterai », « oui, oui, je chanterai », « demain je chanterai », [Pause] [57 :00] et puis vous avez une position de décadence. Vous allez me dire « j’aurai chanté. » Haha ! Non ! [Rires] vous n’avez pas compris. Les auxiliaires « j’aurai chanté » impliquent un auxiliaire ; or l’auxiliaire est une reprise, l’auxiliaire est toujours une reprise. Ça ne peut pas être « j’aurai chanté », c’est « je chanterais ». Vous me direz, c’est le conditionnel, ben ce n’est pas un mode, c’est un faux mode, c’est un faux mode, « je chanterais ». Il est en position de décadence ou de descendance puisque les deux vont jouer — ça va devenir tellement compliqué — sentez que les deux vont jouer, je dis, en position de descendance puisque, [58 :00] en effet, lorsque je dis « je chanterais » au conditionnel, ça veut dire que si dans les événements possibles, il n’y a pas un incompossible qui arrête ma chanson. [Pause] Là, je ne me mets plus en position dite d’ascendance, dans un tout du possible, « je chanterai », mais au contraire, dans la possibilité qu’il y ait des inconciliables dans le possible : « Je chanterais si vous me le demandez assez gentiment. » « Si », « si » etc. « Je chanterais ».

Alors tout ceci dit, je voudrais juste en tirer une confirmation. Vous voyez à quel point ça donne une linguistique d’un type [59 :00], d’un type très, très curieux. Je veux dire, à chaque fois je peux reprendre mon thème… Ce qui est nécessaire, ce n’est pas que les exemples soient très clairs. Ce qui me suffit, c’est que la masse des exemples que j’ai donnée provoque en vous une familiarité avec cette idée. C’est la familiarité avec l’idée qui m’importe, que vous l’ayez. A chaque fois, il définira un signifié de puissance qui, comprenez bien, surtout n’est pas une essence, n’est pas un concept, mais un dynamisme ou un procès, un processus, processus de pensée qu’il appelle le signifié de puissance. Une unité linguistique est un signe [Pause] [60 :00] qui a pour sens le signifié de puissance. Mais en tant que signe, l’unité linguistique implique qu’elle occupe une position, [Deleuze tousse] une position prélevée sur le procès. Pas une et une seule, une position parmi un ensemble de positions possibles : l’ensemble des positions possibles de l’article indéfini « un », l’ensemble des positions possibles de l’article défini “le”… [Interruption de l’enregistrement] [1 :00 :48]

Partie 2

… Si vous considérez, dernier point, si vous considérez l’unité linguistique [61 :00] dans une de ses positions, en une de ses positions, vous direz : c’est son signifié d’effet. Donc, le signe linguistique selon Guillaume, est constitué par le signe et son signifié d’effet, mais voilà que le signe linguistique renvoie à une condition pré-linguistique qui, en même temps, est un corrélat de la langue, qui n’existe pas en dehors de la langue, mais qui n’est pas formé linguistiquement. C’est ça qui est important : c’est le corrélat non linguistique du langage. [Pause] [62 :00]

D’où je dis pour la linguistique, trois conséquences fondamentales, pour cette linguistique, là c’est autour de ça que tout va se jouer. Et là aussi si on reprend l’épreuve « que j’aime », il me semble que c’est autour des trois questions suivantes que vous devez décider si vous êtes éventuellement des disciples de Guillaume, ou si vous refusez, vous préférez être des disciples, ou bien, ça n’a pas d’importance.

Je dis, le premier point important dans cette linguistique, c’est l’affirmation donc d’une matière préalable, pré-linguistique, et « préalable » est très mauvais comme terme. [63 :00] Encore une fois, ce n’est pas préalable du point de vue de l’existence. Il ne s’agit pas de dire : il y a une matière pré-linguistique avant la langue. C’est une préexistence de droit si bien que c’est un corrélat de la langue. Mais c’est un corrélat ; quand je dis c’est un corrélat, ça veut dire : en tant que corrélat, il n’est pas linguistiquement formé. La langue renvoie à un corrélat qui n’existe pas en dehors d’elle et qui pourtant, par lui-même, en lui-même, n’est pas linguistiquement formé. C’est ce qu’on appellera « matière ». Je dis bien, peut-être en soulignant trois fois, peut-être — qu’on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas — peut-être, peut-être, peut-être, est-ce [64 :00] quelque chose comme cela que Hjelmslev veut dire quand il parle de matière. En tous cas, c’est ça que veut dire Guillaume lorsqu’il parle de signifié de puissance. [Pause]

Et vous comprenez pourquoi tous les linguistes vont s’opposer à ce point de vue puisque ce point de vue met gravement en cause la suffisance de la langue et la possibilité de traiter la langue comme un système abstraitement clos. Or la possibilité de traiter la langue comme un système abstraitement clos — ils savent bien, je veux dire, les linguistes savent très bien que ça n’est pas un système clos concrètement — mais ils réclament les droits de la scientificité, à savoir : [65 :00] traiter son objet comme un système clos. Eh bien, tous les linguistes évidemment s’opposeront à ce point de vue pour y dénoncer le maintien chez Gustave Guillaume d’une vieille métaphysique, d’un vieux point de vue métaphysique. Bon, est-ce que ce vieux point de vue métaphysique est simplement un vieux point de vue métaphysique ou une exigence pour une nouvelle linguistique ?

Deuxième point essentiel. Tous les linguistes depuis [Ferdinand de] Saussure nous disent : la langue est un système de différence. Vous le savez, je suppose, [Pause] et c’est même en ce sens qu’elle est un système. [Pause] [66 :00] On l’a vu, c’est un système de différence au niveau phonématique. Un phonème n’existe que dans sa différence avec d’autres phonèmes. Pour reprendre mon exemple, /b/ n’existe qu’en rapport avec /p/ dans certaines conditions déterminables. C’est même par là qu’un phonème n’est pas une lettre. De même, système d’opposition, système de différences, au niveau, on l’a vu, de la paradigmatique. Si bien que je cite une phrase célèbre de Saussure : « La plus exacte caractéristique [des signes], [67 :00] la plus exacte caractéristique [des signes] est d’être ce que les autres ne sont pas » [Cours de linguistique générale (Paris : Payot, 1971) p. 189] [Pause] C’est-à-dire, il ne faut attribuer à un signe que les éléments phoniques ou les éléments sémantiques par lesquels ils se distinguent d’un autre. Bien.

Je dis que toute la linguistique à partir de Saussure et chez des linguistes très différents de Saussure, par exemple chez [Roman] Jakobson, [Pause] même chez Hjelmslev, il me semble — ça serait plus, c’est peut-être plus compliqué ; Hjelmslev, c’est tellement … — mais enfin, [68 :00] chez les distributionnalistes, chez tous, il me semble, le thème essentiel, c’est que la langue se présente comme un système d’oppositions distinctives, exclusives les unes des autres, où les termes s’excluent, un système d’oppositions distinctives et exclusives, [Pause] tantôt binaires — pensez aux efforts de Jakobson pour faire des oppositions binaires au niveau des phonèmes — tantôt multipolaires, peu importe. Mais l’idée que la langue soit un système de différence, [69 :00] ça s’interprète le plus souvent chez les linguistes par l’appel aux oppositions distinctives-exclusives.

Tout ce que j’ai dit me permet d’aller très vite. Guillaume, à ma connaissance, fait là un véritable changement. Bien sûr, il y a chez lui des oppositions, bien sûr, bien sûr, bien sûr, mais ça n’est pas ça l’essentiel de la langue. La langue pour lui, ça serait quoi ? Si je résume, ce serait un système de positions différentielles-inclusives. Aux oppositions distinctives-exclusives, il substitue des positions différentielles-inclusives. Je reprends mon exemple le plus simple. Prenez l’article indéfini, le mouvement, le signifié de puissance, mouvement de particularisation, [70 :00] l’article indéfini aura toute une série de positions différentielles qui seront les points de vue sur les coupes du mouvement de particularisation, et elles sont inclusives parce que chacune conserve quelque chose des précédentes et prépare quelque chose des suivantes. Et ça, Ortigues l’a vu très, très bien. Je lis, parce que ça me paraît un des points essentiels — autant c’est très curieux il n’a pas vu, je ne sais pas pourquoi — l’histoire du signifié de puissance et de…, autant il a très, très bien vu ce point, lorsqu’il dit, au nom de Guillaume : « Il est impossible de ne voir » — pages 98-99 du livre d’Ortigues – « il est impossible de ne voir dans les diverses unités linguistiques que des [71 :00] oppositions de valeurs » — ce qui était le grand thème de Saussure – « que des oppositions de valeurs, puisque ces valeurs sont définies par les positions qu’elles occupent dans un système hiérarchisé des fonctions ».

C’est la fin de la phrase qui pour moi ne va pas. Ce n’est pas dans un système hiérarchisé des fonctions ; c’est par rapport au signifié de puissance, c’est-à-dire par rapport à la matière pré-linguistique, justement, parce que comme il n’a pas voulu tenir compte — mais je sais pourquoi, c’est parce que Ortigues est Lacanien ; c’est pour ça qu’il ne pouvait pas le faire — il ne pouvait pas tenir compte, il ne pouvait pas, comme il voulait faire à la fois de Guillaume un élément essentiel dans la pensée symbolique moderne et tenir compte de l’histoire du signifié de puissance, [72 :00] c’est-à-dire il ne pouvait pas être Lacanien, voilà. Il voulait être et Guillaumiste et Lacanien. C’était son choix, à lui. Quel choix étrange ! [Rires]

Mais enfin, là il a bien vu, mais en fait il ne s’agit pas du tout d’un système hiérarchisé des fonctions ; il s’agit d’un ensemble de mouvements, de mouvements de pensée qui constituent des signifiés de puissance. Mais ça ne fait rien. Il continue à dire : « Entre les formes » — c’est-à-dire, les formes linguistiques à la Saussure – « entre les formes, il suffit d’admettre un principe de différence externe ou classificatoire procédant par exclusion réciproque, mais il faut admettre entre les fonctions » – traduisez : entre le point de vue des signifiés de puissance – « il faut admettre entre les fonctions [73 :00] un principe de différenciation interne tel que chaque position dans le système est inclusive de toutes celles qui lui sont subordonnées ».

En d’autres termes, bon, ouais, je reprends. Il ne s’agit plus — c’est vraiment du grossier résumé que je fais, là — il ne s’agit plus d’une opposition distinctive-exclusive, d’un système d’oppositions distinctives-exclusives. Il s’agit de séries de positions différencielles-inclusives. Il me semble que c’est, c’est une linguistique à ce point d’une originalité… Comprenez que, là à ce niveau, il ne s’agit pas vraiment, encore une fois — je sens que j’ai raison — il ne s’agit pas de discuter, il ne s’agit pas de dire, quoi… Soyez sensibles d’abord à la nouveauté de ça. Et puis, au besoin, d’après vos problèmes, [74 :00] vous vous dites, ah ben non, oui, je me sens attiré, moi, du côté des oppositions parce que ça me sert. Ça vous sert mieux, ça vous sert mieux pour fixer, vos, pour poser vos propres problèmes. Et sentez que là, s’est fait avec Guillaume quelque chose qui ensuite n’a pas été, à mon avis, récupéré par la linguistique. Ils ont pu en tenir compte, beaucoup de linguistes ont tenu compte de Guillaume, mais l’essentiel, c’est l’espèce la fraîcheur de Guillaume en tant qu’elle était précisément, et qu’elle débordait de la théorie de signifiés de puissance, a été perdue, a été perdu forcément parce qu’elle descendait des signifiés de puissance.

Troisième qui va être très important pour nous parce que pour moi, c’est à ça que je voulais en venir. Eh bien, vous comprenez, vous comprenez, vous comprenez… qu’est-ce qui s’est passé, et qu’est-ce que ça veut dire, [75 :00] l’expression qu’on emploie, tantôt sémiotique, tantôt sémiologie ? [Pause] Eh bien, ça n’est pas difficile, ce n’est pas difficile. [Pause] Quand on considère les sémiologues, les sémiologistes, on s’aperçoit que s’il y a une notion dont ils ne parlent pas, c’est celle de signe. Au début, on est un peu étonné. Comment des sémiologistes peuvent-ils ne pas parler des signes ? [Pause] Au second moment, on est encore plus étonné parce qu’on s’aperçoit qu’ils détestent cette notion, et qu’ils la déclarent [76 :00] pré-scientifique. Donc ils en ont quelque chose contre de très, très profond. [Pause] Si bien que je dirais provisoirement, si vous voulez, une définition de la sémiologie : c’est une sémiotique qui ne vous parle pas de signe et qui opère sans signe.

Et elle le dit elle-même, puisqu’elle prétend se constituer véritablement comme discipline rigoureuse, à condition de renoncer à la notion de signe. Ceux que ce point intéresse trouveront, il y a un excellent appendice dans le Dictionnaire de linguistique de [Oswald] Ducrot et [Tzvetan] Todorov aux Éditions du Seuil [Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, 1972]. Toute la fin du dictionnaire, qui est un appendice assez court, explique [77 :00] pourquoi la sémiologie moderne a réglé son compte à la notion de signe, et le prend à partir de trois exemples. Là ils organisent, c’est très scolaire au meilleur sens du mot, c’est très clair. Ils expliquent, premier temps, si vous voulez, premier temps purement logique mais bon, pour comprendre, ben, la sémiologie se trouvait dans le fait suivant : la fameuse distinction saussurienne signifiant-signifié, le signifiant et le signifié étant les deux faces d’une même réalité linguistique, deux faces d’une même réalité linguistique. Le signe, c’était [Pause] cet élément biface, signifiant sur signifié. [78 :00] Voilà.

La sémiologie s’est développée en s’apercevant que l’équilibre des deux faces était nécessairement instable et que ou bien on serait amené à donner la prévalence au signifié et on retomberait dans la pire ancienne métaphysique, ou bien il fallait donner la prévalence au signifiant. Ce qui voulait dire quoi ? Ce qui voulait dire que dans tout signifié subsistait la trace du signifiant, et que c’est le signifiant qui avait le primat dans le rapport signifiant-signifié. [79 :00] Et très schématisé, d’un point de vue très sommaire, c’est la pensée de [Jacques] Derrida au moment de [De] La Grammatologie [Paris : Minuit, 1967] : faire éclater la notion de signe au profit du signifiant et nous menacer en nous disant que sinon, vous serez forcés d’accorder le primat au signifié, et que si vous accordez le primat au signifié, vous retournez à la vieille métaphysique des essences ou de l’intelligible, premier par rapport au langage. Voilà.

Deuxième coup fatal, logiquement — je parle logiquement parce que ce deuxième coup avait précédé le premier dans le temps — [80 :00] ce fut le coup de Lacan qui cette fois ne posait même pas le problème au niveau du signifiant dans ses rapports avec le signifié, mais posait le problème au niveau de ce qu’il appelait la « chaîne signifiante ». C’était la chaîne signifiante qui allait seule, qui allait largement et qui allait suffire à brise la notion de signe et à rendre la notion de signe radicalement inutile. Dans quelle mesure, dans la mesure célèbre ou Lacan allait interpréter le tiret de la relation signifiant-signifié de Saussure dans ses formules fameuses, où il fallait comprendre ce tiret comme une barre, comme une barre. Donc, la sémiologie serait science [81 :00] de la chaîne signifiante ou la discipline qui s’occupe des chaînes signifiantes, c’est-à-dire, la psychanalyse comme discipline de l’inconscient dans ses rapports avec le langage.

Le troisième stade — vous trouverez des renseignements si ça vous intéresse, sur ce troisième stade — dépasser encore le signe non plus seulement vers la chaîne signifiante mais vers une notion originale de Julia Kristeva qu’elle présente comme la « signifiance ». [Pause]

Quatrième… oh il y en a [82 :00] sûrement, hein, mais ça suffit là, ça suffit, il y en a sûrement, il y en a sûrement, voilà. Alors bon, je dis voyons de l’autre côté. [Il y a une brève coupure dans l’enregistrement suivie de la répétition des deux phrases précédentes] On appelle donc sémiologie, je dis, une discipline qui traite non pas du signe mais du signifiant, des chaînes signifiantes ou de la signifiance [83 :00] dans la langue et dans toute espèce de langage. Dès lors, aussi bien les espèces de langages, par exemple les langages non verbaux, que la langue, excluront tout ce qu’on peut appeler un signe. Et en effet, si je reviens à Christian Metz, vous trouverez dans le livre Le langage et le cinéma, [Langage et cinéma (Paris : Larousse, 1971)]  une dénonciation explicite de la notion de signe. [Pause]

J’appelle sémiotique, à la suite de [Charles Sanders] Peirce, une discipline [84 :00] qui présente les deux caractères suivants : [Pause] maintenir le caractère absolument indispensable du signe ; [Pause] deuxième point : engendrer les opérations du langage, je dis bien du langage et pas seulement de la parole, engendrer les déterminations du langage à partir [Pause] [85 :00] d’une matière non langagière qui implique les signes. Je me sens — mais là c’est comme ça, c’est un sentiment hein, je peux ne pas avoir raison — je me sens tout proche d’une sémiotique et je me sens très loin d’une sémiologie. Ce qui veut dire quoi — alors là on a presque fini, hein, le difficile — ce qui veut dire quoi ?

Je reprends les doutes que j’exprimais sur la sémiologie au niveau du cinéma. Je disais d’abord, premier doute, la sémiologie cinématographique [86 :00] me paraissait formée sur trois points. J’avais des doutes sur chacun de ces points. Le premier point ,c’était la narration qu’on nous présentait comme un fait, [Pause] à quoi il me semblait que la narration n’était jamais un fait, ça n’était ni une donnée de l’image ni l’effet d’une structure sous l’image. Mais c’était le résultat — vous voyez que là je tiens des promesses sémiotiques — c’était uniquement le résultat d’un procès affectant les images et les signes, procès de spécification, mouvement de spécification. [87 :00] Pour moi, je n’ai pas besoin de reprendre les mouvements de Guillaume qui étaient déterminés en fonction de la grammaire. Si je m’occupe de cinéma, il faut évidemment trouver de tout autres mouvements. Je dis le premier mouvement des images, c’est le mouvement de la spécification de l’image-mouvement. Et on l’a vu, le procès de spécification de l’image-mouvement constitue trois espèces d’images-mouvement : image-perception, image-affection, image-action. Je n’ai absolument rien de narratif là-dedans. J’obtiens de la narration lorsque je combine, suivant une loi qui est la loi du schème sensorimoteur, ces trois espèces d’images. [88 :00]

Donc vous voyez, là je me sens très disciple de Guillaume. Je dis exactement : il y a un procès de spécification qui agite les images, [Pause] pure matière-mouvement, c’est une matière-mouvement, qui nous donne les trois sortes d’images et qui constituent précisément un procès non-linguistiquement formé, et pourtant c’est pleinement le premier étage de la sémiotique. Le procès de spécification de l’image-mouvement en trois espèces d’images est non linguistiquement formé, bien qu’il soit [89 :00] cinématographiquement parfaitement formé.

Deuxième point : peut-on assimiler comme le fait la sémiologie, l’image cinématographique à un énoncé ? Non. Enfin, mes troubles viennent de ceci : c’est que si on l’assimile à un énoncé, c’est un énoncé analogique. [Pause] Or, on ne peut assimiler l’image cinématographique à un énoncé analogique que si on en a déjà mis entre parenthèses le mouvement. En fait, l’image cinématographique à ce second niveau est inséparable d’un procès qu’on a vu [90 :00] être celui de la différenciation et de l’intégration, procès très différent de celui de la spécification. Le procès de la spécification, vous vous rappelez, c’était encore une fois la spécification de l’image-mouvement en trois sortes d’images principales. Le procès de la différenciation-intégration, c’est le double aspect de l’image-mouvement en tant que, d’une part, elle renvoie à un Tout dont elle exprime le changement — intégration — elle renvoie à un Tout ; deuxièmement, le mouvement s’y distribue, s’y répartit entre les objets cadrés dans l’image. C’est la différenciation. Les deux ne cessent de communiquer, de faire un circuit. En quel sens ? En ce sens que l’enchaînement des images [91 :00] « spécifiées » — voyez, je reviens à mon premier procès, les images spécifiées en trois sortes d’images — un enchaînement des images spécifiées ne se fait pas sans que les images ainsi enchaînées s’intériorisent dans un tout, en même temps que le tout s’extériorise dans les images. Je peux dire que mon second procès, mon second processus de différenciation-intégration, s’enchaîne directement avec le premier. [Pause]

Pour l’image-temps, si je parlais du temps maintenant, je reprendrais — et évidemment ça ne serait pas les mêmes procès que pour ceux de Guillaume, et là je vais très vite — dans ce cas, je distinguerais deux procès concernant [92 :00] les images, leur matière, leur rapports : un procès de sériation du temps, on l’a vu, la série du temps, et un procès d’ordination du temps, des rapports de temps, la coexistence des rapports de temps. Je dis bien : ces deux procès n’ont rien de langagier ! Ils constituent — en réagissant sur les images cinématographiques — ils constituent les signes du temps, comme tout à l’heure j’avais des signes du mouvement. En d’autres termes, l’ensemble de ces procès, et le jeu des images et [93 :00] des signes qui en découlent, ne sont en rien un langage, pas plus qu’une langue. C’est quoi alors ? C’est pour ça que j’en avais tellement besoin, c’est le corrélat non linguistiquement formé de tout langage et toute langue possible. C’est la matière de Hjelmslev, la matière non linguistiquement formée. C’est le signifié de puissance de Guillaume.

C’est pour cela que j’avais besoin de cette longue analyse. Pour mon compte, c’est ce que j’appellerais l’ « énonçable ». Ce ne sont pas des énoncés, c’est l’énonçable comme matière. [Pause] C’est l’objet de la sémiotique pure. [Pause] [94 :00] La sémiotique pure opère avec des images, des signes, et des procès non langagiers [Pause] qui déterminent ces images et ces signes. Par-là, elle forme un énonçable. L’énonçable n’est pas ni de la langue, ni du langage, c’est le corrélat idéel de tout langage. Ce n’est pas un processus langagier ; les processus langagiers, nous avons vu ce que c’était : c’est notamment syntagme et paradigme, syntagmatique et paradigmatique. Les procès dont j’ai parlé de spécification, [95 :00] de différenciation-intégration, de sériation, d’ordination, n’ont rien à voir, ce ne sont pas des procès langagiers.

Dans la sémiologie, je ne peux pas comprendre comment ils sortent de ce qui me paraissait un cercle vicieux, c’est-à-dire nous dire : l’image cinématographique est un énoncé parce qu’elle est soumise aux processus langagiers du syntagme et du paradigme, et nous dire en même temps : elle est soumise au processus langagier du syntagme et du paradigme parce qu’elle est un énoncé. Pour moi, l’image cinématographique n’est pas un énoncé, mais un énonçable. La différence [96 :00] est immense. Pour moi, l’image cinématographique n’est pas soumise au processus langagier du syntagme et du paradigme. Elle est déterminée par et dans, elle est déterminée sémiotiquement, et non linguistiquement, par la liste des procès non langagiers que je viens de rappeler.

C’est dans ce sens que je suis partisan d’une sémiotique anti-sémiologique. Je ne dis en rien avoir raison ; il me suffirait largement que vous me disiez que vous comprenez la différence des deux points de vue. Si l’on me dit — ce qui est un honneur — si l’on me dit [97 :00] que je maintiens, avec cette conception d’énonçable, une vieille métaphysique, je dis : mais voyons donc ! C’est un honneur ! [RiresJ’ajoute juste que je voudrais que vous soyez sensibles à ce qu’il y a de bergsonien dans tout ça. Car cette matière pré-linguistique et pourtant relative au langage répond tout à fait au mouvement et à la temporalité telle que la définissait Bergson, c’est-à-dire, une espèce de mouvement-pensée ou de procès de pensée sur lequel on prend des vues instantanées, ce par quoi Guillaume restait très bergsonien.

Enfin je termine là-dessus : oui, vous comprenez du coup, on a une position très gaie ! Vous avez fini, tout le difficile est fini ! Là, nous, on a changé tout. [98 :00] Je veux dire, on a changé tout parce que là, où les autres étaient dans le difficile, ou plutôt, là où les autres étaient dans le facile, nous, on était dans le difficile. Ça arrive tout le temps, ça. Mais maintenant, là où ils vont être dans le difficile, maintenant ça va être pour nous absolument facile. Qu’est-ce qui va être facile pour nous ? Il ne faut pas exagérer. Avec la sémiotique pure qui parle de tout ce que vous voulez sauf de langue et de langage, c’est quand même un peu gênant, il faut vous dire, c’est quand même un peu gênant : on parle des conditions non linguistiquement formées de toute langue et langage. Donc on fait les prolégomènes à toute linguistique. Ce n’est pas Hjelmslev qui l’a réussi.

Mais bon, d’accord, mais alors qu’est-ce qu’on va faire du langage ? Parce qu’à la limite, la matière pré-linguistique devrait nous suffire amplement. [99 :00] Ah non, il faut bien que l’énonçable soit énoncé, évidemment. Il faut bien que l’énonçable soit énoncé. J’appelle « langage » tout énoncé ou toute énonciation [Pause] dont l’objet est ou tout ou partie de l’énonçable. L’énonçable, vous me l’accordez, ne se rapporte et n’est assimilable — ce que nous avons appelé l’énonçable, j’espère que vous le saisissez — n’est assimilable ni à l’objet sur lequel porte n’énoncé, ni au signifié de l’énoncé, ni au signifiant de l’énoncé. On a un petit domaine. Bon, eh bien, mon problème, c’est évidemment [100 :00] l’énonçable va être saisi dans des axes d’énonciation. Comment concevoir l’acte d’énonciation pour qu’il exprime de l’énonçable ? [Pause] Ou plus simplement, disons, je dirais là, presque comme se valant pour le moment, acte de langage, ou si vous préférez, acte de parole. Quel est le rôle des actes de langage et des actes de parole ? Eh bien, il faut le voir, ce n’est pas par hasard que les sémioticiens, ils distinguaient, ils en faisaient un code à part de l’audiovisuel. Pour nous, pas du tout, ce n’est pas un code à part.

On appellera énoncé proprement cinématographique [101 :00] tout acte, tout acte de parole [Pause] qui vise un énonçable, [Pause] c’est-à-dire, [Pause] un enchaînement d’images, une, une image ou un enchaînement d’images prélevé sur les procès ou les processus précédemment définis. [Pause] Inutile de dire que le cinéma muet, non moins que le parlant, [Pause] [102 :00] présente des actes de langage. Il n’y a pas de cinéma sans actes de langage. Il est évident que du muet au parlant, il risque d’y avoir de sérieuses transformations dans le statut des actes de langage. Mais ce n’est pas avec le parlant que surgissent des actes de langage proprement cinématographique. En d’autres termes, il y a des énoncés proprement cinématographiques qui ne se ramènent ni à des énoncés littéraires, ni à des énoncés de théâtre, ni à des… n’importe quoi.

Donc notre tâche à partir de maintenant, c’est pour ça qu’on avait bien distingué que cette partie, on l’étudierait sous deux aspects, c’est le deuxième aspect. Qu’est-ce qu’un énoncé cinématographique ? Quel est son rapport avec la matière, avec l’image-mouvement ou l’image temps dont on vient de parler ? [103 :00] Quel est son rapport avec les procès non langagiers, les processus non langagiers dont nous venons de parler ? Si bien que nous sommes en mesure de commencer l’étude des énoncés cinématographiques tant du point de vue du muet et du parlant. Bon, tout ça était difficile, on a fini avec le difficile… [Interruption de l’enregistrement] [1 :43 :33]

Partie 3

… quand même, j’ai oublié une petite conclusion, comme c’était l’essentiel, que tout le problème, tout le problème de départ, c’était : en quoi les premiers penseurs du cinéma, ou les premiers grand auteurs, pouvaient assimiler [104 :00] le cinéma au monologue intérieur ? Vous voyez qu’il n’y a plus de problème pour nous, car je le disais, le monologue intérieur, c’est quelque chose de très intéressant. Mais pourquoi ? Parce que il y a eu la tentative des Soviétiques de comprendre le monologue intérieur comme un proto-langage. Un proto-langage, ça veut dire bien des choses ; ça peut vouloir dire une langue primitive, une langue enfantine, on a vu ça. [Lev] Vigotsky, je fais allusion à cet auteur d’ailleurs très intéressant, bon.

Et nous, à l’issue de nos conclusions, on peut dire uniquement — pour notre compte, hein ? on se débrouille comme ça ; c’est cela qu’on veut, c’est comme ça, et puis voilà, pour nous, ça ne va pas loin, tout ça — le monologue intérieur, ce n’est pas [105 :00] du langage. [Pause] Il n’y a même pas lieu d’inventer un protolangage, vous comprenez, on n’a plus besoin d’un proto-langage. Ce qu’on appelle maintenant « monologue intérieur », et on dira : ben oui, le cinéma, c’est du monologue intérieur. Dans quel sens ? Le monologue intérieur, ce n’est pas du langage ; c’est l’énonçable. C’est l’énonçable du langage. C’est-à-dire, c’est la matière non linguistiquement formée et pourtant cinématographiquement formée. S’il ne s’agissait pas du cinéma, je dirais : c’est la matière esthétiquement formée et non linguistiquement formée.

Donc je peux dire, eh oui, le cinéma, c’est du monologue intérieur [106 :00] si j’ai donné au monologue intérieur ce statut d’être la matière non linguistique qui conditionne le langage et les opérations de langage. Mais je ne peux le dire que pour un cas — c’est là où il faudrait que vous ayez la gentillesse de me suivre jusqu’au bout — je ne peux le dire que pour ce qui concerne l’image-mouvement et les procès d’une image-mouvement, et les procès non langagiers de l’image-mouvement. Les procès non langagiers de l’image-mouvement, c’étaient : spécification en trois et intégration-différentiation. Alors là, je peux dire oui : là, l’ensemble des images-mouvement et de leurs signes constituent [107 :00] le monologue intérieur, c’est-à-dire, l’énonçable, ou la matière non linguistiquement formée du langage. Elle ne fait pas partie du langage ; elle constitue la matière non linguistiquement formée du langage. Et qu’en fait l’image-temps alors ? On a vu que l’image-temps était prise dans d’autres procès. Elle aussi, elle forme une matière non-linguistiquement formée, mais très différente, et qui ne s’exprimera plus sous forme de monologue intérieur. [Pause] Sous quelle forme ? Tout vient à point, parfait, on ne pourra le dire que lorsque l’on aura étudié [108 :00] la question des énoncés proprement linguistiques… [Deleuze se corrige] proprement cinématographiques.

Si bien que la prochaine fois, pour la rentrée après Pâques, je vous propose, ceux qui le veulent, que vous réfléchissiez un peu sur cet ensemble sémiotique-sémiologique tel qu’on l’a fait depuis plusieurs séances. Et puis on referait une séance là-dessus où vous, vous interviendriez, voilà, vous interviendriez. J’en vois déjà qui doivent intervenir, [Giorgio] Passerone à propos de Pasolini, Eric [Alliez] à partir de Pasolini ou d’autres choses, certains d’entre vous au niveau de la sémiologie, voilà, ou pour voir s’il y avait des choses à remettre au point. Là je veux dire, ça n’a pas de sens, on n’a pas assez de temps pour le faire, et puis ça serait… Il vaut mieux terminer sur du tout [109 :00] facile. Ça nous lancerait, ce serait pour après Pâques.

Si bien que vient le moment toujours délicieux de vous dire, ben on oublie tout ce qu’on a fait jusqu’à maintenant. Simplement il faudra vous le rappeler après Pâques. Alors là on oublie complètement, et puis on repart, alors on repart à zéro, et on repart dans du rien du tout, dans des petites choses quoi. Je vous disais bon, ben, maintenant il faut se dire : on tient l’énonçable cinématographique vaguement, mais cet énonçable, il renvoie à des actes d’énonciation.

Il y a donc des énoncés cinématographiques. Qu’est-ce qu’un énoncé cinématographique ? Rendez-vous compte qu’on a à faire, hein ? Parce que comme je vous le disais, à mon avis, on sera forcés de mener trois stades, de distinguer trois stades. Il n’y a pas d’unité [110 :00] du parlant. Il faudra distinguer un stade qui est celui du muet, et où il y a déjà des énoncés cinématographiques, un stade qui est celui du parlant qui est un vaste remaniement des énoncés cinématographiques et qui va donner des genres, qui va apporter des genres nouveaux au cinéma. Et contrairement à ce que l’on dit, avec aucun danger de faire du théâtre, c’est des films nuls. Ben quoi, des films nuls ça ne pose pas de problème ! Ils sont nuls, et puis voilà ! [Rires] Je ne vois pas où est le problème ? Il n’y a jamais eu de problème avec le parlant de faire du cinéma-théâtre. Jamais, sauf, encore une fois, quand les films sont très, très mauvais, mais quand les films sont très mauvais, ils ne posent pas de problème alors, ils ne posent pas de problème !

Comprenez [111 :00] que quand, par exemple, je prends un grand genre qui coïncide avec le parlant : la comédie américaine, ça n’arrête pas de parler. Ça n’arrête pas de parler. Imaginez ça au théâtre, c’est grotesque. Si ! Bien après la comédie américaine, quelqu’un au théâtre arrivera à, et à un tout autre niveau d’ailleurs de sérieux, arrivera à produire des effets très semblables à ceux de la comédie américaine. C’est dans les périodes où il est comique, d’ailleurs, c’est dans les périodes de Bob Wilson, qui sont des chefs d’œuvres de théâtre, mais qui supposent évidemment le cinéma. Sans le cinéma, il n’aurait pas pu. Bon.

Mais si vous pensez à une comédie américaine, et ben c’est fantastique, hein, la manière dont les voix se recouvrent. Il s’agit de faire parler tout le monde en même temps. Tout le monde en même temps, il y en a toujours un qui ne peut pas, « ah ah ah… » [Rires] [112 :00] C’est par-là que c’est du cinéma, ce n’est pas du théâtre. Vous essaieriez de faire ça au théâtre, mais c’est des effets lamentables. Il faut que ça parle dans tous les sens. La conversation à l’état pur, indépendamment de tout objet, ça c’est la comédie américaine, la conversation à l’état pur indépendamment de tout objet, ça c’est une invention du cinéma. Jamais le théâtre n’avait risqué un truc comme ça. Et encore une fois, quand Bob Wilson le refera — ce sera dans des conditions bien après le cinéma — il en fera avec son génie à lui, bon mais, la conversation qui s’emballe partout, ben on se dit, c’est des fous ! Et à ce moment-là, on a une grande conscience, c’est pour ça que la comédie américaine, ce n’est pas rien. C’est très, très important dans le cinéma, c’est des fous parce que, quand on se dit c’est de fous, mais c’est la folie ordinaire de la famille américaine, et c’est présenté comme ça, [113 :00] la folie ordinaire de la famille américaine. Et on se dit : mais là-dessus, chaque fois qu’on écoute une conversation, c’est eux qui découvrent la conversation.

Prenez une conversation de bistrot. On dit parfois, vous comprenez, que… On a fait des études très, très intéressantes, très intéressantes, sur la conversation des schizophrènes, parce qu’elles répondent à des lois difficiles et obscures. C’est très, très important ça, vous savez ; il y a une question de distance. On peut se rapprocher, pas trop, s’éloigner, il y a des questions de frontières de territoire. Je te parle à telle distance ; si tu franchis la distance, je ne te parlerai plus, bon tout ça. Il y a tout un problème d’espace de la conversation.

Bon ça a été assez bien étudié par, du point de vue de la schizophrénie, notamment il y a de très beaux textes de Laing, [114 :00] de Ronald Laing, sur les conversations de schizophrènes, mais il n’insiste pas assez sur le côté espace. Mais d’autres psychiatres ont vu ces problèmes d’espace. Il suffit, ceux d’entre vous là, je parle, par exemple, pour Eric, ceux d’entre vous qui fréquentent la clinique de la Borde, ben, quand on parle à un schizophrène, ils sont très accueillants, mais, on ne leur parle pas n’importe comment ! Je veux dire, d’abord, c’est une forme de politesse. Et puis ensuite, si vous vous rapprochez trop, et même quand ils vous demandent une cigarette, si vous vous rapprochez trop, ben non, ça ne va pas, hein ? Si vous restez loin où ils peuvent très bien devenir agressifs alors, par peur de moi, tout ça, ce qu’on appelle l’aisance avec l’autre, l’aisance avec le différent, et ben, un infirmier, c’est quelqu’un qui a un rapport avec un schizophrène tout comme quelqu’un [115 :00] qui a un rapport avec les enfants.

Mais je dis ça pourquoi ? C’est que, ce n’est pas la conversation qui est un bon critère de la schizophrénie ; c’est l’inverse. C’est la schizophrénie qui est le critère fondamental de toute conversation. Si vous entrez dans un café, vous vous installez — maintenant je ne le fais plus, mais j’aimais beaucoup — comme beaucoup de gens, entre nous, rester dans un café et écouter les gens, mais il suffit d’être dans certaines conditions. Et on se dit : mais c’est des fous furieux qui parlent ! C’est des fou furieux, la manière dont ils plaisantent, dont ils font semblant de se fâcher, dont un sujet vient couper l’autre, dont on y en a un qu’on fait taire toujours, qui est « ah ! ah ah aa », qui veut dire des choses, mais il ne pourra jamais. [Rires] Je veux dire, c’est un peu comme ça dans les émissions de [Michel] Polac [animateur d’une émission à TF1, « Droit de réponse »] [116 :00] cent pour cent d’un point de vue psychiatrique, [Rires] parce que notamment il y en a toujours un dont on sait d’avance qu’il ne parlera jamais. Il commence à « ah ! », [Rires] et puis il y a celui dont on sait que — celui-là alors, il est comme Katharine Hepburn, moins joli que Katharine Hepburn mais… parce que c’était le génie de Katharine Hepburn, ça, elle parlait tellement vite, tellement vite, tellement vite, et avec une telle insolence de classe. —

Il y a aussi un problème très intéressant dans la comédie américaine, c’est une comédie quand même très politisée, très politique, l’insolence de classe de Katharine Hepburn est quelque chose de formidable, et la manière dont elle tue le bonhomme, quoi ! Quel que soit l’acteur quoi ! D’ailleurs le rôle de l’acteur face à Katharine Hepburn, c’est essayer, comme on dit, d’en placer une. Et il ne pourra jamais. Il ne pourra jamais et pas parce qu’elle est bavarde. Elle fait toujours une surenchère telle que le type il a toujours un degré de retard. [117 :00] Alors c’est très, très curieux, et c’est une parole, hein, qui sort tout d’un coup de tous les côtés. Elle disparaît hors champ et elle revient de l’autre côté ; c’est très sonnant, c’est — bon, je dis ça comme ça.

Il y a donc des énoncés cinématographiques au niveau du parlant. Bien plus, il n’y a pas que ça. Il y a des cas extraordinaires dans le parlant américain, et même dans les films, et peut-être surtout dans les films policiers. Je citais la comédie américaine, mais dans les films policiers, il y a là des trucs qui sont tellement bien que vous ne pouvez plus assigner, vous ne pouvez plus assigner une réplique qui a été dite par l’un, elle aurait pu être dite par l’autre. Il y a non seulement élimination de tout objet d’énonciation, la conversation portant sur n’importe quoi à la lettre, mais il y a élimination des sujets d’énonciation qui sont absolument interchangeables. [Deleuze cite Hepburn, Bacall, Bogart, et les films de Hawks dans le chapitre 9 de L’Image-temps, pp. 300-302] [118 :00]

Et les cas où c’est le plus frappant, c’est évidemment — là où ça va le plus loin — c’est lorsque c’est entre un homme et une femme, alors là on a, et lorsque c’est dans une conversation amoureuse. Il y a un cas que je trouve très sublime ; cette fois-ci, je cite les acteurs car il y a des fois où il faut citer les acteurs, c’est Lauren Bacall et [Humphrey] Bogart. Si vous prenez chez [Howard] Hawks, il y a deux films de chez Hawks, ben, dans leur espèce de rapport immédiatement amoureux, immédiatement passionnel, si vous fermez les yeux et s’il n’y avait pas une voix féminine et une voix masculine, ce que dit l’un, les énormités de ce que dit l’un, ou plutôt l’une, fait que vous pourriez croire que c’est dit par l’homme. [Les deux films de Hawks auxquels Deleuze se réfère dans L’Image-temps sont La porte de l’angoisse (To Have and Have Not, 1944) et Le grand sommeil (The Big Sleep, 1946)] Là il y a une espèce de réversibilité [119 :00] absolue des points de vue dans la conversation où il devient impossible d’assigner un sujet d’énonciation. Vous avez un fourmillement d’énoncés. Bon tout ça c’est pour dire bon, un stade du parlant.

Mais ce qu’on aura aussi à voir — c’est un peu pour vous dire un peu quel programme nous aurons, il sera très abondant — c’est évident que, après la guerre, là aussi — c’est pour ça que la vraie frontière, la vraie rupture s’il y a rupture, qu’elle ne s’est pas faite au niveau du passage du muet au parlant — après la guerre, le parlant prend un tout autre statut, un statut complètement différent. Et si vous pensez, par exemple, aux grands, aux grands auteurs du parlant actuellement, ben, tout de suite – indépendamment, bien sûr — il y a [Alain] Resnais, il y a, ben, il y en a beaucoup, mais, mais ceux qui font vraiment du parlant un [120 :00] problème moderne dans les conditions très particulières, c’est qui avant tout, c’est [Jean-Marie] Straub, c’est les Straub, c’est Marguerite Duras. Ben, il est trop évident que, il faudra là, c’est aussi un type d’énoncé cinématographique absolument nouveau, tout à fait nouveau.

Donc c’est une tâche assez longue qu’on a, mais encore une fois, vous le sentez, qui sera très facile — non, pas pour le dernier niveau, pas pour les Straub, par exemple, ce n’est pas rien les Straub, mais enfin, oui déjà, il me semble que là il y a eu une grande tentative pour analyser ces… — mais je pense qu’on aura quelque chose à tirer pour une théorie générale des énoncés. On aura quelque chose à tirer de ces stades du muet, du premier parlant, du second parlant. [Sur ces stades, voir le chapitre 9 de L’Image-Temps]

Alors je veux juste dire très [121 :00] peu — parce qu’on va s’arrêter — juste dire : ben oui, d’ailleurs, j’avais commencé à le dire, dans le cinéma dit muet, qu’est-ce qui se passe ? Vous vous rappelez, je rappelais les remarques de [Jean] Mitry et de [Michel] Chion, pour dire : et ben non, le muet, il n’y a jamais été muet puisqu’il y a articulation, il y a phonation. Ils n’arrêtent pas de parler, les gens ; simplement vous n’entendez pas ce qu’ils disent. Bon, d’accord, il n’y a donc pas de cinéma muet. Mitry, Michel Chion ont absolument raison de dire : non, ce n’est pas un cinéma muet, ce n’est pas eux qui sont muets, c’est vous qui êtes sourds. C’est le spectateur qui est sourd, c’est très différent. Je dirais s’il y a un cinéma muet — alors j’ouvre une parenthèse — dans, chez Marguerite Duras lorsqu’elle supprime les mouvements de phonation de [122 :00] l’acteur, ça c’est, on commence par le plus simple.

Alors qu’est-ce qu’il y a puisque le cinéma n’est pas muet, il y a des énoncés. Ce n’est pas difficile, je disais, vous avez deux images, et le cinéma muet se définit par la coexistence de deux images. Il y a une image qui est vue et une image qui est lue. L’image lue — commençons par le plus simple — s’appelle « intertitre ». Alors on laisse de côté les objections parce qu’elles sont trop évidentes, il y a eu des films muets sans intertitre. Bon, ça, il faudra expliquer ça, ça posera problème. Est-ce que l’image lue [123 :00] se réduit à l’intertitre ? Non, évidemment non, mais, on part du plus gros, hein, du plus simple, du plus évident.

Mais je dis, regardez bien ce qui se passe lorsqu’on est dans un régime d’intertitre. Je remarque, le vu et le lu sont deux fonctions de l’œil. Je peux dire, une image cinématographique, à ce stade, est visuelle. Elle est visuelle. Simplement l’œil, il a deux fonctions : quant à l’image vue, il a pour fonction  « vision » ; quant à l’image lue, il a pour fonction, quant à l’intertitre, il a pour fonction « la lecture ». Ce sont deux fonctions très différentes. Qu’est-ce qui se passe pour l’intertitre comme image [124 :00] lue ? Eh ben, moi ce qui me frappe, c’est que l’image lue prend toujours une espèce d’universalité abstraite. Elle prend une espèce d’universalité abstraite au point que, si directe qu’elle nous soit proposée, nous la transformons toujours en style indirect. [Pause]

À savoir, je vous ai donné un exemple, je crois, et c’est de là que je repars à nouveau… image vue : on voit un homme l’air cruel, qui sort un couteau et qui s’avance vers une pauvre jeune fille  [125 :00] en brandissant son couteau, [Pause] — pour faire un effort, je vais vous le faire vraiment [Rires] — et, intertitre : « je vais te tuer ! » Bon. C’est évident que nous, spectateurs, nous lisons : « il dit qu’il va la tuer » car, même dans la connerie de la notion d’identification, qui vraiment m’apparaît — vous savez les histoires de s’identifier, de pas s’identifier — s’il y a identification, c’est avec l’image vue, ce n’est pas avec l’image lue. L’intertitre « je vais te tuer ! », je le lis réellement : « il dit qu’il va [126 :00] la tuer », c’est-à-dire, l’image est lue au style indirect même quand elle se présente en style direct. C’est en ce sens qu’elle prend une espèce d’universalité abstraite.

Tandis que, je m’avance un peu, je dis : elle vaut pour quelque chose qui est de l’ordre d’une loi quelconque, c’est ça l’universalité abstraite. Il dit qu’il va la tuer au nom de la loi du plus fort, même si c’est le plus fort, c’est encore une espèce de loi, tandis que l’image vue se charge [127 :00] de tout ce qu’on pourrait appeler, il me semble, tout ce que j’appellerais, la « naturalité », la naturalité. Elle a quelque chose de naturel. Elle se charge de l’aspect naturel des choses et des êtres. Et je dirais même que c’est ça qui fait la beauté des images visuelles dans le cinéma muet, et que c’est ça, on le verra, qui disparaîtra nécessairement après. C’est pourquoi, je veux dire, il y a une naturalité de l’image visuelle. C’est un peu comme si l’image visuelle se chargeait de la nature, [Pause] et que l’image [128 :00] lue, l’intertitre, se chargeait – ben, ce qui n’est pas nature quoi — de l’universalité abstraite de la loi. Vous me direz : oh ça va trop vite là, ça va vite, parce que… pas au sens de difficile mais au sens d’arbitraire. Un critique de cinéma : Louis Audi[bert] [Voir la référence de Deleuze à Audibert quant au muet chez Murnau dans L’Image-temps, pp. 292-293] [Interruption de l’enregistrement] [2 :08 : 28]

… Donc on n’est pas dans le cas Murnau, mais si le cas Murnau nous a servi, c’est que, même lorsque donc, qu’est-ce que nous montre en gros, le cinéma muet, quand il ne nous montre pas la vie des îles, quand ce n’est pas Nanook [l’Esquimau] [Nanook of the North, 1922] et quand ce n’est pas Tabou [1931]. Qu’est-ce qu’il nous montre ? Il nous montre une société. Il nous montre la [129 :00] structure de cette société. Il nous montre les situations dans cette société, patron, ouvrier, militaire, etc. Il nous montre les places et les fonctions dans cette société. Il nous montre les actions et réactions des gens qui occupent telle place ou qui remplissent telle fonction. Voilà. Structure-situation, place et fonction, actions et réactions, tout cela social, oui, tout cela, social. Bien plus, il nous montre, l’image visuelle de ce cinéma nous montre les conditions de l’acte de parole, à savoir, dans telle situation, tu dois répondre ou tu dois parler. [130 :00] Le personnage parle ou le personnage répond. Donc ça, c’est les conditions de l’acte de parole. On nous montre aussi, l’image visuelle nous montre les conséquences de l’acte de parole. Par exemple, quelqu’un vient dire quelque chose et il reçoit une gifle. J’appelle ça : conséquence d’un acte de parole. Bien plus, on nous montre même l’articulation de l’acte de parole. Ce personnage articule dans le cinéma muet.

Bien, eh ben, je dis et je maintiens : c’est pour ça — j’insiste là-dessus — que même dans ces conditions, le cinéma muet, l’image vue, l’image visuelle, l’image vue, nous présente la nature d’une société… [131 :00] tout comme elle nous présente la nature d’une société, de ses attitudes et de ses rôles, de ses fonctions et de ses places, et elle nous présente également la physique sociale des actions et réactions. D’accord, c’est une nature sociale, mais une société, ça a une nature. Par exemple, il y a une nature du capitalisme. Il y a une nature du capitalisme, il y a une physique sociale des actions et réactions. Il y a une physique sociale de celui qui commande et une physique sociale de celui qui obéit, action-réaction. [Pause]

Je dis donc, même lorsque l’image muette, [132 :00] lorsque l’image vue dans le cinéma muet, nous présente les éléments de la plus pure civilisation, et non pas une vie supposée naturelle immédiate, cette image vue reste comme « naturalisée ». Et encore une fois, c’est ça qui fait sa beauté. Les décors peuvent être volontairement présentés comme les plus artificiels. Ces décors ont une nature. Pensez à un des plus grands du cinéma muet à cet égard, les décors de [Marcel] L’Herbier. Pourtant, ce n’est pas des décors de la nature. C’est des décors de grande architecture, bon, bien. [Pause] L’image est profondément [133 :00] naturaliste, et c’est ce poids de naturalité qui fait en grande partie la beauté de l’image muette, qui fait comme un secret de l’image muette.

Alors bien sûr, là aussi je prévois, j’essaie toujours de prévoir, ben dans ce cas, le maximum d’objections. On peut me dire : mais attention, oui mais… ça n’empêche pas que… on pourrait me dire : vois les Soviétiques, penses aux Soviétiques, qui ne cessent pas de montrer que la société, elle est selon eux fondamentalement transformable par l’acte de révolution. Oui, et c’est vrai, je pense à un texte bien connu de [Sergei] Eisenstein, dont j’ai parlé une autre année, où il fait ses reproches à [D.W.] Griffith, et où il dit : quand on regarde un film de Griffith, on a toujours l’impression que les riches et les pauvres sont donnés par nature, que c’est leur nature. [Il pourrait s’agir du texte d’Eisenstein, Le non-indifférente nature (Paris : UGE, 1975) ; voir la séance 11 du séminaire Cinéma 2, le 22 février 1983, et L’Image-mouvement, pp. 59 et 246-248 ; pourtant il pourrait s’agir aussi du recueil d’articles d’Eisenstein, Le film : sa forme, son sens (Paris : Bourgois, 1976) ; voir L’Image-temps, p. 206, note 4] [134 :00]

Et Eisenstein s’y oppose en disant : avec moi, non. Moi, ce que je veux montrer, c’est que richesse et pauvreté sont les produits de la société. Donc il a l’air de s’opposer à cette espèce de naturalité. Mais pas du tout. Mais en fait, pas du tout. C’est pour ça que ce ne serait pas une objection. Ce qu’il faut dire simplement, et ce n’est pas étonnant, c’est que Eisenstein et Griffith conçoivent la nature de deux manières totalement différentes, et même opposées. Pour une raison simple, c’est que Griffith se fait une conception de la nature à l’Américaine, à savoir : la nature est fondamentalement un organisme. C’est une nature organique, et la société est une nature organique, notamment la société américaine. Il y a des sociétés malades, il y a des sociétés bien portantes. La société américaine, c’est la société bien portante par excellence, c’est la société organique. C’est la nature organique. [135 :00] Donc riches et pauvres appartiennent à une nature organique.

Pour Eisenstein, bien qu’il emploie lui-même pour son compte le terme « organique », il lui donne évidemment un tout autre sens, puisque pour lui, il n’y a pas de données organiques de la nature et la nature ne se définit pas organiquement ; elle se définit dialectiquement. Et ça veut dire quoi, ça veut dire que la nature est le double processus de transformation, comme le disait Marx dans une belle phrase, qu’elle est le double processus d’une transformation de l’être naturel de l’homme et de l’être social de la nature. Il y a un être naturel de l’homme et il y a un être social de la nature, et la dialectique est la mouvement par lequel l’homme [136 :00] et la nature vont échanger leurs déterminations, ce qui implique une transformation de la société.

Mais, il va de soi que pour Eisenstein comme pour Griffith, il y a une nature du capitalisme. Il y a une physique sociale des actions et réactions dans une société. Exemple fameux, où l’on voit ce qu’il faut entendre par la naturalité de l’image muette, dans la fameuse séquence des brouillards d’Odessa, du Cuirassé Potemkine [1925], Eisenstein explique que trois éléments sont mis en jeu, et que l’image est construite sur trois éléments : l’eau, la terre et [Pause] l’air. Oui : l’eau, la terre, et [137 :00] l’air.  L’eau du port, l’air : les brouillards, la terre : l’endroit où a été porté le mort. Et il dit : il manque le quatrième élément. Et le quatrième élément c’est l’homme qui va le faire surgir, dans quoi ? Avec le feu, et sous forme d’une explosion révolutionnaire. C’est un texte typique, il me semble, pour montrer qu’en effet, là, qui commenteraient mot à mot au niveau du cinéma, la phrase de Marx : transformation de l’être naturel de l’homme et de l’être humain de la nature, c’est-à-dire, identité dialectique de la nature et de l’homme. C’est en amenant le quatrième élément de la nature, le feu, que l’homme va [138 :00] assumer la transformation de la société. En l’occurrence : le passage — qui ici va échouer dans le cas du Cuirassé Potemkine — mais le passage promis, le passage inévitable dans l’avenir de la société capitaliste à une société communiste, mais les deux sociétés ont une nature.

Comprenez, c’est en ce sens que je maintiendrais que dans le muet, l’image vue a une espèce de naturalité. Si bien que quelque chose que [André] Bazin disait uniquement pour le muet — non pardon — disait pour le cinéma en général, me paraît plutôt valoir pour le muet. Bazin disait : vous comprenez, au cinéma, on va du décor à l’homme tandis qu’au théâtre on va de l’homme au décor. Si bien que dans le cinéma, le décor [139 :00] fait toujours fonction de nature. Il ne voulait pas dire de chose naturelle, il n’ignorait pas que les décors pouvaient être des décors de ville, ça n’empêche pas. C’est que à ce moment-là ce qui est présenté c’est la nature de cette ville, la nature de cette société. Il ajoutait : même les visages humains seront traités de cette manière. Même les visages humains seront traités, comme quoi ? À votre choix : comme des décors, ou comme des paysages, comme des événements chargés de naturalité. [Pause]

Et il donnait l’exemple célèbre de La Passion de Jeanne d’Arc [1928] de [Carl] Dreyer, où les [140 :00] visages, comme il disait déjà, où les visages, ils sont des paysages. Et ça, ce qui est proprement cinématographique et pas du tout, évidemment, théâtral. Que le théâtre — alors lui, de l’homme à une nature supposée — là au contraire, le cinéma va toujours d’une nature supposée à l’homme, même si cette nature supposée est le simple visage. Le simple visage de l’homme où, en effet, quand vous prenez un gros plan d’un juge de Jeanne d’Arc, ou de Jeanne d’Arc elle-même, vous voyez à chaque fois ces visages en gros plan qui sont de véritables paysages, avec cratères… on peut tout voir. Alors ça, ça me paraît juste, une véritable naturalité de l’image visuelle. [Pour cette discussion, voir L’Image-temps, p. 293] Dès lors, l’image visuelle est vraiment naturalisée. [141 :00]

Vous voyez, l’opposition, pour moi, elle n’est pas entre nature et histoire. Pas du tout ! L’image visuelle, elle est aussi bien, elle est naturalisée en tant qu’historique, c’est la nature de cette société, c’est la nature de cette ville, c’est la nature de ce moment historique. Bon. [Pause] Alors, cette image visuelle, elle est historico-naturelle. Et elle s’oppose à quoi ? Encore une fois, elle s’oppose à l’intertitre, à l’image lue qui, lui, n’est pas historico-naturel. Qu’est-ce qu’il est alors ? [Pause] [142 :00] Il est discours. L’image lue, elle est discours, [Pause] discours qui en tant que lu sera mis normalement au style indirect, [Pause] donc n’aura pas de naturalité.

Bien, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que je ne distingue pas nature et histoire, je distingue quoi et quoi ? Finalement ce que je veux dire est une chose très simple parce que [Émile] Benveniste l’a très bien dit, Benveniste, Problèmes de linguistique générale [Paris : Gallimard, 1974], pages 241-242 : il dit, et c’est une chose très, très simple, on ne peut pas dire… Il dit, il faut distinguer deux plans : [143 :00] il y a ce qu’il appelle le plan du récit. Peu importe les mots qu’il emploie. Le plan du récit, c’est ceci : « les événements sont posés comme ils se sont produits, à mesure qu’ils apparaissent à l’horizon de l’histoire ». Vous voyez que c’est parfaitement dans l’histoire… les événements apparaissent comme ils se sont produits — non – « les événements sont posés comme ils se sont produits, à mesure qu’ ils apparaissent à l’horizon de l’histoire ». Ça peut être des événements de la nature, ou des événements historiques. Ça peut être le tonnerre, un orage, ou ça peut être [144 :00] un acte humain, des gens descendent dans la rue, ou des gens se promènent dans une ville. « Personne ne parle ici. » Personne ne parle, ça veut dire il n’y a pas quelqu’un déterminé qui parle. « Les événements semblent se raconter d’eux-mêmes », « les événements semblent se raconter d’eux-mêmes ». En effet, dans beaucoup de récits classiques, c’est ça qu’il y a.

Voilà le plan du récit qui couvre, donc, les événements aussi bien de la nature que de l’histoire, [Pause] et qui se définit comment ? Encore une fois, ce plan du récit, c’est : personne ne parle ici, bien que ça soit un récit. Ce sont les événements qui se racontent d’eux-mêmes. C’est comme si je vous disais : [145 :00] oui, le quatorze juillet, il s’est passé ceci. Voilà. C’est comme si les événements parlaient d’eux-mêmes. Et Benveniste y oppose le plan du discours [Pause] et se réclame d’une distinction fondamentale entre récit historique et discours. Et le discours, dit-il, là c’est suivant la définition qu’il aime et qu’il ne cessera de donner du discours, c’est là où interviennent les véritables personnes, les véritables personnes linguistiques qui sont au nombre de deux — selon lui — « je » et « tu », puisque « il » n’est pas une personne. [146 :00] « Il » fait partie du récit. [Pause] Mais « je » et « tu » sont des variables d’énonciation. Là où interviennent des variables d’énonciation il y a réellement discours, c’est-à-dire, il y a discours lorsqu’il y a quelqu’un qui dit « je ». Il y a quelqu’un qui dit « je » lorsque il y a quelqu’un, le même, qui dit « tu » à quelqu’un d’autre qui va dire « je » à son tour.

J’ajoute juste — et pour ceux qui se reporteront au texte de Benveniste, vous verrez qu’il l’a prévu — si je lis un discours, je suis comme forcé machinalement, mécaniquement, de le mettre en discours indirect. [147 :00] Si je lis, quand je l’entends, je l’entends comme un discours direct. Par exemple, j’entends l’un d’entre vous dire : « tu m’embêtes », bon, « tu m’embêtes », ou bien « j’irai demain », bon, voilà, ça j’entends ça. Si je lis : « tu m’embêtes, dit-il », je traduis naturellement : « il dit que ». Je le traduis en style indirect. Ça n’empêche pas que, est complètement concernée la distinction entre le plan du récit et le plan du discours pour moi, ça coïncide tout à fait avec les deux éléments que j’essaie de dire [Pause] : l’image visuelle qui, historique ou non — voilà exactement [148 :00] la dualité que j’essaie d’introduire – l’image visuelle, historique ou non, est toujours lestée d’une sorte de naturalité. Et loin que ce soit un reproche au cinéma muet, je dis que c’est un secret de l’image visuelle du cinéma muet. [Pause] Et à l’autre pôle, c’est l’image lue qui se charge du discours, c’est l’intertitre qui se charge — je dirais presque, alors, pour suivre Benveniste — c’est l’image vue qui se charge du récit, c’est l’image lue, l’intertitre, qui se charge du discours. [Pause] [149 :00] [Bien que Deleuze semble lire ici du texte de Benveniste, ces propos sur l’image visuelle ne se trouvent pas dans le texte déjà cité, et donc nous ne les présentons pas ici avec guillemets]

D’où — problème fondamental — encore une fois, assurer l’entrelacement entre l’image vue et l’image lue, et ce sera ça, le problème du parlant, assurer l’entrelacement. [Pause] Et assurer que l’entrelacement se fera de deux façons — et cinéma muet n’est pas définissable indépendamment de cet entrelacement — ou bien recherche graphique, qui vont lier l’image vue à l’image lue : déjà recherche graphique chez Griffith, célèbre recherche graphique de l’école soviétique. Par exemple, le « frères, frères, frères, frères » [dans Le cuirassé Potemkine] qui grossit sur l’écran, je ne sais pas si vous vous rappelez, [150 :00] quand les révolutionnaires arrivent [Pause] et s’adressent aux soldats de la réaction et lancent leur grand appel, « frères », qui commence petit et qui grossit, qui grossit, qui grossit, bon : « frères, frères, frères ». Il y a eu beaucoup de cas comme ça de la recherche graphique. Ou bien, pas forcément les meilleures, mais toutes les possibilités de faire trembler les lettres, enfin, tout ce que vous imaginez. Les recherches graphiques ont quand même été très loin. Il doit y avoir des livres spécialisés là-dessus, sur les recherches graphiques au moment du muet. Griffith, il signait ses cartons, il les signait ; il y avait la signature de Griffith, hein, sur ses grands intertitres. C’est dire à quel point il les considérait comme [151 :00] faisant partie intégrante de l’image cinématographique.

Ou bien je vous le disais, et je termine là-dessus, l’entrelacement… l’autre cas, alors il me semble que c’est celui qui a été le plus loin, le génie, c’est : [Dziga] Vertov, pas dans L’Homme à la caméra [1929] qui ne comporte pas de sous-titres, mais dans ses exercices précédents où, là, il y a un entrelacement du texte et de l’image visuelle qui est quelque chose qu’on n’a jamais atteint, qu’on ne l’a jamais atteint depuis. C’est quelque chose de prodigieux, ça.

Bon, et puis il y a l’autre procédé, l’autre procédé qui, en un sens, est plus subtil : on introduit des éléments scripturaux, donc lisibles, lus, on introduit des éléments scripturaux dans l’image vue. [Pause] [152 :00] Par exemple, c’est la méthode, c’est beaucoup de la méthode de Murnau dans Tabou : le message est présenté dans l’image visuelle. [Pause] Ou bien dans un film de terreur, vous avez un cimetière avec des inscriptions sur les croix. Vous avez du lisible dans le vu, ce qui posait des problèmes dès le début du cinéma muet quant à la nécessité de tourner, par exemple, la même scène plusieurs fois en langages différents suivant les pays dans lesquels on allait distribuer le film. Bon. Or ça, vous trouvez ça constamment, le rôle de la lettre dans l’image… [153 :00] dans le cinéma muet, par exemple, la lettre là que quelqu’un lit, même si ensuite elle est redoublée par l’intertitre qui donne le thème de la lettre, vous avez quand même vu l’élément lisible dans l’image. Vous voyez cette fois, il n’y a pas simplement entrelacement, il y a « injection » du lisible dans le visible.

Et ça cette, méthode, évidemment elle est très, très intéressante parce que elle nous permet, elle permet des combinaisons très subtiles. Et quand on parle, et certains auteurs, qui aujourd’hui ont rapproché le cinéma moderne du muet, évidemment font appel, et ne ratent jamais de faire appel et de rapprocher à tort ou à raison — je ne sais pas si c’est rapprochable — le rôle, par exemple, chez [Jean-Luc] Godard, des textes écrits injectés dans l’image visuelle, le cas le plus célèbre et le plus simple étant le cahier de [154 :00] Pierrot le fou [1965], le cahier de Pierrot le fou qui a une telle importance, est le cas typique d’une image visible, d’une image lue, qui doit être lue, et qui est insérée dans l’image visuelle elle-même.

Exactement, on en est là. Je voudrais que vous réfléchissiez à ce point, et ça nous permet, exactement, alors je voudrais que vous arriviez à poser la question suivante, là aussi, pendant les vacances : quand le parlant arrive, qu’est-ce qu’il peut apporter de nouveau dans cette répartition des deux images : l’image vue et l’image lue ? Qu’est-ce qu’il apporte de nouveau ? On pourra sentir, et il me semble que si l’on est apte à comparer les mêmes thèmes, traités en muet, et traités en parlant. Heureusement j’en vois deux, mais ce qui m’intéresse, pour vous les dire tout de suite, deux faciles, c’est pour que pendant les vacances vous réfléchissiez, si vous, vous en avez d’autres. [155 :00]

Je vois un premier thème : la dégradation où là, on a la chance d’avoir… la dégradation, c’est très intéressant comme processus social, le processus social de la dégradation, au sens de dégrader quelqu’un, lui ôter ses insignes, quoi, tout, Eh ben, Le dernier des hommes [1924] de Murnau, c’est une version muette d’une dégradation, la dégradation du grand portier. [Pause] Au début du parlant, L’Ange bleu [1930] de [Josef von] Sternberg, la dégradation du professeur de lycée. Là c’est du parlant. [Pause]

Deuxième exemple : [156 :00] la collaboration. [Pause] Première collaboration muette, collaboration patronat et police — notons pour simplifier, hein -– police-pègre dans La Grève [1925] d’Eisenstein, le peuple des tonneaux, le peuple des tonneaux qui va servir de briseurs de grève. Collaboration police sous-prolétariat, ou police-pègre plus facilement : version parlante au début du parlant : M le maudit [1931, Fritz Lang], la grande et célèbre collaboration police-pègre [157 :00] pour trouver l’assassin.

C’est à ces niveaux qu’on pourrait faire des exercices pratiques, on les fera, avec comme question, voyons, qu’est-ce que le parlant apporte de nouveau ? S’il apporte quelque chose de nouveau, qu’est-ce qu’il apporte de nouveau ? Ça nous permettra de définir le nouveau régime d’images. Nous supposons qu’avec le parlant, il y a un nouveau régime d’images, pas plus beau, oh certes pas plus beau, mais différent. Alors je demande à certains d’entre vous, s’ils ont une idée sur une comparaison — il faut des films du début du parlant, hein, pour que ce soit… — où vous voyez une version muette à la fin du muet et une version parlante à la… donc, qui soit du même genre que thème de la dégradation, thème de la — tu vois — la collaboration, etc. Bon, eh ben, [158 :00] reposez-vous bien. [Fin de l’enregistrement] [2 :38 :02]

Notes

For archival purposes, the augmented version of the complete transcription with time stamp was completed in September 2021. The translation was completed in November 2025. Additional revisions were added in February 2024 and November 2025.

Lectures in this Seminar

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Reading Date: October 30, 1984
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Reading Date: November 6, 1984
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Reading Date: November 13, 1984
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Reading Date: November 20, 1984
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Reading Date: November 27, 1984
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Reading Date: December 11, 1984
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Reading Date: December 18, 1984
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Reading Date: January 8, 1985
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Reading Date: January 15, 1985
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Reading Date: January 22, 1985
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Reading Date: January 29, 1985
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Reading Date: February 5, 1985
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Reading Date: February 26, 1985
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Reading Date: March 5, 1985
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Reading Date: March 12, 1985
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Reading Date: March 19, 1985
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Reading Date: March 26, 1985
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Reading Date: April 16, 1985
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Reading Date: April 23, 1985
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Reading Date: April 30, 1985
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Reading Date: May 7, 1985
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Reading Date: May 14, 1985
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Reading Date: May 21, 1985
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Reading Date: May 28, 1985
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Reading Date: June 4, 1985
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Reading Date: June 18, 1985
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March 19, 1985

You remember, we were considering our three points that semiocriticism had left us, or semiology of linguistic inspiration. These three points were: the basis of cinema defined as narrative, the fact of narration; second point: the cinematographic image presented as analogical or iconic, and valid for an iconic or analogical statement; and the third point: the language structure which made it possible to codify the analogical image or the analogical statement, language structure consisting above all in a syntagmatic, that is, in syntagmatic rules. These were the three points, the three basic points. But I am saying that once it’s given that the semioticians of this school write complicated texts, it is desirable for us to identify clearly, to maintain well — if our previous analyzes were correct — to maintain these three points well since, once again, these are the three basic points that are causing us the problem. Then there is nothing more to say. If they offer us these three points, they are right, they are right to do what they do. If they don’t offer these three points, they’re still right. But if they don’t offer these three points, then it’s up to us to do something else.

Seminar Introduction

As he starts the fourth year of his reflections on relations between cinema and philosophy, Deleuze explains that the method of thought has two aspects, temporal and spatial, presupposing an implicit image of thought, one that is variable, with history. He proposes the chronotope, as space-time, as the implicit image of thought, one riddled with philosophical cries, and that the problematic of this fourth seminar on cinema will be precisely the theme of “what is philosophy?’, undertaken from the perspective of this encounter between the image of thought and the cinematographic image.

For archival purposes, the English translations are based on the original transcripts from Paris 8, all of which have been revised with reference to the BNF recordings available thanks to Hidenobu Suzuki, and with the generous assistance of Marc Haas.

English Translation

Edited

Shirley Clarke’s Portrait of Jason, 1967

 

Still outlining aspects of Metz’s semiocriticism, Deleuze reiterates some misgivings and recalls work from the first seminars, offering a succinct summary of the sensorimotor scheme in relation to the movement-image and its three types of images, and he relies on previous analyses to insist that these changes result from the image’s shift toward a direct presentation of time (see Cinema seminar III, 1983-84). A student question causes Deleuze to diverge into several digressive directions, first on “cinema of truth” (cf. Pierre Perrault and Jean Rouch), then on the Palestinians and the concept of a “people to come.” Georges Comtesse’s brief intervention on Rouch’s films causes an extremely pointed exchange with Deleuze (at approximately minute 79), leading to an early break in the session. Returning to the second misgiving, the cinematographic image supposedly being assimilable to a statement through analogy, Deleuze evokes Pasolini’s approach to the double articulation and then counters Metz’s semiocritical perspective on the image. To dive deeply into the senses of “langue” itself, he proposes different linguistic perspectives: first, developing Hjelmslev’s thought, Deleuze concludes that cinema is the non-linguistically formed matter that is a correlate to any language or “langue”. Then he turns to the “strange linguistics” of Gustave Guillaume, notably his concept of a word’s “signified of power” (signifié de puissance) which, while being unchangeable, depends on its use in discourse to endow the word with a specific “signified of effect”. Guillaume’s distinctions matter for Deleuze’s development of distinctions of the indefinite versus the definite article in terms of signifieds of power. This discussion leads Deleuze toward a clearer sense of the concept of “matter” developed from Hjelmslev, and with Pasolini, toward understanding cinema as a “‘langue’ of reality” linked not to paradigms or syntagma, but solely to a signified of power. [Much of the later development corresponds to The Time-Image, chapter 10.]

 

Gilles Deleuze

Seminar on Cinema and Thought, 1984-1985

Lecture 16, 19 March 1985 (Cinema Course 82)

Transcription: La voix de Deleuze, Nadia Ouis (Part 1), Claudio Savino Reggente (Part 2) and Léa Machillot (Part 3); additional revisions to the transcription and time stamp, Charles J. Stivale

Translation: Graeme Thomson & Silvia Maglioni

 

Deleuze Notebook
Image from Deleuze’s Notebook

Part 1

… Has anyone read an American author by the name of [Erving] Goffman? Yes? And do you know him well? No? Well, that’s what I wanted to know.

So, as you’ll remember, last time we developed our three points regarding semiocritique, or linguistically-inspired semiology. These three points were: firstly, the fact of cinema being defined as narrative, the fact of narration. The second point was the cinematographic image presented as analogical or iconic, and as the equivalent of an iconic or analogical statement. And the third point was the language structure that codified the analogical image or the analogical statement, a language structure consisting above all of syntagmatics, that is to say syntagmatic rules. These were the three points, the three basic points.

But I would say, given that the semioticians of this school write complicated texts, well, it’s a good idea for us to clarify, and to keep in mind – if our previous analyses were correct – to keep to these three points, because, once again, it’s these three basic points that constitute our problem. After that there’s nothing more to say. If we grant them these three points, then they’re right, they’re right in doing what they’re doing. And if we don’t grant them those three points, they’re still right. But if we don’t grant them those three points, it’s up to us to do something else. So, should we go back to these three points, or do you have anything to add? You don’t have anything to add?

Student: [Inaudible remarks]

Deleuze: So, today’s not going to be one of my lucky days… you okay with that?

Student: Yes.

Deleuze: Right. I’ll tell you how I feel about these three points. And last time… I already spoke about the first one, but I’d like to repeat what I said so that it’s very clear. They say that it’s a fact that cinema was constituted… it’s a historical fact that cinema was constituted by Hollywood as narrative cinema and, by doing so, it marginalized other forms that were logically possible in cinema and which, from then on, would appear in a marginal form or, if you prefer, would appear as experimental cinema. Experimental cinema meaning a type of cinema marginalized by the constitution of a dominant narrative cinema.

Well, I say to myself, this is very strange, because, once again, this is what’s got my spirit in such a state of turmoil: we’ve completely bracketed out what seems to me to be the given, the immediate given, in the Bergsonian sense of the world, the immediate given of the cinematographic image, namely movement. And indeed, I remind you of the texts by [Christian] Metz where, when it comes to distinguishing the cinematographic image from the photographic image, he tells us that the photographic image is not narrative. He doesn’t say that the cinematographic [here Deleuze obviously means to say “photographic”] image is motionless. He says that it is not narrative, whereas the cinematographic image is narrative.

When I say that I feel a certain astonishment, all I mean is that it’s rather odd to affirm that the cinematographic image is narrative, instead of saying that the cinematographic image moves, and moves in itself, that is to say, is automatic. And this suspension, this bracketing of movement, I insist, is an explicit claim of the semiocritics. So, they’re unequivocal in this respect. But there’s something that bothers me greatly, because if they explicitly claim to suspend movement, this will lead to a certain appreciation of the cinematographic image in terms of the photogram, the still frame. And we’ve seen how, in the end, this was in line with [Roland] Barthes’ thinking, but I think that Barthes meant something else by it. And even [Umberto] Eco, in the Communications article I quoted,[1] ends his article with an ode to the photogram. Why is this odd? Because any emphasis on the photogram in the cinematographic image fundamentally belongs to the experimental cinema we’ve just rejected, or marginalized. In fact, what turns the photogram into a shot – the famous photogram shot, the still image shot – is fundamentally a creation of this non-narrative cinema, which presents itself as experimental cinema. Indeed, the photogram is obviously not a narrative given. So, you see, all this is rather awkward.

Another way of saying what I find annoying or what bothers me: semiocritique, it seems to me, tells us two things at once. But that’s not a problem, they’re not contradictory. It’s that, at the same time, narration is an apparent given of images, a manifest given of images, even if it was historically acquired, historically acquired since it was acquired by narrative cinema as Hollywood created it. So, we’re told that narration is an apparent given of images – remember Metz’s bizarre formula according to which to pass from one image to another is already a fact of language. I would say, this is weird because one would expect that moving from one image to another is a question of movement. No. Moving from one image to another is a fact of language. So, from the point of view of semiocritique, narration is an immediate given of cinematographic images, and at the same time, which is not opposed, it’s an effect of deep structure.

What is deep structure? As we’ve seen, this is our third point, namely syntagmatics, the syntagms that precisely define the linguistic structure to which images are subject. Now, there’s no contradiction in saying that narration is the apparent given of images, and that it’s the effect, in images, of a deeper structure, a linguistic structure… But I would say, well, for me, for me, I don’t see any… vanity aside, it’s just for convenience, to separate things.

The first thing that bothers me is that, in my view, narrative is never an immediate or apparent given of images, any more than it is the effect of an underlying structure. But what’s very different for me is that it can only be a consequence of the immediate or apparent givens of the image. It is, I would say, neither an apparent given, nor the effect of an underlying language structure. It is a consequence of the apparent images as they are in and of themselves. It has never been possible to define a painting as figurative. Whether painting is figurative or not, the immediate givens of painting have never been figurative. Whether cinema is narrative or not, narration has never constituted the immediate givens of the image. Narration derives from it. Derives from what? It doesn’t derive from a deep structure to which the images refer. It derives from the immediate and apparent character of the cinematographic image, insofar as the immediate and apparent character – the immediate given of the cinematographic image – is movement. A narrative cinema exists because images move in and for themselves. Narration derives from this. It stems from the immediacy of images. It is not the immediate given of the images, nor does it derive from a deep structure.

What does this mean? And how does narration derive from the immediate givens of the cinematographic image as movement-image? As I was saying, as I was reminding you, because this alludes – once again, we’ve been working on the cinematographic image for three years now – I’m alluding to things that we’ve already looked at, so that I…  I’m summarizing for those who weren’t there. The movement-image implies intervals of movement. The immediate given of the image is movement as related to intervals of movement. Note that I don’t grant, you see… I don’t grant myself anything narrative. Movements related to intervals of movement, there’s nothing narrative about that.

I would say, if you relate a movement to an interval of movement, if you relate movements to an interval of movement, you obtain three images, three types of image. I won’t come back to that, and for those who weren’t there, you’ll have to forgive me. You get three types of image, which will be three types of movement-image. The three types of movement-image are the types of images you get when you relate movement to an interval of movement. And these are the perception-image, the action-image and the affection-image. These are the three kinds of movement-image, the three main types of movement-image. What do we mean by this? Well, if you relate movement to an interval of movement, you have the movement-image insofar as it acts upon the interval, it’s a perception-image. When the movement-image reacts, this is the action-image. And when we have what fills the interval of movement, this is the affection-image.

So… this is my interval of movement. You see, here… this is movement, insofar as it acts upon the interval… perception-image. Insofar as there is a reaction beyond the interval, that’s the action-image. And between the two is the affection-image, in other words, everything that fills the interval itself. We’ve covered all this in detail. I’d say that the three types of image represent the specification of the movement-image in its relation with the interval of movement. Okay.

What do I call narration? What do we call a narrative? I call narration any combination of perception-image, affection-image and action-image in accordance with the laws of a sensory-motor schema. What is a sensory-motor schema? A sensory-motor pattern is movement in relation to the interval of movement. In fact, a sensory-motor pattern is when a reaction delays an action undergone, when an executed reaction delays an action undergone. The action undergone… [Recording interrupted; 18:54]

… your eye… it’s springtime, a ray of sunlight hits your eye… it’s a movement, a perception-image. You see, you are an interval of movement. You are nothing else. In other words, you are a pure gap. You are a gap. You are an interval of movement. The sunbeam, the luminous movement, strikes your eye. Perception, the first type of movement-image. As you are a gap, you are not a thing. A thing is a place where movement passes through without a gap. So, you take time, and I suppose, you do this… you turn your head. You do like this.

Or on the contrary, especially if you’re a vampire, you do like this instead. And if you’re a naturalist… whatever you do, and however long it takes you to choose whether you’re a vampire or a naturalist, it takes time… to do this or do that. This is what we will call an action-image. It’s an action. An action is when you react to perception, after a certain amount of time. The sensory-motor pattern is the whole. And what happens in between? The affection-image, which is a movement that turns on itself, fills the gap. Namely, in the case of the vampire, a feeling of horror rises within him: “Sun, I hate you! I hate you!” This is an affection-image. Or, “I love you, oh sun!” Two great poems in French literature have taken up both positions. A well-known poem by Edmond Rostand and a lesser-known, but even more beautiful, by Barbey d’Aurevilly, “I Hate you Sun…”[2]

Well, all this to say… narration isn’t complicated, cinematographic narration, because obviously… The advantage of what I’m saying here, of all this nonsense, is that it provides a criterion for cinematographic narration. My definition doesn’t apply to narration of any other kind, for example, in novels. I call cinematographic narration any regulated combination of perception-image, action-image and affection-image, regulated by the law of one or more sensory-motor schemas.

And indeed, what is this famous Hollywood cinema, the fact of narration that semiocritique invokes? It’s the regulated passages, the regulated combinations of perception-image, action-image, affection-image. Take any western, for example, and that’s what you have. Take a detective film, take anything you like, it presents us with action-images in variable orders, and according to this or that aspect of a sensory-motor schema. It presents us with distributions of perception-images. The typical perception-image: up on the hill, the Indians appear out of nowhere. It’s the Indians, the perception-image. Fear rises in the encampment, or the surge of courage: the affection-image. Reaction: Bang, bang, bang! This is narration.

I’m saying something simple here: narration depends directly on the specification of the movement-image. I call specification, or the process of specification, the process by which the movement-image gives rise to three main types of image: perception-image, affection-image, action-image. It is in this sense that I say that narration is in no way an immediate given of the image: it derives from it. And just as it is not an immediate given of the image, it is not the effect of a linguistic structure that it presupposes. At this level, I see absolutely nothing in terms of a language structure. I see a regulated composition of the three types of image that have specified themselves independently of any language structure. That was my first point, which responds to the first thesis of semiocritique.

For this first point, I’d like to add that, as you’ll recall, the semiocritics were confronted with the existence, since the war, of a kind of cinema that was no longer narrative, but dysnarrative, the prime example of which was the cinema of [Alain] Robbe-Grillet. And the semiocritics response was to tell us: That’s not a problem, we can explain it by assuming something of the order of a structural mutation. Instead of the narrative image – because for them, the image is narrative – instead of the narrative image referring to a syntagmatic structure, a structural mutation has taken place and, as we’ve seen, the image now refers to a structure that is prevalently paradigmatic rather than syntagmatic. And this is enough to produce so-called dysnarrative effects. In contrast, in classical cinema, the structure was syntagmatic. But I won’t come back to that, unless it’s necessary… but it’s not.

In the same way, if I try to define my position, I’d say, No, there’s no structural mutation here either. There’s a fundamental phenomenon that, for me, defined post-war cinema. Namely, instead of the image being a movement-image, where movement defined the immediate given, instead of the image being a movement-image, with a representation of time indirectly deriving from it – in classical cinema, in fact, you have an indirect movement-image that is the representation of time deriving from it – well, the great post-war mutation is that the image becomes a direct presentation of time. In other words, it’s a direct time-image, no longer a movement-image from which an indirect representation of time would derive.

We tried to analyze this direct time-image in detail last year. That’s why, for those who weren’t there, this may seem a little vague, but never mind. And we found it in several forms. The direct time-image, in any case, opposed itself, and became a time-image… that is to say it broke with the empirical form of time. The empirical form of time, I remind you, is succession, the succession of moments, or the succession of presents. This is what we call the “course of time”. A direct presentation of time is of an entirely different nature.

And we found it in two ways: when time constitutes a series, and no longer a course, namely when the before and after become qualities of time, and no longer relative positions of moments… when the before and after become qualities, that is to say when a series of time is constituted in the form: I become another. We’ve seen that this was the basis of serial cinema in, for example, Perrault’s films. Pierre Perrault’s great formula was: the flagrant offence of making up legends. Catching someone in the act of making up legends, here we have the before and after, which have become qualities of time. I become another, whose purest expression can be found in the cinema of [Jean] Rouch. But we’ve seen that in a cinema that claims to be more traditional… the entire cinema of [Jean-Luc] Godard was a construction of a series in which time is vectorized, according to which the before and after become qualities of time, with each sequence of images tending towards a limit that determines the before and after in the series. This was a case of the direct representation of time: the time series.

And then, last year, we saw another case, no longer the time series but the set of time, which was the second direct presentation of time. And the set of time… no, sorry, the order of time – the set of time is too ambiguous – the order of time… what is the order of time? This time, it’s no longer a question of the before and after of the series, it implies the coexistence of all time relations. The order of time is the coexistence of time relations. What does this mean? We looked at it last year, I won’t come back to it now because I don’t have time, and it’s not… We saw it last year in two forms. There were two forms of the order of time: on the one hand, the coexistence of internal presents, namely the discovery that there was a present of the present, a present of the past and a present of the future. And that while past, present and future succeeded one another, on the other hand, the present of the present, the present of the past and the present of the future coexisted, and this was the direct presentation of time. For example, in Robbe-Grillet’s work, where we have the simultaneity of peaks of present.[3]

Or another aspect: the coexistence of sheets of past, which also defines, which is another way of defining the order of time, namely the coexistence of time relations. The coexistence of sheets of past, an obvious example that we find much more… this time not in Robbe-Grillet, but in [Alain] Resnais. As I was saying, in their collaborative work… what happens in Last Year at Marienbad [1961]? Well, suppose we have a sheet of past where two characters meet: one settles on a sheet of past where they haven’t yet met the other, the other settles on a sheet of the past where they have already met the other. It can happen. You and I know each other. You can settle on a sheet of the past where you already know me. But me, at the same time, I’m settling on a sheet of the past where I don’t yet know you. What will that give us? Well, it will give us Last Year at Marienbad.

So, maybe that’s the structure of time in Last Year at Marienbad. Why would that be? Because from then on, all Resnais’s work would confirm it: all the time, all the time, the theme of a profound coexistence between sheets of past, variable sheets of past, appears. And last year, for those of you who were there, we went looking for a mathematical law for this coexistence. And we found it in something that really interested us: the transformation of the sheets, the baker’s transformation.[4]

In this very strange mathematical operation, the baker’s transformation, which is exactly the operation the baker performs when he stretches a surface, when he stretches a square of… the thing flattened there, kneading dough for I don’t know what… and then each time redoing, cutting in two, redoing, superimposing and so on… What varies is that, from one transformation to another, you have a new distribution of points, so that the points which are contiguous at one stage of the operation will, on the contrary, be distant, on the sheet, at another stage of the operation. If you take all these sheets together, if you assume that they are coexistent, you’ll have a generalized coexistence of sheets of past which, in effect, defines a whole order of time, since these transformations take place according to a certain order. But there’s a sheet where the two characters are far apart, and a sheet where they’re closer together. There are no two points on the sheet that, at certain levels of the transformation, will not be one pressed against the other and, at another level of the transformation, be more or less distant.

So, I would say, it doesn’t matter, this is just for… it’s not so that you understand… those who were here have already understood, whereas those who weren’t there won’t understand what I’m talking about. It’s just to emphasize this, the hypothesis that cinema may in a way have broken with the movement-image. When did it break with the movement-image? I’ve been saying this for so long now, and have repeated it so many times… it seems to me that the founding act of modern cinema is the collapse of the sensory-motor schema. Okay.

It’s not something that happened in language. It’s not a question of structural or linguistic mutations. It’s something much more alive. It’s when we learned that we no longer had many ways of reacting to situations in this world, and this was the discovery of Neorealism. It was the incredible discovery of Neorealism, which was never a lesson in passivity, because it redistributed all the givens. If we can’t act, if we’re incapable of reacting to situations in the world because they’ve become too great for us, what can we do? What can we do? Well, and this the beginning of this cinema of the seer, this cinema of denunciation, of the mark of Neorealism, this cinema of clairvoyance. But it all started from a collapse of the sensory-motor schema, and with this the cinematographic image abandoned the movement-image, it abandoned movement as an immediate given.

Of course, it continued to move, but that was no longer the point. What was essential was that, instead of time depending on movement, it was movement that now depended on time. In other words, what had become essential in the cinematographic image was the fact that it was a direct time-image, and no longer an immediate movement-image. It was a direct time-image. Well, it’s when the cinematographic image becomes a direct time-image, either in the form of the series, or in the form of the relation, the relation of time… no, sorry, of the order of time… or in the form of the order of time, that what appears is this immediate characteristic, this new immediate characteristic of the image, this dysnarration that semiocritique speaks of. I thought this would all be quite clear, but it’s not at all, I have the feeling… but it doesn’t matter. Is everything all right? All good? Okay. So, I’ll quickly move on to the second point.

I suppose, then… You’re completely free, I mean, it’s like a choice I’m offering you. You see, I’ve tried to explain as honestly as I can the point of view, the first point of view of semiocritique. This is where I always make appeal to what you need, or what suits you. If there are any of you saying to yourselves, this is what suits me… well, just go for it, I’m not going to stop you. Go ahead. I’ve just said why it doesn’t suit me but… and why I want to go in another direction, and I tried to explain in what other direction I want to go.

Once again, if I once more summarize the immediate givens of the cinematographic image, it’s sometimes movement, sometimes time. Narration or dysnarration derives from these immediate givens. And I need – grant me – I need to call upon… a process of specification of the movement-image or the emergence of the time-image, but what I don’t need is to call upon anything either closely or remotely related to language or to a language system. Indeed, there is a specification of the movement-image. For example, in the three images I’ve indicated – perception, action, affection – it’s a question of… of a typology of movement that refers to absolutely nothing, nothing, nothing, language related. Because I’ll tell you at the end – I haven’t yet said this – what this whole thing is about. Which brings us to the second point.

You see, it’s funny, we’re always wrong. When I plan our sessions, I say to myself, Oh, this is going to be very clear, this is going to be fine, and the other things will be difficult, etc. And I’m wrong every time, every time. What I think should be very clear suddenly becomes very, very confusing. Whereas what I think will be difficult… well, at least I hope so! So far, I’ve only had the first experience.

Second point, the question of the analogical statement. The cinematographic image would be a statement… Yes?

A student: [Inaudible question]

Deleuze: Pierre Perrault? Perrault is a great Quebecois filmmaker who is generally grouped under the category of “direct cinema”, which is a very, very bad category. He himself calls it “cinema of the lived”, or lived cinema… no, actually, he calls it “cinema of the lived”, and that’s the honest truth of it. And in previous sessions, we looked at some of Perrault’s films. I mean, I think he’s one of the most important filmmakers today. And I’d likened him to Rouch, because they have something in common: he believes that what is mistakenly called “direct cinema” is not a cinema that captures lived experience, but one that captures the moment when someone passes from a given state to a completely different state on which they fabulate. And that’s what constitutes the series. That’s why he rejects all pre-established fiction. He rejects all pre-established fiction… not at all – remember this – not at all because fiction should be eliminated, but because fiction must be caught red handed, namely when it’s a real character who starts fictionalizing.[5]

There is a whole group of filmmakers… because also American directors… if you take Shirley Clarke, for example.[6] Shirley Clarke, that’s obvious… Her great work, which concerns an eccentric black guy… it’s a great, great work, called, I think, Portrait of Jason [1967]… who is this fabulous person who never ceases to pass from the character he is to the fabulation he’s creating. And it’s not a matter of giving oneself a pre-established fiction, but of capturing the flagrant offence of producing a fiction, the flagrant offence of fabulation. Perrault says, What interests me is when the Native American is caught in the act of fabulating… if the fiction comes from me, it’s no good. But why? Because it’s the master’s discourse. And no matter how hard I try and put myself on the Indians’ side and do my utmost, it’s always the master’s discourse. It will always be the colonizer’s discourse.

But true cinema – and this is where Perrault thinks he can attain a truly political cinema – is precisely when real people exercise their power of fabulation. And the power of fabulation, you see, is always possible. It’s not at all lies, or mythomania… of course, it can lean towards that… In Portrait of Jason, Shirley Clarke’s admirable film… Jason is a complete mythomaniac, but he’s much more than that, he does much more than that. The power of fabulation is the power by which a collectivity invents itself as a people. That’s why it’s political cinema. Godard’s films too will be political, but for reasons other than the self-invention of a people. But with Perrault, this is obviously what’s happening. When the Indian is caught red-handed in the act of fabulation, that’s the moment… in fact, he always responds to the objection: Come on, you’ve never been a nation! Because the act of fabulation is precisely the process by which a nation is created.

So, I’d say… how to put it… there are poles, it’s very, very subtle… it’s up to you to correct each time. There’s a pole where fabulation looks like a simple mystification, as in Portrait of Jason, the black guy who tells… and ultimately, he’s conning us. Just as in [Orson] Welles’ F for Fake [1973], as we saw when we analyzed this strange film by Welles, which constituted a series.[7] What we called a series organized under the powers of the false, given that the powers of the false is always multiple and that it refers from one degree, to another degree, to yet another degree, so that there’s always a forger of another forger of another forger, and so on. So that’s one extreme pole of the power of fabulation. And the other extreme pole of the power of fabulation is the political constitution of a people.

And this perpetually goes from one pole to the other. It goes from one to the other, in a way, so that you don’t really know where you are anymore. Take Jean Rouch’s Moi, un noir [1958], where it’s precisely the same thing, which is why I always compare Perrault to Jean Rouch, even though their techniques are very, very different. What is the film about? You have these black guys who practice their trade, and then transform themselves according to the needs of a ritual. Or black people who are unemployed, or prostitutes, and then go on to live the lives of federal agents or Hollywood movie stars. In Moi un Noir, it’s a matter of “I become another”. This is fabulation. You find the two poles. You can take it at the level of the pole which is already fully satisfying, and which is very interesting, namely, they create their own scene. They create their own scene. They say, we don’t accept this. They think… you have the prostitute, the black prostitute who thinks she’s Dorothy Lamour… well, that’s what you have, it can’t be suppressed, it’s even what makes you laugh, otherwise the situation wouldn’t be funny. But there’s something else too, and that’s the way they constitute themselves as a people. Why do they constitute themselves as a people? You feel that there’s already a kind of strange role reversal going on. The power of fabulation is the response to the question: Where is the people? The people are missing.

As I was saying, this is the big difference between pre-war political cinema, since we’re always looking for differences between… and post-war political cinema. Pre-war political cinema is marked by Soviet cinema. But Soviet cinema, even if it has its doubts, even if it already has doubts, there’s one thing it can’t say, or even suggest, and that’s that the people are missing. It can’t do that. Political cinema, the great Soviet political cinema, is a cinema where the people are there! That is to say, they act, they are there, even if they are unaware of it. Take someone like [Vsevolod] Pudovkin: all his cinema concerns a people becoming aware of itself, and in any case, the people are there.

Post-war cinema represents the collapse of the sensory-motor schema. The people are missing. There are no more peoples. There are no more in Europe, and not yet in the Third World. There are none left in Europe, and not yet in Africa. The colonial divisions have been maintained. How can there be a people, since we’ve been careful not to give them any possibility of forming a people? So, the people are missing. It will be a case of either the people not being there anymore, or of the people not yet being there. This was to be the great post-war awakening. The great Soviet cinema, the great Soviet political cinema, is no longer possible. It has lost none of its value, none of its beauty, including its political force. It hasn’t lost anything, but there’s no point in remaking it. In the same sense that Robbe-Grillet says that there’s no longer any point in remaking novels in the style of Balzac. Balzac is enough for us. It’s not Balzac who has aged. Who has aged are those who write novels like Balzac. Balzac hasn’t aged. Eisenstein, Pudovkin, Dovzhenko, they haven’t aged. You see, there’s no point in making political films that show us an existing people. There’s no point, because it doesn’t serve any purpose. So, as I was saying, political cinema migrates to the Third World. But what does this mean? It migrates to conditions where the people are missing.

Once again, take the problem of the – for those who would like to… I’m digressing, oh la la! – Take the question of the Palestinian people. The Palestinian people, their story isn’t complicated. Israel has never wanted to talk about the Palestinians. For them, there is no such thing as a Palestinian people. So, Israel has always spoken of “Arabs from Palestine”. It’s very interesting, because if you like, it means that all languages are coded. Diplomatic language above all is coded. Proust showed it wonderfully in those definitive pages, when a diplomat says that it’s a nice day, you have to know what this means. Well, when diplomats say “Arabs from Palestine”, it’s clear what this means. It means that there are no Palestinians. There are Arabs who were in Palestine, but they’re not Palestinians. It’s easy to see why Israel needs this formula.

And one thing is certain, there was no Palestinian nation. There was no Palestinian state. There was no Palestinian nation. The “Palestinians”, or the “Arabs from Palestine”, were a quite different entity. They were completely different from other Arabs, they had their own traditions, they had their own lineage, they had their own chieftaincy, they had everything you could imagine, and they were part of a land crushed by the Turks. So, what is the Palestinian question? It’s the way the Palestinians have constituted themselves as a people. How did they do it? By fighting, in a struggle. In a way, the Israelis are not wrong in saying there was no Palestinian people. But the moment they say that, it’s enough for them to say it for one to begin to emerge, which is precisely to fight against Israel’s expulsion of the Arabs from Palestine.

At that point, the Palestinian people was born. What name do we give to this? In a way, it’s fabulation. What I call fabulation, in this sense, you see, is the act by which something that did not yet exist is constituted. Precisely insofar as there was no Palestinian people, the constitution of the Palestinian people is a veritable act of political fabulation. But I know of no people who, historically, have not constituted themselves through such fabulations.

And it’s not a question of going back to the old myths. On the contrary, these are very practical acts. How do African peoples constitute themselves today? And in what form? Rouch’s answer is, through a series of acts of fabulation… and what is he trying to do? To create history for us in his own cinema, through the way such and such person of color slips into such and such a role, which can refer to a role with an American name… Think of Rouch’s film A Lion Called the American [1968] for example, where the lion – it’s about lion hunters – is called the American. That’s the act of fabulation. It’s very funny! We’d have to analyze this short film in detail, this very beautiful film. It’s a fundamentally political act of fabulation, which very strangely will enable the group of lion hunters to constitute themselves as a people. I exaggerate a little here… I’m exaggerating, but I’m hardly exaggerating. There was the baptism, the completely fabulist baptism: the lion, the American.

Now, in Moi, un noir, it’s the same thing. The young prostitute who says: Moi, Dorothy Lamour. Or the other one who says: I am… I’m the big federal agent – I mean the unemployed guy. And this whole scene that they make for themselves. That’s what I’m saying, what’s so great about this cinema wrongly called “direct”, is that it is perpetually… And once again, if I go back to my earlier example – because it’s one of the most brilliant films of this kind – to the example of Shirley Clarke’s Portrait of Jason, it’s really fantastic, because in effect, you have a black guy from Harlem who is a genius. He’s a prodigious actor, he fabulates, but in the sense of being a total mythomaniac. And it’s obvious that through this very individual mythomania, which the guy carries out with genius, he’s also part of his people, meaning that the act of fabulation, in a different way, also applies to the constitution of a black people in the United States. And Shirley Clarke’s film is political in this sense… [Recording interrupted; 59:40]

Part 2

… So, this is all very complicated. Do you understand why I’m saying this? Someone asked me about Pierre Perrault. Ah, well, it was… here’s a short answer. You see, Perrault’s work is often shown in film houses… you should go and see it. It’s amazing! I’ll have a chance to talk about it if I don’t drag this out too much, not this time but other times. He’s one of the guys I admire most right now. Of course, he’s not young.  I’m not talking about the young filmmakers, alas, I don’t know their work well enough. Pierre Perrault is a guy who must be in his sixties.

Student: … I saw a retrospective called “The History of the Palestinian People” [indistinct remarks] that said that the State of Israel… well, at least in this book I read, was created in the 20th century…

Deleuze: As a people, yes.

Student: As a people, yes. I don’t know if the State of Israel appears in the 20th century, which means there was already a people who hadn’t said “I exist”, as a discourse, but…

Deleuze: No, sorry, I’m not saying that the Palestinians are the first to carry out this operation of constituting a people through fabulation. It was obvious that, for example – I don’t know if I understand your remark correctly – but it’s quite obvious that regarding completely different circumstances, there’s even a film that will be essential for us, when the time comes, and if we can make it… and that’s Moses and Aaron by [Jean-Marie] Straub [1975], which asks under what conditions the Jewish people constituted itself as a people. Perhaps I’m not answering your question?

Student: No, it’s not that… you said there were Palestinian people before… [indistinct words]

Deleuze: Yes… but you don’t know the nuances! You should understand… it’s all very difficult. It’s not that you don’t understand, but your understanding is too literal… you see, I’m forced to simplify in order to go faster, and each time it’s up to you to correct what I say. I don’t mean to say that the Palestinian people didn’t exist, but then again, maybe I do mean that. I don’t know, do you understand? The word “people” has, let’s say, a lot of possible meanings. Then we’d have to go back to that, which would send us back… it would take me half an hour to distinguish four or five meanings of the word “people”. And I’d say, well, it existed as a people in this sense, but it didn’t exist as a people in another sense. In a way, that’s why – I’m counting on you – every time, your job is to put things into perspective, to introduce nuances that I can’t introduce… speaking out loud, I can’t introduce them. There are nuances that I can’t bring in. I have to go at it with a claw hammer. It’s up to you to shape and rearrange things better.

And so, of course, it existed as a people… but in what way? It existed as a specific set of lineages. Or, if you say to me: they were already a people in a specific sense of lineage, I’d say, well, okay, it existed in that sense. They existed as farmers, they existed as, I’d say,  territorialized people. But they didn’t own the land, so they didn’t exist as a people. What is a people who are… and whose status is that not even of farmers but of sharecroppers? And as for property deeds, well, the Palestinians didn’t even know what they were. In other words, they existed, but only on paper, which allowed the Turks to sell a lot of land to the Zionists. Then the Palestinians learned that they didn’t even understand what that meant. For them, land was the property of the lineage – then they learned that land wasn’t the property of the lineage at all, that it was the property of the piece of paper that resided in Turkey, and in the name of which they were being expelled. They were, if you’ll pardon the expression, literally deterritorialized. At the very moment when they were deterritorialized, that is, in losing the fundamental quality of a people, which is to be territorialized, they constituted themselves as a people… [Recording interrupted; 1:05:03]

… so that they would invent themselves as a people. And when they were told: You are not Palestinians, you are only Arabs from Palestine, they would be able to reply: We have become Palestinians. And yet they already were. This is what Perrault shows so well. Perrault shows it’s a matter of inventing a people that are missing. Actually, Perrault says it better: It’s about inventing a people who already exist. And you understand, if it’s a question of inventing it, it’s because in a certain way, it may already exist, but in a certain way it’s also missing. And that’s the beauty of Perrault’s formula, inventing a people who already exist. Well, it’s all very complicated…

Student: No, now it’s clear.

Deleuze: Now it’s clear? Well, perfect then. There was someone who… yes?

Student: I wanted to say that, actually, if you could ask an Arab… [inaudible remarks] to expel him, but I understand that in a less linguistic sense there was a… [inaudible remarks] between 1948 when the Palestinians were Arabs and considered themselves Arabs and then later, when a people was formed who thought of themselves as a people.

Deleuze: I don’t think I’d agree with you on that one, but let’s not go on about it because… I wouldn’t agree with you, because for me, as for many Palestinians, there weren’t two wars, there were three. And the first war was completely short-circuited, in other words, it’s generally denied, and denied for very, very specific reasons. It was a war that the Palestinians waged on their own under the leadership of the Grand Mufti, and it was followed by the second war and Jordan… But there was an initial period when the war was solely between Israelis and Palestinians, and the English of course. Now the English…  it’s very complex. So much so that I believe that from the start, they absolutely, and above all in this first war, saw themselves as being in the process of constituting themselves as Palestinians. It wasn’t afterwards that they saw themselves as Palestinians, it was during this war led by the Mufti…

Student: But at the time, it was just a war between the Jews and the Arabs.

Deleuze: No, it was only the Palestinians who were fighting. It wasn’t a war between Jews and Arabs, it was a war between the Jews, who were establishing the Zionist state, and the Palestinians, period. The Arabs then came in with the Jordanians to join in this war, and there was a more – here I have no memory of the dates – but there was a very, very long period when there was only Palestinian resistance… but that long period was drowned out by the idea of a war. What you’re saying, I think – and I’m not reproaching you – repeats the ready-made formula, which I think is historically false. I’m not saying I’m right, but it’s very important because it was very important for the Israelis, precisely, in their idea that it was above all necessary to deny that there existed Palestinians. To deny the existence of the Palestinians, in this undertaking, it was very important to deny that there was an initial period when the only enemies were the Zionists and the Palestinians, but not at all the other Arabs. Not at all! If you’re familiar with this… you just have to look at the dates themselves: there was the whole resistance movement that adhered to the Grand Mufti, which was very, very interesting and which, in my opinion, was one of the main moments in the constitution of the Palestinians as a people. So, it wasn’t after that, it was precisely at that time, I think. See for yourselves… well, all this is too… you have to see for yourselves.

Georges Comtesse: [inaudible words] … Jean Rouch, in the sense that in the films I’ve seen by Jean Rouch, there isn’t simply a narrative, a narrative that would derive from it, even if the narration is relative… through this series of films, Jean Rouch… he tries, in his own unique way, to capture something that lies between the images and, precisely, the narration, even if it is relative. And we can say that, for example, in Jean Rouch’s first film where he made a return to Africa,[8] which is from 1974 and it’s his last African film, and – how can I put it? – the film’s series, he captures something in a unique space between images and narration, a system that can be called a language system, which perhaps, and probably wrongly, has a different status than the one you give… and he will be able to release a narrative, and the language system is always a system with three differences. For example, whatever the film, we see individuals, let’s say, caught up in this language system.

The first difference is always the sacred, religious difference between life and death. The second difference is what we might call the difference extracted from filiation which passes, for example, in the sons of water through the rhythm of circumcision, which is a kind of contempt, hatred of daughters… [indistinct word] afflicted, which is a difference extracted from filiation. And the third difference is the hierarchical difference, subordinating men and women through a completely regulated division of classes, roles, functions, status, spaces, and so on. And these three differences, these three differences, are the same. And these three differences – the sacred difference between life and death, the difference extracted from a filiation, the hierarchical difference between men and women – can be said to be a language system that determines individuals. And the question I’d like to pose is this: does fictionalizing oneself, does fictionalizing oneself, really perturb this language system that the unique space of the film series captures, or is it simply a way of reproducing it through, precisely, a gap, a difference of view in relation to this system that is perhaps itself a system of gaps?

Deleuze: You understand, you’re telling me, if I sum up your very interesting intervention, you’re telling me: there are other aspects of Rouch. Of course, there are. I didn’t claim that all aspects of Rouch’s work resided in the one I’m insisting on. Secondly, you’re telling me that the other aspects you’re highlighting are more profound than mine. That’s where I rush to embrace you, I recognize you! And you’re telling me that what you bring out can’t be reduced to the linguistic process of semiocritique. I’m not sure, because I was worried when you were speaking about gaps, which are obviously not movement gaps in your mind, and which seem to me to be gaps that are totally language-related, in the sense that linguists talk about gaps. But even if that wasn’t what you meant, I’ll tell you, I’ve listened carefully, I think – it’s becoming like a kids’ squabble, so there’s no point in pursuing it – you can always tell me the aspects I’ve just mentioned – I recognized your favorite tactics – well, my act of fiction-making is subordinate to these aspects.

I’d say to you, I don’t have the impression… well, I have the impression that it’s the opposite. I have the impression that everything you’ve said, though I find it very interesting, is less important than this fundamental act of cinema, once again of cinéma verité, which consists in catching red-handed the passage to fiction, meaning when someone starts to fictionalize, or rather when someone starts to fabulate, it’s the only way – you understand what it means, that’s why it seems important to me once again – it’s the only way not to reproduce the discourse of the masters or the colonizers. When… this is where I think Perrault is very… this is why, for me, this is the fundamental act.

So, what would be interesting is that, yes, there’s an act of language, in fabulation, there’s an act of language – but we’ll see later which kind, I can’t say all at once – so what you’re saying, okay, it’s one path, which for me is relatively close to semiocritique, even if you were doing an original semiocritique. You have every right to do so, but once again I think, at this point, we can only say, well, no, I’m the one who’s right, I’m the one who’s right, and I hope you are no more interested in this than I am. So, there are these two ways… you’ve added, you’ve demonstrated, but I’m not so sure that this is so obvious and that the act of fiction-making I’m talking about would be subordinate to the aspects you claim are more profound.

Comtesse: But I’ve seen it in the films…

Deleuze: No, listen… that, that… I’m telling you, no, that’s your favorite argument… it’s in the films, that’s it, it’s the Stalinist argument that pisses me off.

Comtesse: [Inaudible comments]

Deleuze: Well, no, stop, listen, because we’re already late!

Comtesse: [Inaudible comments] … but how do I know…

Deleuze: He does it to me every time! I can’t take this anymore.

Comtesse: If we take Jaguar, for example…

Deleuze: It’s ten years he’s been going on like this!

Comtesse: [Inaudible words] … where he fictionalizes himself like a jaguar, like an animal that struts around… [indistinct words] strutting around. He fictionalizes himself, and when he returns to the village, what does he say now, now that he’s become the glory of the big city? What does he say to the girl, the young girl in the village? He’s telling her something that pertains, obviously, to language or to this system of differences I’m talking about. He’s not saying “I want to marry you,”, he’s saying “I’m marrying you”! That’s crazy, try to understand this!

Deleuze: Grrrrr… Listen, you have a genius for combining relatively interesting things in what you say with propositions that are perfectly unpalatable to everyone. You always take people for idiots, that’s your only fault. You take people for idiots, even as you finish a speech with “Try to understand this!” I assure you, I would never dare talk to people the way you do. I wouldn’t dare, I’ve never said to a student, “Try to understand this!” But do you realize? Who do you think you are? Who do you think you are? You dare to end something by saying “Try to understand this!”, Try to understand the unfathomable depth of what I’ve just said! No, that’s not acceptable! I can’t take it anymore! We need a break! Five-minute break… [Recording interrupted; 1:19:52]

Deleuze: … but if movement is the immediate given of the image, there is no fact of narration. Narration stems from a particular process that we can call the process of image specification, namely the way in which the movement-image is specified in a certain number of image types, the way in which the time-image is specified in a certain number of image types. So that’s the first point.

Let me move on to the second point. What does it mean to say that the cinematographic image is a statement, or the equivalent of an analogical statement, that is, that it operates by resemblance? This obviously assumes that the analogical image – and Metz’s text confirms this – that the analogical image is related by resemblance to an object that is its referent, so to speak. My point of view is very simple, and I offer it as a general proposition, therefore something very obscure at first sight. This would be true precisely if we could bracket out movement. If we could bracket movement in the image, then yes, the image could be considered as an analogical statement that refers to resemblance, to an object that would be its referent. But movement has the property of making the image and its object indiscernible.

Now you might say that this is something that pertains only to cinema. No, it’s not specific to cinema. I could say exactly the same thing about painting in another context. I always come back to this question: can we say that so-called classical painting is figurative? If we can, it’s the same as saying that a painting is an analogical statement that relates by resemblance to an object that is its referent. Everyone knows that this is not the case. Why not? Because painting, figurative or not, does not proceed by resemblance. Painting, whether figurative or not, proceeds by modulation: sometimes modulation of light, sometimes modulation of color, sometimes both.

I would say of modulation exactly what I said of movement, namely that modulation, like movement – and this is not surprising – suffices to make the image and its object indiscernible. This is perfectly normal, since cinema not only proceeds by movement-image, but also modulation in light and in color, when color is used, form part of cinematographic movement. And in previous years, we studied the way light modulation can be very different, for example, in German Expressionism as opposed to the pre-war French school, or the difference in the modulation of colors in great colorists like Minnelli or Antonioni.

Okay, so this is where we’ve got to, you see it’s for the same reasons – I mean, if what I’m saying makes sense… – it’s obviously for the same reasons that semiocritique has bracketed out movement as an immediate given of the cinematographic image and has been able to conclude that the cinematographic image is assimilable to a statement by analogy. For if you reintroduce movement into the image, you see that movement in the image makes the image and its object indiscernible. So, what does this mean? And what is this indiscernibility of image and object from the point of view of the cinematographic image?

Regarding this, [Pier Paolo] Pasolini tells us – and here we come back to one of Pasolini’s most bizarre theses – Pasolini tells us that the object is precisely a part of the image. And he’s not just saying the object is part of the image – you see, he’s already against the idea of analogical image-statement – the object is a part of the image. Why is that? Not only, not only. What’s more, the object is the second articulation of the image. And suddenly this becomes really important. Why is that? By telling us that the object is the second articulation of the image, he’s telling us that the object is the equivalent of the phoneme. You remember that the phoneme was the second articulation of language. And he adds: What is the first articulation? The first articulation is the shot. The shot is the equivalent of the moneme. But the object… what object? Well, the framed object, the object framed in the shot. The shot is the equivalent of the moneme, and the object framed in the shot is the equivalent of the phoneme.

Cinema has two articulations, and what does this mean in essence? You see how it is – here again, you have to fill in all the nuances as you listen to me – which means first of all that cinema is a language. We’ve seen, in fact, that double articulation defines language, which means that Pasolini wants to go further than semiocritique on its very own terrain. Semiocritique told us how cinema is not a language because there is no double articulation, and language is defined precisely by double articulation. But cinema is a language system, semiocritique also told us. And why is that? Because the cinematographic image is subject to codes, first and foremost the syntagmatic, which define a language process. Hence the formula: cinema isn’t a language, it’s a language system. It has no double articulation, and is therefore not a language. It is a language system because it is subject to syntagms. You’ll remember that, since we analyzed it quite thoroughly.

Pasolini’s position seems frightening, the way he calmly states that phonemes are the objects framed in the shot, while monemes are the shots. Cinema has two articulations, cinema is a language. Immediately, I mean… you always have to… what he’s telling us isn’t linear. We make leaps! We can say that Pasolini returns to the old thesis that was denounced by semiocritique: cinema as a universal language. And the whole of semiocritique was constituted to say, no, cinema is not a language, it’s a language system, a language system without a language, as Metz put it. And now, as if completely unaware of this critique of cine-language, Pasolini calmly and patiently tells us that cinema is a language.

A new needling blow to which the chorus of semioticians is either indignant or mocking. They say, What is he talking about? How could it occur to Pasolini to equate the objects framed in the shot with phonemes? Because you remember what a phoneme is. I’ll say it again, to keep to my old example. I say billard [billiard table], well, the phoneme /b/ is /b/ versus /p/, but a phoneme is not an object. It has nothing to do with an object. What does it have to do with? What’s more, what is an object framed in the shot? Either it’s the referent object, namely the object shown, the revolver as the image of the revolver shows it by resemblance. It’s either… but this is not the referent, a phoneme has never been the object that serves as a referent. Or else, it’s the object in the image, the object as it is framed in the shot. In this case, it’s what linguists would call a portion of the signified, but a phoneme has never been a portion of the signified. A phoneme is a distinctive unit without any meaning. It’s a distinctive unit, but one without any meaning. Therefore, it would seem to me that in no sense can the object framed in the shot be assimilated to a phoneme.

So, Eco… Umberto Eco, as I was saying, is highly mocking towards Pasolini. He’s very tenacious. Pasolini has more than one trick up his sleeve. And here he goes on – it’s a perpetual needling – Don’t you want, don’t you want cinema to be a language? You see, he’s used the theme of double articulation… you see how he proceeds, because Pasolini’s texts in Heretical Empiricism[9] are so difficult that I’d like to help you with a possible reading of them. He uses the theme of double articulation to say, contra semiocritique, What if cinema was a language? And then they say to him, No, Pasolini, you’re so naive. To which he replies, Let me finish, let me finish, it is a language… but in what sense? And he blithely adds: In fact, it’s the language of reality, it’s the language of reality.[10]

Things are getting more and more interesting, because he goes so far as to say: you semiocritics have never understood anything about semiotics – he’s taking his revenge – you don’t understand semiocritique, since you don’t understand semiotics, because semiotics, he says, is the science of reality. Semiotics is the science of reality. Science of reality, language of the real or language of reality: let’s say that these amount to the same. It’s the semiology of reality that we must undertake, that’s the slogan I’ve been shouting to myself for months. I’m looking for the exact quote, the quote on the science of reality… “What is not arbitrary is to say instead that cinema is predicated on a “system of signs” which is different from the written-spoken one; that is, that cinema is another language…” – another language, you know, the language of reality. In what sense is it another language? – “But it is not another language in the sense that Bantu is different from Italian” – not in the sense that one language differs from another language, but in the sense that the language of reality is different from what? It’s different from any language system.

Well, cinema is the language of reality in the sense that the language of reality is not a language distinct from other languages, but a language that is different from all language systems, whether verbal or non-verbal. Here, things get more and more complicated. You’ll recall the thesis of semiocritique: cinema isn’t a language, it is a language system. It’s a language system that isn’t itself a verbal language, but to which we can apply certain characteristics of verbal languages, namely syntagmatics. Pasolini asserts his grip by telling us: cinema is not a language system, whether verbal or non-verbal. Cinema is a language, but beware! It’s not a language that differs from another language, the way Italian differs from Bantu. It’s a language that is the language of reality, and is therefore different from any language system, verbal or non-verbal.

We still don’t understand what the thesis means, but it’s beginning to look quite splendid, and we can see that it’s not a return. Or if it is a return to the classic thesis of cinema as a language, a universal language, it will be such a renewed and enriching return. Okay. What’s he trying to say? Let’s try to interpret it freely. All this, all the texts I’m referring to are in Heretical Empiricism… pages 167-222… you can easily find it.

But I return to the question that we looked at two years ago, or three years ago, I don’t know… to my question of the movement-image. Everything will become clear, and it’s always for the same reason: it’s because semiocritique has eliminated movement in the image that it’s been able to link it to language system, and so on. If we begin with the movement-image, we might find that Pasolini is saying something extremely simple and rigorous. Movement has two sides, movement in the image has two sides. On the one hand – I mean, the movement-image has two sides – on one side, it expresses a Whole that changes, it expresses a change in a Whole. On the other side, it is distributed among different objects, some of which are said to be immobile and others mobile.

Example: birds take flight, the birds’ departure. So, the birds are leaving. You’re in your house and you say, Which birds? Let’s imagine it’s the storks that are leaving. You had a stork there and now the stork is leaving, okay. It’s a movement-image. This movement-image has two sides. It expresses a Whole, but in what sense? A Whole that changes. This changing Whole is what we call seasonal variation. It is distributed among different objects, some of which are said to be moving or mobile, while others are immobile. The chimney where the stork made its nest remains immobile, while the bird leaves. There’s a distribution of movement. Okay, I would say that every movement-image has these two sides. Every movement-image is, on one side, turned towards a Whole whose qualitative change it expresses, the change of season, and on the other side, it is turned towards objects whose respective positions it expresses – what is moving and what is immobile.

Let me add that the movement-image is the circulation of the two levels. I’ve got two levels, two levels: one where… the movement-image itself implies two levels… a movement by which it is turned towards the Whole that changes and expresses this change of the Whole – the stork’s departure expresses the change of season – and another level where it is turned towards the objects among which the movement is distributed. I’ve got my two levels, and there is circulation between the two. What does this mean? It means that the movement-image never ceases to differentiate itself according to the objects among which movement is distributed, and at the same time, it never ceases to integrate itself into the changing Whole that the image expresses. Some of you may remember that we spent several months on this, a long time ago. What more do you want?

And this is my second remark… remember how my first remark was based on the discovery of a process specific to images, which I called the process of specification: how a movement-image gives rise to different types of image. Now, in my second remark – and this is to insist on the coherence of all this – I find myself faced with the second process of the movement-image, a completely different process, which I would call the process of differentiation and integration.[11] Above all, we must not confuse the two. The process of specifying the movement-image is the process by which the movement-image gives rise to different types of movement-image: perception-image, action-image, affection-image. The process of differentiation-integration is the process by which the movement-image gives rise to two levels: one defined by the objects among which movement is distributed, the other defined by the change in the Whole that the movement expresses.

Let’s talk about crime, since I’ve already mentioned the psychoanalytical use of crime in cinema according to semiocritique: a man enters and steers a woman into her bedroom, and the camera accompanies him to the door. Then the camera moves back down the stairs and so on, and frames the window from outside. It’s a movement. This movement is distributed among certain objects, some of which are fixed, others mobile. This movement expresses a changing Whole. There’s no need to draw a picture: between the two, the woman has been murdered. It’s the famous Hitchcock tracking shot.[12] A camera movement, the movement here being necessarily that of the camera, but it can be that of the characters too, there are all kinds of possibilities. Another example of the same kind, exactly the same in fact, no less famous, is [Jean] Renoir’s La Chienne [The Bitch, 1931], where the camera leaves the couple when the man is at his wit’s end, at the end of his rope, and then comes back in through the window in a fantastic tracking shot typical of Renoir. It comes in through the window to discover the woman’s corpse in the bedroom. Exactly the same. Between the two moments, everything has changed, and the woman is dead.

So, what am I saying here? I’m saying that the movement-image is the bearer not only of a process of specification, but also of a process of differentiation-integration. In this process of differentiation-integration, there are two levels, Pasolini’s two articulations. What do these two articulations consist of? Well, the shot, the movement-image expresses a changing Whole, and here Pasolini chuckles… Let me call it a meaningful unit. But it’s a meaningful unit of the real: unity of the image and the real. The image becomes reality… in cinema, the image becomes reality insofar as the movement-image expresses change in a Whole.

Secondly: the movement-image does not express change in a Whole, that is to say it does not become reality without at the same time being distributed among objects… without being distributed among objects. This is differentiation. It’s the differentiation of the movement-image that has nothing to do with its specification, which is a completely different process. Pasolini adds: Let me call this second articulation, this second aspect through which movement cannot express a Whole that changes without being distributed among objects framed in the image. Let me call first articulation… sorry, I mean second, second articulation, this second aspect, and let me say that cinema is a language, yes! But a language we’ve never spoken, a language that can’t be reduced to any language system whatsoever, verbal or non-verbal. It’s the language of reality, that is, the process by which the image becomes reality and the object becomes image. The image becomes reality, that’s the first side of the movement-image; the object becomes image, that’s the second side.

In other words, cinema is the language of reality, precisely because it has nothing to do with language systems: it’s a language without language system, verbal or non-verbal. What is a language without verbal or non-verbal language system? The language of reality. What does it speak with? It speaks with objects, and it speaks with objects because the image itself is the real that speaks through the object… [Recording interrupted; 1:51:29]

… even monemes, he needed all of this to succeed, in my view, in blowing the whole “language system without language” thesis out of the water and opposing to it a “language without language system”. And in the end, the movement of Pasolini’s thought is so complicated, it seems to me that, strangely enough, he lets himself get caught up in it. Discussions arise about Pasolini, where people say, Ah, well, yes, there are points where I agree, but there are also some points where I disagree, and so on but in fact, this misses the point. It’s that Pasolini really thinks in a completely different way, absolutely in a completely different way. In his language of reality, it is no longer… it’s absolutely no longer a question of any kind of linguistic process, whether syntagmatic or paradigmatic, and yet he’ll speak about all this! Oh, he’ll do it all, he’ll do it all. That’s the beauty of it. Except that with all these codes, all the syntagmatic or paradigmatic codes, he’ll push things to the point of placing them under the domination of an Ur-code, as he calls it, a code beyond codes, which consists precisely in decoding them, in decodifying them.

It’s a very, very beautiful idea, which brings us back to the idea: yes, you can say in a certain way that cinema is a language, though not in the way the first filmmakers saw it as a universal language, namely a language that really was a language – no, it’s more than that. Once again, it’s the language of reality, it’s reality speaking through cinema. So, well, we’re back to language.

I’d say, I’m just drawing conclusions: if I’m not wrong in this interpretation I’m proposing of Pasolini – and you have every right to think… it’s up to you to say if you think I’m wrong, once again, none of this is easy – if I’m not wrong, our second point is settled. Namely, I see no reason to treat the cinematographic image as the equivalent of an analogical statement. It is neither a statement nor is it analogical. Quite simply, it is inseparable from a process that is no longer that of specification, but that of differentiation and integration, and which, to bring all these processes together, I can now summarize in the following way: specified images, that is according to their three types, specified images are linked together, but in being linked together, they are integrated into a Whole that, for its part, never ceases to differentiate itself according to the objects of the image. I’ve combined the two processes of specification and differentiation-integration, which are irreducible to any language process.

Hence, the third and final point: if cinema is a language in this sense, what do we mean by language? We return to our question, which was even that of classical cinema, classical cinema, that in Eisenstein’s terms, lays claim to the status of interior monologue. But what is an interior monologue in terms of language? What is it? When Eisenstein tells us that it is not the novel, but only cinema that is capable of realizing the full potentiality of the interior monologue… what does this mean, what can it mean? Well, it could mean a lot of things, and this is our last point.

So, as this point is going to be again quite complicated, you can forget about that for the moment. I’m so behind this time, but this will be the last time things are so difficult… from next time on, it’s all going to get easy. I was counting on it being easy today, but then I don’t know what happened, I fell behind, but after this point, there won’t be any more difficulties. However, this one is really difficult, isn’t it?

What I’ll tell you is this. There’s a first response we could make, saying: well, yes, cinema isn’t a language, so be it. What is the language of reality? Is the language of reality the interior monologue? Perhaps, but what is the interior monologue? First answer: it’s a primitive, primitive language. Pasolini already said no, it’s not Bantu. Is Bantu a primitive language? I don’t know, but in any case, primitive language or not… no, it’s not a primitive language. So, it would be better to risk saying that it’s a protolanguage, a protolanguage. Cinema considered as interior language… no, sorry, as interior monologue or as the language of reality, would be a protolanguage.[13]

And after all, some of Eisenstein’s contemporaries were working in this direction. You’d have to show how a protolanguage differs from a language. There were linguists, there were already linguists – they weren’t born… – there were already such figures as linguists, and these linguists went quite far, and Cahiers du cinema published their texts, or a part of their texts, in two issues, number 220 and 221,[14] texts by two important Soviet linguists, one called [Boris] Eichenbaum – you can spell it how you like, whatever, you’ll always be right, since it’s all arbitrary anyway – and the other called [Lev] Vygotsky… They circled around… they said, be careful, it’s a very complicated matter. That doesn’t mean visualizing linguistic givens, no. It’s more as if there were linguistic valences in the procession of visual images. The interior monologue would be like a sequence of linguistic valences based on visual images that resonate in our heads, which occur before our eyes and resonate in our heads. And Vygotsky says, it should almost be… it wouldn’t be… it wouldn’t be, it wouldn’t be phonic, says Vygotsky. He proposed a very strange notion of “endophonics”: there would be endophonics linked to the procession of visual images, and this would constitute the interior monologue, or a kind of protolanguage, the equivalent of which would be found not in Bantu but in the child. Well, they were trying to resolve the problem, but… – I’m going very quickly here – their studies are very interesting.

But it doesn’t quite work, it doesn’t feel right, why doesn’t it feel right? I don’t know, it doesn’t feel right to me. No, in the end… because they’re onto something, I mean, the problem they leave us with: what is the relation between protolanguage and language systems? Maybe the relation we’re seeking isn’t that between protolanguage and language systems… but what is it then? What is it? [Recording interrupted; 2:01:26]

Part 3

Second hypothesis… here we are groping in the dark. The great Danish linguist, [Louis] Hjelmslev, well known to you all, writes – sorry, I’ve got the wrong line… Oh no, I’ve lost the quotation… if I lose my quotation, I’m lost because… Oh la la la la! I’ve got it! It’s very short, my aim is not to give a course on Hjelmslev, because that wouldn’t be easy.

Hjelmslev explains that – and I’ll say this very quickly – according to him, language is constituted by the form and substance of expressions and the form and substance of content. If you like, he replaces the Saussurian signifier-signified distinction with a form of expression-form of content distinction, but it’s not simply a verbal substitution. And I think that this changes everything. So, he invents this notion: form of expression and form of content, roughly speaking, let’s say, which correspond very roughly to signifier-signified. And this is what he says: The form is projected – it’s the most… it’s not the most difficult sentence, it’s Hjelmslev’s most mysterious sentence, that is so disputed, that’s why I say it to you – “…the form is projected” – meaning, the form of expression and the form of content – “the form is projected onto meaning” – or sometimes it’s translated in French as “onto matter”… whereas in the English word can mean both as can the original Danish. The form of expression and the form of content are projected onto meaning – and Hjelmslev, though rather stingy with metaphors, adds – “as a taut net casts its shadow over an uninterrupted surface”. We project the form of expression and the form of content onto meaning, namely onto matter, like a taut net casts its shadow over an uninterrupted surface.

Matter or meaning is an uninterrupted surface, which must be distinguished from what? From form and substance. Why is this? Because substance is formed matter. Substance is formed matter. So, there will be a substance of content and a substance of expression, since there are two forms, a form of content and a form of expression. Well, form of content and form of expression, which inform matter to make it substance of content and substance of expression, well, form of expression and form of content project themselves onto meaning as a taut net casts its shadow over an uninterrupted surface. In other words – I have no problem with it, no problem at all, so I’ll tell you, though I still have a lot of questions – what Hjelmslev calls matter or meaning is matter that is not linguistically formed, it’s not linguistically formed. It’s non-linguistically formed matter. Indeed, as soon as it is linguistically formed, it has become a substance of content or substance of expression. Meaning is therefore a matter that is not linguistically formed, and yet – I would add – it can be perfectly formed from points of view other than linguistics, which I think Hjelmslev recognizes, but with a small caveat: not linguistically formed, but which can be formed in another way, from other points of view, and which is a correlate, I would say, how? Here I’m looking for a provisional word – an “ideal” correlate of language systems, or one that is a specific presupposition of language systems – well, it’s up to you, both are probably true – language systems have a specific presupposition.

Do you understand what I mean? It doesn’t imply a psychological presupposition. It doesn’t mean something that precedes the language system. No, by specific presupposition I mean a matter, a matter that doesn’t exist independently of the language system, that is to say, ideal, and yet is distinct from the language system, and such that the language system wouldn’t exist if it weren’t for this non-language, this non-linguistically formed matter. Language systems have as their correlate a non-linguistically formed matter. The same applies to language: language and language systems have as their correlate a matter that is not linguistically formed, but formed from another point of view.

I’d like to point out right away that – this text by Hjelmslev has obviously raised a huge number of questions – that in the text, Hjelmslev says, “not semiotically formed”, which bothers me some, but which doesn’t affect me. I mean, for one simple reason, it’s obvious that in this context, Hjelmslev is identifying – as he’s entitled to – semiotics with linguistics. But I who, as you can already feel, believe that I have every reason to distinguish quite firmly, as firmly as I can, between semiotics and linguistics, would say that Hjelmslev’s matter is not linguistically formed, and that it can be formed from another point of view, and in particular that it can be formed semiotically, if we’re speaking about a semiotics that presupposes nothing of language and language systems. In any case, it is not linguistically formed.

So, I’d say we’ve taken a small step forward, we’ve moved on, we’ve moved on. We no longer say… the cinematographic image as we defined it, you’ll recall, through its double process. what I remember from the first two points is that we defined the cinematographic image in terms of a double process, which has nothing to do with a language system and which isn’t linguistic, which isn’t language-related, the process of specification, and the process of differentiation-integration. I would say that there’s no longer any need to force the issue the way Pasolini does. There’s no need to say “this is the language of reality”. Let’s simply say – well, simply, I don’t know if this makes things any clearer – it’s a non-linguistically formed matter that is the correlate of all languages and language systems.

Now here we have a difficult problem: what are we going to do with this matter? What do you expect a linguist to do with it, since it’s not linguistically formed? Hence, in a book subsequent to the one I quoted, the problems – and here I say this without any irony – the problems and embarrassments of Metz, who, as a disciple of Hjelmslev, at least in one aspect of his work, asks himself: what can I do with the notion of matter as distinct from the notion of substance? And he devotes a whole chapter of Film Language,[15] a very, very difficult chapter, at the end of which it seems to me he concludes that he has nothing to do, and cinema has nothing to do, with the pure notion of non-linguistically formed matter.

So, here we are. One more effort. What can this matter be? It has to be said that Hjelmslev is personally highly discreet about the status of this matter in all his work. Let’s look elsewhere. Going through Hjelmslev was a pleasant pastime. It gave us something to work with. We said to ourselves: ah no, perhaps it’s not worth defining the cinematographic image by its processes, in its non-linguistically formed processes; perhaps it’s not worth defining it as the language of reality. Let’s content ourselves with defining it as this matter that is not linguistically formed, but formed, but perfectly formed semiotically, since I have no reason to identify semiotics and linguistics, on the contrary. This matter… and now I no longer have to concern myself with Hjelmslev. He gave me a word – what more could I ask for? – matter.

You’ll tell me it’s not much. Yes, it is. It’s enormous! Because this matter is in fact semiotically formed, since it is inseparable from the process of specification and the process of integration-differentiation, and these are semiotic processes. But they are not language-related processes. They’re not linguistic processes. They have nothing to do with linguistic processes. In a sense, I would say, they are ideally pre-linguistic, not in the sense of a child’s language, but in the sense of a condition. The non-linguistic matter is the condition itself. That’s why I was talking about an ideal condition. It’s the ideal condition to which language and language systems will respond, or which will serve as a correlate of language and language systems. What can it be?

So now we have to analyze this semiotically formed and not linguistically formed matter. That would be a decisive step. Another linguist appears on the horizon. But at this point things are getting harder and harder. His name is Gustave Guillaume. And he practices a very strange kind of linguistics. And he publishes his texts in impossibly rare editions, and it’s extremely difficult to read his texts outside the library. Klincksieck published one, Langage et science du langage,[16] but I’m afraid it hasn’t been available for a long time, it cannot be found. So, in practice, access to Guillaume’s work is only possible in the library.

Hidenobu Suzuki: Actually… it’s been republished by Nizet.

Deleuze: Has it been republished? Good job it’s been republished, so those who are interested in… you have to… you have to read it. Fortunately, someone very talented, called Edmond Ortigues, wrote a book for Aubier, I don’t know if it too has disappeared… is it available again? Well, that’s great… it’s called Le discours et le symbole [1962], and the second part of Le discours et le symbole is a rather long account of Guillaume’s main theses. It’s better, I would say it’s better that you read Guillaume than Ortigues, although Ortigues is also excellent… but if you don’t find Guillaume, you can always read the second part of Ortigues. And what I want to tell you is… unfortunately Ortigues doesn’t put things in the simplest terms. And the simplest part of Guillaume’s linguistic theory is this, and you’ll see why linguists don’t appreciate it much. I tell you the simplest… well… okay.

Guillaume tells us, more or less, that a word, or – let’s not be too playful, but let’s not be too rigorous either, a minimal meaningful unit, if you prefer, a moneme, in the sense we saw earlier; we saw that the moneme is not the same as the word, but that doesn’t matter, to simplify we say a word – well, a word, as a meaningful unit, in all its uses, has only one meaning. Ah, it’s a strange one… – Guillaume is the last of the great linguist-philosophers, it’s curious, isn’t it? No, it’s not curious, it’s normal – beyond all its meanings, a word has only one meaning. This meaning, he says, we will call “signified of potentiality”.[17]

But this word – and I mean in all its uses in discourse – has only one meaning. Only according to this or that use, this word exerts a certain “aim” on the signified of potentiality. It expresses a certain point of view on the signified of potentiality or, if you prefer – and here you’ll sense something that’s familiar to you, or should be familiar to you, I’m speaking for those who were here in other years – it operates a certain cut on the signified of potentiality… I mean, here’s an idea. It’s as though he takes an image, a snapshot of the signified of potentiality from its use in discourse. Now you will say to me in chorus, oh, how curious, isn’t this linguist Bergsonian?

You see, there is a signified of potentiality, the word has only a signified of potentiality, whatever its uses, but according to its use in discourse, it operates as a cut, as an instantaneous image of the signified of potentiality. Insofar as it operates as such an instantaneous image, insofar as it takes a “cut” from the signified of potentiality, it has, in discourse, a “signified of effect”. The signified of potentiality is outside discourse. A word, in all its uses in discourse, has only one meaning, its signified of potentiality. This signified of potentiality is therefore outside discourse. But the word, according to its use in discourse, operates a cut, an instantaneous vision of the signified of potentiality. It takes on a signified of effect. The signified of effect expresses the cut that the word makes on the signified of potentiality according to its use in discourse, according to this or that use of it in discourse.

So what will the signifier be? It’s all very well for Guillaume to say, “I’m generalizing Saussure”, but you must feel that it’s going to be something quite different. According to Guillaume, the signifier is only the word, namely the sign, the meaningful unit, the sign taken with its signified of effect. That’s what the signifier is. And the signified of effect is only a provisional, instantaneous image, taken from the signified of potentiality, which is outside discourse, meaning it is pre-signifying. You’re going to tell me that all this is obscure, but I like to start with the most obscure because then the example will become limpid.

So, you realize where he’s going, and how delighted we must be. You must feel that for us, this is going to provide a solution we never dreamed of. Salvation is coming our way. I’m not saying that Guillaume’s signified of potentiality is equivalent to Hjelmslev’s matter. I would say that it’s a particularly concrete determination of Hjelmslev’s matter, insofar as we can interpret it. Hjelmslev’s matter or meaning, where the sign casts its net, is exactly the same thing. One says: form, namely the sign or the signifier, will cast its net over matter or meaning. The other tells us: the sign, according to its use in discourse, will make a cut, will give us an instantaneous image of the signified of potentiality, which is pre-signifying, that is to say it pre-exists discourse. It’s an ideal matter that pre-exists discourse… It’s an ideal matter that pre-exists discourse without which we wouldn’t be able to speak.

You’d think linguists would hate something like that. I wouldn’t be able to speak… but it’s the resurrection of philosophy! It’s philosophy that has turned linguistics on its head and sneaks up behind it. What a marvel! They don’t like Guillaume, they don’t like him at all! Ah, that’s odd. They hate Guillaume. They say, what’s all this about? They say that what Guillaume says is not reasonable. They say, he’s a very good linguist, but only if you take away his case of signified of potentiality…. That’s obvious! They couldn’t care less about the signified of potentiality. But Guillaume does, so what is the signified of potentiality? There’s no longer any choice. He’ll also say – because he likes words, he’s very mysterious, isn’t he, very mysterious, this Guillaume – he sometimes says: it’s the signified of mental life. And that makes linguists go crazy: oh, yes, he’s bringing us back to the idea of an ineffable psychological life that precedes language systems. It’s the signified of mental life. Yes, he does say that it precedes language systems, that the signified of potentiality precedes language systems, yes! But he doesn’t say that it precedes language systems in fact, he says that it precedes language systems by right, and that it’s their ideal correlate. We couldn’t speak if there weren’t… So, linguists say: that’s idealism, that’s philosophy. Yes, it is. It’s idealism, and it’s philosophy. But it’s also materialism. It’s a matter, but it’s an ideal matter. Things are getting better and better. Whew!

An example: the concrete studies of Gustave Guillaume – I say Gustave every time so you don’t get confused, because there’s a psychologist called Paul Guillaume. So, you shouldn’t think it’s the same person. There’s Paul, and there’s Gustave. Paul did research on rats, and he was a psychologist of intelligence, whereas Guillaume, I mean Gustave… they’re not the same. The concrete studies will focus on two main subjects. But they concern two studies, one a study on languages that have articles, and the other on verbs. Once again, it doesn’t come down to… So, what will he do? He will identify certain processes. We’re right at the core of our problem. Can we conceive of non-language-related, non-linguistic semiotic processes? There’s no better way of putting it. This is my problem… in any case, this is my problem, so accept it also as yours. Here’s what he says: take the two forms of the article in French, the definite article, “le”, and the indefinite article, “un”.[18] You’ll understand everything, you’ll understand everything… I could leave you after you’ve understood, but then the next time, we’ll have to start again on this, it won’t be easy, because… yes, well, things will be better tomorrow… there’ll be no more Guillaume! Okay.

He tells us – don’t try too hard to understand yet – that the indefinite article “un” is inseparable from a movement of “particularization”. That is to say, “un” is a word, or if you prefer a moneme, or if you prefer a meaningful unit, which particularizes. For example, un homme [a man]. “Le” – you sense that this isn’t the same atmosphere as that of Saussure, or even Hjelmslev… and yet it’s still pure linguistics – “le”, it appears, is inseparable from a movement of generalization, l’homme est mortel [man is mortal]. J’ai rencontré un ami [I met a friend], here you have particularization. L’homme est mortel or Tous les hommes sont mes amis [All men are my friends] these are generalizations. They are generalizations. Well, that’s enough… it doesn’t end there, but it’s enough for you to understand.

What is the signified of potentiality? Well, yes, and why is the signified of potentiality the signified of mental life? The signified of potentiality is movement. Can you imagine? For us, but what a confirmation! We’ve been struggling, doing all this, for years, haven’t we? That’s what encounters are, without knowing that… We knew it, but we didn’t need it at the time. The time has come when we need it. It’s a day to celebrate! It’s time to use Guillaume. Before, before, we didn’t need him. And then, alas, we’ll have to part ways with Guillaume, because I don’t think he researched his processes well.

But here we have our two processes: the process of particularization, which corresponds to the indefinite article; the process of generalization, which corresponds to the definite article. Are you with me? That is what meaning is, or the signified of potentiality. That’s what it is. Whatever… however it is used in discourse, the indefinite article “un” has as its signified of potentiality particularization as movement. Whatever its use in discourse, the signified of potentiality of the definite article “le” is the movement of generalization as a movement of thought. You see, it defines processes in the sense that a process is a movement considered as a movement of thought. That’s the signified of potentiality.

Now, imagine. Two phrases: L’ami que j’ai vu, I write it here, it’s a definite article. I put it there, anywhere, I put it there, I’ll tell you why I put it there. L’ami que j’ai vu. Now, L’homme est mortel, I put that over here. These are two uses of the article in discourse. L’ami que j’ai vu is a point of view on the movement of generalization. It’s the movement of generalization grasped, I could almost say, at its lowest degree. L’ami que j’ai vu means I’ve only seen one, but he’s one of the friends I have. It’s a degree of generalization very close to particularity. And indeed, the movement of generalization begins from the particular. So, it’s a stage very close to the origin. L’homme est mortel is also a point of view on the movement of generalization, but this time, one that is very close to the end, to the summit of generalization. I’m going over to the other side. I’d say that – what was my first example? – l’ami qui est venu

Hidenobu Suzuki: L’ami que j’ai vu

Deleuze: Yes, l’ami que j’ai vu is a signified of effect that corresponds to a determinable point of view on the signified of potentiality of the definite article. The signified of potentiality is the movement of generalization as a whole, and l’ami que j’ai vu… is a point of view, a cut in this movement, a cut made, a cut that is close to the origin. It’s nice, that, it’s nice. A bizarre kind of linguistics, you must feel that something is happening here. Right. Up there, on the contrary, I’m not starting again… it’s all up there, it’s very close to l’homme est mortel, it’s the maximum generalization. So, it’s up there, but it’s also a point of view. See what he’s telling us. But from the point of view of the signified of potentiality, you can never prevent each point of view from communicating with the others, and the signified of potentiality entails all the points of view we can take on it in the discourse. And discourse always operates… [Recording interrupted; 2:37:58][19]

… I’m trying to construct a – no, I can’t – Un ami est venu… Here, look… I take “un” at the highest degree of its signified of potentiality, that is, of the movement of particularization. If I say un homme est toujours mortel, on the other hand, I take it at the origin of the movement of particularization. If you draw up a table – and I’m not going to overwhelm you, because we’ll see next time if we’re all in good enough shape – if you draw up a table of positions, meaning signifieds of effects, that can be uncoupled from the occurrences of a sign, the occurrences of a word on the signifieds of potentiality, you’ll see that some of them correspond to each other, in such a way that you’ll say to me: but what’s the difference? I say un homme est fallible and then I say l’homme est fallible. I can say both. Un homme est toujours fallible, l’homme est fallible, un homme quelconque est fallible, l’homme est fallible. Okay, they correspond, but they don’t cut the same movement, the same signified of potentiality. They don’t cut the same signified of potentiality.

Example, practical exercise, for next time: should you say je fais de la soupe or je fais la soupe? That’s linguistics for you. Je fais de la soupe, je vais te faire de la soupe or je vais te faire la soupe? What a problem! They are similar. Je fais la soupe is obviously caught in a snapshot on a generalizing movement. Here and now, I’m making the soup, as I always have, as it was yesterday and as it will be tomorrow. On the other hand, with Je fais de la soupe [I’m making some soup] it’s caught in a movement of particularization. So that two stages, if I may say so, two immobile points of view fixed in the discourse can correspond, but at the same time be drawn from two opposing signifieds of potentiality, from two opposing movements of thought. Do you follow me?

Student: It seems significant to me that you have… [inaudible remarks]

Deleuze: Yes, otherwise it would slide, but you’re absolutely right to add that, because I can and watch the slide. And then I’ll have new positions.

Student: Whereas for l’homme est fallible, there’s no need to…

Deleuze: For l’homme est fallible, yes, but for l’homme que j’ai vu, there will also be an infinity, an infinity of intermediaries between the origin and the end, and what constitutes the origin of the movement of particularization will correspond to what constitutes the end of the movement of generalization, and what constitutes the end of the movement of particularization will correspond to what constitutes the origin of the movement of generalization.

So, I’ll just conclude. You see, we’re beginning to get an approximation of what this mysterious matter is. It is semiotically formed, but not linguistically formed. Linguistics is uniquely determined and defined by the combinations of the sign and the signified of effect. It refers to a correlate, pure matter in movement, pure thought-matter in movement. I would almost say, unity of matter, thought and movement, which is the signified of potentiality, and which, for its part, is not linguistically formed, but is semiotically formed since it is defined by processes. Except that these processes that have strictly nothing to do with processes of language or language systems. Yeah? We’ll see that, what’s more, it will perform a similar operation on time. It’s no coincidence that here we have the case of movement-image, with the verb. We’re going to have the case of a time-image which, in turn, will be treated semiotically, and not linguistically.

So, we’re getting close to this… No. My conclusion is, indeed, no, it is not a proto-language. No, the cinematographic image as movement-image and time-image is neither a language system as semiocritique would have it, nor a language as the pioneers said, nor a language of reality, except in a very particular sense, which is perhaps Pasolini’s, because the language of reality is precisely this semiotically formed and non-linguistically formed matter. If that’s what it is, then we must speak of a language of reality. But what becomes awkward is the use of the word “language”. In fact, it’s an a priori condition, a condition by right, of language and language systems. You can see why language presupposes it, all language and language systems presuppose it, since it will operate, precisely, its grasp, its instantaneous grasp on – according to the context, that is, according to the operations of syntagm and paradigm – its grasp on the signified of potentiality. But the signified of potentiality has absolutely nothing, nothing at all to do with syntagmatic and paradigmatic operations.

Is that all clear? I absolutely need you to understand… you don’t know how much. Whew. Yes? We can’t take it anymore, can we? I can’t take it anymore. Yes, go ahead.

Student: Couldn’t we, analogically, do the same thing with types of discourse?

Deleuze: On the… ah yes, everything, you can do everything. I mean, I mean with this schema, he gave himself… there, it’s still a schema, and once again, according to, the schema will change each time.

Student: … direct, indirect…

Deleuze: It’s obvious, it’s obvious, it’s… ah, yes, but here, it would be part of persons, it would be part of persons more than articles, it would be part of personal pronouns. It would be part of the movement of personal pronouns, a signified of potentiality specific to the personal pronoun. [End of recording; 2:48:08]

Notes

[1] Cfr. Communications 15, 1970. See session 14.

[2] The first example comes from the play “Chantecler”, the second is the poem “La haine du soleil”.

[3] See session 22 of Cinema seminar 3, June 12, 1984.

[4] On the transformation of the baker and Resnais, see session 22 of the Cinema 3 seminar. See also The Time-Image, pp. 119– 122, and page 301 note 31 (notably the reference to Prigogine and Stengers). More generally, see L’Abécédaire de Gilles Deleuze, “N comme neurologie”, as well as Pourparlers (Paris: Minuit, 1990), pp. 168-172.

[5] On Perrault and Rouch, see sessions 12 and 13.

[6] On Shirley Clarke, see The Time-Image, pp. 153-154.

[7] See sessions 1 and 2 of the Cinema 3 seminar, November 8 and 22, 1983.

[8] See Cocorico Monsieur Poulet.

[9] See Pasolini, Heretical Empiricism, Washington: New Academia Publishing, 2005.

[10] On Pasolini’s remarks, see The Movement-Image, p. 27, and in particular The Time-Image, pp. 28-29. See also session 8 of the Cinema 3 seminar, January 17, 1984.

[11] On these processes, see The Time-Image, pp. 27-28, 39, 210-211, 276-278.

[12] The shot Deleuze refers to here appears in Hitchcock’s Frenzy (1972).

[13] On the interior monologue, see The Time-Image, pp. 29-30, 159, 167, 173, 182, 211, 241. See also seminars sessions 1, 2, 8 and 9.

[14] June-July 1970. Deleuze quotes this in The Time-Image, p. 286, note 9.

[15] See C. Metz, Film Language: A Semiotics of the Cinema, Chicago: Chicago UP, 1991.

[16] See Gustave Guillaume, Foundations for a Science of Language, Amsterdam: John Benjamin’s Publishing Company, 1984.

[17] In the relevant passages, where Deleuze speaks of a signifié de puissance, the English translation of Guillaume, avoiding the terminology of Saussurian linguistics, refers to a “containing or annexing power”. We have kept to Deleuze’s version, translated here as “signified of potentiality”, in preference to The Time-Image’s rendering of it as “signified of power”.

[18] Since articles function differently in English, for the following discussion on definite and indefinite articles we retain Deleuze’s French examples.

[19] We have omitted a recording fragment, approximately 55 seconds, that actually belongs in the following sessions.

French Transcript

Edited

Gilles Deleuze

Sur Cinéma et Pensée, 1984-1985

16ème séance, 19 mars 1985 (cours 82)

Transcription : La voix de Deleuze, Nadia Ouis (1ère partie), Savino Claudio Reggente (2ème partie) et Léa Machillot (3ème partie) ; révisions supplémentaires à la transcription et l’horodatage, Charles J. Stivale

Deleuze Notebook

 

Partie 1

… et qui ont lu un peu un auteur américain qui s’appelle [Erving] Goffman ? Non ? Oui ! Eh ben, voilà… Et qui le connaissent bien ? Non ? Ah voilà, eh bien, c’est ce que je voulais savoir.

Alors, vous vous rappelez, nous étions avec nos trois points que nous avait laissé la sémio-critique, ou la sémiologie d’inspiration linguistique. Ces trois points, c’était le fait du cinéma [1 :00] défini comme narratif, le fait de la narration. Deuxième point, c’était l’image cinématographique présentée comme analogique ou iconique, [Pause] et valant pour un énoncé iconique ou analogique. Et le troisième point, c’était la structure langagière qui permettait de codifier l’image analogique ou l’énoncé analogique, structure [2 :00] langagière consistant avant tout en une syntagmatique, c’est-à-dire en des règles syntagmatiques. C’étaient les trois points, les trois points de base.

Mais je dis qu’une fois dit que les sémioticiens de cette école écrivent des textes compliqués, ben, il est souhaitable pour nous de bien dégager, bien maintenir — si nos analyses précédentes étaient exactes — de bien maintenir ces trois points puisque, encore une fois, c’est ces trois points de base qui nous font problème. Ensuite il n’y a plus rien à dire. Si on leur donne ces trois points, ils ont raison, ils ont raison de faire ce qu’ils font. Si on ne leur donne pas ces trois points, [3 :00] ils ont quand même raison. Mais si on ne leur donne pas ces trois points, alors c’est à nous de faire autre chose. Voilà. Est-ce que, quant à ces trois points, il y a lieu de revenir ou bien est-ce que, est-ce que tu as à ajouter quelque chose ? Tu n’as pas à ajouter quelque chose ? [Pause]

Un étudiant : [Propos inaudibles]

Deleuze : [En riant] Je sens que ce n’est pas aujourd’hui que j’ai de la chance… [Rires] Ça te va ?

Un étudiant : Oui.

Deleuze : Évidemment… Bon. Alors je disais voilà, moi je vous dis comme ça, je vous dis mes états d’âme sur ces trois points. Et la dernière fois, j’avais presque dit quant au premier, [4 :00] mais je voudrais reprendre pour que ce soit très clair. On nous dit que c’est un fait que le cinéma s’est constitué, c’est un fait historique que le cinéma s’est constitué comme un cinéma de narration Hollywoodien et, par-là, il a marginalisé les autres formes qui logiquement étaient possibles du cinéma et qui, dès lors, se présenteront sous cette forme marginale ou, si vous préférez, se présenteront comme cinéma expérimental. « Cinéma expérimental » veut dire cinéma marginalisé par la constitution d’un cinéma dominant de narration. [Pause]

Eh ben, je me dis c’est [5 :00] très bizarre quand même parce que, encore une fois, voilà ce qui met mon âme dans un grand état de trouble : c’est que on a complètement mis entre parenthèses ce qui me paraît la donnée, la donnée immédiate, au sens bergsonien, la donnée immédiate de l’image cinématographique, à savoir le mouvement. [Pause] Et en effet, je vous rappelle les textes de [Christian] Metz où, quand il s’agit de distinguer l’image cinématographique de l’image photographique, il nous dit : l’image photographique n’est pas narrative. Il ne nous dit pas : l’image photographique est immobile. Il nous dit : elle n’est pas narrative, tandis que l’image cinématographique est narrative. [6 :00]

Quand je dis que là, j’éprouve une certaine stupeur, ça veut uniquement dire : c’est quand même bizarre de nous dire l’image cinématographique est narrative au lieu de nous dire l’image cinématographique se meut elle-même, en elle-même, c’est-à-dire est au-to-ma-tique. Et cette suspension, cette mise entre parenthèses du mouvement, j’ai insisté, les sémio-criticiens s’en réclament explicitement. Donc à cet égard, ils ne sont pas équivoques. Du coup, remarquez qu’il y a quelque chose qui me gêne beaucoup, parce que s’ils s’en réclament explicitement, de la suspension du mouvement, ils vont déboucher sur une certaine appréciation de l’image cinématographique en fonction du photogramme. Et on a vu comment, à la limite, ça rejoignait [Roland] Barthes, mais [7 :00] je crois que dans le cas de Barthes, c’était pour d’autres raisons. Et même [Umberto] Eco, dans l’article de Communications que je citais [numéro 15, 1970 ; voir la séance 14], termine son article sur un appel au photogramme. Pourquoi est-ce que c’est bizarre ? Parce que toute mise en évidence du photogramme, dans l’image cinématographique, [Pause] appartient fondamentalement au cinéma expérimental qu’on vient de récuser, ou qu’on vient de marginaliser. En effet, ce qui va faire du photogramme un plan, le fameux plan dit « photogramme », le plan-photogramme, est fondamentalement une création de ce cinéma qui n’est pas de narration [Pause] [8 :00] et qui se présente comme cinéma expérimental. En effet, le photogramme n’est évidemment pas une donnée narrative. Alors c’est déjà gênant.

Autre manière de dire ce qui est gênant ou ce qui me gêne. C’est encore une fois, voilà : la sémio-critique, il me semble, nous dit deux choses à la fois. Ce n’est pas gênant ça ; ils ne sont pas contradictoires. C’est que, à la fois, la narration est une donnée apparente des images, une donnée manifeste des images, [Pause] même historiquement acquise, historiquement acquise puisqu’elle a été acquise par le cinéma de narration tel que Hollywood l’a fait. [9 :00] Donc on nous dit à la fois que la narration est une donnée apparente des images — rappelez-vous la formule si bizarre de Metz : passer d’une image à une autre, c’est déjà un fait de langage. Je dis c’est bizarre parce qu’on s’attendrait à ce que passer d’une image à une autre, c’est le mouvement. Non. Passer d’une image à une autre, c’est un fait de langage. — Donc la narration est bien une donnée immédiate des images cinématographiques du point de vue de la sémio-critique et, en même temps, ce qui ne s’oppose pas, c’est un effet de la structure profonde.

Qu’est-ce que c’est que la structure profonde ? On l’a vu, c’est notre troisième point, à savoir [Pause] [10 :00] la syntagmatique, les syntagmes qui définissent précisément la structure langagière à laquelle les images sont soumises. Or soit il n’y a aucune contradiction à dire à la fois que la narration est la donnée apparente des images et qu’elle est l’effet, dans les images, d’une structure plus profonde, structure langagière, hein ? [Pause] Mais je dis, enfin pour moi, pour moi, n’y voyez aucune… Supprimez toute vanité, c’est juste par commodité, pour séparer les choses. [11 :00]

La première chose qui me gêne, c’est que pour moi la narration n’est jamais une donnée immédiate ou apparente des images, pas plus d’ailleurs qu’elle n’est l’effet d’une structure sous-jacente. Mais ce qui est très différent pour moi, elle ne peut être qu’une conséquence des données immédiates ou apparentes de l’image. Elle n’est, je dirais, ni donnée apparente, ni effet d’une structure langagière sous-jacente. Elle est une conséquence des images apparentes telles qu’elles sont en elles-mêmes et pour elles-mêmes. [Pause] [12 :00] On n’a jamais pu définir une peinture comme peinture figurative. Que la peinture soit figurative ou pas, les données immédiates de la peinture n’ont jamais été figuratives. Qu’un cinéma soit narratif ou pas narratif, jamais la narration n’a constitué les données immédiates de l’image. La narration, elle découle. Elle découle de quoi ? Elle ne découle pas d’une structure profonde à laquelle les images renverraient. Elle découle des caractères immédiats et apparents de l’image cinématographique dans la mesure où le caractère immédiat et apparent, la donnée immédiate de l’image cinématographique, c’est le mouvement. Il y a un cinéma de narration [13 :00] parce que les images se meuvent en elles-mêmes et pour elles-mêmes. La narration en découle. Elle découle de la donnée immédiate des images. Elle ne constitue pas la donnée immédiate des images, pas plus qu’elle ne découle d’une structure profonde.

Qu’est-ce que ça veut dire ça ? Et comment est-ce que la narration découle des données immédiates de l’image cinématographique en tant qu’image-mouvement ? Je le disais, je le rappelais parce que ça fait allusion — encore une fois, ça fait trois ans qu’on travaille sur l’image cinéma — je fais allusion à des choses qu’on a vues, donc que je… que je regroupe pour ceux qui n’étaient pas là. C’est que l’image-mouvement implique [14 :00] des intervalles de mouvement. [Pause] La donnée immédiate de l’image, c’est le mouvement en tant que rapporté à des intervalles de mouvement. Remarquez que je ne donne, voyez je ne donne absolument rien de narratif. Des mouvements rapportés à des intervalles de mouvement, il n’y a rien de narratif là-dedans.

Je dis, si vous rapportez un mouvement à un intervalle de mouvement, si vous rapportez plutôt des mouvements à un intervalle de mouvement, vous obtenez trois images, trois types d’images. Je ne reviens pas là-dessus puisque ceux qui n’étaient pas là, vous me l’accordez. Vous obtenez [15 :00] trois types d’images qui seront trois espèces de l’image-mouvement. Les trois espèces de l’image-mouvement, ce sont les types d’images que vous obtenez quand vous rapportez le mouvement à un intervalle de mouvement. C’est l’image-perception, l’image-action, l’image-affection. Ce sont les trois sortes d’images-mouvement, enfin les trois espèces principales de l’image-mouvement. Vous me direz, comment ça ? Je dis très vite, ben oui, si vous rapportez un mouvement à un intervalle de mouvement, vous avez l’image-mouvement [16 :00] en tant qu’elle agit sur l’intervalle : c’est une image-perception. Vous avez l’image-mouvement en tant qu’elle réagit, et c’est l’image-action. Et vous avez ce qui remplit l’intervalle de mouvement, et c’est l’image-affection. [Pause]

Donc… [Pause ; Deleuze se déplace au tableau, note à la craie au tableau, voir schéma ci-joint] [flèche vers la droite, liée à « mouvement » // intervalle (sous lequel se situe « perception ») // flèche vers la droit, liée à « réaction » // intervalle (sous lequel se situe « affection ») // flèche vers la droite]

Ça : c’est mon intervalle [17 :00] de mouvement. Là : c’est le mouvement, en tant qu’il agit sur l’intervalle : l’image-perception. En tant que au-delà de l’intervalle, il y aura une réaction, c’est l’image-action. Entre les deux, c’est l’image-affection, c’est-à-dire, tout ce qui vient remplir l’intervalle. Tout ça, on l’a fait, on l’a fait en détail. Je dirais, les trois espèces d’images, eh ben, représentent la spécification de l’image-mouvement dans son rapport avec l’intervalle de mouvement. Bien. [Pause]

Qu’est-ce que j’appelle une narration ? [18 :00] Qu’est-ce qu’il faut appeler narration ? J’appelle narration toute combinaison d’image-perception, d’image-affection et d’image-action conformément aux lois d’un schème sensorimoteur. Qu’est-ce qu’un schème sensorimoteur ? Le schème sensorimoteur, c’est le mouvement dans son rapport avec l’intervalle de mouvement. En effet, le schème sensorimoteur, c’est lorsque une réaction retarde sur une action subie, lorsqu’une réaction exécutée retarde sur une action subie. L’action subie… [Interruption de l’enregistrement] [18 :54]

… votre œil, hein ? [19 :00] C’est le printemps, un rayon de soleil frappe votre œil : c’est un mouvement, image-perception. Voyez, vous, vous êtes un intervalle de mouvement. Vous n’êtes rien d’autre. C’est-à-dire vous êtes un pur écart. Vous êtes un écart. Vous êtes un intervalle de mouvement. Le rayon de soleil, le mouvement lumineux, frappe votre œil. Perception, premier type d’image-mouvement. Comme vous êtes un écart, vous n’êtes pas une chose. Une chose, c’est un lieu de passage de mouvement sans écart. Alors, vous mettez du temps, et je suppose, vous faites ça : vous détournez la tête. Vous faites ça. [20 :00]

Ou au contraire surtout si vous êtes un vampire, vous faites ça. [Rires] Si vous êtes je ne sais pas quoi, un naturaliste… [Deleuze fait un mouvement, évidemment invisible pour l’enregistrement, qui fait rire les participants] Quoi que vous fassiez, et le temps qu’il vous faut pour choisir si vous êtes un vampire ou un naturaliste, ça prend du temps de faire ça ou de faire ça. C’est ce qu’on appellera une image-action. C’est une action. Une action, c’est ce par quoi vous réagissez à la perception, au bout d’un certain temps. Le schème sensori-moteur, c’est l’ensemble. Entre les deux, qu’est-ce qui se passe ? L’image-affection, qui est un mouvement comme tournant sur soi-même, qui remplit l’écart. À savoir, dans le cas du vampire, [21 :00] un sentiment d’horreur monte en lui : « Soleil, je te hais ! Je te hais ! » C’est une image-affection. Ou bien : « je t’aime Ô soleil ». Deux grands poèmes de la littérature française ont assumé ces deux positions. L’un bien connu d’Edmond Rostand [de la pièce « Chantecler »], et l’autre moins connu mais encore plus beau, de Barbey d’Aurevilly, « Je te hais soleil… » [poème, « La haine du soleil »]

Bon, tout ça, c’est pour dire… Une narration, ce n’est pas compliqué une narration, une narration cinématographique, parce que évidemment… L’avantage de ce que je dis là, de toutes ces bêtises-là, [22 :00] c’est que ça donne un critère de narration proprement cinématographique. Ma définition ne vaut pas pour une narration d’un autre type, par exemple, pour une narration romanesque. J’appelle narration cinématographique toute combinaison réglée d’image-perception, d’image-action, et d’image-affection, réglée par la loi, d’un ou de plus schèmes sensorimoteurs.

Et en effet, qu’est-ce que c’est ce fameux cinéma d’Hollywood, le fait de la narration qu’invoque la sémio-critique ? C’est les passages réglés, les combinaisons réglées d’images-perception, d’image-action, d’image-affection. Prenez un western, par exemple, ben c’est ça. Prenez un film policier, [23 :00] prenez tout ce que vous voulez, ça nous présente dans des ordres variables, et d’après tel ou tel aspect d’un schème sensorimoteur, le cinéma d’action. Ça nous présente des distributions d’image-perception. L’image-perception typique, en-haut de la colline, les Indiens surgissent. « C’est des Indiens ! », image-perception. La peur monte au campement, ou bien le courage se prépare : image- affection. La réaction se fait : Pan, pan, pan ! C’est une narration.

Je dis une chose simple [24 :00] : la narration dépend directement de la « spécification » de l’image-mouvement. J’appelle spécification ou procès de spécification, processus de spécification, le processus par lequel l’image-mouvement donne lieu à trois espèces principales d’images : image-perception, image-affection, image-action. [Pause] C’est en ce sens que je dis que la narration n’est en rien une donnée immédiate de l’image : elle en découle. Et pas plus qu’elle n’est une donnée immédiate de l’image, elle n’est l’effet d’une structure langagière qu’elle suppose. À ce niveau, [25 :00] je ne vois absolument rien qui soit de la nature d’une structure langagière. Je vois une composition réglée des trois espèces d’images qui se sont spécifiées indépendamment de toute structure langagière. C’était ça, mon premier point, donc qui portait sur la première thèse de la sémio-critique.

J’ajoute pour ce premier point, vous vous rappelez que, ils se trouvaient, les sémio-criticiens, se trouvaient devant l’existence, depuis la guerre, d’une espèce de cinéma dit non plus narratif, mais dysnarratif, et dont l’exemple privilégié était emprunté au cinéma de [Alain] Robbe-Grillet. Et la réponse des sémio-criticiens, c’était de nous dire : [26 :00] ce n’est pas gênant, on peut l’expliquer en supposant quelque chose de l’ordre d’une mutation structurale. Au lieu que l’image narration — puisque pour eux, l’image est narrative — au lieu que l’image narrative renvoie à une structure syntagmatique, une mutation structurale s’est faite et, on l’a vu, l’image renvoie maintenant à une structure à prévalence paradigmatique et non plus syntagmatique. Et ça suffit pour faire et pour produire les effets dits « dysnarratifs ». Au contraire, dans le cinéma classique, [27 :00] la structure était à prévalence syntagmatique. On l’a vu, je ne reviens pas là-dessus, à moins que ce ne soit nécessaire, mais ce n’est pas nécessaire.

De la même manière, si j’essaye de fixer ma position, je dirais : non pas du tout, là aussi, il n’y a aucune mutation structurale. Il y a un phénomène fondamental qui, pour moi, définissait le cinéma d’après-guerre. À savoir : au lieu que l’image soit une image-mouvement, que ce soit le mouvement qui définisse la donnée immédiate, au lieu que l’image soit une image-mouvement et que dès lors, [Pause] une représentation du temps ne fasse qu’en découler indirectement, dans le cinéma classique, [28 :00] en effet, il semble que vous aviez un ensemble image-mouvement-représentation indirecte du temps qui en découle, eh ben, la grande mutation d’après-guerre, c’est que l’image devient présentation directe du temps. C’est-à-dire : c’est une image-temps directe et non plus une image-mouvement dont découlerait une représentation indirecte du temps. [Pause]

Cette image-temps directe, c’est l’année dernière que nous avons essayé de l’analyser en détail. C’est pour ça que, pour ceux qui n’étaient pas là, ça risque de paraître un peu flou, mais tant pis, ça ne fait rien. Et on l’avait trouvée plusieurs formes. L’image-temps [29 :00] directe, de toute manière, s’opposait, devenait vraiment une image-temps, c’est-à-dire elle rompait avec la forme empirique du temps. La forme empirique du temps, je vous le rappelle, c’est la succession, la succession des moments, ou la succession des présents. C’est ce qu’on appelle le « cours du temps ». Une présentation directe du temps est d’une toute autre nature.

Et nous l’avons trouvée de deux façons : lorsque le temps constitue une série, et non plus un cours, c’est-à-dire lorsque l’avant et l’après deviennent des [30 :00] qualités du temps, et non plus des positions relatives des moments, lorsque l’avant et l’après deviennent des qualités, c’est-à-dire lorsque se constitue une série du temps sous la forme : je deviens autre. On a vu que c’était la base du cinéma sériel sous, par exemple, la grande formule de Perrault, de Pierre Perrault : le flagrant délit de légender. Prendre quelqu’un en flagrant délit de légender, il y a l’avant et l’après qui sont devenus des qualités du temps. « Je deviens un autre », [31 :00] dont on trouve l’expression la plus pure dans le cinéma de [Jean] Rouch. Mais on a vu que dans un cinéma qui se réclame plutôt d’un mode plus traditionnel, tout le cinéma de [Jean-Luc] Godard était une construction de telle série [Pause] où se fait une vectorisation du temps, d’après lequel l’avant et l’après deviennent des qualités du temps, chaque suite d’images tendant vers une limite [Pause] qui va permettre de déterminer l’avant et l’après dans la série. Ça c’était un cas, c’était un cas de représentation directe du temps : la série du temps.

Et puis, on avait vu l’année dernière [32 :00] un autre cas, non plus la série du temps mais l’ensemble du temps, qui était la seconde présentation directe du temps. Et l’ensemble du temps… ou non pardon, l’ordre du temps — l’ensemble du temps, c’est trop équivoque — l’ordre du temps, et l’ordre du temps, c’est quoi ? Cette fois-ci, ce n’est plus suivant l’avant et l’après de la série, c’est suivant la coexistence de tous les rapports de temps. L’ordre du temps, c’est la coexistence des rapports de temps. [Pause] Ça signifie quoi ? On l’a vu l’année dernière ; là je ne reviens pas parce que je n’ai pas le temps, et puis ce n’est pas… On l’a vu l’année dernière sous deux formes. Il y avait même deux formes de [33 :00] l’ordre du temps : d’une part, la coexistence des présents intérieurs, à savoir la découverte qu’il y avait un présent du présent, un présent du passé, un présent du futur. Et que si passé, présent, futur se succédaient, en revanche, le présent du présent, le présent du passé, le présent du futur, eux, coexistaient, et que c’était ça la présentation directe du temps, par exemple chez Robbe-Grillet, [Pause] donc, la simultanéité des pointes de présent. [Voir la séance 22 du séminaire Cinéma 3, le 12 juin 1984]

Ou bien autre aspect : la coexistence des nappes de passé qui définit aussi, qui est une autre manière de définir l’ordre du temps, [34 :00] c’est-à-dire la coexistence des rapports de temps. Coexistence des nappes de passé, je rappelle très brièvement, un exemple évident, bon, qu’on trouve beaucoup plus que, cette fois-ci pas chez Robbe-Grillet, mais qu’on trouverait à fond chez [Alain] Resnais. Je disais déjà dans leur œuvre de collaboration, qu’est-ce qui se passe, dans L’année dernière à Marienbad [1961] ? Eh ben, supposez une napps de passé où deux personnages se rencontrent : l’un s’installe sur une nappe de passé où il n’a pas encore connu l’autre, l’autre s’installe sur une nappe de passé où il a déjà connu l’autre. C’est faisable. [35 :00] Vous et moi, on se connaît. Vous pouvez vous installer sur une nappe de passé où vous me connaissez déjà. Mais moi, en même temps, je m’installe sur une nappe de passé où je ne vous connais pas encore. Qu’est-ce que ça va donner ? Ça va donner L’année dernière à Marienbad, hein ?

Alors peut-être que c’est ça la structure du temps dans L’année dernière à Marienbad. Pourquoi ce serait ça ? Parce qu’ensuite toute l’œuvre de Resnais le confirmerait : tout le temps, tout le temps apparaît le thème d’une coexistence profonde entre nappes de passé, des nappes variables de passé, et l’année dernière, pour ceux qui étaient là, on avait été chercher une loi mathématique à cette coexistence. Et on l’avait trouvé dans [36 :00] quelque chose qui nous avait beaucoup intéressés : la transformation des nappes, la transformation du boulanger. [Sur la transformation du boulanger et Resnais, voir la séance 22 du séminaire Cinéma 3, et L’Image-Temps, p. 155-158, et la page 156 note 20 (référence à Prigogine et Stengers) ; plus généralement, voir L’Abécédaire de Gilles Deleuze, « N comme neurologie », aussi bien que Pourparlers (Paris : Minuit, 1990), pp. 168-172]

Dans cette opération mathématique très bizarre, la transformation du boulanger, qui est exactement l’opération que fait le boulanger quand il étire une surface, quand il étire un carré de… truc aplati là, de pétrin, de je ne sais pas quoi là, et puis à chaque fois refaire, coupe en deux, refait, superpose, etc., retire, bon, et que, il est forcé, qu’à chaque fois, vous ayez comme des couches, comme des nappes, et que les nappes supposées contenir les mêmes points, ce qui varie, c’est que d’une transformation à une autre, vous avez une nouvelle répartition des points, tels que les points qui sont contigus à un stade de l’opération, seront au contraire distants, sur la nappe, à un autre stade de l’opération. Si vous prenez ces nappes toutes, [37 :00] si vous supposez qu’elles sont coexistantes, vous aurez une coexistence généralisée des nappes de passé qui, en effet, définit tout un ordre du temps puisque ces transformations se font suivant un certain ordre. Mais il y a une nappe où les deux personnages sont très distants et une nappe où ils sont plutôt rapprochés. Il n’y a pas deux points de la nappe qui, à certains niveaux de la transformation, ne seront l’un contre l’autre et, à un autre niveau de la transformation, seront plus ou moins éloignés.

Je dis, voilà, peu importe, tout ça, c’est pour… Ce n’est pas pour que vous compreniez ; ceux qui étaient là, ils ont déjà compris, et ceux qui n’étaient pas là, ils ne peuvent pas comprendre ce que je dis. C’est juste pour en retenir ceci : l’hypothèse que le cinéma a pu rompre avec l’image-mouvement, d’une certaine manière. Quand est-ce qu’il a rompu avec l’image-mouvement ? Je l’ai dit là depuis tellement [38 :00] longtemps, et tellement de… Il me semble que l’acte fondateur du cinéma moderne, c’est l’écroulement du schème sensorimoteur. Voilà c’est tout.

Ce n’est pas quelque chose qui s’est passé dans le langage. Ce n’est pas des mutations structurales ou langagières. C’est quelque chose de beaucoup plus vivant. C’est lorsque nous avons appris que nous n’avions plus beaucoup de moyens de réagir aux situations de ce monde, et ça a été la découverte du Néoréalisme. Ça a été la découverte fantastique du Néoréalisme qui n’a jamais été une leçon de passivité parce que ça a redistribué toutes les données. S’il ne s’agit pas, si on est incapables de réagir aux situations du monde parce qu’elles sont devenues trop grandes pour nous, qu’est-ce qu’on peut faire ? Qu’est-ce qu’on peut faire ? Bon, et c’était le départ de ce cinéma de voyant, de ce cinéma de la dénonciation, de l’enseigne Néoréalisme, ce cinéma de la voyance. Tout ça, bon. Mais ça partait de : [39 :00] écroulement du schème sensorimoteur et, par-là, l’image cinématographique abandonnait comme donnée immédiate l’image-mouvement, le mouvement.

Bien sûr, ça continuait à se mouvoir, mais ce n’était plus ça l’essentiel. L’essentiel, c’est que, au lieu que le temps dépende du mouvement, c’était le mouvement qui dépendait du temps. À savoir, ce qui était devenu premier dans l’image cinématographique, c’était qu’elle était une image-temps directe, et non plus une image-mouvement immédiate. Elle était une image-temps directe. Eh bien, c’est lorsque l’image cinématographique devient une image-temps directe soit sous la forme de la série, soit sous la forme [Pause] du rapport, du rapport de temps… non, de l’ordre du temps, pardon, soit sous la forme de l’ordre du temps [40 :00] que apparaisse, que découle de ce caractère immédiat, ce nouveau caractère immédiat de l’image, [Pause] cette dysnarration dont nous parle la sémio-critique. J’avais pensé que ce serait très clair, et puis ça ne l’est pas du tout, j’ai le sentiment… Mais ça ne fait rien. Pas de problème ? Tout va bien ? Alors vite, je passe au second point. Je passe au second point.

Je suppose que, alors… Vous êtes tout à fait libres, je veux dire, moi, c’est comme un choix que je vous propose. Vous voyez, j’ai essayé d’expliquer le plus honnêtement que je pouvais le point de vue, le premier point de vue de la sémio-critique. C’est là où je fais toujours appel à [41 :00] ce dont vous avez besoin, ou ce qui vous convient, vous. S’il y en a parmi vous qui se disent, c’est ça qui me convient : surtout faites-le, ce n’est pas moi qui vous en empêcherai. Allez-y, allez-y. Moi j’ai dit pourquoi ça ne me convenait pas, mais… Et alors pourquoi je souhaite aller dans une autre direction, et j’ai essayé de dire dans quelle autre direction.

Encore une fois si je re-re-re-résume la donnée immédiate de l’image cinématographique : c’est tantôt le mouvement, tantôt le temps. La narration ou la dysnarration découle de ces données immédiates. [Pause] Voilà. J’en ai besoin — accordez-moi — j’ai besoin de faire appel à un processus de spécification de l’image-mouvement ou de surgissement de l’image-temps, mais je n’ai besoin [42 :00] de faire appel à rien qui touche de près ou de loin à la langue ou au langage. En effet, il y a une spécification de l’image-mouvement. Par exemple, dans les trois images que j’indique, perception, action, affection, c’est une histoire… la typologie du mouvement qui ne se réfère absolument… à rien, rien, rien, de langagier. Car je dirai à la fin, je n’ai pas encore dit, finalement de quoi il s’agit dans toute cette histoire. D’où nous passons au deuxième point.

Voyez, c’est curieux, on se trompe toujours. Quand je prévois nos séances, je me dis : ah ça, ça va être très clair ; ça, ça va aller, et puis ça va être difficile, etc… Et je me trompe chaque fois, chaque fois. [43 :00] Ce que je pense devoir être dit très clairement devient tout d’un coup devient très, très confus. Alors ce que je pense être difficile… enfin je l’espère ! Pour le moment, je n’ai eu que la première aventure.

Deuxième point : c’est l’histoire d’énoncé analogique. L’image cinématographique serait un énoncé… Oui ?

Une étudiante : [Propos inaudibles, mais elle semble demander quelques précisions sur Perrault]

Deleuze : Pierre Perrault. Perrault est un très, très grand cinéaste québécois que l’on groupe généralement sous le titre, dans la rubrique du « cinéma direct », mais qui est une très, très mauvaise rubrique. Lui-même appelle ça « cinéma vécu » ou cinéma, non, il appelle ça « cinéma du vécu », et ce n’est pas plus [44 :00] vrai. Et dans des séances précédentes, on s’était intéressés à certains films de Perrault. Enfin, c’est je crois un des cinéastes les plus importants du cinéma actuel. Et je l’avais rapproché de [Jean] Rouch parce que il y a quelque chose de commun : c’est que en effet, il pense que le cinéma dit à tort « direct » n’est pas un cinéma qui saisit le vécu mais qui saisit le moment où quelqu’un passe d’un état donné à un tout autre état donné sous lequel il fabule. Et c’est ça qui constitue la série. C’est pour ça qu’il récuse toute fiction pré-établie. Il récuse toute fiction pré-établie, non pas du tout — rappelez-vous — non pas du tout parce qu’il faudrait éliminer la fiction, mais parce qu’il [45 :00] faut saisir la fiction en flagrant délit, c’est-à-dire lorsque c’est un personnage réel qui se met à fictionner, comme on dit. [Sur Perrault et Rouch, voir les séances 12 et 13]

Alors ça groupe pas mal de, parce que ça groupe aussi des Américains, si vous prenez Shirley Clarke. [Sur Clarke, voir L’Image-temps, pp. 200-201] Shirley Clarke, c’est évident. Sa grande œuvre, là, qui est sur un noir mythomane, la grande, grande œuvre, qui s’appelle La vie de Jason [Portrait of Jason, 1967], je crois « La vie… » Ou je ne sais plus quoi, La vie de Jason qui est un personnage fabuleux, qui précisément ne cesse de passer de, du personnage qu’il est à la fabulation qu’il est en train de monter. Et c’est ce saisir, c’est non pas se donner une fiction préétablie mais pour saisir le flagrant délit de produire une fiction, [46 :00] le flagrant délit de légender. Lorsque Perrault dit : ce qui m’intéresse moi, c’est lorsque l’Indien est pris en flagrant délit de légender ; si la fiction vient de moi, c’est nul. Pourquoi ? Parce que c’est le discours du maître. Et j’aurai beau faire efforts et me mettre du côté des Indiens et faire le maximum ce sera toujours le discours du maître. Ce sera toujours le discours du colonisateur.

Mais le vrai cinéma, et c’est par-là que Perrault pense atteindre à un cinéma vraiment politique, c’est que précisément il faut atteindre le moment où des êtres réels exercent leur pouvoir de fabulation. Et le pouvoir de fabulation, comprenez, c’est toujours possible ; ce n’est pas du tout mensonge ou mythomanie, évidemment. Ça peut pencher vers… La vie de Jason, l’admirable film de Shirley Clarke, c’est… [47 :00] il est complètement mythomane, Jason, mais il fait bien plus que ça, il fait bien plus que ça. Le pouvoir de fabulation, c’est le pouvoir par lequel une collectivité s’invente comme peuple. C’est pour ça que c’est un cinéma politique. C’est pour ça que aussi chez Godard, ce sera un cinéma politique, pour d’autres raisons que de s’inventer comme peuple. Mais chez Perrault c’est évidemment, c’est évidemment ça. Quand l’Indien se met en flagrant délit de légender, c’est le moment… en effet, il répond toujours à l’objection : mais voyons, vous n’avez jamais été une nation ! L’acte de fabulation, c’est précisément l’acte par lequel la nation est en train de se faire.

Alors je dirais… Comment dire… C’est des pôles, c’est très, très nuancé, [48 :00] c’est à vous de corriger chaque fois. Il y a bien un pôle où la fabulation a l’air d’une simple mystification, comme dans La vie de Jason, le Noir qui raconte… et qui à la limite est de l’escroquerie, comme dans Vérités et mensonges de [Orson] Welles [1973, F for Fake], on l’a vu quand on a analysé là ce film si curieux de Welles, qui constituait une série. [Voir les séances 1 et 2 du séminaire Cinéma 3, le 8 et 22 novembre 1983] Une série, c’est ce qu’on appelait une série organisée sous la puissance du faux, une fois dit que la puissance du faux est toujours multiple et qu’elle renvoie d’un degré, à un autre degré, à un autre degré, qu’il y a toujours un faussaire, du faussaire, du faussaire, etc. Alors ça, on peut dire, c’est un pôle extrême du pouvoir de fabulation. Et l’autre pôle extrême du pouvoir de fabulation, c’est la constitution politique d’un peuple.

Et perpétuellement ça aussi, ça passe de l’un à l’autre. Ça passe de l’un à l’autre, d’une certaine manière, on ne sait plus [49 :00] très bien où on en est. Prenez Moi, un noir [1958] de Jean Rouch, où précisément c’est la même chose, c’est pour ça que je rapproche toujours Perrault de Jean Rouch, quoique leurs techniques soient très, très différentes. Il s’agit de quoi ? Il s’agit de quoi ? Ces Noirs qui exercent leur métier, et puis qui vont se transformer selon les besoins d’un rituel. Ou bien ces Noirs qui sont chômeurs ou putains, et puis qui vont se vivre comme agent fédéral ou grande actrice d’Hollywood. Dans Moi un Noir, c’est le : « je deviens un autre ». C’est la fabulation. Vous y retrouvez les deux pôles. Vous pouvez le prendre au niveau du pôle qui est déjà pleinement satisfaisant, et qui est très intéressant, à savoir : ils se font leur cirque. Ils se font leur cirque [50 :00] à eux-mêmes. Ils disent, ça ne va pas, tout ça. Ils se prennent… La petite putain, la petite putain noire qui se prend pour Dorothy Lamour, bon, bien, il y a ça. On ne peut pas le supprimer ; c’est même ça qui vous fait rire, sinon ce ne serait pas du tout gai. Mais il y a aussi autre chose, c’est la manière dont ils se constituent comme peuple. Pourquoi qu’ils se constituent comme peuple, comme ça ? Sentez qu’il y a déjà une espèce d’étrange retournement de rôle. Le pouvoir de fabulation, c’est la réponse à la question : mais où est le peuple ? Le peuple manque.

Et je vous disais, c’est ça la grande différence, entre le cinéma politique d’avant-guerre puisqu’on est toujours à la recherche de ses différences entre… [51 :00] et le cinéma politique d’après-guerre. Le cinéma politique d’avant-guerre, il est marqué par le cinéma soviétique. Or le cinéma soviétique, même s’il a des doutes, même s’il éprouve déjà des doutes, il y a une chose qu’il ne peut pas dire, ni même suggérer, ce serait que le peuple manquerait. Ça il ne peut pas. Le cinéma politique, le grand cinéma politique soviétique est un cinéma où le peuple est là ! Est là, c’est-à-dire il agit, il est là, et même s’il n’a pas conscience. Prenez quelqu’un comme [Vsevolod] Poudovkine, tout son cinéma, c’est la prise de conscience du peuple, mais en tout cas, le peuple est là.

Le cinéma d’après-guerre, ça fait partie de l’écroulement du schème sensorimoteur. Le peuple manque. Il n’y a plus de peuple. Il n’y en [52 :00] a plus en Europe, il n’y en a pas encore dans le Tiers monde. Il n’y en a plus en Europe, il n’y en a pas encore en Afrique. On leur a maintenu les divisions coloniales. Comment qu’il n’y aurait un peuple, puisqu’on s’est bien gardé de leur donner les possibilités d’un peuple ? Or le peuple manque. Ça va être : ou bien le peuple n’est plus là, ou bien le peuple n’est pas là encore. Ça va être la grande prise de conscience de l’après-guerre. Le grand cinéma soviétique, le grand cinéma politique soviétique n’est plus possible. [Pause] Il n’a rien perdu de sa valeur, il n’a rien perdu de sa beauté, y compris de sa force politique. Il n’a rien perdu, mais ce n’est plus la peine de le refaire. [53 :00] Au même sens que Robbe-Grillet dit : ce n’est plus la peine de refaire des romans comme Balzac. Balzac nous suffit. Ce n’est pas Balzac qui a vieilli ; ce qui a vieilli, c’est ceux qui font des romans comme Balzac. Balzac, il n’a pas vieilli, lui. Eisenstein, Poudovkine, Dovjenko, ils n’ont pas vieilli, eux. Voyez, faire du cinéma politique qui nous montrerait un peuple existant, ce n’est plus la peine. Ce n’est plus la peine, puisque ça ne répond à rien. Alors, le cinéma politique émigre dans le Tiers monde, je vous disais, ça veut dire quoi ? Il émigre dans les conditions où le peuple manque. [Pause]

Encore une fois, prenez le problème des – pour ceux qui voudraient… je m’éloigne, ah là là ! — Prenez l’histoire du peuple palestinien. Le peuple palestinien, ce n’est pas compliqué, cette histoire. [54 :00] Israël n’a jamais voulu parler de Palestiniens. Pour lui, il n’y a pas de peuple palestinien. Donc Israël a toujours parlé d’Arabes « de Palestine ». C’est très intéressant, parce que si vous voulez, ça veut dire que tous les langages sont codés. Le langage diplomatique est avant tout codé. Proust l’a montré à merveille dans les pages définitives, lorsqu’un diplomate dit : il fait beau, il faut savoir ce que ça veut dire. [Rires] Eh bien, lorsque les diplomates disent : « Arabes de Palestine », on voit bien ce que ça veut dire. Ça veut dire : il n’y a pas de Palestiniens. Il y a des Arabes qui se trouvaient en Palestine, ce n’est pas des Palestiniens. On voit bien pourquoi Israël a besoin de cette formule.

Et, [55 :00] il y a une chose certaine, c’est que il n’y avait pas de nation palestinienne. Il n’y avait pas d’état palestinien. Il n’y avait pas de nation palestinienne. Les Palestiniens ou Arabes de Palestine se distinguaient tout à fait. Ils se distinguaient des autres Arabes, complètement, ils avaient leurs traditions, ils avaient leur lignage, ils avaient leur chefferie, ils avaient tout ce que vous voulez, et ils faisaient partie d’une province écrasée par les Turcs. Bon. Qu’est-ce que c’est le problème palestinien ? C’est : comment les Palestiniens se sont constitués comme peuple. Comment ? En luttant, dans une lutte. D’une certaine manière, les Israéliens n’ont pas tort : il n’y avait pas de peuple palestinien. Mais au moment où ils disent ça, [56 :00] il suffit qu’ils disent ça pour que commence à s’en faire un, celui qui consiste précisément à lutter contre l’expulsion, par Israël, des arabes de Palestine.

Alors à ce moment-là commence à naître le peuple palestinien. Qu’est-ce que c’est ça ? D’une certaine manière, c’est la fabulation. Ce que j’appelle fabulation, en ce sens, voyez, c’est l’acte par lequel quelque chose qui n’existait pas encore se constitue. C’est précisément dans la mesure où il n’y avait pas de peuple palestinien que la constitution du peuple palestinien est un véritable acte de fabulation politique. Mais je ne connais pas de peuple qui, historiquement, ne se soit constitué par de telles fabulations.

Et ça ne veut pas dire retrouver les vieux mythes. [57 :00] Au contraire, c’est des actes très pratiques. Comment les peuples en Afrique se constituent-ils aujourd’hui ? Et sous quelle forme ? Réponse de Rouch : par une série d’actes de fabulation, dont il essaye de faire quoi ? De nous donner quoi ? De nous faire l’histoire dans son cinéma à lui et qui passe par comment tel Noir se glisse dans tel rôle, qui peut renvoyer à un rôle du nom d’Américain, dès que… Pensez à, par exemple, dans film de Rouch « l’américain », le lion — c’est des chasseurs de lions — le lion est nommé l’américain. Voilà l’acte de fabulation. C’est très marrant ! [58 :00] Il faudrait analyser en détail ce petit film, ce film très beau. C’est un acte de fabulation fondamentalement politique, qui très bizarrement va permettre au groupe de chasseurs de lions de se constituer comme peuple. J’exagère un peu. J’exagère, mais j’exagère à peine. Il y a eu le baptême, le baptême complètement fabulateur : le lion, l’américain. [Il s’agit du film Un Lion nommé américain, 1968]

Or dans Moi, un noir, c’est la même chose : la petite putain qui dit : « moi, Dorothy Lamour ». Ou bien l’autre qui dit : moi je suis, je suis le grand agent fédéral, le chômeur là. Tout ça, tout ce cirque qu’ils se font à eux-mêmes. C’est ça je dis, ce qu’il y a de formidable dans ce cinéma mal dit direct, c’est comment perpétuellement… Et encore une fois si je reviens à l’exemple — parce que c’est un des plus beaux films de cette tendance — à l’exemple de Shirley Clarke, La vie de Jason, c’est [59 :00], c’est fantastique, parce qu’en effet, vous avez là un Noir de Harlem, qui a du génie. C’est un prodigieux acteur, il fabule, mais au sens de complètement mythomane. Et c’est évident qu’à travers cette mythomanie toute individuelle, que le type mène avec génie, il fait aussi partie de son peuple, c’est-à-dire que l’acte de fabulation, d’une autre manière, vaut aussi pour la constitution d’un peuple noir aux Etats-Unis. Et que le film de Shirley Clarke est politique en ce sens… [Interruption de l’enregistrement] [59 :40]

Partie 2

… Alors c’est très délicat tout ça. Vous comprenez, pourquoi je vous disais ça ? C’est quelqu’un qui m’avait demandé quelque chose sur Pierre Perrault. Ah, tiens, c’était… [Rires] ah, voilà la réponse [60 :00] courte et brève. Ceci dit, on en donne souvent dans les cinémathèques, du Perrault ; il faut aller voir. C’est splendide ! J’aurai l’occasion, d’ailleurs, d’en parler si je ne traîne pas trop, pas cette fois-ci mais d’autres fois. Moi, c’est un des types que j’admire le plus, actuellement. Enfin ce n’est pas du tout jeune, je ne vous parle pas des tout jeunes, mais les tout jeunes, hélas, je ne les connais pas assez. Pierre Perrault, c’est un monsieur qui doit avoir dans les soixante ans.

Une étudiante : …du cinéma français parce que j’ai vu un cycle « L’histoire du peuple palestinien », c’est-à-dire [61 :00] [propos indistincts] qui disait bien que l’État d’Israël, bon, au moins dans ce livre que j’ai lu, est né dans le 20è siècle…

Deleuze : Comme peuple, oui.

L’étudiante : Comme peuple oui. Je ne sais pas si l’État d’Israël apparaît aujourd’hui dans le 20e siècle, ça veut dire que déjà il y avait un peuple qui n’avait pas dit « j’existe » en tant que discours mais…

Deleuze : Non, mais pardon, je ne dis pas que les Palestiniens soient les premiers à faire cette opération de la constitution d’un peuple qui passe par la fabulation. Il était évident que, par exemple – je ne sais pas si je comprends bien votre remarque — mais il est bien évident que dans de tout autres circonstances, il y a même un film qui sera pour nous essentiel, quand le moment sera venu, si on y arrive, c’est Moïse et Aaron de [Jean-Marie] Straub [1975], c’est dans quelles conditions le peuple juif s’est lui-même constitué comme peuple. Je ne réponds peut-être pas à votre remarque ? [62 :00]

L’étudiante : Non, ce n’est pas… vous dites qu’il y a le peuple palestinien avant de légender… [mots indistincts]

Deleuze : oui… mais vous ne mettez pas les nuances ! Mais comprenez, c’est tellement difficile tout ça. Ce n’est pas que vous ne compreniez pas, vous comprenez trop à la lettre, alors moi je suis forcé pour simplifier, pour aller plus vite. Il faudrait chaque fois que vous corrigiez. Je ne veux pas dire que le peuple palestinien n’existait pas, et encore, peut-être que je veux dire ça. Je ne sais pas bien, vous comprenez ? « Peuple » a, mettons, a beaucoup de sens. Alors il faudrait là-dessus, du coup ça nous renverrait… J’en aurais pour une demi-heure, distinguer quatre ou cinq sens du mot peuple. Et je dirais, ben il existait comme peuple en ce sens-là, mais il n’existait pas comme peuple en ce sens-ci. D’une certaine manière, c’est pour ça que il faut que — je compte sur vous [63 :00] — chaque fois, votre travail à vous, c’est relativiser, c’est introduire des nuances, que moi, je ne peux pas introduire, parler tout haut, je ne peux pas introduire. Il y a des nuances que je ne peux pas introduire. Il faut que j’y aille à coup de serpe, moi. C’est à vous de faire les arrondis, de faire les arrangements.

Et alors, bien sûr qu’il existait comme peuple, mais, mais de quelle manière ? Il existait comme ensemble spécifique de lignage. Ou, si on me dit : c’est déjà un peuple en un sens spécifique de lignage, je dirais, bon, d’accord, il existait en ce sens. Il existait comme exploitant des terres ; il existait donc, comme, je dirais, territorialisé. Bon, mais il n’avait pas la propriété de ces terres, donc il n’existait pas comme peuple. Qu’est-ce que c’est un peuple qui est, et [64 :00] qui a comme statut d’être métayers, même pas fermiers ? Et les titres de propriété, ben, les Palestiniens, ils ne savaient même pas ce que c’étaient. C’est-à-dire ils existaient, mais sur le papier, ce qui a permis aux Turcs de vendre beaucoup de terres aux Sionistes. Là-dessus les Palestiniens apprenaient que ah, bon ; ils ne comprenaient même pas ce que ça voulait dire. Pour eux, la terre, c’était la propriété du lignage — là-dessus ils apprenaient que la terre, ce n’était pas du tout la propriété du lignage, que c’était la propriété du bout de papier qui était en Turquie, et que au nom de ça, on les vidait. Ils étaient, si vous me permettez cette expression, à la lettre, ils étaient déterritorialisés. Au moment où ils étaient déterritorialisés, c’est-à-dire, perdaient la qualité fondamentale d’un peuple, « être territorialisés », [65 :00] ils se constituaient comme peuple… [Interruption de l’enregistrement] [1 :05 :03]

… si bien qu’ils allaient s’inventer comme peuple. Et au moment où on leur disait : vous n’êtes pas des Palestiniens, vous n’êtes que des Arabes de Palestine, ils pouvaient répondre : Palestiniens nous sommes devenus. Et pourtant ils l’étaient déjà. C’est ce que dit Perrault très bien. Il s’agit, Perrault… moi je dis, il s’agit d’inventer un peuple qui manque. Perrault, il dit mieux : il s’agit d’inventer un peuple qui existe déjà. Et vous comprenez, s’il s’agit de l’inventer, c’est que d’une certaine manière, il a beau d’exister déjà, il manque d’une certaine manière. Et c’est beau la formule de Perrault, « inventer un peuple qui existe déjà ». Ouf, c’est très compliqué tout ça.

L’étudiante : Non, mais maintenant c’est [66 :00] clair.

Deleuze : Maintenant c’est clair ? Eh ben, parfait. Il y avait quelqu’un qui, oui…

Un étudiant : Je voulais dire que, bon, si on pouvait demander à un Arabe [propos inaudibles] de l’expulser, mais je comprends quand même qu’il y avait dans un sens moins linguistique quand même une [propos inaudibles] entre 1948 où les Palestiniens étaient des Arabes et se considéraient comme des Arabes et puis plus tard [67 :00] quand s’est constitué un peuple qui se pensait peuple.

Deleuze : Mais là, je ne crois pas que je serai de votre avis, mais enfin, il ne faut pas trop continuer là-dessus parce que… je ne serai pas de votre avis, parce que pour moi, comme pour beaucoup de Palestiniens, il n’y a pas eu deux guerres, il y eu trois guerres. Et la première guerre s’est complètement court-circuitée, c’est-à-dire qu’on nie généralement, et on nie autour des raisons très, très précises. C’est une guerre que les Palestiniens ont mené tout seuls sous la direction du Grand Mufti, et elle s’est enchaînée avec la seconde guerre et la Jordanie… Mais il y eu une première période où la guerre était uniquement entre Israéliens et Palestiniens, [68 :00] plus Anglais. Et donc, les Anglais, c’est complexe. Si bien que moi, je crois que dès le début, ils se sont absolument, avant tout dans cette première guerre, ils se sont vécus comme en train de se constituer comme Palestiniens. Ce n’est pas après qu’ils sont vécus comme Palestiniens, ils se sont vécus, c’est dans cette guerre menée par le Mufti, que…

L’étudiant : …mais en ce moment, c’était que une guerre entre les Juifs et les Arabes.

Deleuze : Non, il n’y avait que les Palestiniens qui se battaient. Ce n’était pas une guerre entre les Juifs et les Arabes ; c’était une guerre entre les Juifs qui établissaient l’État sioniste, et les Palestiniens, un point, c’est tout. Les Arabes sont venus ensuite avec les Jordaniens se mêler à cette guerre, et il y a eu une plus — là je n’ai aucune mémoire des dates — mais il y a eu [69 :00] une période très, très longue où il y a eu résistance palestinienne uniquement, uniquement. Or ça, ce long moment, il s’est noyé dans l’idée d’une guerre précisément là. Ce que vous dites, je crois — ce n’est pas un reproche — répète la formule toute faite, à mon avis, fausse historiquement. Je ne dis pas que j’ai raison, mais qui est très important parce qu’il était très important pour les Israéliens, justement, dans leur idée qu’il fallait surtout nier qu’il y ait eu des Palestiniens. Nier l’existence des Palestiniens, dans cette entreprise, il importait beaucoup de nier qu’il y a eu une première période où les ennemis en présence étaient seulement les Sionistes et les Palestiniens, mais pas du tout les autres Arabes. Pas du tout ! [70 :00] Si vous connaissez, là… Il suffit de se reporter aux dates mêmes : il y a eu tout le mouvement de la résistance qui se réclamait du Grand Mufti, et qui a été très, très curieux et qui, à mon avis, a été un des moments principaux dans la constitution des Palestiniens comme peuple. Donc ce n’est pas après que, c’est à ce moment-là, je crois. Voyez vous-mêmes, enfin tout ceci est trop… — voyez vous-mêmes.

Georges Comtesse : [Propos inaudibles au début] … Jean Rouch, dans le sens que dans les films que j’ai vus de Jean Rouch, il n’y a pas simplement une narration, [71 :00] une narration qui en découlerait, même si la narration est relative, à travers la série des films de Jean Rouch, il essaie, dans son espace unique à lui, de capter quelque chose qui est entre les images et justement la narration, même relative. Et on peut dire que, par exemple, le premier film de Jean Rouch, c’est un film de 1974 [le film de cette date est “Cocorico Monsieur Poulet] où il a fait un retour à l’Afrique, le dernier film africain, quelle que soit – comment dire ? — la série du film, il capte en vidéo dans un espace unique entre les images et la narration, un système que l’on peut appeler un système de langage, qui a peut-être un autre statut [72 :00] que celui-ci que tu donnes, surement à tort, qui saura dégager une narration, et le système de langage est toujours un système à trois différences. Par exemple, quel que soient les films, on voit des individus, disons, pris dans ce système de langage.

La première différence, c’est, toujours, la différence sacrée, religieuse entre la vie et la mort, une première différence. La deuxième différence, c’est ce qu’on peut appeler la différence « extrait de filiation » qui passe, par exemple, dans les fils de l’eau à travers le rythme de la circoncision, qui est une espèce de mépris, de haine des filles [mot indistinct], affligée, qui est différence extrait d’une filiation. Et la troisième différence, c’est la différence hiérarchique, subordinatrice [73 :00] des hommes et des femmes à travers une division tout à fait réglée, des classes, des rôles, des pulsions, des fonctions et des espaces, etc. Et ces trois différences, ces trois différences – différence sacrée vie-mort, différence extrait d’une filiation, différence hiérarchique entre hommes et femmes — on peut dire que c’est un système de langage qui, justement, détermine les individus. Et que la question que j’aimerais poser à partir de là : est-que se fictionner, est-ce que se fictionner, est-ce que ça ébranle vraiment ce système de langage que l’espace unique de la série des films capte, ou bien est-ce que c’est une façon tout simplement de la reproduire à travers, justement, un écart, un écart de vue par rapport à ce système qui est peut-être lui-même [74 :00] un système d’écarts ? [Pause]

Deleuze : Tu comprends, [Pause] tu me dis, si je résume ton intervention très intéressante, tu me dis : il y a d’autres aspects de Rouch. Évidemment. Dans celui-ci sur lequel j’insiste, je n’ai pas prétendu que résidaient tous les aspects de l’œuvre de Rouch. Deuxième point, tu me dis que les autres aspects que toi tu dégages, sont plus profonds que le tiens. Là, je te saute dans le bras, je te reconnais. [Rires] Et tu me dis, ce que je dégage, moi, [75 :00] attention, ne se laisse pas ramener au processus langagier de la sémio-critique. Je n’en suis pas sûr parce que je m’inquiète lorsque tu as parlé des écarts, qui ne sont évidemment pas des écarts de mouvement dans ton esprit, et qui me paraissent être des écarts tout à fait de type langagier, au sens où les linguistes parlent d’écart. Mais enfin, même si ce n’était pas ça, je vais te dire, [Pause] j’ai bien écouté, moi je crois — ça devient comme une bataille d’enfance, si bien qu’il n’y a pas lieu de la poursuivre — tu pourras toujours me dire les aspects que je viens de dire là – j’ai bien reconnus tes thèmes favoris — eh bien, ton acte de fictionner est subordonné à ces aspects.

Moi, je te dirais, je n’ai pas l’impression, [76 :00] j’ai impression que c’est l’inverse. J’ai l’impression que tout ce que tu as dit est pour moi très intéressant, mais moins important que cet acte fondamental du cinéma, encore une fois du « cinéma vérité », qui consiste à saisir le flagrant délit, le passage à la fiction, à savoir lorsque que quelqu’un se met à fictionner, parce que lorsque quelqu’un se met à fabuler, c’est la seule manière — vous comprenez, ce que ça veut dire, c’est pour ça que ça me paraît important encore une fois — c’est la seule manière de ne pas reproduire le discours des maîtres ou des colonisateurs. Lorsque… c’est là où il me semble que Perrault est très… c’est pour ça que c’est pour moi, l’acte fondamental.

Alors ce qui serait intéressant, c’est que, oui, il y a un acte de langage ; dans la fabulation, il y a un acte de langage [77 :00] — mais ça on verra lequel, je ne peux pas dire tout à la fois — alors toi c’est que tu as dit, c’est d’accord, bon, c’est une voie, il me paraît relativement proche d’une sémio-critique, même si tu faisais une sémio-critique originale, tu en as parfaitement le droit. Mais je crois une fois de plus, au point où on est, on ne peut que se dire, eh ben non, c’est moi qui ai raison, c’est moi qui ai raison, ça ne t’intéresse pas plus que moi, j’espère. Alors c’est deux voies tu as ajouté, tu as démontré, mais moi je ne suis pas quand même sûr que ça aille de soi et que l’acte de fictionner dont je parle soit subordonné aux aspects que tu appelles plus profonds.

Comtesse : Mais j’ai vu ça dans les films…

Deleuze : Non, écoute, ça, ça, là, je te dis non, ça c’est ton argument favori : c’est dans les films, ça y est, c’est l’argument stalinien qui me dégoûte.

Comtesse : [Propos inaudibles, interrompus]

Deleuze : Ben, non, arrête, écoute parce que du coup, on est en retard.

Comtesse : [Propos inaudibles] … [78 :00] Comment savoir…

Deleuze : Il me fait le coup chaque fois. [Rires] Je n’en peux plus moi.

Comtesse : Si on prend Jaguar [1954, 1967] …

Deleuze : Ça fait dix ans ! [Rires]

Comtesse : [Propos inaudibles à cause des rires] …il se fictionne comme un jaguar, comme un animal qui se pavane [mots indistincts] pour se pavaner. Il se fictionne, et lorsqu’il revient au village, qu’est-ce qu’il dit maintenant, maintenant qu’il est devenu la gloire de grande ville ? Qu’est-ce qu’il dit à la fille, à la jeune fille du village ? Il lui dit quelque chose qui appartient, évidemment, c’est un énoncé du langage ou un énoncé de ce système de différences dont je parle. Il ne lui dit pas « je vais me marier avec toi, je vais me marier avec toi », il lui dit « je te marie » ! [On entend un grognement exaspéré de Deleuze] Ça c’est dingue, [79 :00] essayez d’entendre ça !

Deleuze : Écoute, tu as le génie de joindre des choses relativement intéressantes dans ce que tu dis à des propositions parfaitement désagréables pour tout le monde. Tu prends les gens pour des crétins toujours, c’est ton seul tort. Tu prends les gens pour des crétins, alors que tu termines une intervention : essayez d’entendre ça ! Moi je t’assure, je n’oserais pas parler aux gens comme tu parles. Je n’oserais pas, je n’ai jamais parlé un étudiant, « essayez d’entendre ça ! » Mais tu te rends compte ? Mais tu te prends pour quoi ? Tu te prends pour quoi ? Tu oses terminer quelque chose en disant « essayez de comprendre », essayez d’entendre la profondeur insondable de ce que je viens de dire ! Non, mais ça ne va pas ! Je n’en peux plus, repos ! Cinq minutes de repos… [Interruption de l’enregistrement] [1 :19 :52]

Deleuze : … mais si le mouvement est la donnée immédiate de l’image, [80 :00] il n’y a pas de fait de la narration. La narration découle d’un procès particulier qu’il faudra appeler le procès de spécification des images, c’est-à-dire la manière dont l’image-mouvement se spécifie en un certain nombre de types d’images, la manière dont l’image-temps se spécifie en un certain nombre de types d’images. Voilà pour le premier point.

Je passe au second point. Qu’est-ce que peut vouloir dire « l’image cinématographique est un énoncé, ou l’équivalent d’un énoncé analogique », c’est-à-dire opérant par ressemblance ? [Pause] [81 :00] Cela suppose évidemment que l’image analogique, et le texte de Metz le confirme, que l’image analogique est rapportée par la ressemblance à un objet qui est son référent, comment on dit. [Pause] Mon point de vue est très simple, et je le donne comme proposition générale, donc très obscure à première vue. Ce serait vrai précisément si l’on pouvait faire la mise entre parenthèses du mouvement. Si l’on pouvait faire la mise entre parenthèses du mouvement dans l’image, alors oui, l’image pourrait être considérée comme un énoncé analogique se rapportant à ressemblance, à un objet qui serait son référent. [82 :00] Mais le mouvement a pour propriété de rendre indiscernable l’image et son objet.

On me dira, alors c’est propre au cinéma. Non, ce n’est pas propre au cinéma. [Pause] Je dirais exactement la même chose dans d’autres conditions de la peinture. Je reviens toujours à cette histoire : peut-on dire que la peinture dite classique est figurative ? Si on peut le dire, ça revient à dire : le tableau est un énoncé analogique qui se rapporte par ressemblance à un objet qui est son référent. Tout le monde sait qu’il n’en est pas ainsi. Pourquoi ? [83 :00] Parce que la peinture, figurative ou non, ne procède pas par ressemblance. La peinture, qu’elle soit figurative ou qu’elle ne soit pas figurative, procède par modulation, modulation, tantôt modulation de la lumière, tantôt modulation de la couleur, tantôt les deux.

Je dirais de la modulation exactement ce que je disais du mouvement, à savoir que la modulation, comme le mouvement — et ce n’est pas étonnant — suffise à rendre indiscernables l’image et son objet. Ce qui est tout à fait normal puisque le cinéma ne procède pas seulement par images-mouvement mais que font partie du [84 :00] mouvement cinématographique et la modulation de la lumière, et la modulation des couleurs, lorsque les couleurs sont employées. Et les années précédentes, nous avons étudié les modulations de la lumière qui peuvent être très différentes, par exemple, dans l’Expressionnisme allemand, dans l’école française de l’avant-guerre ou même la modulation de la couleur chez des auteurs comme… des auteurs grands coloristes du type Minnelli ou du type Antonioni.

Bon, alors j’en suis là, vous voyez que c’est pour les mêmes raisons… Je veux dire : si ce que je dis a un sens, c’est évidemment pour les mêmes raisons que la sémio-critique a mis entre parenthèses le mouvement comme donnée immédiate de l’image cinématographique et a pu conclure que l’image cinématographique était [85 :00] assimilable à un énoncé par analogie. Car si vous réintroduisez le mouvement dans l’image, vous voyez que le mouvement dans l’image rend indiscernable l’image et son objet. Qu’est-ce que ça veut dire alors ? Et qu’est-ce que c’est, cette indiscernabilité de l’image et de l’objet du point de vue de l’image cinématographique ?

Voilà que [Pier Paolo] Pasolini nous dit — et on revient à une thèse si bizarre de Pasolini — voilà que Pasolini nous dit : l’objet est exactement une partie de l’image. [Pause] Et il ne nous dit pas seulement l’objet est une partie de l’image [Pause] [86 :00] — voyez, il en est déjà contre l’idée d’image-énoncé analogique — l’objet est une partie de l’image. Pourquoi ? Pas seulement, pas seulement. Bien plus, l’objet est la seconde articulation de l’image. Là, du coup, ça devient très important. Pourquoi ? En nous disant « l’objet est la seconde articulation de l’image », il nous dit, l’objet est l’équivalent du phonème. [Pause] Vous vous rappelez : le phonème, c’était la seconde articulation de la langue. [Pause] [87 :00] Il ajoute : quelle est la première articulation ? La première articulation, c’est le plan. Le plan, c’est l’équivalent du monème. L’objet, l’objet quoi ? Eh ben, l’objet cadré, l’objet cadré dans le plan. Le plan, c’est l’équivalent du monème, et l’objet cadré dans le plan, c’est l’équivalent du phonème.

Le cinéma a deux articulations, ce qui revient à dire quoi ? Vous voyez en quoi c’est — là aussi, il faut que vous ajoutiez toutes les nuances en même temps que vous m’écoutez — ce qui veut dire d’abord, le cinéma est une langue. [88 :00] On a vu, en effet, que la double articulation définissait la langue, ce qui veut dire, dès lors, qu’il [Pasolini] veut aller plus loin que la sémio-critique en apparence sur le terrain même de la sémio-critique. La sémio-critique nous disait : le cinéma n’est pas une langue car il n’y a pas double articulation et que seule la double articulation définit la langue. Mais le cinéma est un langage, nous disait la sémio-critique. Pourquoi ? Parce que l’image cinématographique est soumise à des codes dont en premier lieu la syntagmatique qui définit un processus de langage. [89 :00] D’où la formule : le cinéma n’est pas une langue, c’est un langage. Il n’a pas de double articulation, et il n’est donc pas une langue ; il est un langage parce qu’il est soumis à des syntagmes. Vous vous rappelez ça ; on l’a analysé dans tous les sens.

Alors ça paraît effarant, la position de Pasolini, qui dit, tranquillement : les phonèmes, c’est les objets cadrés dans le plan ; les monèmes, ce sont les plans. Le cinéma a deux articulations, le cinéma est une langue. Immédiatement, je veux dire… il faut toujours, là… c’est en zigzag ce qu’il nous raconte. On bondit ! On dit : [90 :00] Pasolini revient à la vieille thèse dénoncée par la sémio-critique : le cinéma langue universelle. Et toute la sémio-critique s’était constituée pour dire, non, le cinéma n’est pas une langue, c’est un langage, langage sans langue, disait Metz. Et voilà que, comme s’il ignorait tout de cette critique d’une ciné-langue, Pasolini nous dit calmement, patiemment, le cinéma est une langue.

Nouveau coude, le chœur des sémioticiens ou bien s’indigne ou bien se moque. Ils disent, non mais, et puis quoi ? Comment peut-il venir à l’idée de Pasolini [91 :00] d’assimiler les objets cadrés dans le plan avec des phonèmes ? Car vous vous rappelez ce que c’est, un phonème. Je le dis encore une fois, pour ne pas sortir de mon exemple. Je dis billard, bon, le phonème /b/, c’est /b/ sur /p/, mais ce n’est pas un objet, un phonème. Ça n’a rien à voir avec un objet. Ça a à voir avec quoi ? Bien plus, un objet cadré dans le plan, il s’agit de quoi ? Ou bien c’est l’objet référent, c’est-à-dire l’objet montré, le revolver tel que le montre par ressemblance l’image du revolver. Ou bien… Ça ce n’est pas le référent : un phonème n’a jamais été l’objet qui sert de [92 :00] référent. Ou bien c’est l’objet en image, l’objet tel qu’il est cadré dans le plan. Et là, c’est ce que les linguistes appelleront : une portion de signifié, mais jamais un phonème n’a été une portion de signifié. Un phonème, c’est une unité distinctive sans aucune signification. C’est une unité distinctive et non pas significative. Alors, en aucun sens l’objet cadré dans le plan ne peut être assimilé à un phonème, semble-t-il.

Si bien que Eco, Umberto Eco, je vous disais, se moque beaucoup de Pasolini. Il est très tenace. Pasolini a plus d’un [93 :00] tour dans son sac. Et voilà qu’il continue — voyez, c’est perpétuellement avec des coudes — : vous ne voulez pas, vous ne voulez pas que le cinéma soit une langue ? Voyez, il s’est servi du thème de la double articulation, et voyez comment il procède, parce que les textes de Pasolini là dans L’Expérience hérétique [1972 ; Paris : Payot, 1976] sont tellement difficiles que je souhaite vous aider dans une lecture de vous éventuelle. Il s’est servi du thème de la double articulation pour arriver à dire « et si le cinéma est une langue ? » contre la sémio-critique. Et alors, on lui dit « non, mais, tu es bien naïf, Pasolini » ; il répond laissez-moi finir, laissez-moi finir, c’est une langue, mais c’est quoi ? [Pause] [94 :00] Il ajoute, l’air de rien, « oui c’est même la langue de la réalité, c’est la langue de la réalité ». [Sur les propos chez Pasolini, voir L’Image-mouvement, pp. 43-45, et surtout dans L’Image-temps, pp. 42-43 ; voir aussi la séance 8 du séminaire Cinéma 3, le 17 janvier 1984]

Là, ça devient de plus en plus curieux, parce qu’il va même jusqu’à dire : vous, les sémio-criticiens, vous n’avez jamais rien compris à la sémiotique — il est en train de se venger — vous ne comprenez pas la sémio-critique, parce que vous ne comprenez pas la sémiotique, car la sémiotique, dit-il, c’est la science de la réalité. La sémiotique, c’est la science de la réalité. Mettons, [95 :00] mettons que ça se vaille, science de la réalité, langage du réel ou langage de la réalité. [Pause] C’est la sémiologie de la réalité qu’il faut entreprendre, voilà le slogan que je me crie à moi-même depuis des mois — je cherche la citation, la citation sur la science de la réalité — [Pause] « Ce qui n’est pas arbitraire, ce qui n’est pas arbitraire c’est de dire que [96 :00] le cinéma est fondé sur un système de signes différents du système des langues écrites parlées, c’est-à-dire que le cinéma est une autre langue » — Une autre langue, en effet, tu sais, la langue de la réalité. En quel sens, une autre langue ? — « Mais non pas une autre langue au sens où le bantou est différent de l’italien » — non pas au sens où une langue est différente d’une autre langue, mais au sens où la langue de la réalité est différente de quoi ? Est différente de tout langage.

Bon, le cinéma, c’est la langue de la réalité au sens [97 :00] où la langue de la réalité n’est pas une langue distincte des autres langues, mais une langue différente de tous les langages, qu’ils soient verbaux ou non verbaux. Là, ça se complique de plus en plus. Vous vous rappelez la thèse de la sémio-critique : le cinéma n’est pas une langue, mais c’est un langage. C’est un langage qui, à la fois, n’est pas lui-même un langage verbal, mais auquel on peut appliquer certains caractères des langages verbaux, à savoir la syntagmatique. Pasolini assure sa prise, sa position, en nous disant : le cinéma n’est pas un langage, verbal ou [98 :00] non verbal ; le cinéma est une langue, mais attention ! Ce n’est pas une langue qui diffère d’une autre langue comme l’italien diffère du bantou. C’est une langue qui est une langue qui est la langue de la réalité et qui donc diffère de tout langage, verbal ou non verbal.

On ne comprend toujours pas ce que dit la thèse, mais elle commence à devenir splendide, et on voit bien qu’il ne s’agit pas d’un retour. Ou alors, s’il s’agit d’un retour à la thèse classique du cinéma langue, langue universelle, ça va être un retour tellement renouvelant et enrichissant. Bon. Qu’est-ce qu’il veut dire ? Essayons de l’interpréter là librement. Tout ça, tous les textes auxquels je fais allusion sont entre, [99 :00] dans L’Expérience hérétique dans la traduction française, entre les pages 160-199, 160-200, vous trouverez tout ça.

Mais je reviens à mon histoire telle qu’on l’a vue il y a déjà deux ans, trois ans, je ne sais plus, à mon histoire de l’image-mouvement. Tout va s’illuminer, et c’est toujours pour la même raison : c’est parce que la sémio-critique a éliminé le mouvement dans l’image qu’elle a pu enchaîner avec le langage, etc. Si on part de l’image-mouvement, peut-être qu’on va s’apercevoir que Pasolini dit des choses extrêmement simples et très rigoureuses. Le mouvement a deux faces, le mouvement dans l’image a deux faces [Pause] : d’une part [100 :00] — l’image-mouvement a deux faces — d’une part, elle exprime un Tout qui change, elle exprime un changement dans un Tout ; d’autre part, elle se répartit entre différents objets dont les uns seront dits immobiles et les autres mobiles. [Pause]

Exemple : les oiseaux s’envolent, c’est le départ des oiseaux. Donc, c’est le départ des oiseaux. Vous êtes dans votre maison et vous dites, [101 :00] ah, — quels oiseaux ? — les cigognes s’en vont ; vous aviez votre cigogne là, ma cigogne s’en va, bon. C’est une image-mouvement. Cette image-mouvement a deux faces. Elle exprime un Tout, quoi ? Un Tout qui change. Ce Tout qui change, c’est ce qu’on appelle une variation saisonnière. Elle se répartit entre différents objets dont les uns sont dits mouvements ou mobiles, et les autres immobiles. La cheminée où la cigogne avait fait son nid demeure, est immobile ; l’oiseau s’en va : il y une répartition de mouvement. Bien, je dis que toute image-mouvement a ces deux faces. Toute image-mouvement est, d’une part, tournée vers [102 :00] un Tout dont elle exprime un changement qualitatif — le changement de saison — et d’autre part, tournée vers des objets dont elle exprime les positions respectives, les mouvements et les immobiles.

J’ajoute : l’image-mouvement est la circulation des deux, des deux niveaux. J’ai bien deux niveaux, deux niveaux : un niveau où… l’image-mouvement implique elle-même deux niveaux, un mouvement par lequel elle est tournée vers le Tout qui change et exprime le changement du Tout — le départ de la cigogne exprime le changement saisonnier — et un autre niveau [103 :00] où elle est tournée vers les objets entre lesquels le mouvement se répartit. J’ai mes deux niveaux, il y a circulation entre les deux. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que l’image-mouvement ne cesse pas de se différencier d’après les objets entre lesquels le mouvement se répartit, [Pause] et en même temps, de s’intégrer dans le Tout qui change, que l’image exprime. Peut-être certains entre vous se rappellent, on est restés plusieurs mois là-dessus, il y a longtemps. [104 :00] Qu’est-ce que vous voulez de plus ?

Remarquez que j’en suis à ma seconde remarque, ma première remarque était fondée sur la découverte d’un procès propre aux images que j’appelais le procès de spécification : comment une image-mouvement donne lieu à des espèces ? Là, au niveau de ma seconde remarque — et c’est pour insister sur la cohérence de tout ça — je me trouve devant au second procès de l’image-mouvement, procès tout à fait diffèrent, que j’appellerais procès de différenciation et d’intégration. [Sur ces procès, voir L’Image-temps, pp. 43-44, 57, 273-279, 361-363] Il ne faut surtout pas confondre les deux : le procès de spécification de l’image-mouvement, c’est le procès par lequel l’image-mouvement donne lieu à des espèces d’images-mouvement : image-perception, image-action, image-affection. Le procès de différenciation-intégration, c’est le procès par lequel l’image-mouvement donne lieu à deux niveaux : [Pause] [105 :00] l’un défini par les objets entre lesquels le mouvement se répartit, l’autre défini par le changement du Tout que le mouvement exprime. [Pause] [La référence est au film de Hitchcock, Frenzy (1972)]

Parlons crimes, puisque je vous signalais l’utilisation psychanalytique des crimes au cinéma d’après la sémio-critique : un homme entre et fait entrer une femme dans sa chambre, la caméra l’accompagne jusqu’à la porte. La caméra recule, redescend l’escalier, etc. et cadre la fenêtre du dehors. C’est un mouvement ; ce mouvement [106 :00] se répartit entre certains objets dont les uns sont fixes, les autres mobiles. Ce mouvement exprime un Tout qui change. On n’a pas besoin de nous faire un dessin : entre les deux, la femme a été assassinée. C’est un célèbre travelling de [Alfred] Hitchcock. Le mouvement de caméra, le mouvement étant forcément de caméra, il peut être des personnages, il y a toutes les formules que vous voulez. Autre exemple du même genre, exactement le même d’ailleurs, non moins célèbre, [Jean] Renoir dans La chienne [1931], où la caméra quitte le couple lorsque l’homme est à bout, est à bout de nerfs et rentre par la fenêtre — dans un travelling fantastique [107 :00] à la Renoir — rentre par la fenêtre pour découvrir le cadavre de la femme dans la chambre. Exactement la même chose. Entre les deux, tout a changé : la femme est morte.

Bien, voilà, qu’est-ce que je veux dire là ? Je dis que l’image-mouvement est donc porteuse non seulement d’un procès de spécification, mais d’un procès de différenciation-intégration. Dans ce procès de différenciation-intégration, il y a deux niveaux, ce sont les deux articulations de Pasolini. Ces deux articulations consistent en quoi ? Eh bien oui : le plan, l’image-mouvement exprime un Tout qui change, et Pasolini rigole : laissez-moi [108 :00] appeler ça une unité significative. Seulement voilà, c’est une unité significative du réel [Pause] : unité de l’image et du réel. L’image se fait réalité ; dans le cinéma, l’image se fait réalité pour autant que l’image-mouvement exprime le changement d’un Tout.

Deuxièmement : l’image-mouvement n’exprime pas le changement d’un Tout, c’est-à-dire ne se fait pas réalité sans se distribuer entre objets, sans se répartir entre objets. C’est la différenciation. C’est la différenciation de l’image-mouvement [109 :00] qui n’a rien à voir avec sa spécification qu’on a vue tout à l’heure, qui est un tout autre procès. Pasolini ajoute : laissez-moi appeler seconde articulation, ce second aspect par lequel le mouvement ne peut pas exprimer un Tout qui change sans se distribuer entre objets cadrés dans l’image. Laissez-moi appeler première articulation… deuxième, pardon, deuxième articulation, ce deuxième aspect, et laissez-moi dire : le cinéma est une langue, oui ! Mais une langue qu’on n’a jamais parlée, une [110 :00] langue qui ne se ramène à aucun langage quel qu’il soit, ni verbal ni non verbal. C’est la langue de la réalité, c’est-à-dire c’est le processus par lequel l’image se fait réalité et l’objet se fait image. L’image se fait réalité, c’est la première face de l’image-mouvement ; l’objet se fait image, c’est la deuxième face. [Pause]

En d’autres termes, le cinéma est la langue de la réalité, précisément parce qu’il n’a rien à voir avec un langage, c’est une langue sans langage, verbal ou non verbal. Une langue sans langage verbal ou non verbal, qu’est-ce que c’est ? La langue de la réalité. [Pause] [111 :00] Il parle avec quoi ? Il parle avec des objets, [Pause] et il parle avec des objets parce que l’image même, c’est le réel qui parle par l’objet… [Interruption de l’enregistrement] [1 :51 :29]

… même monème, il avait besoin de tout ça pour arriver à, à mon avis, tout mettre en l’air de la thèse « langage sans langue » pour y opposer « langue sans langage ». Et le mouvement de Pasolini est tellement compliqué finalement, il me semble que bizarrement, il se laisse prendre. Des discussions naissent sur Pasolini disant : [112 :00] ah ben oui, il y a des points où je suis d’accord, tout ça, mais il y a des points où je ne suis pas d’accord, tout ça, mais en fait, il ne s’agit pas de ça. C’est que Pasolini pense vraiment sous un tout autre horizon, absolument sous un tout autre horizon. Il n’est plus, absolument plus question dans sa langue de la réalité, il n’est plus question de processus langagier quelconque, ni syntagmes ni paradigmes, et pourtant il en parlera ! Oh, il fera tout, il fera tout. C’est ça qu’il y a de bien. Seulement tous les codes, tous les codes syntagmatiques, paradigmatiques, il poussera la coquetterie jusqu’à les mettre sous la domination d’un Ur-code, comme il dit, d’un code d’au-delà des codes, qui précisément consiste à les décoder, à les décodifier.

Alors, c’est très beau, c’est une très, très belle idée, voilà, qui nous renvoie à l’idée : mais si, vous pouvez dire d’une certaine [113 :00] manière que le cinéma est une langue, pas à la manière des premiers cinéastes qui voyaient une langue universelle, c’est-à-dire une langue qui était une langue — non, c’est plus que ça. C’est, encore une fois, c’est la langue de la réalité, c’est la réalité qui parle dans le cinéma. Alors, bien, nous voilà renvoyés à une langue.

Je dirais, j’en tire juste les conclusions : si je ne me trompe pas dans cette interprétation que je vous propose de Pasolini — et aussi vous avez tout droit de penser, à vous de le dire, de penser que je me trompe, ce n’est pas facile encore une fois — si je ne me trompe pas, notre second point est [114 :00] réglé. À savoir, je ne vois aucune raison de traiter l’image cinématographique comme l’équivalent d’un énoncé analogique. Elle n’est ni un énoncé, ni analogique. [Pause] Simplement, elle est inséparable d’un procès qui n’est plus celui de la spécification, mais qui est celui de la différentiation et de l’intégration, et que je peux résumer maintenant de la manière suivante pour réunir tous les procès : les images spécifiées, c’est-à-dire selon leurs trois espèces, les images spécifiées s’enchaînent, mais en [115 :00] s’enchaînant, s’intègrent dans un Tout qui ne cesse, de son côté, de se différencier d’après les objets de l’image. [Pause] J’ai mis à la fois les deux procès de spécification et de différentiation et d’intégration qui sont irréductibles à tout processus langagier.

D’où, troisième et dernier point : si le cinéma est une langue en ce sens, qu’est-ce que ça veut dire une langue ? On revient à notre thème, même du cinéma classique : le cinéma classique qui se réclame avec Eisenstein du monologue intérieur. Mais qu’est-ce que c’est qu’un monologue intérieur par [116 :00] rapport au langage ? Qu’est-ce que c’est ? Lorsque Eisenstein nous dit ce n’est pas le roman, c’est le cinéma qui est apte à réaliser toute la puissance du monologue intérieur, qu’est-ce que ça veut dire, qu’est-ce que ça peut vouloir dire ? [Pause] Ben voilà, ça peut vouloir dire bien des choses, c’est notre dernier point. [Pause]

Donc là, vous oubliez, comme ce point va être encore bien compliqué, j’ai pris tellement de retard cette fois, vous avez, c’est… c’est… c’est la dernière fois où c’est difficile, hein ? À partir de la prochaine fois, c’est tout facile. Je comptais que ce serait facile aujourd’hui, puis je ne sais pas ce qui s’est passé, je me suis mis en retard, mais après ce point-là, plus de difficultés. [117 :00] Mais celui-là alors, qu’est-ce qu’il est difficile, hein ?

Je vais vous dire, il y a une première réponse, on peut se dire : bon, ben, eh oui, le cinéma, ce n’est pas un langage, soit. Langue de la réalité, qu’est-ce que c’est ? C’est le monologue intérieur, la langue de la réalité ? Peut-être, mais qu’est-ce que c’est le monologue intérieur ? Première réponse : ce serait une langue primitive, primitive. Pasolini nous a déjà dit non, ce n’est pas le bantou. Est-ce que le bantou est une langue primitive ? Pas sûr, mais en tout cas, bon, langue primitive ou pas primitive, non, ce n’est pas une langue primitive. Alors il vaudrait [118 :00] mieux risquer : protolangage, un protolangage. Le cinéma comme langue intérieure, [Deleuze se corrige] comme monologue intérieur ou comme langue de la réalité serait un protolangage. [Sur le monologue intérieur, voir L’Image-temps, pp. 43-44 et 237-245, et dans ce même séminaire, voir les séances 1, 2, 8, et 9]

Et après tout, des contemporains de Eisenstein essayaient dans cette direction. Un protolangage, il faudrait montrer en quoi ça se distingue d’un langage. Il y avait des linguistes, il y avait déjà des linguistes — ils ne sont pas nés de… — il y avait déjà des linguistes, et ces linguistes ont été assez loin, et les Cahiers du cinéma ont publié leurs textes, ont publié une partie des textes, deux numéros 220-221 [juin-juillet 1970, que Deleuze cite dans L’Image-temps, p. 44, note 9], notamment, de deux linguistes importants, soviétiques, l’un qui s’appelait [Boris] Eichenbaum — vous l’écrivez comme vous voulez, au hasard, vous [119 :00] tomberez, vous tomberez toujours juste puisque c’est arbitraire tout ça — et l’autre s’appelait [Lev] Vigotsky, Vigotsky, v-i-g-o-t-s-k-y [ou Vygotski] Ils tournaient autour de, ils disaient c’est très compliqué, attention. Ça ne veut pas dire qu’on visualise des données linguistiques, non. C’est plutôt comme s’il y avait des valences linguistiques dans le défilé des images visuelles. Le monologue intérieur, ce serait comme l’enchaînement de valences linguistiques d’après les images visuelles, [120 :00] qui retentissent dans notre tête, qui se passent sous nos yeux et retentissent dans notre tête. Et Vigotsky disait : il faudrait presque, ce ne serait pas des… ce ne serait pas, ce ne serait pas phonique, dit Vigotsky. Il propose une notion très bizarre de « endophonie » : il y aurait des endophoniques liées au défilé des images visuelles, et c’est ça qui constituerait le monologue intérieur, ou qui constituerait un espèce de protolangage, dont on aurait l’équivalent non pas chez les bantous mais chez l’enfant. Bon, comme ça, ils essayaient de s’en tirer, mais je vais très vite, mais leurs études sont très intéressantes.

Ça ne va pas, ça ne va pas, pourquoi ça ne va pas ? Je ne sais pas, on sent que ça ne va pas, moi. [121 :00] Non, finalement, parce que ils sont sur quelque chose. Je veux dire le problème sur lequel ils nous laissent : quel est le rapport entre le protolangage et le langage ? C’est peut-être que le rapport à chercher n’est pas entre le protolangage et le langage, c’est quoi ? C’est quoi ? … [Interruption de l’enregistrement] [2 :01 :26]

Partie 3

Deuxième hypothèse, tout ça comme on nage dans l’obscurité. Le grand linguiste danois, [Louis] Hjelmslev, bien connu de vous tous, écrit — ça y est, je me suis trompé de ligne… non, ça y est, j’ai perdu la citation… si j’ai perdu ma citation, je suis perdu parce que… [Pause] [122 :00] oh la la la la la, ah, non, je l’ai ! Elle est très courte, et mon objet, ce n’est pas de faire un cours sur Hjelmslev parce que là, alors là, [Pause] ce n’est pas facile. [Pause]

Il explique, Hjelmslev, que — je le dis très vite — que selon lui, le langage est constitué par forme et substance d’expression et forme et substance de contenu. Si vous voulez, à la distinction saussurienne signifiant-signifié, il substitue [123 :00] une distinction forme d’expression-forme de contenu, mais ce n’est pas une simple substitution verbale. Je crois que ça change tout. Donc, il invente cette notion : forme d’expression et forme de contenu, en gros, mettons, qui correspondent en très gros à signifiant-signifié. Et voilà ce qu’il nous dit : « On projette la forme » — c’est la phrase la plus… ce n’est pas la phrase la plus difficile, c’est la phrase la plus mystérieuse de Hjelmslev, autour de laquelle tout le monde se bat, alors je vous la dis – « On projette la forme » — sous-entendu, la forme d’expression et la forme de contenu – « On projette la forme sur [124 :00] le sens ou la matière » — en effet, le mot est tantôt traduit en français par « sens », tantôt par « matière », et le mot anglais peut être traduit par les deux ; le mot danois, ça, c’est autre chose, et il doit être traduit aussi par les deux – « On projette la forme d’expression et la forme de contenu sur le sens » — et Hjelmslev est plutôt avare de métaphores, il ajoute pourtant – « comme un filet tendu projette son ombre sur une surface ininterrompue ». On projette la forme d’expression et la forme de contenu sur le sens, c’est-à-dire sur la matière, comme un filet tendu projette son ombre sur une surface ininterrompue. [125 :00]

La matière ou le sens, c’est une surface ininterrompue, qui doit être distinguée de quoi ? De la forme et de la substance. Pourquoi ? Parce que la substance, c’est la matière formée. La substance, c’est la matière formée. Il y aura donc une substance de contenu et une substance d’expression puisqu’il y a deux formes, forme de contenu et forme d’expression. Eh bien, forme de contenu et forme d’expression, qui informent la matière pour en faire substance de contenu et substance d’expression, ben « la forme d’expression et la forme de contenu se projettent sur le sens comme un filet tendu projette son ombre sur une surface ininterrompue ». En d’autres termes [126 :00] — pour moi, je n’ai pas de problème, pas de problème, alors je vous dis, mais avec beaucoup de points d’interrogation — ce que Hjelmslev appelle matière ou sens, c’est une matière non langagièrement formée, non linguistiquement formée. C’est une matière non linguistiquement formée. En effet, dès qu’elle est linguistiquement formée, elle est devenue substance de contenu ou substance d’expression. Le sens est donc une matière non linguistiquement formée, et qui pourtant — j’ajoute — peut être parfaitement formée d’autres points de vue que linguistiques, [127 :00] ce que à mon avis Hjelmslev reconnaît, mais avec une petite équivoque : non linguistiquement formée, mais qui peut être formée d’une autre manière, d’autres points de vue, et qui est un corrélat, je dirais, comment ? Là je cherche un mot provisoire — un corrélat « idéel » du langage, ou qui est un présupposé spécifique du langage — ouais, à votre choix, les deux sans doute à la fois — le langage a un présupposé spécifique.

Vous comprenez ce que je veux dire ? Ça ne veut pas dire un présupposé psychologique. Ça ne veut pas dire un quelque chose qui précède le langage. [128 :00] Non, un présupposé spécifique, c’est-à-dire : une matière, une matière qui n’existe pas indépendamment du langage, c’est-à-dire idéelle, et qui pourtant se distingue du langage, et telle que le langage n’existerait pas s’il ne visait cette matière non langagière, non linguistiquement formée. Le langage a pour corrélat une matière non linguistiquement formée. Ça vaut aussi pour la langue : la langue et le langage ont pour corrélat une matière non linguistiquement formée, mais formée d’un autre point de vue.

Je précise tout de suite que — un tel texte de Hjelmslev a évidemment soulevé tellement de problèmes — que dans le texte, il dit, Hjelmslev, « non sémiotiquement formée », ce qui m’ennuie beaucoup, mais ce qui ne me gêne pas. Je veux dire, pour une simple raison, [129 :00] c’est que dans le contexte, il est évident que Hjelmslev identifie — il a le droit — sémiotique et linguistique. Mais moi, vous le sentez déjà, qui crois avoir toute raison de distinguer très, très fermement, le plus fermement que je peux, sémiotique et linguistique, je dirais de la matière de Hjelmslev qu’elle est non linguistiquement formée, et qu’elle peut être formée d’un autre point de vue et notamment qu’elle peut être formée sémiotiquement, s’il s’agit d’une sémiotique qui ne présuppose rien de la langue et du langage. En tout cas, elle n’est pas linguistiquement formée. [Pause]

Voilà. Je dirais, on a fait un petit pas, on a avancé, on a avancé. Nous ne disons plus maintenant : [130 :00] l’image cinématographique — telle qu’on l’a définie avec son double procès, vous vous rappelez ; ça, ce que je retiens des deux premièrement, c’est qu’on a défini l’image cinématographique en fonction d’un double procès, qui n’a rien à voir avec le langage, qui n’est pas linguistique, qui n’est pas langagier, procès de spécification, et procès de différenciation-intégration. — Je dis : ce n’est plus la peine de faire le coup de force de Pasolini. Ce n’est plus la peine de dire « c’est la langue de la réalité. » Disons simplement — enfin simplement, je ne sais pas si ça rend les choses plus claires — c’est la matière non linguistiquement [131 :00] formée [Pause] qui est le corrélat de toute langue et langage.

Là-dessus, rude problème : qu’est-ce qu’on va faire de cette matière ? Qu’est-ce que vous voulez qu’un linguiste en fasse, puisqu’elle n’est pas linguistiquement formée ? D’où, dans un livre ultérieur à celui que j’ai cité, les problèmes — et là je dis ça sans aucune ironie — les problèmes et les embarras de Metz, qui, étant particulièrement, au moins sous un aspect de son œuvre, un disciple de Hjelmslev, se dit : qu’est-ce que je peux faire de la notion de matière en tant que distincte de la notion de substance ? Et il consacre tout un chapitre de Langage et cinéma [Paris : Larousse, 1971] un chapitre très, très difficile, à [132 :00] l’issue duquel il me semble que ça revient à dire que il n’a rien à faire, et que le cinéma n’a rien à faire, avec la notion pure de matière non linguistiquement formée.

Bien, on en est là. Un effort de plus. Qu’est-ce que ça peut être, cette matière ? Il faut dire que Hjelmslev est personnellement extrêmement discret dans toute son œuvre sur le statut de cette matière. Cherchons ailleurs. C’était comme ça, petite récréation, le passage par Hjelmslev. Ça nous donnait quand même un acquis. On se disait : ah non, ce n’est peut-être pas la peine de définir l’image cinématographique prise dans ses procès, dans ses procès non linguistiquement formés ; ce n’est peut-être pas la peine de la définir comme langue de la réalité. [133 :00] Contentons-nous de la définir comme cette matière non linguistiquement formée, mais formée, mais parfaitement formée sémiotiquement puisque moi, je n’ai aucune raison d’identifier sémiotique et linguistique, au contraire. Cette matière… et là, alors, je ne m’occupe plus de Hjelmslev. Il m’a donné un mot — qu’est-ce que je pouvais demander de mieux ? … matière. —

 

Vous me direz, ce n’est pas grand-chose. Si, c’est beaucoup. C’est énorme ! Parce que, cette matière, en effet, elle est sémiotiquement formée, puisqu’elle est inséparable du procès de spécification et du procès d’intégration-différenciation, et ce sont des procès sémiotiques. Mais ce ne sont pas des procès langagiers. [134 :00] Ce ne sont pas des procès linguistiques. Ils n’ont rien à voir avec des procès linguistiques. En un sens, je dirais, ils sont idéalement pré-linguistiques, pas au sens d’une langue enfantine, au sens d’une condition. La matière non linguistique, c’est la condition même. C’est pour ça que je parlais de condition idéelle. C’est la condition idéelle à laquelle va répondre langue et langage, [Pause] ou qui va servir de corrélat à la langue et au langage. Qu’est-ce que ça peut être ?

Donc, il faut maintenant analyser cette matière sémiotiquement formée [135 :00] et non linguistiquement formée. Ça nous ferait faire un pas décisif. Un nouveau linguiste pointe à l’horizon. Mais on va de plus en plus difficile. Il s’appelle Gustave Guillaume. Et il fait une étrange, étrange linguistique. Et il publie ses textes dans des éditions impossibles, et il est extrêmement difficile de lire ses textes hors bibliothèque. Klincksieck en a publié un, Langage et science du langage [Paris : Nizet, 1964], mais j’ai peur qu’il n’existe pas depuis longtemps, [136 :00] que ça n’existe pas. Donc pratiquement l’accès à l’œuvre de Guillaume n’est possible qu’en bibliothèque.

Hidenobu Suzuki : Si, si… c’est réédité chez Nizet.

Deleuze : Ça a été réédité ? Pour tout ce qui est réédité, ceux qui s’intéressent à… il faut… il faut en lire. Heureusement, quelqu’un de grand talent, qui s’appelle Edmond Ortigues, o-r-t-i-g-u-e-s, a fait un livre chez Aubier, dont je ne sais pas s’il n’a pas disparu aussi… — Il est réédité maintenant ? Bon, alors tout va bien — qui s’appelle Le discours et le symbole [1962], et la deuxième partie de Le discours et le symbole est un assez long compte-rendu des thèses principales de Guillaume. Il vaut mieux, je me dis, il vaut mieux que vous lisiez du Guillaume que [137 :00] Ortigues, quoi que ce soit excellent, Ortigues, mais faute de Guillaume, lisez la seconde partie de Ortigues, voilà. Et moi, j’essaie de vous dire ce que je… Hélas, il ne dit pas le plus simple, Ortigues. Et le plus simple de la linguistique de Guillaume, c’est ceci, et vous allez voir pourquoi ça ne plaît pas beaucoup aux linguistes. Je vous dis le plus simple, hein, et puis…

Guillaume nous dit à peu près : un mot, ou bien — ne jouons pas, ne cherchons pas trop de rigueur, une unité significative minimale, si vous préférez, un monème, au sens où on a vu précédemment ; on a vu [138 :00] que le monème ne se confondait pas avec le mot, mais ça ne fait rien, pour simplifier on dit un mot — eh ben un mot, comme unité significative, dans tous ses emplois, n’a qu’un seul sens. [Pause] Ah, c’est une étrange… — c’est le dernier des grands linguistes philosophes, Guillaume, c’est curieux, hein ; non, ce n’est pas curieux, c’est normal — Un mot dans toutes ses acceptions, il n’a qu’un sens. Ce sens, dit-il, nous allons l’appeler « signifié de puissance ». [Pause] [139 :00]

Seulement voilà, ce mot [Pause] — je dis bien : dans tous ses emplois dans le discours — il n’a qu’un seul sens. Seulement d’après tel ou tel emploi, ce mot opère une certaine « visée » sur le signifié de puissance. [Pause] Il exprime un certain point de vue sur le signifié de puissance ou, si vous préférez — alors là, vous allez sentir quelque chose qui vous est familier, ou qui devrait vous être familier, je parle pour ceux qui étaient là les autres années — il opère une certaine « coupe » [140 :00] du signifié de puissance ou sur le signifié de puissance. Je veux dire, tiens, voilà une idée. C’est un peu comme, il prend une image, un instantané du signifié de puissance d’après son emploi dans le discours. Vous me dites en chœur, oh, que c’est curieux, ce linguiste n’est-il pas bergsonien ?

Vous voyez, il y a un signifié de puissance, le mot n’a qu’un signifié de puissance quels que soient ses emplois, mais d’après son emploi dans le discours, il opère comme une coupe, comme une image instantanée du signifié de puissance. En tant qu’il opère une telle image instantanée, en tant qu’il prélève une « coupe » du signifié de puissance, [141 :00] il a, dans le discours, un « signifié d’effet ». Le signifié de puissance est hors discours. Un mot, dans tous ses emplois dans le discours, n’a qu’un sens, son signifié de puissance. Ce signifié de puissance est donc hors discours. Mais le mot, d’après son emploi dans le discours, opère une coupe, une vision instantanée du signifié de puissance ; il se charge d’un signifié d’effet. Le signifié d’effet exprime la coupe que le mot opère sur le signifié de puissance d’après son [142 :00] emploi dans le discours, d’après tel ou tel de ses emplois dans le discours.

Qu’est-ce que ce sera, le signifiant ? Alors il a beau dire, Guillaume, « je généralise Saussure » ; vous devez sentir que ça va être tout à fait autre chose. Le signifiant selon Guillaume, c’est uniquement le mot, c’est-à-dire le signe, l’unité significative, le signe pris avec son signifié d’effet. [Pause] Voilà ce qu’est le signifiant. Et le signifié d’effet, ce n’est qu’une image provisoire, instantanée, prélevée sur le signifié de puissance, qui, lui, est hors [143 :00] discours, c’est-à-dire qui, lui, est pré-signifiant. [Pause] Vous allez me dire que c’est obscur, j’aime bien commencer par le plus obscur parce que l’exemple va devenir lumineux.

Alors vous vous rendez compte où il en est, et à quel point ça doit nous réjouir. Vous devez sentir que pour nous, ça va être une solution inespérée, c’est le Salut qui nous vient. Je dis pour le moment : le signifié de puissance de Guillaume, je ne dis pas que ça équivaut à la matière de Hjelmslev ; je dis que c’est une détermination particulièrement concrète de la matière de Hjelmslev, telle que on peut l’interpréter. [144 :00] La matière ou le sens de Hjelmslev, là où le signe va jeter son filet, c’est exactement la même chose. L’un nous dit : la forme, c’est-à-dire le signe ou le signifiant, la forme va projeter son filet sur la matière ou le sens. L’autre nous dit : le signe, d’après son emploi dans le discours, va opérer une coupe, va nous donner une image instantanée du signifié de puissance, qui, lui, est pré-signifiant, c’est-à-dire : préexiste au discours. [145 :00] C’est une matière idéelle qui préexiste au discours, et on ne pourrait pas parler sans elle.

Vous pensez si les linguistes détestent un truc comme ça. Je ne pourrais pas parler… mais c’est la résurrection de la philosophie ! C’est la philosophie qui a tourné la linguistique et qui lui, et qui lui arrive dans le dos. Quelle merveille ! Ils n’aiment pas, ils n’aiment pas du tout Guillaume ! Ah, c’est une drôle d’histoire, ça. Ils détestent Guillaume. Ils disent, mais qu’est-ce ça veut dire tout ça ? Ils disent, ce n’est pas raisonnable, Guillaume. Ils disent, c’est un très bon linguiste, mais si on supprime son affaire de signifié de puissance. Évidemment ! Ils n’en ont rien à faire du signifié de puissance. Mais Guillaume, lui, il en a à faire, alors, qu’est-ce que c’est le signifié de puissance ? On n’a même plus le choix. [146 :00] Il dira aussi bien — car il aime bien les mots, c’est très mystérieux hein, très mystérieux, Guillaume — il dit parfois : c’est du psychisme signifié. Alors ça met les linguistes hors d’eux : oh, ben oui, il nous ramène à l’idée d’une vie psychologique ineffable, qui précède le langage. C’est du psychisme signifié. Eh oui, il dit bien que ça précède le langage, le signifié de puissance précède le langage, eh oui ! Mais il ne dit pas qu’il précède le langage en fait, il dit qu’il précède le langage en droit et que c’est le corrélat idéel du langage. On ne pourrait pas parler s’il n’y avait pas… Alors les linguistes disent : c’est de l’idéalisme, c’est de la philosophie. Ouais. C’est de l’idéalisme, et c’est de la philosophie. C’est du matérialisme aussi, [147 :00] hein ? C’est une matière, mais c’est une matière idéelle. Ça va de mieux en mieux. Ouf !

Un exemple : les études concrètes de Gustave Guillaume — je dis chaque fois Gustave pour que vous ne confondiez pas, parce qu’il y a un psychologue qui s’appelle Paul Guillaume. Alors ne croyez pas que c’est le même surtout. Il y a Paul, et il y a Gustave. Paul, il faisait des trucs sur les rats, et c’est un psychologue de l’intelligence, et Guillaume, Gustave, ce n’est pas la même chose : — les études concrètes vont porter sur deux choses, principalement. Mais ça porte sur deux grands types d’études, les études sur les langues à articles, et les études sur le verbe. [148 :00] Encore une fois, ça ne se ramène pas à… Bon, qu’est-ce qu’il va faire ? Il va dégager des procès. On est en plein dans notre problème. Est-ce qu’il y a des procès sémiotiques non langagiers, non linguistiques ? On ne peut pas dire mieux. C’est mon problème ; en tout cas, c’est mon problème, acceptez que ce soit le vôtre. Voilà ce qu’il nous dit : prenez les deux formes de l’article en français, l’article défini, « le », l’article indéfini, « un ». [Pause] Voilà. Vous allez tout comprendre, vous allez tout comprendre. [Deleuze se déplace vers le tableau tout en parlant] Je pourrais vous laisser après que vous aurez [149 :00] compris, mais alors la prochaine fois, il faudra repartir là-dessus, ça ne va pas être rien, parce que… oui, enfin, on aura des lendemains meilleurs… il n’y a plus de Guillaume ! Voilà.

Il nous dit – ne cherchez pas trop encore à comprendre –, l’article indéfini « un », il est inséparable d’un mouvement de « particularisation ». [Pause] C’est-à-dire, « un » est un mot, ou si vous préférez un monème, ou si vous préférez une unité significative, qui particularise — [150 :00] un homme ; [Pause] « le » — vous sentez que ce n’est quand même pas l’atmosphère de Saussure, ni de Hjelmslev, c’est… et pourtant c’est de la pure, là c’est de la linguistique — « le », il se trouve, comme ça, est inséparable d’un mouvement de généralisation, « l’homme est mortel ».  « J’ai rencontré un ami », voilà : particularisation ; « l’homme est mortel », [151 :00] ou, alors pour regarder, « tous les hommes sont mes amis », c’est une généralisation, ça. Voilà. [Pause] Eh ben, ça suffit, [Deleuze rigole] ça ne s’en tient pas là, mais ça suffit pour que vous compreniez.

Qu’est-ce que c’est, le signifié de puissance ? Ben oui, et pourquoi le signifié de puissance, c’est du psychisme signifié ? Le signifié de puissance, c’est le mouvement. [Pause] Vous vous rendez compte ? Pour nous, mais quelle confirmation, alors. On traînait, on a fait tout ça, des années, hein ? C’est ça, les rencontres, [152 :00] sans savoir que… On le savait, mais on n’en avait pas besoin, à ce moment-là. Est venu le moment où on en a besoin. C’est un jour de fête, ah ! Là c’est le moment, c’est le moment de se servir de Guillaume. Avant, avant, on n’avait pas besoin. Et puis il faudra, hélas, se séparer de Guillaume, parce qu’il n’a pas bien fait ses procès, moi je crois.

Mais bon, voilà les deux procès : procès de particularisation, correspondant à l’article indéfini ; procès de généralisation, correspondant à l’article défini. Vous y êtes ? C’est ça, le sens, ou le signifié de puissance. C’est ça. Quel que soit… quel que soit son emploi dans le discours, [153 :00] l’article indéfini « un » a pour signifié de puissance la particularisation comme mouvement. Quel que soit son emploi dans le discours, l’article défini « le » a pour signifié de puissance le mouvement de généralisation comme mouvement de pensée. Vous voyez, il définit des procès au sens où un procès ou processus, c’est un mouvement comme mouvement de pensée. C’est ça, le signifié de puissance. [Pause]

Maintenant, imaginez. [Pause] Deux formules [Deleuze écrit au tableau pendant ce développement] : [154 :00] « L’ami que j’ai vu », je le mets là, c’est un article défini. Je le mets là, n’importe où, je le mets là, je vais vous dire pourquoi je le mets là. « L’ami que j’ai vu ». [Pause] « L’homme est mortel », je le mets là. Ce sont deux emplois de l’article dans le discours. « L’ami que j’ai vu », [Deleuze tape au tableau] c’est un point de vue sur le mouvement de généralisation. C’est le mouvement de généralisation [155 :00] saisi, je pourrais presque dire, à son degré le plus bas. [Pause] « L’ami que j’ai vu », ça veut dire, je n’en ai vu qu’un, mais faisant partie des amis que j’ai. C’est un degré de généralisation tout proche de la particularité. Et en effet, le mouvement de généralisation, il part du particulier. Donc, c’est un stade tout près de l’origine. [Pause ; Deleuze écrit sur le tableau] « L’homme est mortel », c’est un point de vue sur le mouvement de généralisation, mais cette fois, tout proche de la fin, du sommet de la généralisation. [Pause] [156 :00] Je passe de l’autre côté. Je dirais que — quel était mon premier exemple ? — « l’ami qui est venu »…

Hidenobu Suzuki : L’ami que j’ai vu…

Deleuze : Non… Oui, « l’ami que j’ai vu », est un signifié d’effet qui correspond à un point de vue déterminable sur le signifié de puissance de l’article défini. Le signifié de puissance, c’est le mouvement de généralisation dans son ensemble, « l’ami que j’ai vu » [157 :00] [Deleuze tape au tableau] est un point de vue, une coupe dans ce mouvement, coupe prise, coupe proche de l’origine. C’est beau, ça, c’est beau. Drôle de linguistique, vous devez sentir que quelque chose est en train de se passer. Bon. Là-haut, au contraire, je ne recommence pas, hein, [Deleuze tape au tableau] c’est tout là-haut, c’est tout proche de « l’homme est mortel », c’est la généralisation maxima. C’est donc en haut, mais c’est également un point de vue pris. Voyez ce qu’il est en train de nous dire. Mais, du point de vue du signifié de puissance, vous ne pouvez jamais empêcher que chaque point de vue communique avec les autres et que le signifié de puissance entraîne tous les points de vue qu’on peut prendre sur lui dans le discours. Et le discours à chaque fois, il opère… [Interruption de l’enregistrement] [2 :37 :58]

[Tout en se trouvant ici dans cette transcription, ce fragment fait partie de la séance suivante aux minutes 85-86] [158 :00] … je disais d’abord premier doute : la sémiologie cinématographique m’apparaissait fondée sur trois points. J’avais des doutes sur chacun de ces points. Le premier point, c’était : la narration qu’on nous présentait comme un fait. [Pause] À quoi il me semblait que la narration n’était jamais un fait, ce n’était ni une donnée de l’image ni l’effet d’une structure sous l’image, mais c’était le résultat… voyez, que là… [Interruption de l’enregistrement] [2 :38 :52]

… j’essaie de construire un – non, je ne peux pas — « Un ami est venu », hein ? [159 :00] là, [Deleuze tape au tableau] je prends « un » au degré le plus haut de son signifié de puissance, c’est-à-dire du mouvement de particularisation. [Pause] Si je dis « un homme est toujours mortel », au contraire, je le prends à l’origine du mouvement de particularisation. [Pause] Si vous faites le tableau — je ne vais pas vous accabler parce qu’on verra la prochaine fois si on est tous assez en forme — si vous faites un tableau des  [160 :00] positions, c’est-à-dire des signifiés d’effets, découpable par les occurrences d’un signe, des occurrences d’un mot sur le signifié de puissance, vous verrez qu’il y en a qui se correspondent, [Pause] de telle manière que vous me dites : mais quelle est la différence ? Je dis « un homme est faillible », et je dis « l’homme est faillible ». Je peux dire les deux. « Un homme est toujours faillible », « l’homme est faillible », « un homme quelconque est faillible », « l’homme est faillible ». [161 :00] D’accord, ils se correspondent, mais ils n’opèrent pas la coupe du même mouvement, du même signifié de puissance. Ils n’opèrent pas la coupe du même signifié de puissance. [Pause]

Exemple, exercice pratique, pour la prochaine fois : faut-il dire « je fais de la soupe » ou « je fais la soupe » ? C’est de la linguistique, ça. « Je fais de la soupe », « je vais te faire de la soupe », ou « je vais te faire la soupe » ? [Pause] [162 :00] Quel problème ! Ça se correspond. [Pause] « Je fais la soupe », c’est évidemment pris dans un instantané sur un mouvement de généralisation. Ici, maintenant, je fais la soupe, comme pour toutes les fois, comme c’était hier et comme ce sera demain. Je fais de la soupe, alors, là, c’est pris dans un mouvement de particularisation. Si bien que, deux stades, si j’ose dire, deux points de vue immobiles fixés dans le discours peuvent se correspondre, mais être prélevés sur deux signifiants de puissance opposés, sur deux mouvements de pensée opposables. [163 :00] Vous comprenez ? Ouais ?

Un étudiant : Ça me paraît significatif que vous ayez… [propos inaudibles]

Deleuze : Oui, sinon ça glisserait, mais tu as raison complètement d’ajouter ça, parce que je peux supprimer toujours, et assister au glissement. Et là, j’aurai de nouvelles positions.

L’étudiant : Alors que pour « l’homme est faillible », il n’y a pas besoin de…

Deleuze : Pour « l’homme est faillible », oui, mais pour « l’homme que j’ai vu », il y a aura aussi une infinité, une infinité d’intermédiaires entre l’origine et la fin, et ce qui est l’origine du mouvement de particularisation correspondra à ce qui est la fin du mouvement de généralisation, et ce qui est la fin du mouvement de particularisation correspondra à ce qui est l’origine du mouvement de généralisation. [164 :00]

Alors, je conclus juste. Voyez que, là, on commence à avoir une approximation de ce qu’est cette matière mystérieuse. Elle est sémiotiquement formée mais non linguistiquement formée. La linguistique est uniquement déterminée et définie par l’ensemble du signe et du signifié d’effet. Il renvoie à un corrélat, pure matière en mouvement, pure matière-pensée en mouvement ; je dirais presque, unité de la matière, de la pensée et du mouvement, qui est le signifié de puissance, et qui, lui, n’est pas linguistiquement formé, mais est sémiotiquement formé puisqu’il se définit par des processus. [165 :00] Simplement, processus qui n’ont strictement rien à voir avec processus de la langue, ou processus de langage. Ouais ? On verra que, en plus, il va faire une opération du même type sur le temps. Ce n’est quand même pas par hasard que, là, on a le cas de l’image-mouvement, avec le verbe. On va avoir le cas d’une image-temps qui, à son tour, va être traitée sémiotiquement, et non pas linguistiquement.

Alors, on approche de ceci… non. Ma conclusion, c’est, en effet, non, ce n’est pas un proto-langage. Non, l’image cinématographique comme image-mouvement et comme image-temps n’est pas, ni un langage comme le dit la sémio-critique, ni une langue comme le disaient les pionniers, ni une langue de la réalité, sauf en un sens [166 :00] très particulier, qui est peut-être bien celui de Pasolini, car la langue de la réalité, c’est précisément cette matière sémiotiquement formée et non linguistiquement formée. Alors si c’est ça, en effet, il faut parler d’une langue de la réalité. Mais ce qui devient gênant, c’est l’emploi du mot « langue ». En fait, c’est une condition comme a priori, une condition en droit, de la langue et du langage. Voyez pourquoi le langage la suppose, toute langue et langage la suppose, puisqu’elle va opérer, précisément, ses prises, ses prises instantanées sur — d’après le contexte, c’est-à-dire d’après les opérations de syntagme et de paradigme — ses prises sur le signifié de puissance. Mais le signifié de puissance, rien du tout : il n’a strictement rien à voir avec les opérations de syntagme et de paradigme. [167 :00]

Avez-vous compris ? J’ai un besoin absolu que vous ayez compris, mais un besoin comme… vous ne savez pas à quel point. Ouf. Ouais ? On n’en peut plus, hein, je n’en peux plus, moi. Vas-y. [Désormais, on entend les bruits des étudiants qui s’en vont pendant que Deleuze répond]

Un étudiant : Est-ce qu’on ne pourrait pas, analogiquement, faire le même schéma sur les types de discours ?

Deleuze : Sur les… ah si, oh, tout, on peut tout faire. Je veux dire, je veux dire avec ce schéma, il s’est donné… là, c’est encore un schéma, et encore une fois, selon, le schéma changera à chaque fois.

L’étudiant : … direct, indirect…

Deleuze : C’est évident, c’est évident, là c’est… ah, oui, mais là, ça ferait partie des personnes, ça ferait partie des personnes plus que des articles, ça ferait partie des pronoms personnels, ça. [168 :00] Ça ferait partie du mouvement des pronoms personnels, d’un signifié de puissance propre au pronom personnel. [Fin de la séance] [2 :48 :08]

 

Notes

For archival purposes, the augmented version of the complete transcription with time stamp was completed in September 2021. Additional revisions were added in February 2024. The translation was completed in October 2025.

Lectures in this Seminar

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Reading Date: October 30, 1984
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Reading Date: November 6, 1984
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Reading Date: November 13, 1984
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Reading Date: November 20, 1984
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Reading Date: November 27, 1984
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Reading Date: December 11, 1984
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Reading Date: December 18, 1984
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Reading Date: January 8, 1985
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Reading Date: January 15, 1985
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Reading Date: January 22, 1985
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Reading Date: January 29, 1985
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Reading Date: February 5, 1985
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Reading Date: February 26, 1985
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Reading Date: March 5, 1985
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Reading Date: March 12, 1985
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Reading Date: March 19, 1985
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Reading Date: March 26, 1985
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Reading Date: April 16, 1985
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Reading Date: April 23, 1985
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Reading Date: April 30, 1985
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Reading Date: May 7, 1985
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Reading Date: May 14, 1985
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Reading Date: May 21, 1985
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Reading Date: May 28, 1985
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Reading Date: June 4, 1985
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Reading Date: June 18, 1985
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March 12, 1985

The point of departure for semiocriticism, I insist on this: cinema’s basis is not movement; it’s narration. For they absolutely need this, because if they said cinema’s basis is movement, at that point, we understand that there would be no more semiocriticism, that is, there would be no linguistic point of view on cinema, or at least the linguistic point of view on the cinema would appear under completely different conditions. What seemed to us to be the basic act of semiocriticism is very deliberately their putting movement in parentheses by saying: “it’s not movement that can define the cinematographic image”. They do not deny that the cinematographic image is in motion, but once again, they go so far as to say that this is not what distinguishes the cinematographic image from the photo. The distinction between the cinematographic image and the photo, according to [Christian] Metz — here the texts are formal, however astonishing they may be – it’s that the cinematographic image is narrative while the photo is not narrative.

Seminar Introduction

As he starts the fourth year of his reflections on relations between cinema and philosophy, Deleuze explains that the method of thought has two aspects, temporal and spatial, presupposing an implicit image of thought, one that is variable, with history. He proposes the chronotope, as space-time, as the implicit image of thought, one riddled with philosophical cries, and that the problematic of this fourth seminar on cinema will be precisely the theme of “what is philosophy?’, undertaken from the perspective of this encounter between the image of thought and the cinematographic image.

For archival purposes, the English translations are based on the original transcripts from Paris 8, all of which have been revised with reference to the BNF recordings available thanks to Hidenobu Suzuki, and with the generous assistance of Marc Haas.

English Translation

Edited

 

Jean-Luc Godard’s Pierrot le fou

Deleuze pursues the study of Metz’s semiocriticism (cf. previous session) by recalling the three basic elements of Metz’s semiocriticism, notably cinematographic language existing through a double articulation (monemes and phonemes) according to syntagmatic and paradigmatic relations, detailing the eight autonomous segments of Metz’s Grand Syntagmatic. He notes Metz’s movement away from Hollywood’s “cinema of narration” toward “New Wave” while ironically maintaining that this cinema is absolutely narrative as well. Noting Robbe-Grillet’s term “dys-narrative”, Deleuze argues that the paradigm wins over the syntagma in this cinema and then develops the “codes” that work through the cinema image, with code(s) of montage as  all-encompassing. Based on this outline, Deleuze starts to explain his misgivings about Metz’s perspective, first, regarding narration as so-called “fact” with the complete elimination of movement; second, regarding the cinematographic image as an analogical statement or image. [Much of the later development corresponds to The Time-Image, chapter 6.]

 

Gilles Deleuze

Seminar on Cinema and Thought, 1984-1985

Lecture 15, 12 March 1985 (Cinema Course 81)

Transcription: La voix de Deleuze, Charline Guillaume (Part 1), Charlène Thevenier (Part 2) and Nadia Ouis (Part 3); additional revisions to the transcription and time stamp, Charles J. Stivale

Translation: Graeme Thomson & Silvia Maglioni

 

Part 1

Deleuze: Ah, a third interview? Well, we do have a specialist on the subject here, though he’s a very critical one. But he doesn’t want to be interviewed, so I respect that, I can’t do otherwise, I respect his wishes. But is there anyone else here who knows something about this field of semiocritique? Is there? Well…

Student: You can phone [André] Martinet…

Deleuze: Phone Martinet? But does Martinet work on cinema? I don’t know. Well, then, no takers? Come on. Who knows something about these texts of semiocritique? Listen, there’s something you’re not telling me, there are certainly people here who know more than I do. All right, then. How’s your work going?

Student: Me?

Deleuze: Yes.

Student: Yes, it’s going fine.

Deleuze: That’s good, but perhaps you’d care to intervene?

Student: Yes, maybe, I’ll intervene.

Deleuze: Really?

Student: Ah yes, but not on semiocritique.

Deleuze: Ah, not on that?

Student: No, on the problems of narration, yes, but not on semiocritique.

Deleuze: Ah well, it’s the same things, narration is the same thing! So, you’ll speak, and I’ll interview you, right? No?

Student: Yes, yes, yes.

Deleuze: So, I’m going to finish my thing on semiocritique, and then I’ll recount the profound doubts I have, and then I’ll interview you.

Student: You mean today?

Deleuze: We’ll see how long it takes, won’t we? You know, I…

Student: But I… I’d prefer to do this next time, I have to study.

Deleuze: You have to study? But this is your subject. Ah, we’ll see… Anyway, if you’ve got something to say, you stop me, okay? Right away? And that goes for everyone else, that’s all I ask.

So, do you remember where we were? In this business of semiocritique as founded by Christian Metz, there are three, three things that come into play, three basic elements that come into play. So, I was saying: a fact, a fact considered as historical. The historical fact is that cinema was constituted as a narrative cinema. This is the fact of Hollywood. Second element, which is no longer a fact, but what I called – if only to better justify it – an approximation. If the fact of cinema is its constitution as a narrative cinema, then the cinematographic image can be likened to a statement.

Clarification, which must be given immediately: is this a statement of language or is it the statement of a language? No. Once again, I insist on the caution, or at least the apparent caution, of Metz’s approach. It’s not about the statement of a language. What is a statement that is not a statement of a language? It’s a statement that we would call analogical or iconic, that is, a statement that operates by resemblance rather than by discrete or discontinuous conventional units. A language operates by discrete or discontinuous conventional units that correspond to language statements. Iconic or analogical statements, on the other hand, operate by resemblance. So, it’s in this sense that I say there’s an approximation. The cinematographic image is a statement by approximation or, if you prefer, it’s an analogical or iconic statement.

Third element: since the cinematographic image is a statement, we can apply linguistic procedures to it, even though it is not itself a statement of a language. We can apply to it linguistic procedures that we can apply to any kind of statement. What are these linguistic procedures? As we saw last time, they are the syntagm and the paradigm, or rather the syntagmatic and paradigmatic relation that we’ve defined… I remind you, the syntagmatic relation being the conjunction of any units which are present, so as to form a statement, while the paradigmatic relation is the disjunction of present units with absent units that are comparable in any respect, or in variable respects. So, I suppose, this is all quite clear. If there’s anything that isn’t clear, I should just add that if you want to understand the rest, you’re going to need to have all this clear in your mind.

Let me add that you can see how Metz developed his thesis: the first great filmmakers and the first great film critics regarded cinema as a language. It was the idea of the universal language. This is a naive stage. In philosophy, as I was saying, it’s what we’d call a “dogmatic” or “pre-critical” stage. Why is it not like this? Because a language is defined very precisely. A language is defined very precisely by the existence of a double articulation, and language is the only thing that fits this definition: the existence of a double articulation, that is to say, two levels of articulation, a first level that concerns so-called meaningful units or monemes, a second level that concerns distinctive units or phonemes. Language exists when you have these two levels and they are fixed and non-interchangeable. Cinema in no way presents us with this phenomenon of double articulation. Cinema is not a language.

On the other hand, cinema is a language system, hence Metz’s great formula: cinema, language system without language. Why is cinema a language system? Because, of course, its statements are non-linguistic They are analogical or iconic statements. But paradigm and syntagm are rules of usage that concern, on one hand, the statements of language, but on the other, they are not confused with these statements of language and may apply to any statement, whether linguistic or not. So, there are rules of language use that apply to the non-linguistic statements of cinema. Which means something very simple: syntagms and paradigms, as Metz is always saying, are notions whose origin is linguistic, that is to say, they are rules of usage that apply first and foremost to the units of language, phonemes and monemes, but which can also apply to all kinds of other expressions, to non-linguistic expressions.

For example, if we can identify syntagmatic and paradigmatic rules that concern not phonemes and monemes, but the parts of a garment, we can say that clothing or fashion is a language system without language, that is, a set of non-linguistic statements, yet one that is subject to the language rules of paradigm and syntagm. You see, paradigm and syntagm are not the same thing as the essential characteristics of language. They are rules of usage of the elements of language, but they have a much greater extension than the elements of language. They apply not only to the elements of language, but to other things too. What else they apply to… we will call a language system without language.

In this sense, fashion is a language system without a language. There can be a language system of flowers. There will be a language system of flowers if you can identify paradigms and syntagms that apply to flowers, which will then be and will then form non-linguistic statements or, what amounts to the same thing, language systems without language. I’d speak in terms of a non-linguistic statement if I’m thinking of the analogical character of the statement; I’d speak of a language system without language if I’m thinking of the rules of syntagmatic and paradigmatic usage that apply to these data. That’s what you need to understand. So, we will never be seeking the characteristics of a language in cinema. Contrariwise, what we will be seeking are the syntagmatic and paradigmatic rules to which the iconic images of cinema are subject.

Hence my appeal, my anguished appeal to you: is all this perfectly clear? Everything else depends on that… if you, if you don’t, if this isn’t very, very clear, you won’t be able to understand the rest. You won’t be able to understand these profound doubts of mine, you won’t be able to understand all that.

Student: I’d like to understand, but I have a very naive question. In the… [inaudible word] movement, can’t we say… [inaudible remarks]?

Deleuze: No, no, that certainly can’t be said, it seems to me, because the fact that it moves doesn’t indicate any element; double articulation in the linguistic sense isn’t just any kind of articulation. For example, when I speak, I articulate. But that’s not what double articulation in the linguistic sense is about. Double articulation in the linguistic sense means that there are two levels involving discrete, that is, discontinuous, units of different natures. Some can be assigned as phonemes, meaning they are distinctive elements, elements that enter into a relation of distinction with one another. For example, /b/ and /p/. And the other articulation implies that with these distinctive elements, we form meaningful elements, for example billard [billiard table] and pillard [looter]. So, in a very general sense, we can say that movement is an articulation. But we can’t say, in the linguistic sense of the word “articulation”, that movement is an articulation.

Student: Does this mean that movement is the prerequisite for articulation, as in the very relationship of… [inaudible word]?

Deleuze: Oh, yes, but you’re ahead of me, in other words, you’re taking a radically anti-semiocritical stance, because if you remember… were you here last time?

Student: Yes.

Deleuze: The starting point of semiocritique, and I insist on this, is that the fact of cinema is not movement but narration. Because this is what they fundamentally require, since if they were to say that the fact of cinema is movement, it’s clear that at that point, there would no longer be any semiocritique, in other words, there would be no linguistic point of view regarding cinema, or at least the linguistic point of view on cinema would appear under completely different conditions. What seemed to us to be the basic act of semiocritique is their deliberate bracketing of movement, in saying that it is not movement that defines the cinematographic image. They don’t deny that the cinematographic image moves, but once again, they go so far as to say that this is not what distinguishes the cinematographic image from the photograph. The distinction between the cinematographic image and the photograph, according to Metz – and here the texts are quite formal, as astonishing as they are – is that the cinematographic image is narrative, while the photograph is not.

So, your point of view, which demands that we take movement back into consideration as a fundamental character of the image, already lies outside the way he poses the problem in terms of semiocritique.

 

Student: Yes, in fact that’s exactly why I don’t understand how the problem is being posed.

Deleuze: But of course, I think, or at least I hope, you do understand it. You may not agree with it, but you understand it perfectly well.

Student: It’s like he’s saying, that the language system, that the language system… [inaudible words] in people to the liberation of… [inaudible words]

 

Deleuze: The liberation of what?

Student: [Inaudible remarks]

 

Deleuze: I’d say that for them, it’s not the same plane. That linguistics as a science, obviously, only begins, from the moment that we consider language independently of the conditions of possibility to which it can refer regarding the hand-face relation. They wouldn’t hesitate to focus on that, would they?

Student: I have a question I’d like to ask you: when you define… when you say that cinema is a language system without language, does that mean you’re necessarily saying that language… that language itself is not itself also an image. In other words, you’re excluding from language its tendency towards a limit. But if we define a language system, if we give a language system, or language, a Cratylic, or Cratylian, definition… like Socrates in Cratylus, there’s nothing to prevent us from considering that cinema is at the same time a language and a language system. The second question… concerns the notions of paradigm and syntagm. The whole problem is to know whether the notions of paradigm and syntagm have an irreducibly linguistic meaning, or whether we need to extend them, extend their meaning to other domains, and extend their sense of application to other domains.

Deleuze: It’s a huge question, I’ll answer that later.

Student: I have a question… [inaudible remarks] there are rules of paradigms and… [inaudible remarks] But there are also rules in cinema that can be said to be syntagmatic, such as characters. In a language, we accept that there are phonemes, and that could represent an idea, a moneme. But in a film, you can have an actor who not only plays but represents an idea, the idea of the character. So, can’t we just say that cinema is a language? Because there are syntagmatic rules.

Deleuze: OK, I’ll have to start again. No, these questions bother me because… Well, I’ll try to come back… First of all, regarding the first question I was asked, please don’t refer this to me. Let me remind you that, for my own purposes, I’m just reporting a thesis that doesn’t pertain to me in any way. So I’m not the one who’s suggesting this or that. At the point I’ve reached, I can do nothing other than go through an exposé of what we call semiocritique. So, it’s semiocritique I’m talking about. So the question of whether we agree or disagree, for each of you and for me, doesn’t arise because we’re simply trying to understand what they’re saying.

My second remark is that, at the point we’ve reached in the analysis, to say that, since the cinema image or anything else could be subject to a syntagmatic and a paradigmatic, it would be a language… this worries me even more, because it means you haven’t been following me at all – and this isn’t a reproach – in what I’ve been trying to say about the difference between a language and a language system, as it is understood by linguists today.

As for invoking Plato, mimesis, or even more, in the other intervention, invoking Ideas, if I understand correctly, that could be expressed, all this implies… it’s as if in your head, what I thought I’d succeeded in last time, that is, to determine what language is, had completely failed. Because I would say that at no point do Ideas or concepts intervene. Let me start again. A language… I’d like you to follow me. We mustn’t invoke Plato, for example, since Plato does not, as far as I know, propose to distinguish between language and language system. So, it’s very difficult to invoke an author in terms of a problem he never posed and which is not his own. Let’s be clear… [Recording interrupted] [26:27]

… and there is a no less important and perhaps even more important distinction to be made between language and language system. The two distinctions are not the same. If we try to say what the language-language system distinction is in modern linguistics, perhaps it can be formulated in several ways, and as I said, the most convenient way, it seems to me, is this:

Language is defined by a system of double articulation. First articulation: meaningful units. Meaningful units are made up of a signifier and a signified. We could call the signified an Idea or concept, but it’s not this that comes into play. What intervenes is – and this isn’t considered in language – what intervenes in language is at a first level, a first articulation, the articulation of meaningful units that we’ll call monemes. Whether a moneme corresponds to one concept or several concepts is a question we’ll leave to one side. That’s not what defines language. What defines language is a first level of articulation involving meaningful units.

But this isn’t sufficient to define language. To define language, a second level of articulation must be added, which is to say that these first-level units must be based in some way on second-level units. These second-level units are called phonemes. They are non-meaningful units. So, the very essence of language is to make the non-meaningful meaningful. Phonemes are not meaningful, they are merely distinctive. In other words, a phoneme is defined in relation to other phonemes, from which it differs in this or that respect, for example voiced-unvoiced, unvoiced phonemes and voiced phonemes, plosives and fricatives, whatever you like, which are purely distinctive units with no meaning whatsoever. We’re told that there is language when we have such a system of double articulation. We’re told that only language has this system, plus the telephone number code in some but not all cases.

So this is what defines language. If you don’t have a double-articulated system of this type, meaning, such that the two levels are fixed and non-interchangeable, you don’t have a language and you don’t have the right to speak about language. If you tell me that Plato spoke about language in other conditions, I don’t know, because I don’t even see a language-language system distinction in Greek philosophy, at first glance anyway. I don’t see it. I do see a distinction between language and speech. What I don’t see in Greek philosophy is a distinction between language and language system. Not that they lacked one, it’s their own business, but they didn’t need it, that’s just the way it is.

Now we move on to language system. How is a language system defined? As I said, the simplest way would be to say that a language system is defined by its rules of usage. Concerning what? Concerning two aspects: combinatorial possibilities and selection. Or, if you prefer, connection and selection. Why is this? Because you need rules of usage to know which meaningful units – hence my return to language – which meaningful units can be combined with one another, and which cannot. You need rules of selection to know when and why a particular word or unit is chosen rather than another. So, language, as we’ve just defined it, requires rules of usage for the units of the two articulations.

Think about something very simple: a given language doesn’t have an infinite number of phonemes. And what’s more, languages are distinguished from each other by the phonemes they use, before being distinguished by the meaningful units they construct. Okay. You can make phonemic tables corresponding to this or that language. A language system therefore consists of the rules of combination, combinatorial possibilities and selection that apply to the units of language. These rules are called syntagmatic rules and paradigmatic rules. Syntagmatic rules are rules of combination, while paradigmatic rules are rules of selection. Example: did you say billiard or pillard? I use a paradigmatic rule. If I say: the pillard has taken the boat, I use a paradigmatic rule… sorry, a syntagmatic rule. I combine phonemes at their level and monemes at their level. This is the second point. So, we’ll define language system by the determination and practice of syntagmatic and paradigmatic relations, conceived as rules of usage.

Third and last point: syntagms and paradigms – I say this to abbreviate from syntagmatic rules and paradigmatic rules – syntagms and paradigms concern the elements of language. The question is: do they concern other things? Do they concern other data? Somebody might say, no. If they don’t concern other data, I’d say that language is the only language system, because syntagms and paradigms as rules of usage define language. If they only concern the data of language, I’d say: language is the only language system. Right. Suppose I was able to define syntagms and paradigms in terms of rules of combination and rules of selection relating to data other than the data of language, that is, the two types of unit taken in double articulation. If I can define syntagms and paradigms that give, that bear upon data other than the data of language, I would say that there are language systems without language. They are without language because the data do not pertain to language. Yet they are language systems because these data are subject to syntagms and paradigms.

Such data, which are therefore subject to rules of language, even though they are not, even though they are not language data, can be said to be statements, non-verbal statements. Language systems without language and non-verbal statements are strictly correlative, since non-verbal statements are data that do not pertain to language, but to which syntagmatic and paradigmatic rules of usage apply. The syntagmatic-paradigmatic rules that apply to these data which do not pertain to language… these syntagmatic-paradigmatic rules are rules of language. So non-verbal statements correspond to language systems without language, and language systems without language correspond to non-verbal statements. In this sense, you can speak about gestural language systems, mimetic language systems, you can perhaps speak about a language system of fashion, you can speak about a language system of flowers, you can speak about a cinematographic language system. Yes?

 

Student: [Inaudible remarks]

Deleuze: Can you speak a bit louder?

Student: [Inaudible remarks]

 

Deleuze: Can photos themselves be seen as a language system without language? I don’t know, I don’t know. I’ll tell you, for a very simple reason, it’s not my concern, since I don’t believe… I don’t believe in anything I’m saying here, for a very simple reason, I’m not expressing my own thoughts. It’s not my idea. When I tell you about Kant, I believe in what I’m saying. But when I tell you this, I don’t believe it, and I’ll tell you why I don’t believe it.

So, the question is rather, if I put myself in their place, would they say that photography is a language system without language? I think they would. I think they would, but then again, only some of them would. Some of them would say it on account of those theories about photograms we saw the other time, and we will come back to that.[1] I can’t really say, but in my view at least Metz would, but he has… his thinking has evolved a lot, Metz wouldn’t say it in his first version. He wouldn’t say it because, at the base of everything, there must be a narrative, and for him, photography is descriptive, not narrative. If there’s no narration… there has to be narrative data for there to be a language system without language, in other words, for syntagms and paradigms to apply. So, I think that he… but it wouldn’t seem implausible to me to create a theory of photography in which syntagms and paradigms apply. Besides, I suppose [Roland] Barthes would have said that there was a language system of photography. I’m not quite sure, but I think he would have said so.

Student: [Inaudible remarks]

Deleuze: Maybe, yes, regarding the image, yeah, maybe, maybe. Perhaps, perhaps. In any case, it’s less certain than the language system of flowers, which is… So, you can understand why Barthes wrote a book about fashion.[2] Barthes wrote a book on fashion because he felt that fashion-related data constituted a language system without language, meaning that these were statements, non-linguistic statements to which linguistic syntagms and paradigms applied, hence language system without language.

Georges Comtesse: I’d like to make a comment.

Deleuze: Of course!

Comtesse: If someone… it’s not a question, it’s simply a remark… if Christian Metz manages to define a narrative [inaudible words] and a semiotic based on linguistic definitions [inaudible words] and therefore in relation to narration, the image will be defined as an analogical image, that is, as a fact of resemblance, and so the sequence of images will be the sequence of narrative statements, passing from one statement to another. So, the point I’d like to make – and it’s not so much a question – is that Metz went back to this idea, especially in a text in Communications entitled “Beyond analogy, the image”.[3]

The question that arises, then, is not so much the question, at this point, of narration, nor even the question of the rules that might define a language system that would articulate or bind together, or rather bind together the units of a language, it’s not so much that. To my mind, it’s two things: on the one hand, what narration itself entails for there to be a narration, and secondly, a certain interpretation of language systems, but of a language system that would be defined by what narration entails. And at this point, he says the important thing, the important thing, is that – we assume, almost everyone assumes – that when we speak, when we say something, when we do something, we create a language system of some kind… we speak or we say, or we express something. What’s much more fundamental than narration is the idea that a language system is the expression of something, and that this something is therefore precisely the transcendental dimension of the language system. The language system would be interpreted as the act of expressing something.

And so, it’s from there that there could be both a possible narration and possible statements. As Metz puts it, the problem I find now is no longer simply the problem of the analogical or iconic image – that is, it’s no longer iconic, very well – the problem of the fact of resemblance. But the semiotic problem that arises in a new way is less the problem of the fact of resemblance than of what he calls the status of something. So, he distinguishes, he makes the distinction between the status of something that can occur in the statement or in the image, and then the fact that the image would resemble something or that it could be taken for something. That’s simply the point I wanted to make.

Deleuze: Oh, yes!

Countess: It’s not so much a question.

Deleuze: No, this isn’t a question, no…

Countess: But which can become one!

Deleuze: And which might become one. Because you say very well, and you understand, for once, try to understand my situation. I’m forced to explain pedagogically, because that’s my function, a language-language system distinction that I thought you all really knew by heart. I’ve been made painfully aware that it’s less well known than I thought. Grant me, just explaining that takes a good hour. You say to me, but be careful, there are texts by Metz, and you invoke “Beyond analogy”, and you allude, as you so aptly put it in a remark, to an even more complicated problem. We’re wrestling with a less complicated problem, but one with which some here are legitimately struggling.

So, you understand, I’m not ignoring your more complicated problem, we’ll get to that. What’s going to become interesting is that I’m afraid your remark will no longer be a remark, but frankly, it will become a reproach you make to me because, if I’ve understood correctly, what you grasp from the text “Beyond analogy” is completely different from the way I understand it. But for the moment, I’m unable to respond to this remark, which is a very accurate one. We’re at the very beginning, in other words, we’re dealing with the elementary foundations on which this semiotics is built. And I continue to say – I’ll even correct what I say a little when you’ve agreed to go back to the basics – well, there’s one word where I won’t follow you there for pedagogical purposes: there is no fact of resemblance. The three moments that I distinguish are: firstly, regarding the word “fact”, it only applies to the fact of a narrative cinema. It’s the fact of Hollywood, just as there is, as I said, a Euclidean fact: geometry. There’s a fact of Hollywood: narrative cinema. Here, the word “fact” is fully justified.

Secondly, the analogical or iconic statement is not a fact because, as he says, and without this he couldn’t move forward, it’s a judgment. It must be related to a judgment of resemblance, at least in the text, in the early texts, but I’m forced to start from the early texts. And thirdly, there are paradigmatic or syntagmatic rules of usage that apply to these analogical statements.

So, please, I only ask you to understand this. You understand, when it’s me… understand my situation. When it’s me speaking for myself, in the end it doesn’t really matter whether you understand or not, because the question isn’t whether you understand. The question is: do you get anything out of it, or do you get nothing at all? It’s not quite the same question. We could imagine someone who understands nothing and still gets a lot out of it, it’s difficult but that’s conceivable. It’s not… But when I’m reporting someone else’s thesis, it’s urgent for me that you understand it, regardless of value judgments, whether it be Kant or Christian Metz.

So, I’ll start again. Is that understood? I’d say that on this point, there’s nothing to discuss because that’s the way it is. I’m sorry, that’s the way it is. You can tell me that it doesn’t suit you, or that it suits you fine, that no, that you don’t like it as a set of problems, that you can’t say that you really like it, that, but that’s of secondary importance. It’s not whether you like it or not, it’s… and in any case, for linguistics in general, it’s quite important to know what they mean when they use sometimes the term language, sometimes the term language system. Because, once again, everyone knows the distinction between language and speech. But language-language system is a more important distinction, since speech can obviously only be defined by use, use in actually pronounced or pronounceable statements, or of the rules of usage. Well, that presupposes the language-language system distinction.

So, is it… is it crystal clear? Okay, so I repeat that cinema will be presented to us as a set of iconological statements, that is to say, non-linguistic statements insofar as they are nonetheless subject to the linguistic rules of syntagms and paradigms. How, you may ask, can non-linguistic statements be subject to rules of language? As we’ve seen, language rules don’t just apply to the elements of language. From then on, you’ll be talking about non-verbal statements, non-verbal statements that are statements insofar as they are subject to the rules of a language system, of paradigm and syntagm. Give me a smile. Okay, so let’s continue.

Student: There is something preventing clarity here, and that’s the smoke…

Deleuze: There you go, please stop smoking. I’ve already told you, you’ll soon have a break. Yes, speak up.

Student: In what way, according to Metz… [inaudible remarks] language-language system in cinema, if you only consider language as examples of verbal language. Verbal language… [inaudible remarks] in relation to images in cinema…

Deleuze: So, let’s be clear, because this distinction is not his, he uses this distinction. He uses it to say that cinema isn’t a language, it’s a language system without language, in other words, it’s a coupling of non-verbal statements and linguistic rules, okay? If you tell me, what’s the point of that, Metz’s answer would be that it’s the only way to make film criticism a science, that is, to go beyond mere impressionism or criticism based on feelings, or, I don’t know what else… So, to give it a scientific basis. How’s that for an answer? I think that’s what it is… or at least, if not a science, to give film criticism a method, a rigorous method.

Comtesse: I also mean that, suddenly, it’s different from the things he says about early cinema.

Deleuze: Yes, Comtesse is right. He found himself in a cultural form, that of cinema, which had been driven throughout the silent era and at the start of the talkies by the belief in cinema as a universal language. So that’s why he will call them naïve – I’d say, philosophically speaking, pre-critical. And it’s in this sense that, as I was telling you, his position is comparable to that of Kant when he practices critical philosophy, by assigning a fact and asking: under what conditions is this fact possible? There’s the fact of narration, but under what conditions? Is the fact of narration in cinema possible? Answer: on condition that analogical, iconic statements are subject to syntagmatic and paradigmatic rules… [Recording interrupted] [57:53]

 

Part 2

… Well, you’ve seen how exhausted I am, I can’t take it anymore. So, let’s get on with it, let’s get on with it because we keep having to start over. Now I’m going to go very fast, I’m going very fast, I’m going very fast because afterwards everything becomes quite simple. But what’s with these syntagmatic and paradigmatic rules? We still have to say what they are, don’t we? Well, especially since Metz attaches so much importance to them, telling us that the main secret of this discipline, semiocritique, will consist in “the large syntagmatic”. So, it’s a question of studying the rules of usage, the rules of usage to which cinematographic images are subject. So, perhaps things will become a little more concrete. He has varied his classification considerably and he says that this classification is open-ended, that it needs to be reworked and so on, but at its clearest stage, he distinguishes eight syntagms. Eight, okay? There’s no way out… eight syntagms.

But what is a syntagm in cinema? In cinema, a syntagm is what he calls an “autonomous segment”. In other words, he’s in full control of his terminology. What is an autonomous segment? If you like, in very broad terms – he states things in the simplest terms – an autonomous segment is a sequence, namely a series of shots that react upon one another. You might say that, ultimately, all sequences react upon each other – yes, more or less – which react directly upon each other. So, we’ll distinguish as many syntagms as there are autonomous segments.

First syntagm: the single shot. One might say that this single shot stands for itself. Metz makes no secret of the fact – but this is already a problem – that it’s a catch-all category, so to speak, meaning that this first syntagm, the single shot, brings together the most diverse elements. For example, a close-up can be such a syntagm, but so too can a sequence shot be this kind of syntagm. Between a close-up and a sequence shot – and here, he insists, in all his texts, he says: it’s a category I haven’t properly analyzed – but it goes without saying that in this first syntagm, there are all sorts of very different syntagms. It doesn’t matter, that’s not a problem.

Second syntagm: or the second and third together. These are what he calls “non-chronological” syntagms. He distinguishes between two kinds of non-chronological syntagms, one he calls parallel. Montage brings… – sly as you are, you make huge leaps! – montage, what is that? What’s that got to do with anything? Does the syntagm imply montage? That would be very bad, it would be awful. If the syntagm presupposes montage, his whole theory collapses, because he shouldn’t be speaking about syntagm or paradigm. He should be speaking about montage, if it’s montage that constructs the syntagms and paradigms… that’s bad. Let me reassure you, he’s thought about this. It’s not a mistake. In other words, since I’m really trying to say what’s troubling me about this whole thing, we should at least give Christian Metz the credit he deserves. I mean, there’s a type of dispute, we’ll see as we go along, which appears to be a false dispute, because he has some very good answers… but we’ll see his answer later.

But anyway, in the case of the parallel syntagm, he says that montage brings together and interweaves two or more motifs that recur in alternation. Example: a scene from the life of the rich and a scene from the life of the poor, images of calm and images of agitation. It’s important to note that these syntagms are not taken in the same action. It would be another case when they are taken in the same action. You simply have scenes of rich people’s lives and scenes of poor people’s lives which are not linked, which are not linked. This will form a parallel syntagm, images of agitation, images of calm, the city and the countryside, the sea and the wheat fields, it will be a parallel syntagm.

Second type of a-chronological, non-chronological syntagm – you see, there’s no chronological relationship between the images of the sea and the images of the land, the images of the countryside and the images of the city, there’s nothing chronological about them. In fact, there’s no common action that would enable us to say, Ah, well, that was before and that’s after. This second type is the syntagm he calls a bracket syntagm. What he calls a bracket syntagm is, it seems to me, a syntagm considered to be made up of several independent elements from the same motif. He gives other examples, but I see a very clear example, I think, in [Alexander] Dovzhenko, where there are, in I don’t remember which Dovzhenko film it is, several typical images that follow one another like this, indicating extreme cold. There’s the first image, of a poor old man who’s really sitting on his bench. You can see he’s cold. The next image, a horse that can’t move under the snow and that the farmer is whipping. Third image, and so on, but you can come up with your own examples. Images that would be typical images of cold and that follow one another, and this would be the bracket syntagm.

So, you see, we’ve already got three syntagma: the single shot syntagm, again with everything you want in it, and this is a false syntagm, a pseudo syntagm, since it’s divisible into all sorts of syntagms. And then the parallel syntagm, and then three: the bracket syntagm.

Four: the simultaneity syntagm. This is the descriptive syntagm, description as a narrative element. Example: It could be a series of images showing a house. A house, there’s a tracking shot along the house, and then the garden, the garden attached to the house. It’s a syntagm of simultaneity, since the garden and the house are supposed to coexist, to be simultaneous.

Fifth: alternating syntagm. Please note that this is not to be confused with the parallel syntagm, as the alternating syntagm is not non-chronological, but chronological. An alternating syntagm is defined by several consecutions, different consecutions, a consecution of images regarding pursuers, a consecution of images regarding the pursued. A consecution of images regarding… for example, if you think of Birth of a Nation, which featured famous alternating syntagms – images of the besieged, images of those who come to the aid of the besieged. You have an alternating syntagm, which is again very different from the parallel syntagm of a moment ago, since here we have a common action, a common action with various consecutions. So, this would be the fifth, the alternating syntagm.

Sixth: syntagm of continuous consecution. This time, there aren’t several… it’s a scene. What he calls, more precisely, a scene.

Finally, seven and eight: syntagms with discontinuous consecutions, either because the banal aspect of an action is suppressed – there’s an ellipsis of the banal aspect – or because only certain episodes of the action are presented. The seventh case will be called an ordinary sequence, the eighth an episodic sequence. Okay, so this is the large syntagmatic.

And now you will say, let’s move on to the large paradigmatic. So, you see, he’s defined, he’s keeping his promise, good or bad, it doesn’t matter. His promise was to define rules of usage that could be called syntagmatic, and which relate to the analogical statements, the iconic statements of cinema. And you see, it’s always premature, and we already find at this level… how, how does he get out of this circle, this clearly vicious circle? It’s a statement because it’s subject to syntagms, and it’s subject to syntagms because it’s a statement. That’s why he absolutely needs the cinema of narration as a basic given.

But, well, well, well, so we wait for the large paradigmatic. Or perhaps there isn’t one, and this is going to be very interesting, there isn’t one for a very simple reason. It’s because, as he says, in language, the paradigmatic can be very important, as important, and perhaps even more important than the syntagmatic. But what about in cinema? The paradigmatic is all the less important because it’s infinite. Remember? The paradigmatic is the relationship between present units, meaning autonomous segments, and others that are absent and yet comparable in certain respects. But as he says: in a language, this is determinable. Let me take up my old billardpillard example again. The paradigmatic is the /b/ and /p/ relationship. Did you say pillard [looter] or did you say billard [billiards]? There’s a choice to be made. If I say, I said billard, it doesn’t mean pillard. Pillard could have been there. But the number of comparisons I have to make a given moneme – for example billard – the number of comparisons I have to make is limited… [Recording interrupted] [1:13:00]

… will send me back to pillard, what else? If there was a word: fillard, it would be a second one. You see, for a word… I say the word mousse, well, I’m sent back to pouce [thumb]. Pouce, moussegousse [pod]? Yes, yes, yes, very good, gousse. Yes. A few… but each time, it’s limited. It’s limited for a very simple reason: it’s because the phonemes, the phonemes of a language are themselves limited, meaning the distinctive units of a language are limited in their relation to one another. So, I can take my second syllable and play the same game; in any case, it’s limited. And it’s on account of its own limitations that paradigmatic language is so important in linguistics. In other words, there are a number of determinable choices to be made.

As Metz so aptly puts it – and he returns to this theme on several occasions – the semiology of cinema is in danger of becoming more syntagmatic than paradigmatic. It’s not that there are no filmic paradigms, no, of course there are. But it’s precisely that there are too many. There’s an infinite number. I quote, for those who are interested: volume I of Essais sur la signification au cinéma: “Since these images are indefinite in number, only to a small degree do they assume their meanings in paradigmatic opposition to the other images that could have appeared at the same point along the filmic chain”.[4] Or on page 69 – in any case, the paradigmatic side isn’t going too well – again, you find the same thesis: “The image paradigm is fragile in film; often still-born, it is approximate, easily modified, and it can always be circumvented. Only to a slight degree does the filmic image assume meaning in relation to the other images that could have occurred at the same point along the chain. Nor can the latter be inventoried”. You see, precisely because it’s not a language, so we have the large syntagmatic but a very small paradigmatic, okay.

When, when something arises… are you still with me? What arises – and here I can’t… otherwise, here again it’s to take into account all the points, even the strongest ones, of the semiocritical conception – it seems odd that these authors who want so much to be, not just fashionable, but to follow cinema in its most modern forms, it’s rather odd that they are so much part of… though it may seem odd to us, that they’re so much part of this fact of Hollywood cinema as narration, and that they’ve clung to it so much.

And Metz, right from his very first books, alights on a cinema that for the sake of convenience, we have called modern. Now, the most obvious commonplace concerning this cinema is that narration is compromised. Neorealism and the Nouvelle Vague have already broken with Hollywood cinema. So, does this mean that semiocritique confines itself to Hollywood cinema? Of course not. But what will he say? Metz, in fact, devotes an entire text, a long text, to this cinema in which people say that he breaks with narrative, and here are his first reactions… Metz’s first reactions.

It’s always he who speaks. Don’t think I’m adding anything. Metz’s reaction is to take a famous example, in Pierrot le fou, a very beautiful scene in which the couple escape from the apartment climbing down the gutter, and they get into a car that takes them along the banks of the Seine. But it’s a very strange scene, because there are flashbacks. They are, the couple are in the car on the Seine, and Godard makes them go back to the point where they are climbing down the gutter, and starts over again, and so on, in other words, it’s a scene of progression and retrogradation that seems to completely break the flow of the narrative.

And here, Metz has a very firm position, which consists in saying: not at all. This cinema is no less narrative than any other, it’s absolutely narrative. So, he maintains the uncompromising position that cinema is narrative. The Hollywood fact remains. Cinema is narrative and remains so, and will remain so. He simply says that modern cinema forces us to invent new syntagms, and indeed, he did forewarn us about the list of syntagms. It is, it is… it’s open. And here he invents a strange syntagm for the Godard sequence. In this passage, he says, Jean-Luc Godard, well yes, he invents a new syntagm, a new type of sequence, that we should call a potential sequence “that represents a new type of syntagma […], but that remains, entirely a figure of narrativity”. Well, he knows perfectly well that this doesn’t work. A potential syntagm, which would explain the retrogrades and variants. Since there’s repetition, there’s retrogradation, a return to the scene with variants. There are repetitions and variants, and that’s what breaks up the narrative.

And now his disciples get in on the act, because in the meantime, Metz has acquired a lot of disciples, and disciples are a good thing, always getting in on the act. And these disciples had an idea, and they found a diabolical accomplice. This diabolical accomplice was [Alain] Robbe-Grillet. And Robbe-Grillet threw them a word: dysnarrative. And Robbe-Grillet said: modern cinema is dysnarrative, and above all my cinema, meaning Robbe-Grillet’s, is dysnarrative. They liked that, because it was a way of saying that it isn’t non-narrative. It’s dysnarrative. So, there was a good chance they’d be able to retain the idea of narration.

And I think it’s only right to pay these disciples of Metz a great tribute, because they have carried out extraordinary analyses, which I find tremendously difficult. But they took their analyses very far, in order to – and in particular, to give back what they owed – apply them above all to Robbe-Grillet’s cinema. And what is their schema? And these disciples are André Gardies in particular – I think that’s how it’s pronounced, [Dominique] Chateau and [François] Jost. Jost in particular has done considerable work on all these problems.[5]

Now I always go back to the most rudimentary question: what’s their fundamental idea? Well, if you’ve been following me, their fundamental idea is self-evident. In other words, yes, with modern cinema, there’s a change, a fundamental change of a structural nature. In other words, the paradigm takes precedence over the syntagm. There has been a structural mutation, a true structural mutation. The structure is no longer syntagmatic or predominantly syntagmatic, but becomes predominantly paradigmatic. What does that mean? I’m going to go very quickly here, because their analyses are extremely complex, extremely… I refer you to two books: Gardies, Le cinéma de Robbe-Grillet and Chateau and Jost: Nouveau cinéma, nouvelle sémiologie.[6]

Well, what does a predominantly syntagmatic structure do? It ensures the accumulation of story, the accumulation of episodes of the story, the accumulation of episodes
and their evolution. In fact, you’ll recall that a syntagm is a combination of elements. The syntagm is progressive by nature. It ensures that the narrative unfolds, that it is both enmeshed and open, that it preserves the past and opens towards the future. So, it favors what’s known as classical narration. As you’ll recall, a paradigm is the comparison of present units with absent units that are comparable in some respect. And it’s governed by commutability. What is commutability? Let me remind you that commutability exists between two elements u and u’ when you have three… I mean two syntagms, two different syntagms, v, u, w and v, u’, w. At that point, you’ll say that the two syntagma that have v and w in common, and that have u and u’ as the difference, are commutable.

I’ll use an example from last time just to make things clear: the cushions on the old billiard table, right? You know that a billiard table has cushions [bandes]? The cushions of the old billiard table, the old looter’s gangs [bandes] are commutable. This time you have: v w u and v w u’. Old billiard table cushions, old looter’s gangs. Do you agree? Assuming a predominantly paradigmatic narrative, what will you get? Well, a barrel of laughs. Why would that be? Normally, from a paradigmatic point of view, it’s the rule of selection, meaning you have to make choices. Did you say billiard table or looter? I didn’t hear: billiard table or looter? But what allows me to choose is the syntagmatic development. I say, “Oh dear, that old billiard table had cushions”. Up until then, someone who doesn’t hear well hasn’t the means to choose. The old looter had a gang. I wrecked the cushions of the billiard table [J’ai crevé les bandes du billard]. You see there’s no way to choose yet. But if I rip the baize of a billiard table, ah, in that case it must be a billiard table we’re talking about, it’s not the looter because although you can speak of killing the old looter’s gangs [crever les bandes du pillard] you can’t…  and so on. I continue.

The syntagmatic development gives me reasons to choose between commutable elements. If you have a predominance… – I’m sensing that what I’m saying is complicated, I’m not going to go into all that now, I’m fed up wth it – If you don’t have… if you have a weak syntagmatic, I dare say, you’re lost. If you do have a syntagmatic, well, you’ve got a paradigmatic that’s all the stronger for the fact that not only will you have commutable elements, but also for the fact that there will be a permutation of commutables and you will have no way of choosing between them. In other words, what you’ll have is something undecidable between the two commutables. You’ll have something that is clearly undecidable between the two commutables. You’ll have something clearly undecidable between the two commutables, namely: did you say billiard or pillard? I said both at the same time. Ah well… ah well, I said both at the same time. This will make for a strange story: the old looter’s gangs are the cushions of the old billiard tables. Well, yes, that’s how it is, isn’t it? It’s like that, it’s both. Okay, then.

Damn it, I lost the key! No, I’ve got it, no I’ve found it again. With a normal syntagmatic, you don’t have much of a problem. You had the key, you lost it, you found it. You’ve gathered things together, advanced and made your operation evolve syntagmatically. If your syntagmatic starts to falter, you have three commutable formulas: I have the key, I’ve lost the key, I’ve found the key. There’s no way to choose between the three, as there is a permutation of commutables. You have a poor syntagmatic but with a rich paradigmatic. Boris has betrayed Jean. Boris has saved Jean. Jean has betrayed Boris. If you have a strong syntagmatic, it can be worked out. It’s all successive episodes. As Metz would say, it’s a syntagm with discontinuous consecution, with episodes. But if you don’t have a syntagmatic… If you only have a strong paradigmatic? Yes, Jean has betrayed Boris. No, Boris has betrayed Jean. And then Jean has saved Boris. And then, lo and behold, Jean and Boris are the same person. With the example of the key, you will have recognized Trans Europ Express [1966], a passage from Robbe-Grillet’s Trans Europ Express. And in Boris and Jean, you will have recognized the great theme of Robbe-Grillet’s finest film: The Man Who Lies [1968].

We’d say that dysnarration is defined by a paradigmatic structure with strong paradigmatics and poor or crushed syntagmatics. As a result, the narrative no longer accumulates and evolves, but proceeds by repetition and permutation of commutables. Why repetition as well as permutation? Because repetition is a zero permutation. Actually, it’s permutation one, it’s permutation one. So, what I’m saying is that this is going to become extremely complicated, because how do you obtain a paradigmatic that crushes the syntagmatic? That’s what Metz’s disciples… – and Metz himself agreed with them, when he admitted the inadequacy of his initial solution: that all that was needed to account for modern cinema was to add syntagms – you see how for his disciples the answer is more complex, since what they will say is, yes, there has been a real structural mutation in narrative, but this mutation basically derives from the prevalence of the paradigmatic.

But then, on what does this primacy of the paradigmatic rest – and here the problem bounces back, and it’s obviously going to drive them crazy – when narration seemed to demand the primacy of the syntagmatic? And so, they’ll have to bring in all sorts of elements, including what they call parameters and micro-parameters, which, oddly enough, Metz was already talking about. These are elements that have no real importance in the cinematographic image. But these micro-parameters, notably costumes – we come back to clothes again -, notably costumes, will be called upon to play a role, a fundamental role, particularly in the cinema of Robbe-Grillet. And it’s the introduction of these parameters into the image that will play a major role in reversing the paradigmatic-syntagmatic subordination. But I don’t have time to go into all that. I just wanted to give you some indications.

So, you see, they’ll be able to say they’re absolutely in line with modern cinema, since they’re introducing a new regime. What they don’t want to hear about is non-narrative cinema. They’ll say: yes, non-narrative cinema is experimental cinema. And experimental cinema isn’t our fault, it’s a fact that it’s marginal. And in other words, since Hollywood, since the fact of cinema, that is, the constitution of a narrative cinema… that’s why semiocritique is not very favorable, regarding the concerns of contemporary film criticism, semiocritique doesn’t have much time for experimental cinema. On the other hand, it very much favors what it calls “modern forms of narration”, meaning dysnarrative, a dysnarrative cinema that, in its view, is the very tendency that defines modern cinema.

But we’re not quite finished, because in their caution, since we have to hand it to them, the extent to which… It’s very interesting, I’ll tell you the basic elements. If you read Jost and Château’s book on Robbe-Grillet, it’ll blow your mind, because they come up with a very rich paradigmatic. And constructing a paradigmatic, you’ll see, is no mean feat, it would have you begging to go back to the most complex axiomatics in math. Well, we’ll leave it there.

Syntagmatic, paradigmatic, what are they? As we’ve seen they are rules of usage, rules of usage. We might as well say, to give them their name now, that in other words these rules of usage are codes. They’re codes.  I start again, you mustn’t confuse languages with codes. Metz said this right from the start, that language, made up of a double articulation with two kinds of elements, distinctive elements and meaningful elements, is not a code. The code consists in the rules of usage that determine the combinations and selection of these elements. That’s what a code is. So, the paradigmatic and syntagmatic are codes.

You can see right away that they have no choice. There will inevitable be a hell of a lot of codes. The paradigmatic and the syntagmatic, the great syntagmatic about which Metz at one point wondered if it wasn’t the exclusive code of cinema, was something he very quickly gave up. What’s more, there are all kinds of codes that come to bear on the cinematographic image. Syntagmatics is just one rule of usage among others, and here too Metz leaves the list open, but formally distinguishes between five major codes… Oh la la la la! I can’t stand this any longer.

There are… for example, so let’s list the codes, shall we? First code: the large syntagmatic. Second code, which he doesn’t mention: the paradigmatic. Even in predominantly syntagmatic cinema, there’s always a small paradigmatic; in other cases, there’s a large one. But here we already have two codes. Third code: there is, Metz tells us, the code traditionally referred to as “filmic punctuation”. There’s the punctuation code, meaning fade out, the shutter – you see the old shutter process in silent cinema – the iris – another old process more or less abandoned – and then the camera sweep – I’ll pass quickly, I should have deleted it because I don’t know what it is, – good, Well, some of you do. Okay, so the punctuation code. Pass. So, this is a third code. Fourth code…

Student: No, the sweep is when the camera spins round very, very quickly, like this… it makes a… it makes a…

Deleuze: Well, isn’t that a pan?

Student: Oh no. Because when you pan, you can still make out something, whereas when you sweep, it’s blurred, you can’t make out anything at all.

Deleuze: Ah, so that’s why he doesn’t put it among camera movements…

Student: Yes, it’s not even a camera movement.

Deleuze: Oh, right. It’s not a camera movement. Okay, okay. Yes, I see, yes.

Fourth, third, I don’t know… fourth code, camera movements, which form a specific code. Tracking, that’s what it’s all about, panning, dollies, hand-held camera, optical tracking like the zoom, and so on. This is the code for camera movements.

Fifth: there’s also a code – or a set of codes, he adds, since these codes are also divided into sub-codes – there’s also a particularly important code that organizes the relation between speech and visual data. Phew, it’s about time! It’s about time, because I’m sure you’ve noticed. The whole history of the cinematographic image as a statement subject to paradigms, that is, to language rules, or subject to syntagms, that is to language rules, was made without the slightest mention of the talkies. What’s more, syntagmatics demanded that no account be taken of the talkies. Not only did it apply to silent cinema, it also applied to the image conceived as an analogical statement by way of resemblance. So, there was no question of the talkies. As syntagmatics ruled out any consideration of speech in cinema, there had to be a code for cinematographic speech, that is to say an audio-visual code. So, what is the audio-visual code? Well, you see: dialogues, voice off, whatever you like, well, and many others, we’ll see.

Sixth, I don’t know. And then there are all the codes of montage – here too it’s about time – and then there are all the codes relating to montage. See what he means? Not only are there several codes, but it’s obvious that these codes presuppose one another. Comparing the syntagmatic and montage, he says that they are both codes. But don’t get confused, because if you go back to the list of syntagms, you may get the impression that montage is already presupposed. Yes, it’s often presupposed, but not always. Because, if you go back to the list, it’s obvious that the first syntagm – the single shot – doesn’t presuppose montage. But, as I see it, all the others do presuppose montage. If you make a bracket syntagm or if you make an alternating syntagm, montage is already implied.

Yes, but Metz’s idea – and there’s no need to criticize him unjustly – is quite simple: all cinematographic codes presuppose one another, interweave and refer to one another. It’s simply that legally and abstractly, they can be differently defined. Because it’s true that many syntagms presuppose montage, but what makes me say that syntagm and montage are still two codes? Firstly, because there are syntagms independent of montage, and secondly, because montage exceeds all these types of syntagm, since what is that montage does so well? Joining different syntagms. So, the criteria for montage as a code are not the same as the criteria for syntagms. And in the manner of Eisenstein, you can very well conceive of a metric montage, a rhythmic montage, a harmonic montage. But what you don’t have is… a harmonic, rhythmic, or metric syntagm.

And at the same time, montage itself will, in certain respects, presuppose syntagms, just as syntagms will presuppose montage, and so on. So, these five codes won’t stop intermingling, and there will be many more, many others. There will be many more, because as Metz insists, this business isn’t finished yet, because cinema, as a cultural form, is also subject to non-cinematographic codes. It is subject to non-cinematographic codes such as, for example, a moral code. And moral codes play a major role in cinema. It’s subject to pictorial codes, sculptural codes, etc. which are not specifically cinematographic codes. In Hollywood, for example, there was a moral code that says a kiss shouldn’t last longer than a given time. It’s a moral code that’s not specifically cinematographic, yet it governed Hollywood narrative cinema.

So, you have all the non-specific codes that weigh on cinema as a cultural formation, and then you have the specific codes. The specific codes are the rules of usage that concern the iconic or analogical image as such, meaning as a cinematographic image. You can see that there are five or six of these codes… [Recording interrupted] [1:49:54]

 

Part 3

… so it’s a very complex theory since, once again, I’ve only given the basics.

Well, we’ll just have to see, and now I’m going to make a confession. I’ll tell you why all this troubles me. Of course, I have no objections. I have no objections to make. I have problems, a series of doubts I’m going to share with you. All this really bothers me. So, of course, this may seem like a series of objections, but make no mistake, they’re not objections at all. In other words, it’s all… well, well. Anyway, Let’s move on to the objections, no sorry, I mean the break… No! No! Listen… I’ve made an absolute slip of the tongue… let’s move on to what…, so how should we react to all this, and again… No, it’s a catastrophe, that slip of the tongue, but it’s a slip of the tongue, isn’t it? Don’t forget that it doesn’t mean a thing. So those who’re smoking, over there… [Recording interrupted] [1:15:20]

… Because, as you are very sensitive to this – and now I come to the last problem I’d like to address – as you are very sensitive to it, there’s a gap somewhere that has to be bridged. He has to find a way of bridging it. For, once again, it’s because cinema is, in fact, a narrative cinema, that images can be likened to statements. As we’ve seen, these statements are analogical, iconic statements, that is, based on resemblance and implying a judgment of resemblance. On the other hand, and at the same time, they are subject to syntagms and paradigms which are linguistic processes, and which, in turn, are also codes. Somehow, the gap between analogy and code must be bridged. For analogy and code are strictly opposed insofar as the former proceeds, once again, by the determination of resemblance, while the latter proceeds by a treatment of conventional elements.

So, the operation of bridging the gap between the two is going to be a very, very delicate one, both for Metz and for Umberto Eco, whose position is not the same as Metz’s – but then, it would take all day to recount all this – so it seems to me that, at a first stage, they show that their problem is to demonstrate that, in the end, analogy and code are less opposed than they seem at first glance. Many authors have said as much. And, as a first point, analogy itself always refers to codes. Why is this? Because resemblance is highly variable, and it varies according to the code by which we judge.

A simple example: a child, a child’s drawing. A child judges the resemblance of his drawing when he draws a horse, or when he draws a man, when he draws his daddy. He has certain criteria for judging resemblance, he is not without criteria for judging resemblance; they are quite different from the criteria for judging resemblance used by an adult. It could be said that every analogical image refers to socio-cultural codes that are responsible for evaluating the resemblance between an image and its referent, as we say. Umberto Eco, in particular, has made a long study of this aspect. And you can see that this is only the first step, because the socio-cultural codes for judging resemblance are not specific to cinema. They’re the social and cultural codes of a given society. So that’s not sufficient for us, because what we’re calling for, no, what we – I’m talking about a fictitious “we” – what the semiocritics… what semiocritique is calling for, is something else. It’s a question of bridging the gap between the analogical image as a cinematographic image and a code specific to cinema. We need to find a code specific to cinema. We’ve already found the code specific to cinema: it’s the syntagm, and the others: montage and so on. But how do you bridge the gap?

And that’s where Metz’ great thesis comes in, to which Comtesse alluded earlier, namely that fortunately, he says, – Eco will have another solution – but Metz’ solution will be – I’m summarizing a lot – what is Metz’s grand thesis? Fortunately, thank God, in an analogical image, there’s always something other than the analogical. In an analogical image, there’s always something else. And it’s this something else that the specific code will focus on. In other words, there is no such thing as a purely analogical image. The analog image always contains something non-analogical. This is what he tells us in the following page of Essai sur la signification au cinéma: “It is not because an image is visual that all of its codes are likewise… it is not because an image is visual that all its codes are likewise. It’s not only from the outside that the visual message is invested by language”. What does he mean, from the outside? Yes, the visual message is invested by language… [Recording interrupted] [1:59:08]

… by language, for example a photo caption – “But it is from within its visuality, it’s from within its visuality, intelligible only because its structures are partly non-visual… because its structures are partly non-visual”. He means something quite simple, and concludes: “So the beyond of analogy is the forms in the sense of [Louis] Hjelmslev” – you see, a linguist – “that is to say, the structures” – and he concludes by saying – “Not everything in the icon is iconic”. Not everything in the icon is iconic.

He means something very simple, just think about it: in a painting, a classical painting, a portrait of a woman, there’s a resemblance. Already, the resemblance varies, the judgment of resemblance varies according to the society. That’s the non-specific code for judging resemblance. But how is the resemblance attained by the painter? Let’s say that the portrait of the woman is an iconic, analogical image. How does the painter attain the resemblance? He attains the resemblance through means that themselves bear no resemblance to the means that produced the same or similar qualities in the model. I mean, how can I put it, the flesh – I’m weighing my words – the flesh tone and the presence of blood beneath the skin, is produced naturally in the model by a certain phenomenon that I’m unable to specify. The flesh tones reproduced by the painter obviously depend on pictorial means, namely, the different ways of producing flesh tones. This has been a major problem for painting. It’s been a huge problem for painting: how to create flesh?

There’s a book that came out recently that’s very, very good, very interesting, very amusing on this point, on this theme of flesh tones, how to recreate flesh. It traverses painting from the Middle Ages to post-impressionism, where two great painters, Van Gogh and Gauguin, after the impressionist period, rediscover this fantastic problem of how to recreate flesh. They rediscover it upon new foundations. But how? You could say that it’s obvious that Van Gogh’s way of recreating flesh tones has very little to do with Titian’s. They employ completely different means. In any case, these means of making flesh that resemble the model’s flesh do not, themselves, resemble the means by which nature produces these flesh tones in the model.

You see, it’s quite simple, just go back to the formula: not everything is iconic in an icon, not everything is analogical in an analogical image, of course! And when he says that the visual message is invested by language not only from the outside, when I put a caption, but from the inside and in the very visuality that is only intelligible to me because its structures are partially non-visual, it’s quite obvious that the pictorial structure is non-visual. Non-visual in what sense? In the sense that it involves not only color relations – you see colors, but color relations, though perhaps they are something you feel or understand, are something you don’t see by definition. They’re produced by something other than color relations, by much more than color relations, such as harmonic relationships of a quasi-musical type, which you can’t see either, but which nevertheless make up the image itself, and which justify to the letter that not everything in the icon is iconic.

So, you see how they can move from the idea of the analogical image to a code that marks the rules of usage that will apply to the analogical image. If there can be codes – and this, it seems to me, is the semiocritics’ ultimate response – starting with syntagmatics, that apply to the analogical image, and if there can be specific, internal codes, and not just general socio-cultural codes, if there can be such codes, it’s because every analogical image contains something that is non-analogical.

So, in this way they will form their highly consistent conception, but between what and what? It’s as if you had two lines, it’s like having two lines. I would say, “iconic-type narrative statement”, that’s the first line, “iconic-type statement”, or what amounts to the same thing, narrativity, or dysnarrativity, it doesn’t matter. Or we could just as easily say, and you’ll see why I’m adding this: “manifest scene”, manifest scene. As a complement, corresponding to the iconic statement, you have the “specific code”, which applies to what is not iconic in the image. You can call this the structure, the signifier, the signifying chain, whatever you like. For example, the syntagm will be the signifying chain that also constitutes the deep structure, it doesn’t matter what term you use.

To narrativity will correspond the story, the story being the organization of the signifying chain, the organization of syntagms, and so on. Corresponding to the manifest scene, you have the deep scene, which is equivalent to the deep structure. Let’s drop this word for those who know it, but I won’t even comment on it now: the primal scene. And once again, linguistics has tied the knot with psychoanalysis. And we’re told that what Metz will do next with great refinement, some of his disciples follow, others not – it’s odd, there are some to whom it says nothing – and you’ll have the ultimate psychoanalytical revelation: that at the same time as we have a syntagmatic structure that constitutes the signifying chain in cinema, by the same token, beyond all the scenes it contains, cinema has only ever had one scene. T The only cinematographic scene is the primal scene, in other words the “original crime”.

And when I told you of my admiration for a book like Jean-Louis Schefer’s The Ordinary Man of Cinema,[7] that doesn’t mean we don’t find, in many authors, even the best, for example in Jean-Louis Schefer, this idea that cinema is inseparable from a crime that affects and concerns us all. What is this crime? Well, this crime is the primal scene. I’m afraid to ask, because I have the impression that there are some of you – and yet this is a quite joyous thing – who have remained so untouched by psychoanalysis and so pure that you don’t know what the primal scene is, but refer to a psychoanalysis dictionary because I don’t want to spoil all your surprises and discoveries.

And that’s where there’s a fundamental link between cinema and crime in the form of… as some psychoanalysts say, cinema has only ever had to film one thing in all the variations you can think of: the primal scene, meaning that prodigious scene in which the child witnessed – what it was exactly, we don’t really know – but a fundamental scene that was to mark them all their life, and in which they produced their own castration, an operation that continues to function at the very heart of cinema, if only in the form of framing, you can easily recognize the operation of castration. Well, because… I mean, I’m not exaggerating, all that. It’s all been said, it’s all been written. But I mean, it’s there, you see, where this link between psychoanalysis and linguistics is made, which not only has been made on the side of linguistics and psychoanalysis, but which they have also felt the need to make in terms of cinema.

Well, now I have nothing but doubts. My doubts have increased with this business of the primal scene, but there you go. So, I’ll tell you my first problem: my first problem – I sum up all my problems, all my problems at once, I sum them up through this business that’s tormenting me. Because it’s a vicious circle. No, sorry: wouldn’t it be a vicious circle, wouldn’t it be a vicious circle, because I don’t see any reason to call the cinematographic image a statement, if it’s not subject to syntagmatics. But I see no reason why it should be subject to any syntagmatic if it’s not treated as a statement.

This bothers me, yes it does. So I ask myself, what can we do? Did the same vicious circle appear with Kant? Well, yes, maybe, maybe, but the post-Kantians didn’t spare him, did they? And it’s not certain that in Kant’s work… but that’s my ultimate problem. I’ll move on to my first problem, I have just enough time to state it, and then I’ll stop. Okay, I’ll tell you my impressions. My first problem… as there are three – the fact of narration, the approximation of the iconic statement, the rules of language usage – so I have three problems. Three is quite sufficient. I’m not referring to the little psychoanalytical-linguistic detail. That’s just for amusement, those aren’t problems. On the contrary, they’re a laugh.

My first problem, then, is this question of narration, because my question is: is narration a given of the cinematographic image, even if it is historically acquired? Is it an apparent given of the cinematographic image? You can feel what I’m having trouble digesting is the elimination of movement. I’m saying something simple – well, as simple as things seem simple to me – the main characteristic, the distinctive feature of the cinematographic image is its automatism, in other words, the fact that it moves. It’s a movement-image. This has nothing to do with narration. It has nothing to do with it. There may or may not be narration, I don’t see any reason why there should be. And I’m amazed, as I said, I’m really astonished, and it’s not a feigned astonishment, at the way semiocritique throws movement out of the window, because it’s very aware of the problem and just tells us that there’s a semiotic gaze that has nothing to do with the cinephilic gaze, the cinephilic gaze, I suppose, being an apprehension of movement, and the semiocritical gaze being, on the contrary, a suspension of movement.

Hence the question: but what about the photogram? But I’ve tried to show – remember our previous sessions – that the photogram, it seems to me, is in no way detachable from movement, that this was even its difference from the photo, so we won’t go back to that. Some might object that the photogram… as far as I’m concerned, I’ve tried to explain that the photogram is precisely a differential of movement, in the mathematical sense of the word, and is therefore absolutely inseparable from movement, and that this is what makes it something other than a photo.

So, I would say, in semiocritique, we are told that narration is an immediate given of the image, even if it’s historically acquired. But it’s an apparent given of the image, it’s a manifest given of the image, and it’s – there’s no contradiction at all here – an effect of the linguistic structure underlying this image, it’s both at the same time. Well, I don’t think so. It seems to me that the only apparent given of the cinematographic image, at least in so-called classical cinema – we’ll see about the other type later – in classical cinema, it is basically movement and absolutely not narration. So, narration is not a manifest given of the image. Even more so, I can’t even say that it’s an effect of a language structure that’s exerted, that’s exerted on the image. Why can’t I say that? Because these are points we haven’t yet looked at.

But I’m wondering, when does narration come into the picture? This is just to give you some points of comparison, so that it’s clear. Once again, I’m not claiming to be right, I’m just saying a very simple thing, as we’ve seen over the last few years. For those who weren’t here, I’ll summarize it. If you allow yourself the movement-image, you also give yourself something very special called the movement-interval. If you relate the movement-image to the movement-interval, if you relate the movement-image to an interval in movement, bizarrely enough – actually not bizarrely, it’s quite normal – you have, how shall I put it… a particularization of the image is produced. The movement-image becomes particularized. In its relation to the interval in movement, the movement-image is particularized. In saying all this, I’m not speaking in any way about narration. It is particularized in terms of three fundamental types of image: the perception-image, the action-image and the affection-image.

I would say that narration is only the distribution of perception-images, affection-images, and action-images in accordance with a sensory-motor schema, in accordance with a sensory-motor schema. You’ll have a narrative if the perceptions, affections and actions follow the sensory-motor schema. It’s not complicated. But what is the sensory-motor schema? It is movement related to interval. I’m not introducing anything new. I’m just introducing the question of movement and the interval of movement.

So what I’m saying – and this is all I wanted to say – is that, for me, narration is neither an apparent nor a manifest given of the cinematographic image, nor an effect of a supposedly linguistic structure that underlies this image, but what is quite different, it is a consequence of the movement-image, movement being the only manifest given of the image and producing, as its consequence, narration, when this image-movement is specified according to the three principal types of image – perception-image, action-image, affection-image – in such a way as to constitute a sensory-motor schema. So, in my view, narration is generated solely from movement and the interval of movement, these being the characteristics and the only characteristics of the cinematographic image.

So I can say, narrative has never been a fact even in Hollywood cinema. Narration is not a cinematographic fact. Narration is a consequence of the following cinematographic fact: that fact being that the cinematographic image is a movement-image which, when related to the interval of movement, produces action-images, perception-images and affection-images. The combination of images – which has nothing to do with a syntagm – according to the sensory-motor schema the combination of images, the combination of action-images, perception-images, affection-images constitutes a narrative. In other words, there’s a story. The story is this: How does someone react to a situation? Do you follow me?

So my first doubts concern the very fact of narration, my answer being: narration is not a fact, in Hollywood or anywhere else. Is dysnarration a fact? Those who followed what we did last year know that, as far as I’m concerned, no… just as I said that narration is not a fact but derives from the movement-image and the specification of the movement-image according to the three great types of image, I would say that the modern fact of dysnarration is no more a fact than it is the effect of a language structure that would be paradigmatic instead of syntagmatic. But dysnarration is the immediate consequence of the rise of the time-image, and when the time-image frees itself from the movement-image, when cinema accedes to a direct time-image, and no longer an indirect representation of time that would depend on the movement-image, when cinema produces direct time-images, then dysnarration necessarily follows, for one simple reason: the sensory-motor schema is broken, the sensory-motor schema that was the only rule by which narration could be identified.

In fact, as we’ve seen in previous years, and as I’ve taken up again this year, there are two fundamental direct time-images in cinema, one which is the series of time, that is, beyond the empirical succession of time…  one which is the series of time, following the before and after, but not in terms of succession, as the before and after have now become qualities of time – we saw this when we looked at the question of fabulation, the before and after. And then there is the order of time, namely the coexistence of all relations of time as found, for example, in a filmmaker like [Orson] Welles, or in another way in a filmmaker like [Alain] Resnais, and again differently in a filmmaker like Robbe-Grillet. And it’s the construction of these direct time-images that immediately results in dysnarration, just as the construction of movement-images and their types immediately resulted in narration.

This would be my first comment. My second problem is connected to this but we’ll stop here for the moment. We will start again next time beginning from this second problem, namely, just as it seemed highly doubtful to me that we could treat narration as a cinematographic fact, it also seems highly doubtful to me that we could treat the cinematographic image either as an analogical statement, or even as an analogical image. So, I’ll leave you to think about all this. And if you didn’t quite understand we can start all over again. [End of recording] [2:26:14]

Notes

[1] See sessions 11 and 12, January 29 and February 5, 1985.

[2] See R. Barthes, The Fashion System, Berkley, Los Angeles: California UP, 1990.

[3] See Communications 15 (1970), pp. 1-10. Deleuze gives the reference to this text in The Time-Image, p. 285, note 4. The text also appears in Metz’s Essais sur la signification au cinéma, vol. II, Paris: Klincksieck, 1972.

[4] See Film Language: A Semiotics of the Cinema, Chicago, Chicago UP, 1990, pp. 26, 69.

[5] On dysnarrative cinema, see The Time-Image, pp. 136-137. On the books by Gardies and Chateau and Jost, see references below.

[6] Gardies, Le cinéma de Robbe-Grillet, Albatros edition, 1983 and Chateau and Jost: Nouveau cinéma, nouvelle sémiologie, 10/18 Paris: UGE, 1979.

[7] See Jean-Louis Schefer, The Ordinary Man of Cinema, New York: Semiotexte, 2016. On Schefer, see session 8 of the Cinema 3 seminar, January 17, 1984. See also The Time-Image, pp. 36-37, 168, 185, 201, 263, 267.

French Transcript

Edited

Gilles Deleuze

Sur Cinéma et Pensée, 1984-1985

15ème séance, 12 mars 1985 (cours 81)

Transcription : La voix de Deleuze, Charline Guillaume (1ère partie), Charlène Thevenier (2ème partie) et Nadia Ouis (3ème partie) ; révisions supplémentaires à la transcription et l’horodatage, Charles J. Stivale

 

Partie 1

… Ah, une troisième interview ? Alors il y a bien, il y a bien ici un spécialiste des questions que je traite, mais un spécialiste très critique. Mais il ne souhaite pas d’interview, alors je respecte, je n’ai pas les moyens de faire autrement, je respecte son désir. Mais il n’y a personne d’autre qui soit compétent dans ce domaine de la sémio-critique ? Hein ? [Pause] Bon…

Un étudiant : Téléphone à [André] Martinet…

Deleuze : Téléphoner à Martinet ? Mais est-ce qu’il s’intéresse au cinéma, Martinet ? Je ne sais pas. Bien, alors mauvaise volonté partout ! Bon. [Rires] [Pause] [1 :00] Qui est-ce qui s’y connaît un peu dans les textes des sémio-criticiens ? [Pause] Écoutez, vous me cachez quelque chose, là, il y en a sûrement qui s’y connaissent mieux que moi. Bon. Mais ça va ton travail, toi ?

Un étudiant : Moi ?

Deleuze : Oui.

L’étudiant : Oui ça va.

Deleuze : Ça va, mais tu interviendras peut-être ?

L’étudiant : Oui, peut-être, j’interviendrai.

Deleuze : Ah bon ?

L’étudiant : Ah oui, mais pas sur la sémio-critique. [Rires]

Deleuze : Ah ! Mais pas là-dessus ?

L’étudiant : Non, sur les problèmes de la narration, oui mais pas sur la sémio-critique.

Deleuze : Ah ben, c’est pareil, la narration, c’est pareil ! Alors tu interviendras, alors du coup, je t’interviewe, hein ? Non ?

L’étudiant : Oui, oui, oui. [2 :00]

Deleuze : Alors, je vais finir mon truc sur la sémio-critique, et puis je dirai les troubles profonds dans lesquels je suis, et je t’interviewe.

L’étudiant : Mais, c’est aujourd’hui même ? [Rires]

Deleuze : On verra d’après le temps que ça nous prend, hein ? Moi tu sais, je…

L’étudiant : Mais moi, je… Ça m’arrangerait que ce soit la fois prochaine, il faut que j’étudie.

Deleuze : Il faut que tu étudies ? Mais, c’est ton sujet. Ah, on verra, hein ? En tout cas, si tu as quelque chose à dire, tu m’arrêtes, hein ? Tout de suite, hein ? Et puis tout le monde, je ne demande que ça.

Alors, vous vous rappelez où nous en sommes ? Dans cette histoire donc de la sémio-critique telle que [3 :00] Christian Metz la fonde, il y a trois, trois choses qui interviennent, trois choses de base, qui interviennent. Je disais : un fait, un fait considéré comme historique. Le fait historique, c’est que le cinéma s’est constitué comme cinéma de narration. C’est le fait Hollywood. Deuxième élément : non plus un fait, mais ce que j’appelais, quitte à mieux justifier : une approximation. Dès lors, si le fait du cinéma, c’est sa constitution [4 :00] comme cinéma de narration, l’image cinématographique est assimilable à un énoncé.

Précision, qu’il faut donner immédiatement : est-ce un énoncé de la langue ou est-ce l’énoncé d’une langue ? Non ! Encore une fois j’insiste sur la prudence, au moins la prudence apparente de la démarche de Metz. Il ne s’agit pas de l’énoncé d’une langue. Qu’est-ce qu’un énoncé qui ne serait pas l’énoncé d’une langue ? C’est un énoncé que l’on appelle analogique ou iconique, [5 :00] c’est-à-dire un énoncé qui opère par ressemblance [Pause] au lieu d’opérer par unités conventionnelles discrètes ou discontinues. Une langue opère avec des unités conventionnelles discrètes ou discontinues qui correspondent à des énoncés de langue. Les énoncés iconiques ou analogiques opèrent tout autrement, ils opèrent par ressemblance. Bon, donc c’est en ce sens que je dis : il y a une approximation. L’image cinématographique est un énoncé par approximation ou, si vous préférez, c’est un énoncé [6 :00] analogique ou iconique.

Troisième élément : l’image cinématographique étant un énoncé, [Pause] on peut lui appliquer des procédures langagières bien qu’il ne soit pas lui-même énoncé d’une langue. On peut lui appliquer des procédures langagières que l’on pourra appliquer à tout énoncé, de quelque nature qu’il soit. Qu’est-ce que ces procédures langagières ? Nous l’avons vu la dernière fois, c’est le syntagme et le paradigme, [7 :00] ou plutôt la relation syntagmatique et paradigmatique [Pause] que nous avons définie. Nous les avons définies, je vous rappelle : la relation syntagmatique, c’est la conjonction d’unités quelconques présentes, de manière à former un énoncé. [Pause] La relation paradigmatique, [8 :00] c’est la disjonction d’unités présentes avec des unités absentes, comparables à quelque égard que ce soit, à des égards variables. Donc ça, je suppose que c’est très clair ; si il y a quelque chose de pas clair, j’ajoute, sur la nécessité que tout ça, vous le possédiez bien pour comprendre le reste.

J’ajoute que vous voyez, dès lors, comment va se développer la thèse de Metz consistant à nous dire : les premiers grands auteurs et les premiers grands critiques de cinéma considéraient le cinéma comme une langue. C’était le thème de la langue universelle. [9 :00] C’est un stade naïf. En philosophie, je vous disais, c’est ce qu’on appellerait un stade « dogmatique » ou un stade « précritique ». Pourquoi n’en est-il pas ainsi ? C’est que une langue se définit très précisément. Une langue se définit très précisément par l’existence d’une double articulation, et il n’y a que la langue à qui ça convient, cette définition : l’existence d’une double articulation, c’est-à-dire de deux niveaux d’articulations, un premier niveau qui concerne des unités dites significatives ou monèmes, [10 :00] un second niveau qui concerne les unités distinctives ou phonèmes. Il y a langue lorsqu’il y a ces deux niveaux et que ces deux niveaux sont fixes et non interchangeables. Le cinéma ne nous présente en rien ce phénomène dit de double articulation. Le cinéma n’est pas une langue.

En revanche, le cinéma est un langage, d’où la grande formule de Metz : le cinéma, langage sans langue. Le cinéma est un langage, pourquoi ? [Pause] Parce que, bien sûr, ses énoncés sont [11 :00] non-langagiers. Ce sont des énoncés analogiques ou iconiques. [Pause] Mais paradigme et syntagme sont des règles d’usage [Pause] qui concernent, d’une part, les énoncés de la langue, mais d’autre part, ne se confondent pas avec ces énoncés de la langue et s’appliquent à tout énoncé, qu’il soit langagier ou non. Donc il y a des règles d’usage langagières qui s’appliquent aux énoncés non langagiers du cinéma. [12 :00] Ce qui signifie une chose très simple : syntagme et paradigme, comme le dit tout le temps Metz, sont des notions dont l’origine est linguistique, c’est-à-dire ce sont des règles d’usage qui portent d’abord sur les unités de la langue, phonèmes et monèmes, mais qui peuvent également porter sur toutes sortes d’autres expressions, sur des expressions non-langagières.

Par exemple, si l’on peut dégager des règles syntagmatiques et paradigmatiques concernant non plus les phonèmes et les monèmes, mais les pièces [13 :00] du vêtement, on dira que le vêtement ou la mode est un langage sans langue, c’est-à-dire un ensemble d’énoncés non-langagiers, pourtant soumis aux règles langagières du paradigme et de la synta… du paradigme et du syntagme. [Pause] Vous voyez, paradigme et syntagme ne se confondent pas avec les caractères essentiels de la langue. Ce sont des règles d’usage des éléments de la langue, mais ils ont beaucoup plus d’extension que les éléments de la langue. [14 :00] Ils s’appliquent non seulement aux éléments de la langue mais à d’autres choses aussi. Ce à quoi d’autre ils s’appliquent, on l’appellera : langage sans langue.

En ce sens, on dira, la mode est un langage sans langue. Il peut y avoir un langage des fleurs ; il y aura un langage des fleurs si vous pouvez dégager des paradigmes et des syntagmes qui s’appliquent aux fleurs, qui seront dès lors et qui formeront dès lors des énoncés non langagiers ou, ce qui revient au même, des langages sans langue. Je dirais énoncé non-langagier si je pense au caractère analogique de l’énoncé ; je dirais langage sans langue si je pense aux règles d’usage syntagmatique et paradigmatique qui s’appliquent à ces données. [15 :00] C’est ça qu’il faut que vous compreniez bien. Donc on ne cherchera jamais les caractères d’une langue dans le cinéma. En revanche, on cherchera les règles syntagmatiques et paradigmatiques auxquelles les images iconiques du cinéma sont soumises.

Voilà, d’où mon appel, mon appel angoissé : est-ce que ceci est parfaitement clair ? Tout le reste en dépend hein ? Si vous, si vous n’avez pas, si cela n’est pas très, très clair, vous ne pourrez pas comprendre la suite. Vous ne pourrez pas comprendre mes troubles profonds, vous ne pourrez pas comprendre tout ça, quoi.

Un étudiant : Est-ce que, je voudrais bien comprendre mais, j’ai une question très naïve, est-ce que dans le mouvement [Propos inaudibles] [16 :00] on ne peut pas dire [Propos inaudibles] ? [Pause]

Deleuze : Non, non, ça sûrement, on ne peut pas le dire, il me semble, parce que le fait que ça bouge n’indique aucun élément ; la double articulation au sens linguistique n’est pas une articulation quelconque. Par exemple, en parlant j’articule. Ce n’est pas de cela qu’il est question dans la double articulation au sens des linguistes. Double articulation au sens des linguistes signifie qu’il y a deux niveaux mettant en jeu des unités discrètes, c’est-à-dire discontinues, de natures différentes. [17 :00] Les unes peuvent être assignées comme phonèmes, c’est-à-dire ce sont des traits distinctifs, ce sont des éléments distinctifs, c’est-à-dire qu’ils entrent dans des rapports de distinction les uns avec les autres. Par exemple /b/ et /p/. Et l’autre articulation, c’est que avec ces éléments distinctifs, on forme des éléments significatifs, par exemple « billard » et « pillard ». Alors on peut dire en un sens très général du mot « articulation » que le mouvement serait une articulation. On ne peut pas dire, au sens linguistique du mot « articulation », que le mouvement est une articulation.

L’étudiant : Est-ce que ça veut dire que [18 :00] le mouvement est le préalable à une articulation comme dans le rapport même de [mot indistinct] ?

Deleuze : Ah ben oui, mais là, tu me devances, c’est-à-dire, tu prends une position radicalement anti-sémio-critique, car si tu te rappelles … tu étais là la dernière fois ?

L’étudiant : Oui.

Deleuze : Le point de départ de la sémio-critique, j’insiste là-dessus, le fait du cinéma n’est pas le mouvement, c’est la narration. Car ils en ont besoin absolument, car si ils disaient, le fait du cinéma, c’est le mouvement. On comprend qu’à ce moment-là, il n’y aurait plus de sémio-critique, c’est-à-dire, il n’y aurait aucun point de vue langagier sur le cinéma, ou du moins le point de vue langagier sur le cinéma apparaîtrait dans des conditions complètement différentes. [19 :00] Ce qui nous a paru l’acte de base de la sémio-critique, c’est très délibérément leur mise entre parenthèses du mouvement en disant : ce n’est pas le mouvement qui peut définir l’image cinématographique. Ils ne nient pas que l’image cinématographique bouge, mais encore une fois, ils vont jusqu’à dire que ce n’est pas ça qui distingue l’image cinématographique de la photo. La distinction de l’image cinématographique et de la photo, d’après Metz — là les textes sont formels, si étonnant qu’ils soient — c’est que l’image cinématographique est narrative tandis que la photo n’est pas narrative. [Pause]

Alors toi, ton point de vue qui réclame que l’on reprenne en considération le mouvement comme caractère fondamental de l’image, est déjà en [20 :00] dehors de la manière dont il pose le problème en sémio-critique.

L’étudiant : Oui, d’ailleurs c’est pour ça que je ne comprends pas la manière de poser le problème. [Rires]

Deleuze : Si, moi je crois, j’espère que tu la comprends. Tu ne la partages pas, hein ? Tu ne la partages pas, mais tu la comprends très bien.

L’étudiant : C’est comme si il disait, que le langage, que le langage [mots indistincts] chez l’homme à la libération d’un visage [mots indistincts]…

Deleuze : À la libération ?

L’étudiant : [Propos inaudibles]

Deleuze : Je dirais que pour eux, ce n’est pas le même plan. Que la linguistique comme science, évidemment, ne commence que, à partir du moment où l’on considère la langue indépendamment des conditions de possibilités auxquelles elle peut renvoyer, du côté du rapport mains-visage, [21 :00] ça, ils ne se cacheraient pas de l’isoler hein, ils ne se cacheraient pas, hein ?… Oui ?

Un étudiant : J’ai une question à vous poser : quand vous définissez le, quand vous dites que le cinéma est un langage sans langue, ça veut dire que vous dites nécessairement que le langa… que la langue n’est pas une image. C’est-à-dire que vous excluez de la langue la tendance limite. Mais si on définit le langage, si on donne du langage, de la langue, une définition cratylique ou cratylienne comme le Socrate du Cratyle, rien n’empêche de considérer que le cinéma est une langue et un langage à la fois. La deuxième question étant… concerne les notions de paradigme et de syntagme. Tout le problème est de savoir si les notions de paradigme et de syntagme ont un sens irréductiblement linguistique ou s’il faut les étendre, étendre leur sens à d’autres domaines, et étendre leur sens d’application à d’autres domaines. [22 :00]

Deleuze : [Pause] C’est terrible. [Rires ; pause] Je vais répondre tout à l’heure.

Un étudiant : J’aurais une question [Propos inaudibles]… il y a des règles des paradigmes et de… [Propos inaudibles] Mais il y a quand même des règles qu’on peut dire syntagmatiques du cinéma comme les personnages. Dans une langue, on accepte qu’il y ait des phonèmes, et ça pourrait représenter une idée, un monème. Bon. Mais dans un film, on peut avoir un acteur qui joue mais qui représente une idée, [23 :00] l’idée du personnage. Donc est-ce que on ne peut pas dire quand même que le cinéma est une langue ? Puisqu’il y a des règles syntagmatiques.

Deleuze : Bon, il faut que je recommence. [Rires] Non, ça m’embête, ces questions, parce que… Voilà, j’essaye de revenir… D’abord quant à la première question qui m’a été posée, il ne faut pas me dire « vous ». Je rappelle que je suis en train, pour des besoins qui sont les miens, de rapporter une thèse qui ne m’appartient en rien. Donc ce n’est pas moi qui [24 :00] vous propose ceci ou cela. Au point où j’en suis, je ne peux pas faire autrement que passer par un exposé de ce qu’on appelle la sémio-critique. C’est donc de la sémio-critique dont je parle. Alors là, la question, là, si, si nous sommes d’accord avec ou si nous ne sommes pas d’accord, pour chacun de vous et pour moi, ne se pose pas puisqu’on essaye de comprendre ce qu’ils disent.

Deuxième remarque, [Pause] dire au point où nous en sommes de l’analyse : mais voyons, puisque l’image de cinéma ou d’autre chose pourrait être soumise à une syntagmatique et une paradigmatique, donc ce serait une langue, m’inquiète davantage puisque [25 :00] c’est que, à ce moment-là, vous n’avez pas du tout suivi — ce n’est pas un reproche — ce que je me suis efforcé de dire sur la différence telle qu’elle était prise aujourd’hui par les linguistes entre la langue et le langage.

Quant à invoquer Platon, la mimétique, ou bien plus, dans l’autre intervention, invoquer des Idées, si je comprends bien, qui pourraient être exprimées, tout cela implique comme si dans votre tête, ce que je croyais avoir réussi la dernière fois — c’est-à-dire [26 :00] une détermination de ce que c’est que la langue — avait tout à fait échoué. Car à aucun moment, je ne dirais que des Idées ou des concepts n’interviennent. Je recommence. Une langue… Je voudrais que vous me suiviez bien. Il ne faut pas invoquer Platon, par exemple, puisque Platon ne se propose, à ma connaissance, en aucun cas de distinguer langue et langage. Alors, il est très difficile d’invoquer un auteur au niveau d’un problème qu’il n’a jamais posé et qui n’est pas le sien. [Pause] Entendons-nous… [Interruption de l’enregistrement] [26 :57]

[27 :00] … il y a une distinction non moins importante et peut-être plus importante entre langue et langage. Les deux distinctions ne se valent pas. Si l’on essaye de dire quelle est la distinction langue-langage dans la linguistique moderne, peut-être est-ce qu’on peut l’énoncer de plusieurs manières, je disais la manière qui me paraît la plus commode est celle-ci :

On définit la langue par un système de double articulation. Première articulation, les unités significatives. Alors là, les unités significatives sont composées d’un signifiant et d’un signifié. [28 :00] On pourra appeler le signifié Idée ou concept, mais ce n’est pas lui qui intervient. Ce qui intervient est — ce n’est pas lui qui est considéré dans la langue — ce qui intervient dans la langue, c’est à un premier niveau, première articulation, l’articulation des unités significatives qu’on appellera des monèmes. Que, à un monème corresponde un concept ou plusieurs concepts, c’est une question que nous laissons de côté. Ce n’est pas ça qui définit la langue. Ce qui définit la langue, c’est un premier niveau d’articulation mettant en jeu des unités significatives.

Ça ne suffit pas pour définir [29 :00] une langue, pour définir la langue. Il faut y joindre un second niveau d’articulation, c’est-à-dire il faut que ces unités du premier niveau reposent d’une certaine manière sur des unités d’un second niveau. Ces unités d’un second niveau sont dites des phonèmes. Ce sont des unités non significatives. Donc le propre de la langue, ce sera de faire du significatif avec du non significatif. Les phonèmes ne sont pas significatifs, ils sont uniquement distinctifs. Ce qui veut dire : un phonème se définit [30 :00] par rapport aux autres phonèmes dont il se distingue de tel ou tel point de vue, par exemple sonorité-surdité, des phonèmes sourds et des phonèmes sonores, des labiales et des dentales, tout ce que vous voulez, bon, qui sont donc des unités uniquement distinctives sans aucune signification. On nous dit qu’il y a langue lorsque l’on se trouve devant un système à double articulation de ce type. On nous dit que seule la langue présente un tel système, plus le code de numéro de téléphone dans certains cas, et encore pas dans tous les cas.

Voilà, [31 :00] ça, ça définit la langue. Si vous n’avez pas un système à double articulation de ce type, c’est-à-dire tels que les deux niveaux soient en plus fixes et non interchangeables, vous n’avez pas de langue et vous n’avez pas le droit de parler de langue. Bon, vous me direz, si vous me dites là-dessus, Platon parlait de langue dans d’autres conditions, je ne sais pas parce que je ne vois même pas en Grec une distinction langue-langage, à première vue en tout cas. Je ne vois pas. Je vois bien une distinction langue-parole ; je ne vois pas chez les Grecs une distinction langue-langage. Non pas que ça leur manquait, c’est leur problème, ils n’en avaient pas besoin de ça, c’est comme ça.

Nous passons maintenant à langage. [32 :00] Le langage, se définit comment ? Je disais, eh bien, le plus simple, c’est de dire : le langage se définit par des règles d’usage. Concernant quoi ? Concernant deux aspects : la combinatoire et la sélection. Si vous préférez, la connexion et la sélection. Pourquoi ? Parce que, il faut bien des règles d’usage pour savoir quelles unités significatives — d’où je reviens à la langue — quelles unités significatives sont combinables les unes avec les autres, lesquelles ne le sont pas. [33 :00] Il faut bien des règles de sélection pour savoir à quel moment, pourquoi tel mot, telle unité est choisie plutôt qu’une autre, hein ? [Pause] Donc, la langue telle que nous venons de le définir, de la définir, exige des règles d’usage portant sur les unités des deux articulations.

Pensez à une chose très simple : une langue précise n’a pas une infinité de phonèmes. Et même les langues se distinguent les unes des autres [34 :00] par les phonèmes qu’elles mettent en jeu, avant de se distinguer par les unités significatives qu’elles construisent. Bon. Vous pouvez faire des tables phonématiques correspondant à telle ou telle langue. Le langage consiste donc dans les règles de combinaison, de combinatoire et de sélection portant sur les unités de la langue. Ces règles s’appellent règles syntagmatiques et règles paradigmatiques. Les règles syntagmatiques [35 :00] sont des règles de combinatoire, les règles paradigmatiques sont des règles de sélection. Exemple : as-tu dis billard ou pillard ? Je fais appel à une règle paradigmatique. [Pause] Si je dis : le pillard [Pause] s’est emparé du bateau, je fais appel à une règle paradigmatique… pardon syntagmatique. J’opère une combinaison, combinaison des phonèmes à leur niveau et combinaison des [36 :00] monèmes à leur niveau. C’est le deuxième point. Nous définirons donc le langage par la détermination et l’exercice des relations syntagmatiques et paradigmatiques, conçues comme règles d’usage. [Pause]

Troisième et dernière remarque : les syntagmes et paradigmes — je dis ça pour aller plus vite que règles syntagmatiques et règles paradigmatiques — les syntagmes [37 :00] et paradigmes portent sur les éléments de la langue. La question est : portent-ils sur d’autres choses ? Portent-ils sur d’autres données ? [Pause] On peut me répondre : non. S’ils ne portent pas sur d’autres données, je dirais : il n’y a de langage que de la langue puisque, en effet, syntagme et paradigme comme règles d’usage définissent le langage, s’ils ne portent que sur les données de la langue, je dirais : il n’y a de langage que de la langue. [38 :00] Bon. Supposons que je puisse définir des syntagmes et paradigmes dans leur définition, règles de combinaison et règles de sélection, qui portent sur d’autres données que les données de la langue, c’est-à-dire les deux sortes d’unités prises dans la double articulation. Si je peux définir des syntagmes et paradigmes qui donnent, qui portent sur d’autres données que les données de la langue, je dirais qu’il y a dès lors des langages sans langue. Ils sont sans langue puisque les données ne sont pas des données de langue ; ce sont pourtant des langages [39 :00] puisque ces données sont soumises à des syntagmes et paradigmes. [Pause]

De telles données qui sont soumises donc à des règles langagières, bien qu’ils ne soient pas, bien que ce ne soit pas des données de la langue, pourront être dits des énoncés, énoncés non verbaux. [Pause] Langage sans langue et énoncés non verbaux sont strictement corrélatifs, puisque les énoncés non verbaux, ce seront les données [Pause] [40 :00] comme n’étant pas des données de la langue, mais auxquelles s’appliquent les règles d’usage syntagmatiques et paradigmatiques, et les règles syntagmatiques-paradigmatiques qui s’appliquent à ces données, qui ne sont pas des données de langue sont, elles — ces règles syntagmatiques-paradigmatiques – sont, elles des règles langagières. Donc aux énoncés non verbaux correspondent des langages sans langue, et aux langages sans langue correspondent des énoncés non verbaux. Vous pouvez, en ce sens, parler de langage gestuel, mimétique, vous pouvez parler d’un langage de la mode peut-être, vous pouvez parler d’un langage des fleurs, vous pouvez [41 :00] parler d’un langage cinématographique. Ouais ?

Un étudiant : [Propos inaudibles]

Deleuze : Parlez plus fort si vous pouvez ?

L’étudiant : [Propos inaudibles ; Deleuze répète la question]

Deleuze : Est-ce que les photos peuvent être considérées à leur tour comme un langage sans langue ? Je ne sais pas, je ne sais pas. Je vais vous dire, pour une raison très simple, c’est que, ce n’est pas mon affaire, vu que je ne crois pas… je ne crois à rien de ce que je dis, [Rires] mais pour une raison très simple, je n’énonce pas ma pensée. Ce n’est pas ma faute. Quand je vous raconte du Kant, je crois à ce que je dis. [42 :00] Quand je vous raconte ceci, je n’y crois pas, et je dirai pourquoi je ne peux pas y croire.

Alors la question, tout ce que il faut que, là que je me mette à leur place, que je me dise : est-ce que pour eux, ils diraient : la photo est un langage sans langue ? Je crois que oui, ils le diraient ; à mon avis, ils le diraient, mais, et encore, certains d’entre eux le diraient. Certains d’entre eux le diraient à cause de ces histoires de photogrammes qu’on a vues l’autre fois, on reviendra là-dessus. [Voir les séances 11 et 12, le 29 janvier et le 5 février 1985] Je ne peux pas vous dire. À mon avis, au moins Metz, mais il a, il a évolué beaucoup, Metz ne le dirait pas dans sa première version. Il ne le dirait pas parce qu’à la base de tout, il faut qu’il y ait une narration, et que pour lui, la photo est descriptive et pas narrative. S’il n’y a pas narration, il faut que ce soit des [43 :00] données narratives pour qu’il y ait langage sans langue, c’est-à-dire pour que des syntagmes et des paradigmes s’appliquent. Alors je crois qu’il… mais ça ne me paraîtrait pas invraisemblable de faire une théorie de la photo où s’appliquent syntagmes et paradigmes. D’ailleurs je suppose que [Roland] Barthes, lui, aurait dit qu’il y avait un langage de la photo. Je n’en suis pas bien sûr, mais je pense qu’il l’aurait dit.

Un étudiant : [Propos inaudibles]

Deleuze : Peut-être, oui mais de l’image, ouais, peut-être, peut-être. Peut-être. En tout cas, c’est moins sûr que le langage des fleurs, qui lui, est… Alors comprenez pourquoi Barthes a fait un livre sur la mode. [Système de la mode (Paris : Seuil, 1967)] Barthes a fait un livre sur la mode parce qu’il estimait que les données de la mode constituaient un langage sans langue, c’est-à-dire étaient des énoncés, des énoncés non [44 :00] langagiers auxquels s’appliquaient des syntagmes et paradigmes langagiers, d’où langage sans langue.

Georges Comtesse : Je voudrais faire une remarque.

Deleuze : Ouais !

Comtesse : Si à partir de quelqu’un — ce n’est pas une question, c’est simplement une remarque — c’est que, si Christian Metz, il parvient à une [mots indistincts] narrative et à définir une sémiotique à partir des définitions donc langagières [mots indistincts] et donc par rapport à la narration, c’est que l’image sera définie comme, comme une image analogique, c’est-à-dire comme un fait de ressemblance, et donc la suite des images, ce sera la suite d’énoncés [45 :00] narratifs passant d’un énoncé à un autre, bon. Seulement la remarque que je voudrais dire — ce n’est pas une tellement une question d’ailleurs — c’est que, Metz il est revenu un peu sur cette idée, et surtout dans un texte dans Communications qui s’appelle « Au-delà de l’analogie, (virgule) l’image (point) ». [Dans Communications 15 (1970), pp. 1-10 ; Deleuze donne la référence à ce texte dans L’Image-temps, p. 41, note 4, le recueil de Metz, Essais sur la signification au cinéma, vol. II (Paris : Klincksieck, 1972)]

Donc, et la question qui se pose, elle n’est même pas ni la question à ce moment-là, de la narration, ni même la question des règles qui pourraient définir un langage qui articulerait ou qui lierait, qui lierait plutôt les unités de la langue ; ce n’est pas tellement ça. C’est à mon avis deux choses : d’une part, ce qu’implique même la narration en elle-même pour qu’il y ait une narration, et deuxièmement, une certaine interprétation du langage, mais d’un langage qui serait défini par ce qu’implique [46 :00] justement la narration. Et à ce moment-là, il dit l’important, l’important, c’est que — on suppose, presque tout le monde suppose — que quand on parle, quand on dit quelque chose, lorsqu’on fait quelque chose, on crée un langage quel qu’il soit ; on parle ou on dit, ou on exprime quelque chose. Ce qui est beaucoup plus fondamental que la narration c’est, l’idée que le langage, ça fait l’expression de quelque chose, et que le quelque chose, ça serait donc comme le transcendantal précisément du langage. Le langage serait interprété comme exprimant quelque chose.

Et donc c’est à partir de là qu’il pourrait y avoir et une narration possible et des énoncés possibles. De sorte que Metz le dit : le problème que je trouve maintenant, ce n’est plus le problème simplement de l’image analogique ou iconique, c’est-à-dire qu’elle n’est plus iconique très bien, le problème du fait de la ressemblance. [47 :00] Mais le problème sémiotique qui se pose de façon nouvelle, c’est moins le problème du fait de la ressemblance que de ce qu’il appelle le statut de quelque chose. Donc il distingue, il fait la différence entre le statut de quelque chose qui peut passer dans l’énoncé ou dans l’image, et puis le fait que l’image ressemblerait quelque, … à quelque chose ou bien qu’elle pourrait être prise pour quelque chose. C’est simplement cette remarque là que je voulais faire.

Deleuze : Eh oui.

Comtesse : Ce n’est pas tant une question.

Deleuze : Et qui n’est pas une question, eh non.

Comtesse : Mais qui peut en devenir une !

Deleuze : Et qui pourra en devenir une. Car tu dis très bien, et tu comprends, sympathise pour une fois avec ma situation. [Rires] Je suis forcé d’expliquer pédagogiquement, car c’est ma fonction, [48 :00] une distinction langue-langage que je croyais vraiment connue de vous tous comme par cœur. Je m’aperçois avec douleur qu’elle est moins connue que je ne le croyais, bon. Rien qu’expliquer ça, accorde-moi que ça prend une bonne heure. Tu me dis, mais attention, il y a des textes de Metz, et tu invoques « Au-delà de l’analogie », et tu fais allusion, comme tu dis très bien dans une remarque, à un problème encore plus compliqué. On est en train de se débattre dans un problème moins compliqué mais, et c’est très légitime, dans lequel certains des auditeurs ici se débrouillent mal.

Alors tu comprends, je ne l’ignore pas, ton problème plus compliqué, et on va y venir. [49 :00] Ce qui va devenir intéressant, c’est que j’ai peur que ta remarque ne devienne plus une remarque, mais franchement une, un reproche que tu me feras parce que si j’ai bien compris, ce que tu me tires du texte concernant l’ « Au-delà de l’analogie », moi j’en tire tout à fait autre chose. Mais je suis pour le moment incapable de faire intervenir cette remarque qui est très juste, enfin très juste, la remarque que tu fais. On est très en deçà de ça ; on en est au début, c’est-à-dire les bases élémentaires sur lesquelles se construit cette sémiotique. Et je continue à dire — moi je parlerai même, je corrige un peu quand tu as consenti à revenir sur les bases – ben, il y a un mot où je ne te suivrai pas là pour les besoins pédagogiques : il n’y a pas de fait de la ressemblance. Mes trois moments que je distingue c’est un « fait », et [50 :00] le mot « fait », là, ne convient que au fait d’un cinéma de la narration. C’est le fait Hollywood comme il y a, je vous disais un fait euclidien : la géométrie. Il y a un fait Hollywood : cinéma de narration. Là le mot « fait » est pleinement justifié.

Deuxième élément : l’énoncé analogique ou iconique, ce n’est pas un fait car, comme il dit, et sinon il ne pourrait pas avancer, c’est un jugement. Il doit être rapporté à un jugement de ressemblance, au moins dans le texte, dans les textes du début, mais je suis bien forcé de partir des textes du début. Et troisièmement, il y a des règles d’usage paradigmatiques, syntagmatiques qui s’appliquent à ces énoncés analogiques.

Donc je vous en supplie, [51 :00] je ne vous demande que de comprendre ça. Vous comprenez, quand c’est moi, comprenez mon drame. Quand c’est moi qui parle en mon nom, finalement ça n’a pas tellement d’importance que vous compreniez ou que vous ne compreniez pas parce que la question, ce n’est pas que vous compreniez. La question, c’est : est-ce que vous en tirez quelque chose ou est-ce que vous n’en tirez rien ? Ce n’est pas tout à fait la même question. On peut concevoir à la limite, c’est difficile, mais quelqu’un qui ne comprenne rien et en tire beaucoup, [Rires] ça peut se concevoir. Ce n’est pas… Mais quand je rapporte la thèse de quelqu’un, là, il est urgent pour moi que vous compreniez et que ce soit, et là indépendamment des jugements de valeur, que ce soit Kant ou que ce soit Christian Metz.

Donc je recommence. Est-ce que c’est compris ? Je dirais ça sur ce point, [52 :00] il n’y a pas à discuter parce que c’est comme ça. Je suis navré, c’est comme ça. Vous pouvez me dire : alors oui, que ça ne vous va pas, que ça vous va, que non, que ça ne vous plaît pas bien comme position de problèmes, que vous ne pouvez pas dire que ça vous plaît rudement, ça, et c’est secondaire. Ce n’est pas si ça vous plaît ou pas, c’est… Et en tout cas, pour la linguistique en général, il est assez important de savoir ce qu’ils veulent dire lorsqu’ils emploient tantôt le mot langue, tantôt le mot langage. Parce qu’encore une fois, la distinction langue-parole, tout le monde la connaît. Mais langue-langage, c’est une distinction plus importante puisque évidemment, la parole ne pourra être définie que par l’emploi, l’emploi dans des énoncés effectivement prononcés ou prononçables, l’emploi des règles d’usage. Bon, ça suppose la distinction [53 :00] langue-langage.

Alors est-ce que, est-ce que c’est limpide ? Bon, donc je répète que le cinéma va nous être présenté comme un ensemble d’énoncés iconiques, c’est-à-dire d’énoncés non-langagiers en tant qu’ils sont soumis, pourtant, à des règles langagières de syntagmes et de paradigmes. Vous me direz, comment du non langagier peut-il être soumis à des règles langagières ? On l’a vu, parce que les règles langagières ne portent pas seulement sur des éléments de la langue. Dès lors, vous parlerez [54 :00] d’énoncés non-verbaux, énoncés non-verbaux qui sont des énoncés en tant que soumis aux règles du langage, paradigme et syntagme. [Pause] Faites-moi un sourire. Eh oh, ouais. Bon, allons-y.

Un étudiant : Il y a quelque chose qui empêche la limpidité, c’est la fumée ici…

Deleuze : Ah voilà, vous arrêtez de fumer. Je vous l’ai dit déjà, vous allez avoir bientôt une récréation, [Pause] oui, parlez fort.

Une étudiante : En quoi [mots indistincts] de Metz ; langue-langage au cinéma, si vous ne considérez la langue que comme des exemples de langage verbal. [55 :00] Le langage verbal [mots indistincts] par rapport à l’image au cinéma… [Pause ; rires]

Deleuze : Alors, entendons-nous, je précise, parce que cette distinction n’est pas de lui, il utilise cette distinction. Il l’utilise pour dire : le cinéma n’est pas une langue, c’est un langage sans langue, c’est-à-dire c’est un couple énoncés non-verbaux-règles langagières, d’accord ? Si vous me dites, quel intérêt à cela ? La réponse de Metz serait que c’est le seul moyen de faire de la critique cinématographique [56 :00] une science, c’est-à-dire, de la tirer d’un simple impressionnisme ou d’une critique d’humeur, ou de, quoi d’autre ? Ou enfin, de lui donner une base scientifique. Ça va comme réponse ? Je crois, hein, je crois que c’est ça son… Ou du moins sinon une science, de donner à la critique de cinéma une méthode, une méthode rigoureuse.

Comtesse : Je veux dire aussi que, du coup, c’est différent des trucs qu’il dit au début du cinéma.

Deleuze : Oui, là, Comtesse a raison. Il se trouvait dans une forme culturelle, le cinéma, qui avait été agitée pendant tout le muet et [57 :00] au début du parlant par « le cinéma : langue universelle ». Donc c’est ça, il va les traiter de naïfs, de — je dirais, à la lettre, philosophiquement — de précritiques. Et c’est en ce sens que je vous disais, sa position est comparable à celle de Kant quand il fait de la philosophie critique, en assignant un fait et en se demandant « à quelles conditions ce fait est-il possible ? ». Il y a le fait de la narration, à quelles conditions ? Le fait de la narration au cinéma est-il possible ? Réponse : à condition que les énoncés analogiques, iconiques soient soumis à des règles syntagmatiques et paradigmatiques… [Interruption de l’enregistrement] [57 :53]

Partie 2

… Eh bien, vous m’avez vu, je suis mort, [58 :00] je n’en peux plus. Alors continuons, continuons car ça ne fait que commencer. Alors là je vais très vite, je vais très vite, je vais très vite parce que tout est simple après. Je dis bon, mais qu’est-ce que c’est ces règles syntagmatiques et paradigmatiques ? Il faut encore dire ce que c’est, hein ? Eh bien, surtout que Metz y attache d’autant plus d’importance que il nous dit que le principal des secrets de cette discipline, la sémio-critique, va consister dans « la grande syntagmatique ». [Pause] Ah… Il s’agit donc d’étudier les règles d’usage, règles d’usage auxquelles les images cinématographiques sont soumises. [59 :00] Ça va donc peut-être devenir un peu plus concret. Et voilà qu’il a beaucoup varié dans sa classification, il dit que sa classification est ouverte, qu’il faut la remanier, tout ça, mais dans le stade le plus clair, il distingue huit syntagmes. Huit, hein ? On ne peut pas sortir, huit syntagmes. [Pause]

Seulement qu’est-ce qu’un syntagme au cinéma ? Un syntagme au cinéma, il lui donnera le nom aussi bien de « segment autonome ». C’est-à-dire là, il est en pleine légitimité, il construit sa terminologie. Qu’est-ce qu’un segment autonome ? Si vous voulez, en [60 :00] très gros — il dit des choses vraiment au plus simple — un segment autonome, c’est une séquence, c’est-à-dire une suite de plans qui réagissent les uns sur les autres. Vous me direz, à la limite, toutes les séquences réagissent les unes sur les autres — oui, plus ou moins — qui réagissent directement les uns sur les autres. [Pause] Donc, on distinguera autant de syntagmes qu’il y a de segments autonomes.

Premier syntagme : le plan unique. Vous me direz ça… ben, c’est lorsque le plan unique vaut pour lui-même. Metz ne cache pas — c’est déjà un trouble — que c’est une catégorie fourre-tout, comme on dit, [61 :00] c’est-à-dire que ce premier syntagme, le plan unique, réunit les choses les plus diverses. Exemple : un gros plan peut être un syntagme de ce type, mais un plan-séquence peut être un syntagme de ce type. Entre un gros plan et un plan-séquence — et là, il insiste, dans tous ses textes, il dit : c’est une catégorie que je n’ai pas bien analysée — mais il va de soi que dans ce premier syntagme, il y a toutes sortes de syntagmes très différents. Ça ne fait rien, ça ce n’est pas un problème.

Deuxième syntagme, deux, et trois plutôt. Ce sont les syntagmes qu’il appelle « non chronologiques ». [Pause] [62 :00] Il distingue deux sortes de syntagmes non chronologiques, l’un qu’il appelle parallèle. [Pause] Le montage rapproche… — Malins comme vous êtes, vous bondissez ! — Le montage, mais qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce que ça vient faire, là ? Est-ce que le syntagme suppose le montage ? Ce serait très grave, ce serait affreux. Si le syntagme présuppose le montage, tout son truc saute parce que il ne fallait pas nous parler du syntagme et du paradigme. Il fallait d’abord nous parler du montage, si c’est le montage qui fait les syntagmes et les paradigmes, c’est grave. [63 :00] Je vous rassure : il y a pensé. Ce n’est pas une erreur. C’est-à-dire comme je cherche à dire vraiment ce qui me trouble dans toute cette histoire, il faut au moins rendre le maximum d’hommage à Christian Metz. Je veux dire, il y a un type de querelle, on va voir au fur et à mesure, qui paraîtrait des fausses querelles, parce qu’il a des réponses très… On verra sa réponse tout à l’heure.

Mais enfin dans le cas du syntagme parallèle, il nous dit : le montage rapproche et entremêle deux ou plusieurs motifs qui reviennent par alternance, voilà. Exemple : scène de la vie des riches et scène de la vie des pauvres, images de calme et images d’agitation. Remarquez, c’est très important : ces syntagmes ne sont pas pris dans une même action ; ce serait un autre cas quand ils sont pris dans une même action. Vous avez simplement des scènes de vie de riches et des scènes [64 :00] de vie de pauvres, là, qui ne sont pas liées, qui ne sont pas liées. Ça formera un syntagme parallèle, images d’agitation, images de calme, la ville et la campagne, la mer et les champs de blés, ce sera un syntagme parallèle.

Deuxième type de syntagme a-chronologique, non-chronologique — Voyez, il n’y a pas de relation chronologique entre vos images de mer et vos images de terre, vos images de campagne, vos images de ville, il n’y a rien de chronologique. En effet, il n’y a pas d’action commune qui ferait dire, ah ben là, c’est avant et là c’est après — Deuxième type : le syntagme qu’il appelle « en accolade ». Ce qu’il appelle syntagme « en accolade », c’est, il me semble, un syntagme qui serait [65 :00] considéré, constitué par plusieurs exemplaires indépendants d’un même motif. On en trouve notamment, par exemple, il donne d’autres exemples, mais moi, j’en vois un exemple très net, je crois bien, chez [Alexander] Dovjenko, où il y a, dans je ne sais plus quel Dovjenko, plusieurs images typiques qui se succèdent comme ça, qui marquent l’extrême froid. Alors, vous avez une première image, un pauvre vieux qui est en train de, de vraiment, d’être sur son banc. On voit bien qu’il a froid. L’image d’après, un cheval qui ne peut plus avancer sous la neige et que le paysan bat. Troisième image, etc., inventez des exemples vous-mêmes. [66 :00] Des images qui seraient des images typiques de froid et qui se succèdent, ce serait le syntagme en accolade.

Voyez donc, nous avons déjà trois syntagmes : le syntagme plan unique, encore une fois avec tout ce que vous voulez là-dedans, c’est un faux syntagme, un pseudo syntagme, puisqu’il est divisible en toutes sortes de syntagmes. Et puis le syntagme parallèle, et puis trois : le syntagme en accolade.

Quatre : le syntagme de simultanéité. C’est le syntagme descriptif, la description comme élément de narration. Exemple : ça peut être une suite d’images qui vous montrent une maison. Une maison, il y a un travelling le long de la maison, [67 :00] et puis le jardin, le jardin qui dépend de la maison. C’est un syntagme de simultanéité puisque le jardin et la maison sont supposés coexister, être simultanés.

Cinquièmement : syntagme alterné. — Voyez qu’il ne faut surtout pas confondre avec le syntagme parallèle, car le syntagme alterné ne va pas être non-chronologique, il va être chronologique. — Syntagme alterné qui se définit par plusieurs consécutions, consécutions différentes, une suite d’images sur des poursuivants, une suite d’images sur des poursuivis. Une suite d’image sur… — Par exemple, si vous pensez à [68 :00] Naissance d’une nation [1915], qui a fait de fameux syntagmes alternés — images sur les assiégés, images sur ceux qui viennent au secours des assiégés. Vous avez un syntagme alterné, très différent encore une fois du syntagme parallèle de tout à l’heure puisque là, il y a une action commune, une action commune à consécutions diverses. C’est le cinquième, le syntagme alterné.

Sixième : syntagme à consécution continue. Cette fois-ci, il n’y a pas plusieurs… c’est une scène. Ce qu’il appelle plus précisément une scène.

Enfin, sept et huit : syntagmes à consécutions [69 :00] discontinues, soit parce que le banal d’une action est supprimé — il y a ellipse sur le banal — [Pause] soit parce que ne sont présentés que certains épisodes de l’action. Le septième cas sera dit : séquence ordinaire ; le huitième cas sera dit : séquence à épisodes. Bon. [Pause] Voilà la grande syntagmatique.

Vous me direz : passons à la grande paradigmatique. [70 :00] Voyez donc, il a défini, il tient sa promesse, bien ou mal ça n’importe pas. Sa promesse, c’était définir des règles d’usage qu’on pourrait appeler syntagmatiques et qui portent sur les énoncés analogiques, les énoncés iconiques du cinéma. Et vous comprenez, c’est que enfin, c’est toujours prématuré, et on retrouve déjà à ce niveau… comment, comment il s’en tire de ce cercle, de ce cercle tout à fait vicieux ? C’est un énoncé parce que c’est soumis à des syntagmes, et c’est soumis à des syntagmes parce que c’est un énoncé. C’est pour cela qu’il a absolument besoin, comme donnée de base, de cinéma de [71 :00] narration. [Pause]

Mais, bon, bon, bon, alors nous attendons la grande paradigmatique ou il n’y en a pas, et ça va être très intéressant, il n’y en a pas pour une raison très simple. C’est que, comme il dit, dans la langue, la paradigmatique peut être très importante et aussi importante, et même plus importante que la syntagmatique. Mais au cinéma, comment vous voulez ? La paradigmatique, elle a d’autant moins d’importance qu’elle est infinie. Vous vous rappelez ? La paradigmatique, c’est le rapport des unités présentes, à savoir les segments autonomes, avec d’autres [72 :00] absents et qui pourtant sont comparables à certains égards. Mais comme il dit très bien : dans une langue, c’est déterminable. Je reprends mon histoire : billard-pillard, la paradigmatique, c’est la relation /b/ et /p/. Tu as dit pillard ou tu as dit billard ? Il y a un choix à faire. Si je dis, j’ai dit billard, ça ne veut pas dire pillard ; pillard aurait pu être là. Mais le nombre de comparaisons que j’ai à faire un monème étant donné — par exemple billard — le nombre de comparaisons que j’ai à faire est limité… [Interruption de l’enregistrement] [1 :13 :00]

… va me renvoyer à pillard, quoi d’autre ? Si il y avait un mot : fillard, c’en serait un second. Voyez, pour un mot… je dis le mot mousse, bon, je suis renvoyé à pouce. Pouce, moussegousse ? Oui, oui, oui, très bien, gousse. Oui. Quelques-uns… mais chaque fois, c’est limité. C’est limité pour une raison très simple : c’est que les phonèmes, c’est que les phonèmes d’une langue sont eux-mêmes limités, c’est-à-dire que les unités distinctives d’une langue sont limitées dans leurs rapports les uns avec les autres. Alors je peux prendre [74 :00] ensuite ma deuxième syllabe et faire le même jeu ; de toute manière, c’est limité. C’est par sa propre limitation que la paradigmatique à une telle importance en linguistique. C’est-à-dire : il y a un nombre de choix déterminables à faire.

Comme dit très bien Metz — à plusieurs reprises il revient sur ce thème – eh bien oui, la sémiologie du cinéma risque d’être axée sur la syntagmatique plus que sur la paradigmatique. Ce n’est pas qu’il n’existe aucun paradigme filmique, non ça bien sûr, il y en a. Mais justement, il y en a trop. C’est à l’infini, quoi. Je cite, pour ceux que ça intéresse : tome I de Essais sur la signification au cinéma [Paris : Klincksieck, 1968], page 102, page 118 : « Un plan ne [75 :00] prend son sens que dans une faible mesure par opposition paradigmatique avec les autres plans qui auraient pu apparaître au même point de la chaîne, puisque ces derniers sont en nombre indéfini ». Ou bien page 73, bon, en tout cas, la paradigmatique, ça ne va pas fort, page 73 à nouveau, vous trouvez la même thèse : « Le paradigme d’image au cinéma est fragile, approximatif, souvent mort-né, aisément modifiable, toujours contournable. C’est seulement dans une faible mesure que l’image filmique prend son sens par rapport aux autres images qui auraient pu apparaître au même point de la chaîne. En effet, ces dernières ne sont pas dénombrables. ». Voyez, justement parce que ce n’est pas une langue, [76 :00] grande syntagmatique mais toute petite paradigmatique, voilà.

Lorsque, lorsque surgit quelque chose — vous me suivez encore ? — Ce qui surgit — et là je ne peux pas… sinon, là aussi c’est pour tenir compte de tous les points, même les plus forts de la conception sémio-critique — ça paraît bizarre que ces auteurs qui veulent tellement être, pas simplement à la mode, mais suivre le cinéma dans ses formes les plus modernes, c’est quand même curieux qu’ils soient tellement partie, ça peut nous paraître curieux, qu’ils soient tellement partie de ce fait de la narration [77 :00] du cinéma d’Hollywood, et qu’ils s’y soient tellement accrochés. Bon. [Pause]

Et Metz, dès ses premiers livres, tombe sur le cinéma dit, enfin qu’on a appelé, nous, par commodité, moderne. Or le lieu commun le plus évident concernant ce cinéma, c’est que la narration y est compromise. Déjà avec le Néoréalisme, avec la Nouvelle Vague, précisément c’est la rupture avec le cinéma de Hollywood. Alors, est-ce que ça veut dire que la sémio-critique se cantonne dans le cinéma de Hollywood ? Ce serait quand même bizarre ; évidemment non. Mais qu’est-ce qu’il va dire ? [78 :00] Metz, en effet, consacre tout un texte, un long texte, à ce cinéma dont on dit qu’il rompt avec la narration, et voilà ses premières réactions, à lui, Metz.

C’est toujours lui qui parle, vous ne me faites rien dire de plus. La réaction de Metz c’est qu’il prend un exemple célèbre, dans Pierrot le fou [1965], une scène très belle qui est la fuite du couple hors de l’appartement par la gouttière, et ils s’engouffrent dans une voiture qui va prendre les quais sur la Seine. Or c’est une scène très curieuse parce qu’il y a des retours en arrière. Ils sont, le couple est dans la voiture sur la Seine, et Godard fait revenir à la manière dont ils descendent par la gouttière, reprend, etc., c’est-à-dire c’est une scène [79 :00] à progression et rétrogradation, qui semble complètement briser le cours de la narration.

Et là, Metz a une position très ferme qui consiste à dire : rien du tout. Ce cinéma n’est pas moins narratif qu’un autre, simplement il est absolument narratif. Donc là, il maintient la position intransigeante de : le cinéma est narratif. Le fait Hollywoodien subsiste. Le cinéma est narratif et le reste, et le restera. Simplement il dit : le cinéma moderne nous force à inventer de nouveaux syntagmes, et en effet, il avait bien prévenu, la liste des syntagmes. Elle est, [Pause] elle est, [80 :00] elle est ouverte. Et là, alors il invente un drôle de syntagme pour la séquence de Godard. Il dit, Jean-Luc Godard, dans le passage qui nous occupe, ben oui, il invente un nouveau syntagme, un nouveau type de séquence, « qu’il faudrait appeler une séquence potentielle, qui représente un type syntagmatique nouveau, mais qui reste, de bout en bout, une figure de la narrativité ». Bien, il sent bien que ça ne va pas. Syntagme potentiel, qui expliquerait les rétrogradations et les variantes. Puisqu’il y a répétition, [81 :00] il y a rétrogradation, retour à la scène avec des variantes. Il y a répétitions et variantes, c’est ça qui vient briser la narration.

Et voilà que ses disciples agissent, parce qu’entre temps, Metz a eu beaucoup de disciples, et les disciples sont une bonne chose, qui agissent toujours. Et les disciples, ils ont eu une idée, et ils ont trouvé un complice diabolique. Ce complice diabolique, c’était [Alain] Robbe-Grillet. Et Robbe-Grillet, il leur a lancé un mot : le dysnarratif, d-y-s plus loin narratif. Et Robbe-Grillet, il a dit : le cinéma moderne, il est dysnarratif, [82 :00] et avant tout mon cinéma à moi, Robbe-Grillet, est dysnarratif. Ça leur a plu parce que c’est une manière de dire que ce n’est pas non-narratif. C’est dysnarratif. [Rires] Donc il y avait des chances pour que l’on puisse conserver l’idée de narration.

Et ces disciples de Metz, je crois là que c’est très normal de leur rendre un très grand hommage, parce que ils ont poussé des analyses extraordinaires, qui me paraissent, moi, extraordinairement difficiles. Mais ils ont poussé très loin des analyses, pour, et notamment rendant, rendant ce qu’ils devaient, pour les appliquer avant tout au cinéma de Robbe-Grillet. Et quel est leur schéma ? Et ces disciples, c’est particulièrement André Gardies — je crois que ça se prononce comme ça, [83 :00] g-a-r… g-a-r-d-i-e-s –, [Dominique] Chateau et [François] Jost. Jost particulièrement à fait une œuvre très considérable sur tous ces problèmes. [Sur le cinéma dysnarratif, voir L’Image-temps, pp. 178-179 ; sur les livres de Gardies et de Chateau et Jost, voir les références ci-dessous]

Moi j’en reste toujours au plus rudimentaire : qu’est-ce que c’est leur idée de fond ? Bien, si vous m’avez suivi, elle s’impose leur idée de fond. C’est dire, ben oui, avec le cinéma moderne, il y a un changement, il y a un changement fondamental de nature structurale. C’est-à-dire : c’est le paradigme qui l’emporte sur le syntagme. Il y a eu mutation structurale, c’est une véritable mutation structurale. La structure n’est plus syntagmatique ou à prévalence syntagmatique, la structure est passée [84 :00] à prévalence paradigmatique. Ça veut dire quoi ? Là, je vais très vite parce que leurs analyses sont extrêmement complexes, extrêmement… Je renvoie à deux livres : Gardies, Le cinéma de Robbe-Grillet, édition Albatros [1983] et Chateau et Jost : Nouveau cinéma, nouvelle sémiologie, 10/18 [Paris : UGE, 1979].

Eh bien, une structure à prédominance syntagmatique, qu’est-ce qu’elle assure ? Elle assure l’accumulation du récit, l’accumulation des épisodes du récit, l’accumulation des épisodes [85 :00] et l’évolution. En effet, vous vous rappelez : le syntagme, c’est la combinatoire des éléments. Le syntagme est par nature progressif. Il assure le déroulement du récit, l’engrangement du récit et son ouverture, sa conservation du passé et son ouverture sur le futur. Donc il favorise une narration dite classique. Vous vous rappelez, le paradigme, c’est la comparaison d’unités présentes avec des unités absentes comparables sous quelque aspect. Et il est réglé par la « commutabilité ». Qu’est-ce que c’est que la commutabilité ? Je vous le rappelle, il y a commutabilité entre deux éléments [86 :00] u et u’ lorsque vous avez trois … deux syntagmes, deux syntagmes différents, v, u, w et v, u’, w. Vous direz, à ce moment-là que les deux syntagmes qui ont comme un v et w, qui ont comme différence [Pause] u et u’, sont commutables.

Je reprends un exemple de la dernière fois pour que ce soit très clair : les bandes du vieux billard, hein ? Vous savez qu’un billard a des bandes ? Les bandes du vieux billard, les bandes du vieux pillard [87 :00] sont commutables. Vous avez cette fois-ci : v w u et v w u’. Les bandes du vieux billard, les bandes du vieux pillard. D’accord ? Supposez un récit à prédominance paradigmatique, qu’est-ce que vous allez avoir ? Eh ben, la pleine rigolade. Pourquoi ? Normalement, du point de vue paradigmatique, c’est des règles de sélection, c’est-à-dire vous avez des choix à faire. C’est-y billard ou c’est-y pillard que tu as dit ? Hein, je n’ai pas entendu : billard ou pillard ? Mais, ce qui me permet [88 :00] de choisir, c’est l’avancée syntagmatique. [Pause] Je dis, « oh là là, ce vieux billard, il avait des bandes ». Jusque-là quelqu’un qui n’entend pas n’a pas les moyens de choisir. Avec ce vieux pillard, il avait des bandes. « Si bien que j’ai crevé la bande du billard ». Voilà. Il n’y a pas le moyen de choisir encore. Mais crever, crever le tapis d’un billard… ah je me dis : ça doit être billard, ce n’est pas pillard qu’il est en train de dire parce que crever la bande du pillard, ça pourrait se dire, etc. Je continue.

L’avancée [89 :00] syntagmatique me donne des raisons de choisir entre les commutables. Si vous avez une prédominance — je sens que c’est compliqué ce que je dis ; là je ne vais pas développer tout ça, il y en a marre — si vous n’avez pas, si vous avez une faible syntagmatique, si j’ose dire, vous êtes possédé. Si vous avez une syntagmatique, ben voilà : vous avez une paradigmatique d’autant plus forte que non seulement vous aurez des commutables mais qu’il y aura permutation des commutables. Vous n’aurez aucun moyen de choisir. En d’autres termes, ce que vous aurez c’est quelque chose d’indécidable entre les deux commutables. Vous aurez quelque chose de proprement indécidable entre les deux commutables. Vous aurez quelque chose de proprement indécidable entre les deux commutables, à savoir : tu as dit billard [90 :00] ou pillard ? J’ai dit les deux à la fois. Ah bon… ah tiens, j’ai dit les deux à la fois. Ça va faire une drôle d’histoire : les bandes du vieux pillard sont les bandes du vieux billard. Eh bien, oui, c’est comme ça, hein ? C’est comme ça, c’est les deux. Bon. [Pause]

Merde alors, j’ai perdu la clef ! [Pause] J’ai la clef, [Pause] je retrouve la clef. Avec une syntagmatique normale, vous n’avez pas tellement de problème. Vous aviez la clef, vous la perdez, vous la retrouvez. Vous avez engrangé et avancé et fait [91 :00] évoluer syntagmatiquement votre opération. Si votre syntagmatique se met à vaciller, vous avez trois formules commutables : j’ai la clef, j’ai perdu la clef, j’ai retrouvé la clef. Aucun moyen de choisir entre les trois, il y a permutation des commutables. Vous avez une syntagmatique pauvre avec une paradigmatique riche. Boris a trahi Jean. [Pause] Boris a sauvé Jean. [Pause] [92 :00] Jean a trahi Boris. Si vous avez une syntagmatique forte, ça peut s’arranger. Tout ça, c’est des épisodes successifs, comme dirait Metz ; c’est un syntagme à consécution discontinue, à épisodes. Si vous n’avez pas de syntagmatique, hein ? Si vous n’avez qu’une paradigmatique forte ? Ouais, Jean a trahi Boris. Non, ouais, Boris a trahi Jean. Eh oui… et puis Jean, il a sauvé Boris. Et puis merde, Jean et Boris, c’est la même personne. [93 :00] Vous avez reconnu avec l’exemple de la clef, Trans Europ Express [1966], enfin un passage de Trans Europ Express de Robbe-Grillet. Avec Boris et Jean, vous avez reconnu le grand thème du plus beau film de Robbe-Grillet : L’homme qui ment [1968].

On dira que la dysnarration se définit par une structure à paradigmes et à paradigmatique forte et à syntagmatique pauvre ou écrasée. Si bien que dès lors, le récit ne s’accumulera plus et n’évoluera plus, mais procédera par répétition et permutation des commutables. Pourquoi répétition en plus de permutation ? Parce que la répétition, c’est la permutation zéro. [94 :00] Même pas, c’est la permutation un, c’est la permutation un. [Pause] Alors je dis bien que, ça va se compliquer énormément parce que, comment obtenir une paradigmatique qui écrase la syntagmatique ? C’est ça que les disciples de Metz — et Metz se rangera à leur avis, et dira lui-même que sa première solution, qu’il suffisait d’ajouter des syntagmes pour rendre compte de ce cinéma moderne, était insuffisante — voyez que la réponse est plus complexe chez ses disciples puisqu’ils vont dire, puisqu’ils vont dire : oui, il y a eu une véritable mutation structurale du récit, mais cette mutation en gros, elle vient de la prévalence qu’a prise la paradigmatique.

Mais alors sur quoi repose — là-dessus le problème rebondit, [95 :00] et là ils vont se déchaîner évidemment — sur quoi repose ce primat pris par la paradigmatique, alors que la narration semblait exiger un primat de la syntagmatique ? Si bien qu’ils seront amenés à faire intervenir toutes sortes d’éléments et notamment ce qu’ils appellent des paramètres et des micro-paramètres, dont déjà, très curieusement, Metz parlait pour dire : ce sont des éléments qui n’ont pas d’importance significative dans l’image cinématographique. Mais ces micro-paramètres, notamment le costume — on en revient aux vêtements –, notamment le costume, va être appelé à jouer un rôle, mais un rôle fondamental, notamment dans le cinéma de Robbe-Grillet. [Pause] Et c’est l’injection [96 :00] des paramètres dans l’image qui va jouer un grand rôle dans le renversement de la subordination paradigmatique-syntagmatique. Mais tout ça, je n’ai pas le temps. Bon, je voulais juste vous indiquer, là, cette voie.

Donc, voyez que ils pourront dire qu’ils collent absolument avec le cinéma moderne puisqu’ils introduisent un nouveau régime. Ce dont ils ne veulent pas entendre parler, c’est d’un cinéma non-narratif. Ils diront : bien oui, le cinéma non-narratif, c’est le cinéma expérimental. Et le cinéma expérimental, ce n’est pas notre faute ; c’est un fait qu’il est marginal. Et en d’autres termes, c’est-à-dire depuis Hollywood, depuis le fait du cinéma, à savoir, la constitution d’un cinéma de narration, c’est pour cela que la sémio-critique est très peu favorable, dans la répartition de la critique d’aujourd’hui du cinéma, [97 :00] la sémio-critique est très peu favorable au cinéma expérimental. En revanche, elle est très favorable aux formes qu’elle appelle « formes modernes de narration », c’est-à-dire au dysnarratif, un cinéma dysnarratif qui seul, suivant elle, définit le cinéma moderne.

Et alors on n’a pas tout à fait fini, car dans leur prudence, puisque ça il faut le mettre à leur acquis, à quel point… C’est très intéressant. J’ai dit la base élémentaire. Si vous lisez le livre de Jost et Château, là, sur Robbe-Grillet, vous aurez une tête grosse comme ça, parce que ils sont amenés à faire une paradigmatique très riche. Alors une paradigmatique, vous verrez, ce n’est pas rien, une paradigmatique ; ça vous ferait regretter [Pause] [98 :00] les axiomatiques en mathématiques les plus poussés. Bon, mais enfin, mais on laisse, on laisse tomber, voilà, voilà.

Syntagmatique, paradigmatique, qu’est-ce que c’est ? On l’a vu : des règles d’usage, des règles d’usages. Autant dire, pour donner leur nom maintenant : des règles d’usage, c’est-à-dire des codes. C’est des codes, hein ? [Pause] Je recommence : il ne faut pas confondre la langue et le code. Metz le disait déjà depuis le début : que la langue se compose d’une double articulation [99 :00] avec deux sortes d’éléments, les éléments distinctifs et les éléments significatifs, ce n’est pas un code. Le code, c’est les règles d’usage qui déterminent les combinaisons et sélections de ces éléments, ça c’est un code. Donc la paradigmatique et la syntagmatique sont des codes. [Pause]

Immédiatement vous voyez bien qu’ils n’ont pas le choix, ils n’ont pas le choix. [Pause] Il va bien falloir qu’il y ait beaucoup de codes. La paradigmatique et la syntagmatique, la grand syntagmatique dont Metz à un moment se demandait si ce n’était pas le code exclusif du cinéma, très vite il y renonce. [100 :00] Bien plus, il y a toutes sortes de codes qui viennent s’exercer sur l’image cinématographique. La syntagmatique n’est qu’une règle d’usage parmi les autres, et là aussi Metz laissera la liste ouverte mais distingue formellement cinq grands codes. – [Deleuze chantonne] Ah, la la la la la la la la ! Je n’en peux plus. [Pause]

Il y a… par exemple, donc, on va faire la liste des codes, hein ? Premier code : la grande syntagmatique. Deuxième code, qu’il ne cite pas : [101 :00] la paradigmatique. [Pause] Il y en a toujours, même dans le cinéma à prédominance syntagmatique, il y a une petite paradigmatique ; dans d’autres cas, il y en a une grande. Mais vous avez déjà là deux codes. Troisième code : il y a, nous dit Metz, le code qui est traditionnellement désigné sous le nom de « ponctuation filmique ». Il y a le code de ponctuation. Entre parenthèse, fondu, volet — vous voyez le vieux procédé du volet dans le cinéma muet – iris — vieux procédé aussi généralement abandonné – filage — filage, je passe vite, j’aurais dû le supprimer parce que je ne sais pas ce que c’est,  — bon, [102 :00] Enfin certains d’entre vous le savez. — Bon, code de ponctuation. On passe. Il y a, donc ça c’est un troisième code. Quatrième code…

Une étudiante : Non, filage, c’est quand la caméra passe très, très vite, comme ça… ça fait un… ça fait un…

Deleuze : Ah bon, ce n’est pas un panoramique ça ?

L’étudiante : Ah non. Le panoramique, on distingue encore quelque chose, alors que le filage, on ne distingue plus rien.

Deleuze : Ah, alors c’est pour ça qu’il ne le met pas dans le mouvement d’appareil…

L’étudiante : Oui, ce n’est même pas un mouvement d’appareil.

Deleuze : Ah, d’accord. Ce n’est pas un mouvement d’appareil. D’accord, d’accord, d’accord. Ah ben oui, alors je vois, ouais, ouais.

Quatrième, troisième, je sais plus… quatrième code, les mouvements d’appareils, qui forment un code spécifique. Travelling, ça on s’y retrouve, panoramique, trajectoire [103 :00] à la grue, caméra à la main, travelling optique type zoom, etc., etc. [Pause] C’est le code des mouvements d’appareils. [Pause]

Cinquièmement : il y a aussi un code — ou un ensemble de codes, ajoute-t-il, puisque ces codes se divisent aussi en sous-codes — il y a aussi un code particulièrement important qui vient organiser les relations de la parole et de la donnée visuelle. Ouf, il était temps ! Il était temps car ça n’a pas dû vous échapper. Toute l’histoire de l’image cinématographique comme énoncé soumis à des paradigmes, c’est-à-dire [104 :00] à des règles langagières, soumis à des syntagmes, c’est-à-dire à des règles langagières, se faisait sans la moindre allusion au parlant. Bien plus, la syntagmatique exigeait que l’on ne tienne pas compte du parlant. Ce n’est pas qu’elle s’appliquait seulement au muet ; elle s’appliquait à l’image conçue comme énoncé analogique par ressemblance. Donc il n’était pas question du parlant. Comme la syntagmatique excluait toute considération sur la parole au cinéma, il faut bien qu’il y ait un code du parlant cinématographique, c’est-à-dire un code audio-visuel. [Pause] Alors le code audio-visuel, c’est quoi ? Eh bien, voyez : voix in, [105 :00] voix off, tout ce que vous voulez, bon, et bien d’autres, tout ça on verra. Enfin bon.

Enfin alors sixièmement, je ne sais plus. Et puis il y a tous les codes de montage — là aussi il était temps — et puis il y a tous les codes de montage. Voyez ce qu’il veut dire ? Non seulement il y a plusieurs codes, mais c’est évident que ces codes se présupposent. Comparez la syntagmatique et le montage, c’est deux codes nous dit-il. Ne confondez surtout pas, car si vous reprenez la liste des syntagmes, vous pouvez avoir l’impression que le montage est déjà présupposé. Oui, il est souvent présupposé, pas toujours. [106 :00] Car, si vous reprenez la liste, il est évident que le premier syntagme, le plan fourre-tout, le plan unique, lui ne présuppose pas le montage. Mais, tel que je vois, tous les autres présupposent le montage. Si vous faites un syntagme en accolade, si vous faites un syntagme alterné, le montage est là.

Oui, mais l’idée de Metz — là il ne faut pas non plus lui chercher des critiques qui lui tomberaient à tort — l’idée de Metz, elle est toute simple : tous les codes cinématographiques se présupposent et s’entremêlent et renvoient les uns aux autres. Simplement, en droit et abstraitement, vous pouvez les définir différemment. Car c’est vrai que beaucoup de syntagmes présupposent le [107 :00] montage, mais qu’est-ce qui me fait dire que c’est quand même deux codes, le syntagme et le montage ? Premièrement que : il y a des syntagmes indépendamment du montage, et deuxièmement que le montage excède les types de syntagmes, puisque le montage excellera, dans quoi ? Dans la jonction des différents syntagmes. Donc les critères du montage comme code ne sont pas les mêmes que les critères des syntagmes. Et vous pouvez très bien concevoir, à la manière de Eisenstein, un montage métrique, un montage rythmique, un montage harmonique, alors que vous n’avez pas de segment… de syntagme harmonique, rythmique, métrique. [Pause] [108 :00]

Et en même temps, le montage à certains égards présupposera lui-même des syntagmes, les syntagmes présupposeront le montage, etc. Donc ces cinq codes, ils ne cesseront pas de se mêler et il y en aura bien plus, il y en aura bien d’autres. Il y en aura bien d’autres parce que comme dit tout le temps Metz, cette histoire-là, ce n’est pas fini parce que le cinéma, en tant que formation culturelle, il est soumis à des codes non cinématographiques, en plus. Il est soumis à des codes non cinématographiques, par exemple, un code moral. Et les codes moraux au cinéma jouent beaucoup. Il est soumis à des codes picturaux, à des codes sculpturaux, etc., [109 :00] qui ne sont pas des codes spécifiquement cinématographiques. Lorsque un moment à Hollywood, il y a un code moral qui dit : un baiser ne doit pas durer plus de tant de temps, c’est un code moral, qui n’est pas spécifiquement cinématographique et qui pourtant régit le cinéma de narration de Hollywood.

Donc vous avez tous les codes non-spécifiques qui pèsent sur le cinéma comme formation culturelle et puis vous avez les codes spécifiques. Les codes spécifiques, ce sont les règles d’usages qui portent sur l’image iconique ou analogique en tant que telle, c’est-à-dire en tant que cinématographique, donc voyez qu’il y en a cinq ou six… [Interruption de l’enregistrement] [1 :49 :54]

Partie 3

… Donc c’est une théorie [110 :00] très complexe puisque, encore une fois, je n’en ai donné que tout à fait les bases.

Eh bien, il nous reste à voir, c’est maintenant, je passe à une confession : vous dire pourquoi tout cela me trouble. Bien entendu, je ne fais aucune objection. Je n’ai pas d’objections à faire. J’ai des troubles, un état de trouble à vous raconter. Ça me met dans un trouble. Alors bien sûr, ça pourra avoir l’air d’être des objections, mais ne vous y trompez pas, ça n’a rien à voir avec des objections. En d’autres termes, tout ça est… voilà, voilà, bon. Passons aux objections mais récréations, hein… Pas ! Non ! Écoutez… [Rires] J’ai fait un lapsus absolu… passons à qu’est-ce que…, comment on réagit à tout ça, et encore… [Rires] [111 :00] Non, c’est une catastrophe, ce lapsus, [Pause] mais c’est un lapsus, hein ? N’oubliez pas ! Ça ne veut rien dire. Alors ceux qui fument, hein, là-bas… [Interruption de l’enregistrement] [1 :51 :20]

… Car comme vous y êtes très sensibles — c’est le dernier problème que je voudrais aborder — comme vous y êtes bien sensibles, il y a quelque part un fossé qu’il faut bien combler. Il faut bien qu’il trouve le moyen de le combler. Car, encore une fois, c’est parce que le cinéma est, en fait, cinéma de narration, que les images sont assimilables à des énoncés. Et on l’a vu : ces énoncés [112 :00] se présentent comme les énoncés analogiques, iconiques, c’est-à-dire fondés sur la ressemblance et impliquant un jugement de ressemblance. D’autre part, et en même temps, ils sont soumis à des syntagmes et paradigmes qui sont des processus de langage, et qui, eux, sont des codes. [Pause] Il faut bien que d’une manière ou d’une autre, le fossé entre l’analogie et le code soit comblé. [Pause] [113 :00] Car analogie et code s’opposent strictement dans la mesure où l’un procède, encore une fois, par détermination de ressemblance, et que l’autre procède par traitement d’éléments conventionnels. [Pause]

Si bien que l’opération qui consiste à combler le fossé entre les deux va être très, très délicat, aussi bien chez Metz que chez Umberto Eco qui a une position qui n’est pas la même que celle de Metz — mais enfin ce serait infini de raconter tout ça — donc, il me semble que, dans [114 :00] une première étape, ils montrent que leur problème, c’est de montrer que finalement : l’analogique et le code s’opposent moins qu’il ne semble au premier abord. Et ça beaucoup d’auteurs l’ont dit. Et, premier argument, l’analogique lui-même renvoie toujours à des codes. Pourquoi ? Parce que la ressemblance, elle est très variable, et elle varie avec le code par lequel on juge.

Exemple tout simple : un enfant, un dessin d’enfant, un enfant juge de la ressemblance de son dessin [115 :00] quand il dessine un cheval, ou quand il dessine un bonhomme, quand il dessine son papa. Il a certains critères de jugements de ressemblance, il n’est pas sans critère de jugements ; ils sont tout à fait différents du critère de jugement d’un adulte. On pourrait dire que toute image analogique renvoie à des codes socio-culturels qui sont chargés d’évaluer la ressemblance entre une image et son référent, comment on dit. [Pause] Notamment chez Umberto Eco, il y a une longue étude de cet aspect. Et vous voyez que ce n’est qu’un premier pas parce que les codes socio-culturels de jugement de ressemblance, [116 :00] ils ne sont pas spécifiques au cinéma. C’est des codes sociaux culturels d’une société donnée. Donc ça ne nous suffit pas puisque nous, ce que nous réclamons, non, ce que nous — je dis un nous fictif — ce que les sémio-criticiens, ce que la sémio-critique réclame, c’est autre chose. C’est combler le fossé qu’il y a entre l’image analogique en tant qu’image cinématographique et un code spécifique au cinéma. Il faut trouver un code spécifique au cinéma. Le code spécifique au cinéma, on l’a trouvé : c’est le syntagme, et les autres : montage, etc. Mais comment combler ? [Pause] [117 :00]

Et c’est là qu’intervient la grande thèse de Metz à laquelle Comtesse faisait allusion tout à l’heure, à savoir que heureusement, dit-il, — Eco aura une autre solution – mais la solution de Metz, ce sera — je la résume beaucoup hein ? — qu’est-ce que la grande thèse de Metz ? Heureusement, Dieu merci : [Pause] dans une image analogique, il y a toujours quelque chose d’autre que de l’analogique. Dans une image analogique, il y a toujours quelque chose d’autre. Et c’est sur ce « quelque chose d’autre » que va porter le code spécifique. [118 :00] En d’autres termes, il n’y pas d’image analogique pure. L’image analogique comporte toujours quelque chose de non analogique. Voilà ce qu’il nous dit en [page] 252 suivantes, Essai sur la signification au cinéma : [Pause] « Ce n’est pas parce qu’une image est visuelle que tous ses codes le sont, ce n’est pas parce qu’une image est visuelle que tous ses codes le sont. [Pause] Ce n’est pas seulement de l’extérieur que le message visuel est investi par la [119 :00] langue ». Comment ça, de l’extérieur ? Oui, le message visuel est investi par la langue… [Interruption de l’enregistrement] [1 :59 :08]

… par la langue, par exemple la légende d’une photo — « Mais c’est de l’intérieur et dans sa visualité, c’est de l’intérieur et dans sa visualité, laquelle visualité n’est intelligible que parce que les structures en sont partiellement non visuelles, parce que les structures en sont partiellement non visuelles ». Il veut dire une chose toute simple, et il conclut : « Donc l’au-delà de l’analogie, ce sont les formes au sens de [Louis] Hjelmslev » — peu importe, un linguiste – « c’est-à-dire les structures » — et il termine – « tout n’est pas iconique dans l’icône ». Tout n’est pas [120 :00] iconique dans l’icône.

Il veut dire une chose très simple, réfléchissez : un tableau, un tableau classique, portrait d’une femme, il y a ressemblance. Déjà la ressemblance varie, le jugement de ressemblance varie d’après les sociétés. Ça c’est le code non spécifique du jugement de ressemblance. Mais comment la ressemblance est-elle atteinte par le peintre ? Disons que le portrait de la femme est une image iconique, analogique. Comment le peintre parvient-il à la ressemblance ? Il atteint la ressemblance par des moyens, qui, eux, ne ressemblent en rien avec les moyens qui produisaient les même qualités ou les qualités semblables sur le modèle. [121 :00] Je veux dire que, comment dire, l’incarnat — je pèse mes mots, hein ? — l’incarnat, l’incarnat et la présence là du sang sous la peau, est produit naturellement sur le modèle par tel et tel phénomène que je serais incapable de préciser. L’incarnat reproduit par le peintre emploie évidemment des moyens picturaux, à savoir : comment produire de l’incarnat ? Ça a été un grand problème de la peinture. Ça a été un immense problème de la [122 :00] peinture, à savoir comment faire de la chair ?

Il y a un livre récent qui a paru là récemment, très, très bon, très intéressant, très amusant, sur ce point, sur ce thème de l’incarnat, comment faire de la chair. Ça traverse la peinture du Moyen-âge à l’après-impressionnisme, c’est-à-dire, les deux grands, Van Gogh et Gauguin, après l’impressionnisme, redécouvrent ce problème fantastique : comment faire de la chair ? Ils le redécouvrent sur des bases nouvelles. De quelle manière alors ? On pourrait dire, il est évident que l’incarnat de Van Gogh ou le « faire de la chair » de Van Gogh a très peu de choses à voir avec le « faire de la chair » du Titien, bon. C’est des moyens complètement différents. En tout cas, ces moyens [123 :00] de faire de la chair qui ressemblent à la chair du modèle ne ressemblent pas, eux, aux moyens par lesquels la nature dans la chair du modèle produit cet incarnat.

Voyez, c’est tout simple, reprenez la formule : tout n’est pas iconique dans l’icône, tout n’est pas analogique dans une image analogique, évidemment ! Et lorsqu’il dit : « le message visuel est investi par la langue » non seulement de l’extérieur lorsque je mets une légende, mais de l’intérieur et dans la visualité même qui ne m’est intelligible que parce que les structures en sont partiellement non visuelles, il est bien évident que la structure picturale est non-visuelle. Elle est non-visuelle dans quel sens ? En ce sens qu’elle implique non seulement des rapports [124 :00] de couleurs, vous voyez les couleurs, mais les rapports de couleurs, peut-être que vous les sentez, peut-être que vous les comprenez, mais un rapport de couleur, vous ne le voyez pas par définition. Ils sont produits par des rapports de couleur et bien plus, par bien autre chose que des rapports de couleur, par même des rapports harmoniques de type quasi-musical, que vous ne voyez pas davantage et qui pourtant, qui font l’image même, et qui justifient à la lettre que, constamment, tout n’est pas iconique dans l’icône.

Donc vous voyez comment ils pourront passer de l’idée de l’image analogique à un code qui marque les règles d’usage qui vont s’appliquer à l’image analogique. S’il peut y avoir — voilà exactement il me semble la réponse ultime de la [125 :00] sémio-critique – s’il peut y avoir des codes, à commencer par la syntagmatique, qui s’appliquent à l’image analogique et s’il peut y avoir des codes spécifiques et intérieurs, pas seulement des codes socio-culturels généraux, si il peut y avoir des tels codes, c’est parce que toute image analogique comporte quelque chose qui n’est pas analogique. [Pause]

Si bien que, alors, ils vont former leur conception très consistante entre quoi et quoi ? C’est comme si vous aviez deux lignes, c’est comme si vous aviez deux lignes. [126 :00] Je dis : « énoncé narratif de type iconique », [Pause] première ligne, « énoncé de type iconique », ce qui revient au même, narrativité, ou dysnarrativité, peu importe. Ou on pourrait dire aussi bien, et vous allez voir pourquoi j’ajoute ça : « scène manifeste », scène manifeste. En complémentarité, vous avez, correspondant à énoncé iconique, vous avez : « code spécifique », qui s’applique à ce qui n’est pas iconique dans l’image. [Pause] [127 :00] Vous pouvez aussi bien l’appeler la structure, le signifiant, la chaîne signifiante, bon, tout ce que vous voulez. Par exemple, le syntagme, ce sera la chaîne signifiante [Pause] qui constituera en même temps la structure profonde, là, tous ces termes pourront être employés.

À la narrativité correspondra le récit, le récit étant l’organisation de la chaîne signifiante, l’organisation des syntagmes, etc., ou à la scène manifeste, vous avez la scène profonde, [128 :00] équivalent de la structure profonde. Lâchons le mot pour ceux qui le savent, mais là je ne le commente même plus : la scène primitive. Et une fois de plus, la linguistique aura noué ses noces avec la psychanalyse. Et l’on nous dira que ce que Metz fera plus finement, ce sera ensuite, ce que les disciples de Metz, tantôt les uns font, tantôt les autres ne font pas. C’est très curieux — non ce n’est pas très curieux, il y en a que ça ne dit pas — et vous aurez la révélation psychanalytique ultime : que en même temps qu’une structure syntagmatique qui constitue la chaîne signifiante au cinéma et en même temps, et par-là même, le cinéma n’a jamais eu qu’une scène par-delà toutes les scènes qu’il filme, et que la seule scène cinématographique, [129 :00] c’est la scène primitive, autant dire le « crime originel ».

Et, lorsque je vous ai dit mon admiration pour un livre comme celui de Jean-Louis Schefer, L’homme ordinaire du cinéma [Paris : Cahiers du cinéma/Gallimard, 1980], ça n’empêche pas que, chez beaucoup d’auteurs, même les meilleurs, vous trouvez, par exemple chez Jean-Louis Schefer, cette idée que le cinéma est inséparable d’un crime qui nous touche et qui nous concerne tous. [Sur Schefer, voir la séance 8 du séminaire Cinéma 3, le 17 janvier 1984, et L’Image-temps, pp. 219-220, 230] Quel est ce crime ? Eh bien, ce crime, c’est la scène primitive. Je me demande avec effroi, car j’ai l’impression qu’il y en a parmi vous qui — mais ça, c’est une chose très gaie — qui sont restés si intacts et si purs de toute psychanalyse que vous ne savez pas ce que c’est que la scène primitive, [Rires] mais reportez-vous à un dictionnaire de psychanalyse parce que [130 :00] je ne veux pas vous ôter toutes vos surprises et vos découvertes. [Rires]

Et c’est là qu’il y aurait un rapport fondamental entre le cinéma et le crime sous la forme de : le cinéma n’a jamais eu à tourner, comme disent certains psychanalystes, qu’une seule chose sous toutes les versions que vous voulez : la scène primitive, c’est-à-dire cette scène prodigieuse dans laquelle l’enfant assista — à quoi au juste, on ne sait pas très bien — assista à une scène fondamentale qui devait le marquer toute sa vie et dans laquelle il produit sa propre castration, opération qui continue à fonctionner au cœur même du cinéma, ne serait-ce que sous la forme du cadrage ; vous reconnaissez facilement l’opération de la castration. [Rires] Eh bien, [131 :00] parce que… je veux dire, je n’exagère pas, tout ça. Tout ça a été dit, tout ça a été écrit. Mais je veux dire, c’est là, vous voyez, où se fait ce lien psychanalyse-linguistique qui non seulement s’est fait du côté de la linguistique, du côté de la psychanalyse, mais a éprouvé le besoin de se faire au niveau du cinéma.

Voilà, eh ben écoutez, maintenant je n’ai plus que des troubles. Mes troubles ont encore augmenté avec cette histoire de la scène primitive, mais enfin voilà. Alors je vous dis un premier trouble : mon premier trouble — je résume tous mes troubles, [Rires] tous mes troubles d’un coup — je les résume par cette histoire qui me tourmente. Mais c’est un cercle vicieux. Non, pardon : ne serait-ce pas [132 :00] un cercle vicieux, ne serait-ce pas un cercle vicieux, parce qu’enfin je ne vois aucune raison d’appeler l’image cinématographique un énoncé, si elle n’est pas soumise à la syntagmatique. Mais je ne vois aucune raison pour laquelle elle serait soumise à une syntagmatique quelconque si elle n’était pas traitée comme un énoncé.

Ça m’embête ça, oui ça m’embête. Je me dis alors, quoi ? Est-ce que le même cercle vicieux apparaissait chez Kant ? Eh ben oui, peut-être, peut-être, mais les post-Kantiens ne l’ont pas épargné, hein ? Et puis ce n’est pas sûr que chez Kant, il y avait bien …, enfin bon, mais ça, c’est mon trouble des troubles. Je passe à mon premier trouble, j’aurai à peine de quoi le dire, [133 :00] et j’arrête, hein. Voilà, voilà, je vous dis des impressions. Mon premier trouble… comme il y a trois choses — le fait de la narration, l’approximation de l’énoncé iconique, les règles d’usage langagier — j’ai trois troubles. Je ne vais pas en avoir plus, je ne parle pas du petit détail psychanalyse-linguistique. C’est pour rire ça, ce n’est pas des troubles, là ; au contraire, c’est de la gaieté. [Rires]

Premier trouble donc, c’est cette histoire de narration parce que ma question, c’est : est-ce que la narration est une donnée de l’image cinématographique, même historiquement acquise ? Est-ce que c’est une donnée apparente de l’image cinématographique ? Vous sentez que ce que j’arrive mal à digérer : c’est l’élimination du mouvement. [134 :00] Je dis une chose simple — enfin simple, pas plus que les choses qui me semblent simples — le caractère, le trait distinctif de l’image cinématographique, c’est l’automatisme, c’est-à-dire c’est qu’elle se meut. C’est qu’elle est image-mouvement. Ça n’a rien à voir avec de la narration, ça. Rien à voir. Il peut y avoir de la narration comme il peut ne pas y en avoir, je ne vois aucune raison. Et, je suis stupéfait, je vous le disais, je suis vraiment étonné, c’est une stupéfaction pas feinte du tout, la manière dont la sémio-critique flanque en l’air le mouvement puisqu’elle est très consciente du problème et nous annonce juste qu’il y a un regard sémiotique qui n’a rien à voir avec le regard cinéphilique, le regard cinéphilique que je suppose étant une appréhension du mouvement, et le [135 :00] regard sémio-critique étant au contraire une suspension du mouvement.

D’où cette histoire toujours : mais alors, mais c’est-y le photogramme ? Mais j’ai essayé de montrer — voir nos séances précédentes — que le photogramme, il me semble, n’était absolument pas détachable du mouvement, que c’était même ça, sa différence avec la photo, donc on ne revient pas là-dessus. On m’objecterait, le photogramme… pour moi, j’ai essayé d’expliquer que le photogramme est exactement une différentielle de mouvement, vraiment au sens mathématique du mot, et donc n’était absolument pas séparable du mouvement, et que c’était ça qui faisait que ce n’était pas une photo.

Alors je dis, moi, dans le cas de la sémio-critique, on nous dit à la fois que la narration est une donnée comme immédiate de l’image historiquement acquise, d’accord. Mais c’est une donnée apparente [136 :00] de l’image, c’est une donnée manifeste de l’image, et c’est — il n’y a pas du tout contradiction — un effet de la structure langagière qui sous-tend cette image, c’est les deux. [Pause] Moi, il ne me semble pas. Moi, il me semble que la seule donnée apparente de l’image cinématographique, du moins dans le cinéma dit classique — on verra après pour l’autre — dans le cinéma classique en gros, c’est le mouvement et absolument pas la narration. Donc la narration n’est pas une donnée manifeste de l’image. [Pause] [137 :00] À plus forte raison, je ne peux pas dire que ce soit un effet d’une structure langagière qui s’exerce, qui s’exerce sur l’image. Pourquoi je ne peux pas le dire ? Puisque c’est des points qu’on n’a même pas encore vus.

Mais je me demande, quand est-ce que survient la narration dans l’image ? — Là je rappelle juste, c’est juste pour vous donner des points de comparaison, quoi, pour que ce soit clair. Encore une fois, je ne prétends pas du tout avoir raison. — Je dis une chose très simple, on l’a vu toutes les dernières années, pour ceux qui n’étaient pas là donc, je résume. Si vous vous donnez l’image-mouvement, vous vous donnez aussi quelque chose de très spécial qu’on appelle l’intervalle de mouvement. Si vous rapportez l’image-mouvement [138 :00] à l’intervalle de mouvement, si vous rapportez l’image-mouvement à un intervalle de mouvement, très bizarrement, non pas très bizarrement, très normalement, vous avez — comment dirais-je ? — une spécification de l’image qui se produit. L’image-mouvement se spécifie. L’image-mouvement rapporté à l’intervalle de mouvement se spécifie. Je ne me donne rien en tout cela de la narration. Elle se spécifie en trois types d’image fondamentaux : l’image-perception, l’image-action, l’image-affection. [Pause]

Je dis, [139 :00] la narration est uniquement la distribution des images-perception, des images-affection, et des images-action conformément à un schème dit sensorimoteur, conformément à un schème sensorimoteur. Vous aurez une narration si les perceptions, affections et actions s’enchaînent suivant le schème sensori-moteur. Ce n’est pas compliqué. Vous me direz, mais qu’est-ce-que c’est le schème sensori-moteur ? C’est le mouvement rapporté à l’intervalle. Je n’introduis rien de nouveau ; je n’introduis que [140 :00] le thème du mouvement et de l’intervalle de mouvement.

Je dis donc — voilà ce que je voulais dire — la narration pour moi n’est ni une donnée apparente, ni une donnée manifeste de l’image cinématographique, ni un effet d’une structure supposée langagière qui sous-tendrait cette image, mais ce qui est tout à fait différent, c’est une conséquence de l’image-mouvement, le mouvement étant la seule donnée manifeste de l’image [Pause] et produisant comme sa conséquence une narration lorsque cette image-mouvement [141 :00] se spécifie [Pause] suivant les trois grandes espèces d’images — image-perception, image-action image-affection — de telle manière à constituer un schème sensorimoteur. Donc pour moi, j’engendre la narration à partir uniquement du mouvement et de l’intervalle de mouvement comme caractères et comme étant les seuls caractères de l’image cinématographique.

Donc je peux dire, la narration n’a jamais été un fait même dans le cinéma d’Hollywood. La narration n’est pas un fait cinématographique. La narration est une conséquence du fait cinématographique suivant : ce fait [142 :00] étant que l’image cinématographique, c’est une image-mouvement qui, rapportée à l’intervalle de mouvement, donne des images-action, des images-perception et des images-affection. La combinaison des images — qui n’a rien à voir avec un syntagme alors, la combinaison d’images — la combinaison d’images-action, d’images-perception, d’images-affection constitue, suivant le schème sensori-moteur, une narration. C’est-à-dire il y a une histoire. L’histoire consiste en ceci : Comment quelqu’un réagit-il à une situation ? Vous comprenez ?

Donc mes premiers doutes portent sur le fait même d’une narration, ma réponse étant : la narration n’est pas un fait, ni à Hollywood, ni ailleurs. Est-ce que la dysnarration est un fait ? [143 :00] Ceux qui ont suivi ce qu’on a fait l’année dernière savent que, d’avance pour moi, pas plus : de même que je disais, la narration n’est pas un fait mais découle de l’image-mouvement et de la spécification de l’image-mouvement d’après les trois grandes espèces, je dirais, le fait moderne de la dysnarration n’est absolument pas un fait, pas plus qu’il n’est l’effet d’une structure langagière qui serait paradigmatique au lieu d’être syntagmatique. Mais la dysnarration est la conséquence immédiate de la montée de l’image-temps, et lorsque l’image-temps s’affranchit de l’image-mouvement, lorsque le cinéma accède à une image-temps directe, et non plus à une représentation indirecte du temps qui dépendrait de l’image-mouvement, [144 :00] lorsque le cinéma produit des images-temps directes, alors en découle nécessairement une dysnarration pour une raison simple : c’est que le schème sensori-moteur est brisé, le schème sensori-moteur qui était la seule règle d’après laquelle pouvait se repérer la narration.

En effet, on a vu les autres années, et j’ai repris cette année, le thème, il y a deux images-temps directes au cinéma qui sont fondamentales, une qui est la série du temps, c’est-à-dire au-delà de la succession empirique du temps, une qui est la série du temps, suivant l’avant et l’après, mais ce n’est pas une succession, c’est l’avant et l’après devenus qualité du temps — on l’a vu dans les histoires de fabulation, tout ça, l’avant et l’après, bon –, et puis l’ordre du temps, à savoir la coexistence de tous les rapports de temps [145 :00] tels qu’on la trouve par exemple chez un auteur comme [Orson] Welles, ou d’une autre manière chez un auteur comme [Alain] Resnais, d’une autre manière chez un auteur comme Robbe-Grillet. Et c’est la construction de ces images-temps directes qui a pour conséquence immédiate la dysnarration, exactement comme la construction des images-mouvement et de leurs espèces avait pour conséquence immédiate la narration.

Ce serait ma première remarque. Mon second trouble s’enchaîne, mais on s’arrête là ; on partira de ce second trouble la prochaine fois, à savoir, de même que me paraissait très douteux qu’on puisse traiter la narration comme un fait cinématographique, me paraît également très douteux qu’on puisse traiter l’image cinématographique soit comme un énoncé analogique, soit même comme une image [146 :00] analogique. [Pause] Voilà, vous réfléchissez à tout ça, hein ? Et puis on recommence tout si vous n’avez pas bien compris. [Fin de la séance] [2 :26 :14]

 

Notes

For archival purposes, the augmented version of the complete transcription with time stamp was completed in September 2021. Additional revisions were added in February 2024 and September 2025. The translation was completed in September 2025.

Lectures in this Seminar

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Reading Date: October 30, 1984
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Reading Date: November 6, 1984
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Reading Date: November 13, 1984
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Reading Date: November 20, 1984
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Reading Date: November 27, 1984
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Reading Date: December 11, 1984
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Reading Date: December 18, 1984
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Reading Date: January 8, 1985
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Reading Date: January 15, 1985
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Reading Date: January 22, 1985
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Reading Date: January 29, 1985
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Reading Date: February 5, 1985
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Reading Date: February 26, 1985
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Reading Date: March 5, 1985
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Reading Date: March 12, 1985
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Reading Date: March 19, 1985
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Reading Date: March 26, 1985
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Reading Date: April 16, 1985
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Reading Date: April 23, 1985
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Reading Date: April 30, 1985
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Reading Date: May 7, 1985
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Reading Date: May 14, 1985
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Reading Date: May 21, 1985
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Reading Date: May 28, 1985
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Reading Date: June 4, 1985
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Reading Date: June 18, 1985
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March 5, 1985

So there have always been speech acts in the cinema. I’m asking if cinema presents us with specific speech acts or if these are non-specific speech acts, that is, which have no assignable difference with speech acts, which would simply be recordings of ordinary speech acts as they are in social life or which would not have specific differences with theatrical speech acts. You see that the question has a meaning: are there any formally specific speech acts, that is, which belong to cinema as such and which exist only within it? This would at least allow us to settle all kinds of nonsense about cinema-theater relations. Because there are already speech acts specific to cinema; you understand that there is no longer much need to reflect on the cinema-theater differences, namely that even at the level of speech acts, these will not be the same speech acts.

Seminar Introduction

As he starts the fourth year of his reflections on relations between cinema and philosophy, Deleuze explains that the method of thought has two aspects, temporal and spatial, presupposing an implicit image of thought, one that is variable, with history. He proposes the chronotope, as space-time, as the implicit image of thought, one riddled with philosophical cries, and that the problematic of this fourth seminar on cinema will be precisely the theme of “what is philosophy?’, undertaken from the perspective of this encounter between the image of thought and the cinematographic image.

For archival purposes, the English translations are based on the original transcripts from Paris 8, all of which have been revised with reference to the BNF recordings available thanks to Hidenobu Suzuki, and with the generous assistance of Marc Haas.

English Translation

Edited

 

While this session’s truncated length suggests some kind of omission, Deleuze reviews the previous session and then outlines three levels of analysis to be pursued, with a knot of problems located at each level. First, he addresses different facets of the terms “paradigm” and “syntagma”, also adding other key terms, “langue” (language system) defined various, e.g., as a double articulation system (monemes and phonemes). He then shifts towards Metz’s perspective, no longer considering cinema at the level of langue, but rather seeking the subjective language rules, that is, syntagmatic and paradigmatic rules. Deleuze situates Metz’s perspective, that is, if specific speech acts can be called cinematographic, how these might be classified, and then shifts toward a Kantian perspective of rules of use and not essence. Finally, Deleuze raises a general question for another session: what are properly cinematographic syntagma and paradigms, and what is (for Metz) the Grand Syntagmatic?

Gilles Deleuze
Seminar on Cinema and Thought, 1984-1985

Lecture 14, 5 March 1985 (Cinema Course 80)

Transcription: La voix de Deleuze, Mpoyo Ilunga Stephanie (Part 1) and Nadia Ouis (Part 2); additional revisions to the transcription and time stamp, Charles J. Stivale

English Translation: Graeme Thomson & Silvia Maglioni

 

Part 1

Lucien Gouty: We’re starting the fourteenth session…

Deleuze: You said fourteen, no, that’s way too many, way too many… So, we have fourteen times that… fourteen times that…

Gouty: Forty-two…

Deleuze: Forty-two… that’s something. Well, you’ll tell me, it’s nothing special… okay. So, the last time… We made a plan last time. I’ll say it again: we had a direct and arbitrary comparison between the modern image and the classical image, arbitrary in that we took two examples: one example being Eisenstein, the other Godard. The comparison led us to develop three points. A tonal or “classical” cinema. How do we define this? Linkage of images by rational cuts. And a serial or modern cinema… And how is this defined? Relinkage of images by irrational cuts.

Second point: a classical or “structural” cinema or a cinema of truth… truth, I insist, being a model independent of the duality: reality and fiction, because it’s the same model of truth that serves both reality and fiction. What is this model of truth? Well, it implies that while images are linked together by rational cuts, the linked images are internalized in a Whole, and the Whole is externalized in the images. Such a movement, by which the images are internalized in the Whole while the Whole is externalized in the images, is what is called “true movement”, as opposed to a modern cinema which – as we saw last year, for those who were there – rejects any model of truth to lay claim to the powers of the false insofar as these powers of the false form a series. Everything links together perfectly. What we have is no longer a cinema of truth, but the truth of cinema. We’ve seen the importance of this reversal, and in what sense a cinema that could be called “direct” has nothing to do with direct cinema, but on the contrary, has to do with this reversal, where cinema no longer lays claim to a model of truth, it is no longer a cinema of truth, but claims to attain a truth of cinema.

Third aspect: the classical image, being tonal and structural, is an indirect representation of time. The modern image, being serial and forming a truth of cinema, is a direct presentation of time. What do we mean by direct presentation of time? We’ve looked at this in previous years, and we saw it again last time. It means that time is wrested from its empirical form of succession. And this happens in two ways. There are two principal direct time-images. It takes the form of what may call “the empirical succession of time” or “the course of time”. The direct presentation of time, or the direct time-image, takes two forms: the series of time, which preserves a before and after, but turns them into intrinsic qualities of time. These intrinsic qualities then present the series of time as a passage. But passage from what to what? The passage of the present? No. The passage, as we’ve seen before, from one attitude to another, a passage guided by a gestus, the gestus guided by an act of fabulation. The flagrant act of fabulation is what distributes the before and after in the series of time.

The second aspect of the direct time-image… no longer the series of time but the whole of time… no, I mean the order of time, which is to say the coexistence of relations of time, the coexistence of all relations of time. And this time is no longer as it was just now for the series, the horizontal series of time, meaning the sequence of attitudes following a gestus that brings into play the act of fabulation, but is now the vertical construction of series in the form we looked at… the coexistence of series. Now, that gives us a set.

My request last time, when we were wrapping things up, was this… do some of you want to add some things… within this relatively narrow framework… other things that could fit in. Or do some of you think that we should go back and review specific questions before we move on? Well, this is a question only you can answer. In fact, the question is twofold. Either there are things that need to be reviewed because they don’t seem to be completely clear, or… I don’t know, or are there things to be added. No? Really? Good, very good.

So, we can move on… we have to, because, once again, in our analysis of the modern image we were struggling with – each time we had to perform a sleight of hand – with what constitutes the modern image, and we were unable to define it without referring to certain speech acts. It goes without saying that if the act of fabulation is so important to modern cinema, it’s because it brings into play a speech act. This was a way of saying that modern cinema is inseparable from the talkies. It doesn’t mean that modern cinema coincides with the talkies. It probably means that modern cinema requires a certain use of speech. Perhaps this use of speech is quite revolutionary in relation to the appearance of the talkies in cinema. But in the end, it was clear that whenever we tried to move forward, the question of the talkies was a weight on our feet, a question we couldn’t say anything about, because we hadn’t yet posed the problem.

And conversely, in terms of the classical image, for a long time we’d been dragging our feet regarding a certain a problem we never talked about in other years, and now the time has come.  I delayed speaking about it for as long as possible because, well… the problem was: even when it’s silent, isn’t there something fundamental about the cinematographic image that puts it in relation with either language or something close to it… even when it’s silent. So now we find ourselves beginning a new chapter, and this new chapter will revolve around three different problems. But you’ll see how these three different problems will never cease to connect and to become entangled.

Each of us has very different impressions. What I find boring may interest you, what interests me may seem extremely boring to you. So, a good year is when things balance out. When, if it’s fun for you, well, it’s fun for me as well… and if it’s fun for me, it’s fun for you… But it’s never for the same reasons. All this is an introduction to say that in this new session there will be things that amuse me a lot, or that interest me – and I think it’s only this year that I’m finally able to talk about them a bit… – and other things that bore me to death. As always, it can’t be always fun. Moral duty compels me to speak about things that bore me to death. I just have to do it. So, things are sufficiently perverse, the nature of things is sufficiently perverse that some of you will indeed find very boring what I find amusing and vice versa. I’m sure.

Let me say right away that there’s a first problem we will have to consider, which coincides with the beginnings of cinema. If there is a linkage of images, and if cinema presents itself as a linkage of movement-images, in its most classical form – the linkage of movement-images by rational cuts is the classical image – it has something to do with language. And after all, that was how cinema began, that was the formula: cinema was the realization of what had been sought everywhere from time immemorial: a universal language. It’s a notion so well known that I won’t insist on it.

You’ll see how this is completely independent of the talkies. Or, again, from this first point of view, if it’s not language that informs the linkage of cinematographic images, perhaps it is something neighboring language. And here I use the word “neighboring” in its most general sense. What might be close to language in this sense? A whole school of semiology has recently sprung up around this that tells us: initially we thought cinema had something to do with language. But it has nothing to do with language, cinema is not a language. Instead, it has to do with something neighboring language… and what would this be? A language system. Hence Christian Metz’s phrase: cinema is a language system without language. What does this mean?

In France, this school was inaugurated by Metz’s research, and then developed by numerous disciples who lay claim to a linguistic semiology or, as they say, a semio-criticism, which directly involves one particular filmmaker: [Alain] Robbe-Grillet, since Robbe-Grillet was by far the first and foremost filmmaker… the privileged example chosen by a large number of proponents of semio-criticism. Moreover, he himself became involved, very closely involved, in their work, suggesting interpretations of which only he guards the secret.

Meanwhile, in Italy, a school of semio-criticism was developing around the same time, under the aegis of [Emilio] Garroni, G-a-r-r-o-n-i… that’s right, Garroni, that became quite prominent and which includes – thought I’m not saying they all argue the same thing – which also includes a famous Italian author, Umberto Eco, as well as a great filmmaker, [Pier Paolo] Pasolini, who was involved in a no less intricate and complicated manner than was Robbe-Grillet with the French school. So, this is the situation.

We don’t yet know exactly what difference there is between a language and a language system. In any case, what we do know, and what we can sa, according to Metz’s formula – which could be signed by all critical semioticians or semio-critics, for that’s what they’re known as – is that anyone who says that cinema is a language system without language is a semio-critic or a linguistics-inspired semiologist. But we still don’t know what this language-language system distinction means. What we do know is that it should not be confused with another distinction: language-speech [langue-parole]. A language system is not the same as speech. So, linguistically speaking, we’re obviously forced to distinguish between at least three levels: language, language system and speech. While the distinction between language and language system has become familiar to even the most casual linguist, the distinction between language and speech is perhaps a little more difficult.

With this in mind, I’m announcing that I will have to expand on points that for some of you will be self-evident. I’ll have to develop them as if you knew nothing because, on one hand, I assume that some of you do know nothing in this field, which is fair enough – there are some among you who haven’t yet been touched by linguistics in the slightest… I’d be surprised, but you never know – and on the other hand, because I need to develop it for myself and see what I can obtain from it. So, I make no secret of the fact that, for me, it’s the dullest part I can think of… but we have to get through it. We have to get through it, otherwise I won’t be able to get to the part I really enjoy. Because work isn’t always fun. What saves us is that it’s often funny… because funny, for me, is the second problem.

I had announced a first problem. But for me, what’s funny is the second problem, which is something that really amuses me. Because the previous problem takes no account of the existence, or at least – correct me if I’m wrong – takes no direct account of the existence of the talkies, of the existence or non-existence of the talkies. I have a feeling that what I’m saying isn’t true for some semio-critics. But it’s true in principle. And in Christian Metz’s case in particular, it’s very clear… he says explicitly that the audiovisual code – and we’ll understand later what this means – the audiovisual code of cinema must be regarded as a completely separate thing from the linguistic code by which cinematographic images can be considered a language system. So, the reasons why cinematographic images should be considered a language system are completely unrelated to the existence or non-existence of the talkies.

So, the second, very distinct problem… my second problem is not: What are the talkies? because I’d like to put it more precisely, but: Are there speech acts that could be called cinematographic? Does cinema present us with specific speech acts? Well, if I put the problem in this way, I can immediately say that it already applies to silent films. Because I’d like to remind you of what most of you already know… as is often said, silent films are incorrectly referred to as “mute” [in French muet, meaning mute, is the word used to refer to silent cinema]. Jean Mitry tells us that there has never been a “mute” cinema, there is only cinema. There was silent cinema but that’s not the same thing. In other words, people talk and never stop talking, it’s just that we don’t hear them.

So, it’s not a mute cinema, it’s a profoundly “phonatory” cinema. Phonation is a speech act. Whether the sounds are heard or not, is another matter. I’m not speaking here about the fact that silent cinema, as we’re often reminded, already had sound, either in the form of a commentator, or in the form of music. But well beyond this, silent cinema shows us people who don’t stop talking. It is silent, not “mute”. Michel Chion, in his book on the voice, The Voice in Cinema,[1] I believe… yes, The Voice in Cinema, puts it even better: cinema has never been “mute”, it has been deaf, which is the same as Mitry’s formula, only more brilliant. It is a deaf cinema, not a mute cinema.

So, there have always been speech acts in cinema. I’m wondering whether cinema presents us with specific speech acts, or whether they are non-specific speech acts, meaning that there is no assignable difference between them and speech acts that are simply recordings of ordinary speech acts as they occur in social life, or that there is no specific difference with theatrical speech acts. As you can see, the question makes sense: are there formally specific speech acts, which is to say speech acts that pertain intrinsically to cinema and exist only in cinema – and this would at least enable us to sort out all kind of nonsense that has been said about the relation between cinema and theatre? Because if we can say that there are speech acts that are specific to cinema, you understand that there’s no longer need to think about the difference between cinema and theater, because in terms of speech acts, they won’t be the same.

I find this very interesting, and that’s why it amuses me so much… but I’m also interested in it from another point of view. This other point of view concerns a certain discipline, which some of you already know, called sociolinguistics, that has always attached importance to the classification of different types of speech acts. How to classify them? So, in the attempt that has been made to classify images and signs throughout the years… well, I’m very happy if we can draw from cinema something that is not only a specific form of speech act. Okay, that’s one aspect of the question. And the second aspect of the question is: if we can draw a classification of cinematographic speech acts, then we have to ask ourselves whether cinema has not revealed a way of classifying speech acts in general that can enrich sociolinguistics. In other words, thanks to its specific speech acts, cinema exists in reaction to a general typology… [Recording interrupted; 27:10]

… what is it by right? What I’m asking here is whether thinking that narration as an aspect, as a given of the cinematographic image, is already similar to Euclidean geometry, meaning that it intrinsically contains the universal and the necessary. You might say that Euclidean geometry is not of this nature, since there exists not only Euclidean geometry, but also non-Euclidean geometry. For one thing, Kant wasn’t aware of this, it began after Kant. And I’m troubled by this answer, because it would imply that the discovery of non-Euclidean geometry, or at least its construction, would be sufficient to render Kant obsolete, whereas this doesn’t change anything. And for one simple reason: non-Euclidean geometry is in a very complex way susceptible to, and even contains, what we may call Euclidean connections. Can we say that the fact of Hollywood-style narration is of the same type?

I’ll go back to Metz’s three steps. There is a fact: from the very beginning Hollywood cinema was a narrative cinema. Second point…  here, I already have a question, which we’ll leave aside for the moment: is this really a fact? And in what sense is it a fact? Is it an empirical fact, or is it a universal and necessary fact? Second point: if cinema is indeed in fact a narrative cinema, then the cinematographic image is comparable to a statement. It is comparable to a statement. This is what I call an approximation. This point is as important as the previous one, and here too, it is so important that Metz is extremely cautious in its regard. I will read from his book now, in case you think I’m distorting the text. Metz is extremely cautious, he asks: What is the equivalent of the cinematographic image? And he says that the concept of equivalent is an approximation. He asks: Can we compare a shot, if we take the shot, in a very general sense, as the smallest unit of the moving image, the minima… well, can we consider, can we compare the shot to a word? Which is a bizarre idea. Why would we want to compare the shot to a word? Purely by virtue of the fact of the cinema he refers to being a narrative cinema.

But does a shot resemble a word? He says no, it’s not like that… and in a famous text, which is still quoted today, he says: A close-up of a revolver is not assimilable to the word “revolver” but to the statement: “here is a revolver!” Even those rare images whose content would correspond to a word are still phrases. This is a particularly enlightening case in point. “A close-up of a revolver does not mean revolver… but at the very least, without speaking of the connotations, it signifies: “here is a revolver”. In other terms, it’s not a word, it’s a statement

Another quotation – but he’s always very, very cautious in this regard – he says, well, it’s the least inaccurate comparison. “The filmic ‘shot’ […] resembles the statement” – and we’ll see why he’s forced to say that… it’s true, it resembles it – “The filmic ‘shot’ […] resembles the statement rather than the word. Nevertheless, it would be wrong to say that it is equivalent to the statement. For there are still great differences between the shot and the linguistic statement”. I am therefore justified in speaking of approximation. Approximately, the cinematographic image can be considered a statement. That’s the second point.[2]

Third point: if the cinematographic image can be considered a statement, then under what conditions, and how can we define the rules of use relating to this image? Metz’s answer – and those who have studied linguistics will understand this immediately, but I’ll try to explain it for the others – is that the conditions are as follows: that the cinematographic image be subject to “operations” – which is to say subjective acts – “operations” that, in accordance with linguistics, we’ll call paradigmatic and syntagmatic… syntagm and paradigm, or better still, syntagmatic and paradigmatic. And syntagmatic and paradigmatic are the conditions that make it possible to compare the cinematographic image to a statement.

But why does he need these three levels? You see, he began from a fact, the fact of narrative cinema. Secondly, an approximation: the cinematographic image can therefore approximately be compared to a statement. And I ask, again, why approximately? Here too, like in everything, there are some scary things… I’m not saying it’s bad but it contains some shocking things… it seems to run by itself. It’s only that… if it can be compared to a statement, it must be a bizarre one. He’ll say this himself, that what we have is not a non-verbal statement, it’s images. It’s not words. So, he needs to forge the category. I’m not saying it’s well-founded or ill-founded. I’m just saying… he has to forge the category of analogical statements or iconic statements, analogical statements or iconic statements. Basically, statements that operate by resemblance, not by combining conventional units. The image of a revolver is supposed to resemble a revolver, it’s an analogical image, an iconic image, one may say. Here, too, we run into problems, since the very notion of analogical statement or iconic statement… isn’t this some kind of monster? Isn’t it really monstruous, this notion? Since the image is itself analogical or iconic, according to him, it cannot be assimilated to a statement in the form of an analogical or iconic statement. But is it a statement? His answer, and this is the third step, hence his three-step approach, is: Yes, it is a statement, as long as it can be proved that the iconic or analogical image is subject to the linguistic operations of syntagm and paradigm, the syntagmatic and the paradigmatic.

This is going to turn into a knot… it’s going to become a whole knot of problems. I mean, at the level… – and here, I’m extracting the simplest meaning – it’s going to be a tangled mess of problems! I’ll mention just one: How to avoid a vicious circle, which I’m not sure doesn’t already exist in Kant’s work, which would therefore be a redoubling of Kantianism… what a vicious circle. For I would say that the image is subject to the paradigm and the syntagm because it is assimilable to a statement, but it is assimilable to a statement because it is subject to the paradigm and the syntagm. How annoying! You understand how annoying this is! It’s not possible! It’s regarding this that the post-Kantians – and I like this because it’s where you can re-mix the whole thing – it’s regarding this that the post-Kantians will protest against Kant. They’ll tell him that by relying on the method of fact and conditions of possibility, you can’t escape a vicious circle, namely, that experience is a fact. They will say: Yes, experience is a fact because it is subject to conditions of possibility, but it is subject to conditions of possibility because it is a fact. And they will say that Kant’s error… the post-Kantians, like [Johann] Fichte, will say that Kant’s error was in holding to a method of conditioning without attaining a true genetic method. It would be necessary to generate and not simply to condition, to produce a genesis and not merely a conditioning… So, I would say that I have a difficulty with this at every level. I have my three basic levels.

Let me recap: the fact is narrative cinema. First problem: it’s no longer a question, it will no longer be a question of movement, that will have disappeared. Movement won’t be a relevant feature of the cinematographic image. What will be relevant to the cinematographic image is narration. So, if he finds language there, it’s not so surprising, of course, he’s already allowed himself that from the start, or so it seems.

Second point: if it’s true that the fact is narrative cinema, then the cinematographic image is approximately… I can’t find my adjective, three little dots, I’ve lost a word… approximately… assimilable, there you go, thank you, approximately assimilable to a statement. Second problem… okay, at this point, we need to establish the notion of analogical or iconic statement.

Third level: if the cinematographic image is assimilable to a statement, then it is necessarily subject to the operations of paradigm and synthesis [here Deleuze means to say “syntagm”], which define its conditions of possibility, namely its rules of use.

Third problem, which is the deepest of all: how do we escape the vicious circle? How do we escape the vicious circle whereby the image is assimilated to the statement because it is subject to the paradigm and the syntagm, but conversely, it is subject to the paradigm and the syntagm because it is assimilated to the statement? Well, we can only move forward if we understand these two mysterious formulas: paradigm and syntagm.

Still… I’m a lot slower than… What time is it? It’s funny, to have to assess… I used to say to myself, I’ll will be done with this in a quarter of an hour, and you can see why it’s so awful, can’t you? I’d be there for a quarter of an hour, thinking that this is bothering me so much that… and then, all of a sudden, you can no longer predict anything. Something, I wonder what it was, made me laugh, something pleased me, amused me. It must have been Kant, that’s what Kant did to me. So… it’s strange, you can’t predict. So, do you want to take a break? Think about these three mysteries, because at the same time they are self-evident… these questions, they’re completely obvious, and yet it’s mysterious, it’s mysterious how he can say that… [Recording interrupted; 44:25]

Deleuze: … You have to feel it… don’t we need a little light?

Students: [they answer that it doesn’t work]

Deleuze: The light’s not working? That’s no good. The switch near the door doesn’t work… is there another light switch? They must cut it off at a certain time.

From this first point, I’d like you to get a sense of how the notions of image and sign are on the way out – I’m not claiming to show this yet, but I would just like you to feel it – are on the way out, since we’ll be no longer talking about image but about statement, bypassing movement as a distinctive aspect. And we’ll no longer be talking about signs but about “signifying chains” in the sense of syntagms and paradigms… but all this is only beginning to emerge. If the first point, then, concerned the position, the basic position of linguistically-inspired semiology, our second point will concern the problem of the essence-use distinction or, to put in another way, language-language system.

Hence the first question, and I have to say this – those who already know all this will forgive me in advance… and then I’ll refer you to the relevant texts, you can find this in any dictionary of linguistics – what is a language? How is it defined? No doubt you can define it in many ways, but one of the strictest ways in which language has been defined seems to me the one that [André] Martinet… the linguist Martinet, Martinet the linguist, insisted on, and he developed a theory which consists in saying that language, a language, is a double-articulation system It’s not phonatory articulation, of course, since it’s not speech. It’s a system of double articulation, and he adds: language is the only system of this type. A complicated case is telephone numbers, but then, presumably they wouldn’t exist if it weren’t for language.

What do we mean by a double-articulation system? As you know, the first articulation is defined by discrete, discontinuous, meaningful units. These discrete, discontinuous, meaningful units, at least in Martinet’s terminology, are called “monemes”. Very roughly speaking, a “moneme” is a word. But in fact, it’s not a word. Let’s take an example, given by Martinet himself: the soup is good. There are four words, but there are at least five monemes. First moneme: the; second moneme: soup; third moneme: the verb to be; fourth moneme: the mark of the indicative; fifth moneme: good. This doesn’t mean that, for the sake of convenience, we can’t use an inexact equivalence… we’re talking about approximations, word-monemes. The moneme is a meaningful unit. As you can see, the monemes are articulated among each other, and this is the first articulation.

This first articulation refers to a second articulation, that of “phonemes”. In the same rudimentary fashion, we require right now, we can equate phonemes with letters. But we all know that this is not the case. Why is a phoneme something other than a letter? Because, unlike the moneme, which is a meaningful unit, the phoneme is a distinctive, non-meaningful unit. It’s a distinctive unit. For example, the letter b, the letter b is a phoneme. So, you’ll tell me it’s a letter… No, because it’s merely a phoneme, insofar as it’s caught up in regulated relations with other phonemes. If one says “billard” [billiard], the phoneme /b/ is, among other things, in immediate relation with the phoneme /p/ which would give “pillard” [looter]. Here we have what we call a differential or distinctive relationship between /b/ and /p/, to the point that if I say – as an example to reawaken your literary memories – to the point that if I say: “les bandes du vieux billard” and someone replies: “What did you say? Did you say “pillard”? … “les bandes du vieux pillard?” I would say, “No, I said les bandes du vieux billard”.[3]

So, let me give you another literary example – I could give you a written test to identify the authors of these examples! – another example… “As-tu dit cochon ou cosson?” [Did you say pig or weevil] You see, here the phoneme /ch/ is indeed a letter, but taken in its distinctive relation with another. At this level, you have distinctive, non-meaningful units, and you see that it’s through the articulation of phonemes, namely elements of the second articulation, non-meaningful elements, distinctive non-meaningful elements, that the elements of the first articulation, namely meaningful units, are made. The meaningful units are built upon the distinctive non-meaningful units. Is this clear?

So, we have an articulation defined by monemes, and an articulation defined by phonemes. Strictly speaking, there’s no language that doesn’t contain the phenomenon of double articulation. What implies the phenomenon of double articulation, on the other hand, is a language. What is the condition? The double articulation must also be fixed, which is to say it should not be mobile, while the two levels must be neither replaceable nor interchangeable.

An additional question, for practical purposes: is music a language? Is painting a language? For those interested in this question, you could read [Claude] Lévi-Strauss, The Raw and the Cooked,[4] in particular the opening section where Lévi-Strauss offers a very strange, a very interesting answer saying that tonal music does indeed present a double articulation and, in this sense, is a language, but not entirely so. Because the two levels are, in some respect, replaceable and even interchangeable. But it would take us a very long time to go into this so I simply mention the title for those who are interested in reading it. He says that classical painting is also a quasi-language, but does not meet the last requirements of non-mobility, non-replaceability or interchangeability… whereas abstract painting is not a language – a very curious idea – that abstract painting is not a language at all, and atonal music is not a language, and musique concrète is not a language. Well, the whole of Lévi-Strauss’ text is very interesting, of course, for those who are interested in this.

So, let me add – for those who are interested and don’t already know all this – that we can now therefore classify all kinds of so-called information or communication systems according to the criterion of double articulation. A linguist who has greatly inspired the Italian school of semiology is called [Luis J.] Prieto, P-R-I-E-T-O, but I don’t know where he’s from exactly.

Student: He’s Argentinian.

Deleuze: Is he Argentinian? Okay. Prieto made a great classification of double-articulation systems, from the point of view of articulation, which you’ll find in one of his books, Messages and Signals.[5] Prieto’s great classification from the point of view of articulations is taken up again in an article by Umberto Eco, published in the review “Communications”, number 15, 1970… where Eco takes up, with minor alterations, but only at the end… and this produces a whole classification of systems of communication, or information systems. I’ll summarize it very quickly, either to deter you from reading it, or to make you want to look for it and read it for yourself.

Firstly, codes without articulation… there are codes without articulation. You see, we’re only introducing the notion of code here, because I’ll have more to say about that later. A brief example: the blind man’s white cane, or a bus route designated by single-digit numbers. Yeah, it’s obvious, a bus route designated by single-digit numbers is a code without articulation. All right, it’s a classification, it’s…

Second case: codes that only have the second articulation, namely the articulation of the type… that in language would correspond to the phoneme type, for example, the two-digit bus line.

Third case: codes containing only the first articulation, which corresponds to the moneme, the meaningful element. For example, the numbering of hotel rooms. That’s clever, because it’s still in the written domain: what does room 20 mean? Do you know what it means? The first room on the second floor. Think about it, and you’ll see that it’s actually a code with only the first articulation. Road signs, decimal numbers, okay.

Fourth case: double-articulation codes, which is to say non-mobile, non-interchangeable and non-changeable, such as languages and six-digit telephone numbers. It’s a good idea to find out why. The best thing would be for you to find out why without referring to the article.

The last point, I don’t know… the fifth case is the mobile articulation code, as in tonal music, because you can assign conditions – pitches, for example – as a second articulation, which are replaced by timbres. This is a case of transformation that is strictly forbidden in language, where your second articulation can only ever consist of phonemes, playing cards, military ranks, and so on. To summarize: language is defined by a system of double articulations under conditions of non-mobility, non-interchangeability and non-replaceability. But the question is getting too complicated. Is cinema a language? The immediate answer is no. No. Cinema is not a language. [Recording interrupted; 1:03:36]

Part 2

… You will search in vain… you will search in vain for a second articulation. You can treat the shots as elements of a first articulation… But what can serve as a second articulation? Shots are meaningful units.

All right, let’s assume that the shots are equivalent to monemes, and even then, it would be problematic, but let’s assume. What would the phonemes be? Obviously, there’s one answer we’re in danger of jumping to: they are photograms, single frames. Photograms would be phonemes. But this doesn’t hold water for a second, since photograms are the constituent elements, the constituent material elements in the form of frames per second, and cannot be grasped for themselves. Except in the condition of a photogram-shot, or else you’re once again dismantling one of the conditions of language, since you’ve moved from the second to the first articulation. So, in the unit, in the moneme, you distinguish between phonemes. But in the image-shot, you don’t distinguish between photograms, unless you make them pass individually. In any case, this absolutely doesn’t meet the conditions of a language, of the two articulations that pertain to language.

Do you follow me? Now, no one has come up with the baroque idea of treating the photogram as the equivalent of a phoneme. It would be a kind of vague metaphor. Someone, however, someone really great, said that there are two articulations, or pretended to say so, and that’s something we’ll have to come back to in his texts, which are really difficult but incredibly beautiful, and this is Pasolini, just to annoy the semioticians. He says that signs have two articulations, but he’s obviously too clever to invoke the photogram. He says, the equivalent of the phoneme would be the objects present in the shot, the objects framed in the image. Umberto Eco laughs and says: Poor Pasolini! Why? Because Umberto Eco says that the phonemes, namely the elements of the second articulation, are not meaningful and can never form part of the signified. The objects included in the shot are indeed part of the signified of the image. At first glance, Eco is right. Why and how, and by what right must Pasolini reply to him, Poor Umberto Eco! We’ll get into that next time. But, for the moment, let’s stop here, let’s stop here and say that at first glance – and given the mystery of Pasolini’s text, which we’ll leave aside for the moment – at first glance, it seems obvious that cinema is not a language. Okay.

When we asked, “What is a language?”, however modern the answers – Martinet’s answer, for example – it was a pre-critical question, a Platonic question. Which is to say, of all the apparent characteristics of a language, which is the essential one? Accepting this pre-critical question “What is a language?”, we answered: cinema is not a language.

And Metz goes on to say that the error of the first people to reflect on the relation between cinema and language is that they posed the problem in terms of language. Eisenstein is merely using a metaphor when he says that cinema, insofar as it is constituted by montage, is a language. It’s a mere metaphor, because this doesn’t consider the specific characteristic of a language, the specific characteristic of a language being its double articulation. Do you follow me? I suppose for the… and again, I can’t do otherwise, anyone who knows this…

Okay. I’ll move on to a completely different question. I’m no longer asking what makes up the essence of a language, I’m reflecting on the rules of usage of a language. Which is to say, what rules of usage are the units of language subject to? You see, I’m back to my notion of rules of usage, and that’s another kind of question. Whether they’re phonemes or morphemes… no, sorry, whether they’re phonemes or monemes, they’re subject to certain rules of usage. I’m no longer looking for the essence here. I’m looking for the subjective rules. But this is not a question of the subjectivity of someone speaking, it’s not about speech, it’s about the subjectivity of language itself. So, what are the rules of usage for phonemes and monemes? The answer is that there are two kinds of rules: some are called syntagmatic, others paradigmatic.

Which acts do they correspond to? We’ll call syntagm any conjunction of relative units – I mean: phoneme, moneme or other, they don’t have to be absolute units – we’ll call syntagm any conjunction of relative units present in a statement. And so, we’ll refer to the syntagm corresponding to the statement. We’ll say that there’s a u v syntagm if u and v are present in capital E, capital E designating a statement [énoncé]. Such an activity is a combination, an act of combination… [Recording interrupted; 1:13:18]

défaire [undo] … défaire would never form a syntagm small u and vdéfaire would never form a syntagm if we weren’t able to constitute a capital U and a capital V, constitutive of a syntagmatic rule. Meaning décoller [take off], dévoiler [unveil], which are of the same type as défaire. Do you follow me? I’m really trying to give you the most basic… Very good, okay.

If you’ve been following me you see immediately that there is a problem. If I say the word déterminer” [to determine], is it a syntagm of the type UV? Are there two monemes? I’m not sure. I could only say that there are two monemes for déterminer if I could discover a rule that involves and forms a capital U place and a capital V place so that dé- is to x as – is to terminer [to finish] … well, once we acknowledge that in déterminer the syntagmatic relation between U and V, that is to say between défaire… no, sorry, the syntagmatic relation in déterminer, the relation – and terminer is not of the same type as the relation dé-faire. Okay? Good, fine.

What matters to me is that the syntagm refers to a syntagmatic rule. That’s why linguists don’t generally speak of the syntagm but, more profoundly, they speak about the syntagmatic. Metz goes even further: he speaks – for reasons I’ll explain later – of the “great syntagmatic”… the great syntagmatic, which doesn’t arouse in me any objection at all, but it does arouse great hilarity because I hear… when someone says to me the great syntagmatic, I hear “The great lady…’ – I mean, “The great Queen is dead”… in short, it’s Jacques Bénigne Bossuet. The great syntagmatic makes me dream! The great syntagmatic… Is the great syntagmatic dead? Well, we don’t know… it’s the syntagmatic! You see? Right, do you follow me? And every time you construct a sentence, the rules of usage are syntagmatic rules. You didn’t know that, did you?

What if at the same time you are also constructing a paradigm? Well, the paradigm… Remember, a syntagm is the conjunction of present relative units. The paradigm is the disjunction of present units with absent units that are comparable, in one respect or another, that are comparable in any respect whatsoever… for example, comparable from the point of view of sense, or comparable from the point of view of sound. For example, “teach-instruct”… this is an example given by [Ferdinand de] Saussure, teach-instruct. When I say the sentence “he taught me”, I could also have said “he instructed me”. So, what’s the difference? You’ve made a choice. Every unit that is present, that is, that you have chosen, implies its disjunctive relation with other possible units that you have not chosen, that you have eliminated. And that’s the way it is every time you speak, especially when you’re searching for a word.

Either the paradigm will concern units whose sound is similar, and not at all the meaning, or whose meanings are similar, and not at all the sound. Let’s go back to my previous examples, my two examples: “Tu as dit cochon ou cosson?” and “Les bandes du vieux pillard ou les bandes du vieux billard?” Okay. This time, it’s no longer an act of combination, it’s an act of selection. It’s no longer based on contiguity, it’s based on similarity. The criterion is what linguists call commutation. Commutation occurs if the substitution of two units u and u’ produces an assignable difference. When I say assignable, I mean, for example… there are differences in intonation that do not produce assignable differences. Differences in intonation are not part of this case. You see? Martinet analyses at length a paradigmatic example between these two commutable statements: “Il dessine une carte” / “Il dessine une carpe” [He draws a map / He draws a carp], this time based on the phonetic difference between /t/ and /p/. While “Les bandes du vieux pillard” and “les bandes de vieux billard” are based on the phonetic difference /b/ and /p/. All clear? Good.

We’ll say that the rules of usage of phonemes and monemes are syntagmatic rules and paradigmatic rules, the former determining the legitimate concatenations or consecutions of present units, the latter determining the legitimate choices between a present and an absent unit. I remind you that during the first term, we already saw how [Roman] Jakobson drew on these two aspects to identify the two poles of aphasia as a language disease: a language disease with a predominant combination disorder – namely a syntagmatic disorder – and a language disease based on a selection disorder – namely a paradigmatic disorder.[6] And according to Jakobson, there are two poles of aphasia that we could call – I don’t think he actually does, but it doesn’t matter… – syntagmatic aphasia and paradigmatic aphasia. I won’t go back to this point.

A very intricate problem arises, and after this I’ll leave you in peace: what is the relation between the syntagmatic and the paradigmatic? There are two opposing theses: the most frequent one, I’m not saying the most… well, the most frequent thesis privileges the syntagmatic. The essential act, the essential rule of usage, is combinatorial, and the paradigm is merely a means of forming classes of units with the same combinatorial possibilities, thus subordinating the paradigmatic to the syntagmatic. A rarer thesis, that of Martinet, is quite well formulated: the fundamental act of language is choice, at all levels, at the phonemic level as well as at the monemic level. There are choices. And a syntagm cannot be constituted if we fail to consider the other units that would have been possible. So, there’s a kind of primacy of the paradigmatic, which is a very, very interesting part of Martinet’s thesis. A median position, which doesn’t exclude the greatest geniuses, sees the independence of the two dimensions, and this is very well represented by Jakobson, with his two poles, his two independent poles.

Okay. Where do I want to go with all this? You see what Metz’s thesis will be? To end this session, we could say what Metz’s great thesis means: that cinema is a language system without language. In other words, the cinematographic image is not a language, nor does it form or belong to a language, because there is no phenomenon of double articulation. So, it has none of the elements that define a language.

On the other hand, it has its rules of usage, which are mainly syntagmatic in nature, but also paradigmatic. Only this time they don’t define linguistic elements but rules of language usage. In other words, syntagmatic and paradigmatic relations are rules of usage that define the language system. Double articulation is a state of elements that defines language. You necessarily find syntagms and paradigms in language. But you don’t find syntagms and paradigms exclusively in language. The rules of language usage – syntagm and paradigm – can be applied to elements other than the elements of language, and in such cases, we speak of a language system without language. A language system without language is quite something, it’s a cultural product that presents or that follows the rules of syntagmatic and paradigmatic usage, although it does not itself present the elements of language.

So there will be language systems without language. If fashion or clothing is subject to syntagms and paradigms, then it forms a language system without a language. If music is subject to syntagms and paradigms, then it’s a language system without a language, regardless of whether there are phonemes or monemes. These are not at the same level at all. What defines a language system are the two fundamental rules of usage.

Of course, in a language, these rules of usage relate to elements of language, but they may also relate to elements other than those of language… remember that the elements of a language are defined by a double articulation. But syntagms and paradigms do not require a double articulation. Though they may apply the elements of double articulation, they do not depend on it.

So, we can very well speak not of a cinematographic language, but you must speak of a cinematographic language system. Providing that – and this is not going to be easy to demonstrate – providing that the cinematographic statement – hence its linkage, everything is proved – providing that narration whose elements are statements, analogical statements, which are not therefore statements of a language, iconic statements, analogical statements… well, if the analogical or iconic statements of cinema actually apply to syntagms and paradigms, then cinema is a language system. So, the question of the relation cinema-language-language system has shifted from a Platonic to a Kantian status.

But under what conditions can cinema be considered a language system? Answer: if it’s true that the cinematographic image can be reduced to a non-linguistic statement – namely an analogical statement – and if this analogical statement is subject to syntagmatic and paradigmatic rules… You look devastated… In any case, we can’t deny the rigor of his thesis at this level. But what price do we pay for this rigor? Everything we’ve seen before, everything we’ve seen before… That’s where we are now, so we’ll need another session. What are the cinematographic syntagms and paradigms? In other words, what is the great syntagmatic? [End of session; 1:32:16]

Notes

[1] See M. Chion, The Voice in Cinema, New York: Columbia UP, 1999 pp. 6-9.

[2] The quotation comes from Metz’s Essais sur la signification du cinéma, which Deleuze already quoted in the previous session, translated as Film Language: A Semiotics of the Cinema, Chicago: Chicago UP, 1990.

[3] Here Deleuze refers to Raymond Russel’s story “Parmi les noirs”, whose the first line, “Les lettres du blanc sur les bandes du vieux billard”, is reiterated in the last line but slightly modified, “Les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard”. Russel’s idea is to write a text that moves from the first to the last formula. Cfr. The Logic of Sense, London: Continuum, 1990, p. 39.

[4] See Claude Levi-Strauss, The Raw and the Cooked, New York: Harper & Row, 1969, pp. 1-32.

[5] See Luis J. Prieto, Messages et Signaux, Paris: PUF, 1972.

[6] See session 6, December 11, 1984.

French Transcript

Edited

Gilles Deleuze

Sur Cinéma et Pensée, 1984-1985

14ème séance, 05 mars 1985 (cours 80)

Transcription : La voix de Deleuze, Mpoyo Ilunga Stephanie (1ère partie) et Nadia Ouis (2ème partie) ; révisions supplémentaires à la transcription et l’horodatage, Charles J. Stivale

Partie 1

Lucien Gouty : On commence la quatorzième [séance] … [Rires]

Deleuze : Tu as dit quatorze, mais c’est beaucoup trop, c’est beaucoup trop… Alors on a quatorze fois ça… quatorze fois ça…

Gouty : Quarante-deux…

Deleuze : Quarante-deux… c’est quelque chose. Bon, vous me direz, c’est ordinaire… bon.

Alors la dernière fois et c’est fini. On a fait un plan, la dernière fois. Je redis vite : il s’agissait d’une confrontation directe et arbitraire entre image moderne et image classique, arbitraire puisque on extrayait deux exemples : [1 :00] exemple Eisenstein, exemple Godard. La confrontation nous a fait développer trois points : un cinéma tonal, dit classique. Comment se définit-il ? Enchaînement d’images par coupures rationnelles. [Pause] Un cinéma sériel dit moderne, comment se définit-il ? Ré-enchaînement d’images sur coupures irrationnelles.

Deuxième point : un cinéma classique dit structural ou cinéma de vérité, la vérité, j’insiste beaucoup, [2 :00] étant un modèle indépendant de la dualité possible réel-fictif, car c’est le même modèle de vérité qui sert au réel et à la fiction. Quel est le modèle de vérité ? En effet, c’est qu’en même temps que les images s’enchaînent par coupures rationnelles, les images enchaînées s’intériorisent dans un Tout, et le Tout s’extériorise dans les images. Un tel mouvement par lequel elle s’intériorise dans les images et le Tout s’extériorise dans les images, est le mouvement dit vrai, hein, par opposition à un cinéma moderne qui — voir une année précédente, je crois l’année dernière, pour ceux qui étaient là [3 :00] — récuse tout modèle de la vérité pour se réclamer des puissances du faux en tant que les puissances du faux forment une série. Tout s’enchaîne parfaitement. Ce n’est plus un cinéma de la vérité, c’est la vérité du cinéma. Et on a vu l’importance de ce retournement et en quel sens un cinéma, qu’on pourrait dire direct, n’a rien à voir avec un cinéma direct mais, en revanche, a à voir avec ce retournement, où le cinéma ne se réclame plus d’un modèle de vérité, n’est plus un cinéma de la vérité, mais prétend à atteindre une vérité du cinéma.

Troisième aspect : l’image classique [4 :00] en tant que tonale et structurale est une représentation indirecte du temps. L’image moderne en tant que sérielle [Pause] et vérité du cinéma est une présentation directe du temps. Qu’est-ce que veut dire présentation directe du temps ? Nous l’avons vu les autres années et revu la dernière fois. Cela veut dire que le temps est arraché à sa forme empirique de la succession [Pause] [5 :00] et qu’il l’est de deux manières. Il y a deux grandes images-temps directes. [Pause] Il l’est sous la forme, appelons-la « succession empirique du temps », appelons-la « le cours du temps ». La présentation directe du temps ou l’image-temps directe se présente sous deux formes : la série du temps qui conserve l’avant et l’après mais pour en faire des qualités intrinsèques du temps. Ces qualités intrinsèques présentent dès lors la série du temps comme un passage. Passage de quoi à quoi ? Pas passage du présent ? Non. [Pause] [6 :00] Mais le passage, on l’a vu, d’une attitude à une autre, passage suivant un gestus, [Pause] le gestus se faisant suivant un acte de fabulation. Le flagrant délit de fabuler, voilà ce qui distribue l’avant et l’après dans la série du temps.

Deuxième aspect de l’image-temps directe, non plus la série du temps, mais l’ensemble du temps… non, l’ordre du temps, c’est-à-dire la coexistence des rapports de temps, la coexistence de tous les rapports de temps, et cette fois-ci, ce n’est plus comme tout à l’heure comme [7 :00] pour la série, la série horizontale du temps, c’est-à-dire l’enchaînement des attitudes suivant un gestus qui met en jeu l’acte de fabulation, mais c’est la construction verticale des séries [Pause] sous la forme que nous avons vue : la coexistence des séries. Voilà, ça, ça forme un ensemble.

Mon invocation la dernière fois, quand on terminait, c’était : est-ce que certains d’entre vous ont à signaler que, dans ce cadre relativement étroit, d’autres choses pourraient s’insérer, ou bien est-ce que certains d’entre vous pensent qu’il y a lieu de revenir sur certaines de ces autres choses avant que nous passions à… ? [8 :00] Voilà, à cette question, il n’y a que vous qui puissiez répondre. D’ailleurs la question, elle est double. Ou bien il y a des choses qu’il faut revoir parce qu’elles ne vous paraissent pas au point, ou bien, ou bien je ne sais plus, ou bien il y a des choses à ajouter. [Pause] Non ? Non ? Non ? Bien, très bien. [Pause]

Alors nous passons, nous sommes forcés parce que, encore une fois, on n’a pas cessé de buter dans notre analyse de l’image moderne — mais à chaque fois, il fallait faire un tour de passe-passe — sur quelle image moderne, nous ne pouvions pas la définir sans nous référer à certains [9 :00] actes de paroles. [Pause] Il va de soi que si l’acte de fabulation a tellement d’importance dans le cinéma moderne, il met en jeu un acte de parole. C’était une manière de dire le cinéma moderne est inséparable du parlant. Ça ne voulait pas dire le cinéma moderne coïncide avec le parlant. Ça voulait dire, sans doute, le cinéma moderne a besoin d’un certain usage du parlant. Peut-être que cet usage du parlant est tout à fait révolutionnaire par rapport à l’apparition du parlant dans le cinéma. Mais enfin, on sentait bien que venait encombrer nos pieds, dès que nous essayions d’avancer, venait nous encombrer cette question du parlant dont [10 :00] on ne pouvait rien dire, nous, puisque on n’avait pas posé le problème.

Et puis inversement, au niveau de l’image classique, on traînait depuis longtemps un problème, dont on n’a jamais parlé les autres années et puis l’heure est venue. J’ai tardé le plus possible à en parler parce que, bon, qui était : mais même muet, l’image cinématographique n’a-t-elle pas quelque chose de fondamental qui la met en rapport avec soit la langue, soit quelque chose de voisin, même muet. Si bien que maintenant nous nous trouvons donc devant comme [11 :00] un nouveau chapitre ; ce nouveau chapitre va tourner autour de trois problèmes très différents, mais il se trouve que ces trois problèmes très différents, ils ne vont pas cesser de se lier, de se nouer.

Chacun de nous a des impressions très différentes ; ce qui m’ennuie peut vous intéresser, ce qui m’intéresse peut vous paraître extrêmement ennuyeux. Alors une bonne année, c’est quand ça s’équilibre, c’est quand, si ça vous amuse, eh ben, ça m’amuse, et si ça m’amuse, ça vous amuse, eh ben c’est, c’est… Mais ce n’est jamais pour les mêmes raisons. Tout ceci, c’est une introduction pour dire que dans ce nouveau pan, il y a des choses qui m’amusent beaucoup, qui m’intéressent — et puis je crois que c’est cette année seulement que je vais, que je suis devenu capable d’en parler un peu — et qu’il y a des choses qui m’ennuient à périr. Et voilà comme toujours, [12 :00] ce n’est pas toujours la fête. Le devoir moral fait que il faut que je parle des choses qui m’ennuient à périr. Il le faut. Alors les choses sont assez perverses, la nature des choses est assez perverse pour que certains d’entre vous, en effet, trouvent très ennuyeux ce que je trouve amusant et inversement. Je compte là-dessus.

Je dis tout de suite, bon, il y a un premier problème qu’on va avoir à considérer et qui coïncide avec les débuts du cinéma, bon. S’il y a un enchaînement d’images et si le cinéma se présente comme un enchaînement d’images-mouvements, sous sa forme la plus classique — enchaînement d’images-mouvement par coupures rationnelles, image classique — il a quelque chose [13 :00] à faire avec la langue. Et après tout, c’était le début du cinéma, c’était ça la formule : le cinéma est la réalisation de ce que l’on cherchait de tout temps et en tous lieux, la langue universelle. Ce thème est tellement connu que je n’insiste pas.

Vous remarquez qu’il est tout à fait indépendant du parlant, [Pause] ou bien, toujours dans ce premier point de vue, si ce n’est pas avec la langue que l’enchaînement des images cinématographiques a à faire, peut-être est-ce avec quelque [14 :00] chose de voisin. Je garde à « voisin » son sens le plus vague. Qu’est-ce qui peut être voisin de la langue ? [Pause] Toute une école s’est constituée depuis peu, toute une école dite de sémiologie, pour nous dire : on a cru dans un premier temps que le cinéma avait affaire avec la langue. Il n’a pas affaire avec la langue ; le cinéma n’est pas une langue. En revanche, il a affaire avec quelque chose [15 :00] de voisin de la langue, qui est quoi ? Qui est le langage. D’où la formule de Christian Metz : le cinéma, langage sans langue. Qu’est-ce que ça peut vouloir dire ? [Pause]

En France, cette école a donc été inaugurée par les recherches de Metz, développée par de nombreux disciples qui se réclament d’une sémiologie linguistique, ou comme ils disent, d’une sémio-critique, et met directement en cause [16 :00] un auteur de cinéma, [Alain] Robbe-Grillet, puisque Robbe-Grillet fut de loin le cinéaste, d’abord l’exemple privilégié sur lequel se sont penchés un grand nombre de partisans de la sémio-critique, et d’autre part, lui-même s’est mêlé, s’est mêlé très étroitement de leurs travaux, suggérant des interprétations dont il a le secret.

En Italie vers la même époque se développait une école sémio-critique, sous l’autorité de [Emilio] Garroni, Ga-rro-ni, c’est ça, Garroni, qui a pris également un très grand développement, à laquelle appartient — je ne dis pas qu’ils disent tous la même chose — et où vous trouverez aussi un auteur italien célèbre, Umberto Eco, [17 :00] et à laquelle est mêlé, d’une manière non moins complexe que Robbe-Grillet avec l’école française, à laquelle est mêlé un grand cinéaste : [Pier Paolo] Pasolini. [Pause] Voilà la situation.

Nous ne savons pas bien encore quelles différences il peut y avoir entre langage et langue. Nous savons en tous cas, et nous pouvons dire que, quant à la formule de Metz qui pourrait être signée par tous les sémio-criticiens critiques, c’est même à cela qu’on les reconnaît. Quelqu’un qui dit : le cinéma est un langage sans langue, celui-là est un sémio-critique ou un sémiologue d’inspiration linguistique. Nous ne savons pas encore ce que signifie cette distinction langage-langue. Nous savons au moins [18 :00] que surtout il ne faut pas la confondre avec une tout autre distinction : langue-parole. Le langage n’est pas identique à la parole. Si bien que linguistiquement, nous serons évidemment forcés de distinguer au moins trois niveaux : la langue, le langage et la parole. Autant la distinction langue-parole est devenue familière au moindre lecteur des linguistes, autant la distinction langue-langage est peut-être un tout petit peu plus difficile.

Dans cette perspective, j’annonce que je serai forcé de développer des points qui pour un certain nombre d’entre vous sont acquis et sont des évidences. Je devrai les développer comme si vous ne saviez rien parce que, d’une part, je suppose que certains d’entre vous ne savent rien dans ce domaine, c’est légitime — certains d’entre vous [19 :00] n’ont pas encore été touchés par le moindre élément de linguistique ; ça m’étonnerait, mais on ne sait jamais — et d’autre part, parce que j’ai besoin de le prendre pour mon compte et de voir ce que j’ai à en tirer. Donc je ne cache pas que, pour moi, c’est la partie la plus morne du monde, [Rires] mais qu’il faut y passer. Il faut y passer sinon je ne peux pas arriver à ce qui m’amuse. Car le travail n’est pas toujours drôle. Ce qui nous sauve, c’est qu’il est si souvent drôle, car le drôle, c’est pour moi, le second problème.

J’avais annoncé un premier problème. Pour moi, le drôle c’est le second problème qui, lui, m’amuse vraiment. C’est que le précédent problème ne tient aucun compte de l’existence, ou du moins, [20 :00] je me corrige, ne tient aucun compte direct, principal, de l’existence du parlant, de l’existence ou non du parlant. Je sens que ce que je dis n’est pas vrai pour certains sémio-criticiens. Mais en principe, c’est vrai. Et notamment chez Christian Metz, il est très évident, il le dit explicitement, que le code audiovisuel — on comprendra plus tard ce que ça veut dire, tout ça –, le code audiovisuel du cinéma doit être considéré comme absolument distinct du code langagier [21 :00] par lequel les images cinématographiques peuvent être considérées comme un langage. Donc les raisons pour lesquelles les images cinématographiques doivent être considérées comme un langage, sont tout à fait étrangères à l’existence ou non du parlant.

Si bien que le deuxième problème très distinct, mon deuxième problème étant non pas « qu’est-ce que le parlant ? », parce que je voudrais le poser d’une manière plus précise, mais : y a-t-il des actes de paroles que l’on pourrait appeler cinématographiques ? Est-ce que le cinéma nous présente des actes de paroles spécifiques ? [22 :00] Bon, alors du coup, à peine je pose le problème ainsi, je dis : ça vaut déjà pour le muet. Car je rappelle ce que la plupart d’entre vous savent, comme ça a été dit souvent, le muet est mal dit « muet ». [Pause] Jean Mitry nous dit : il n’y a jamais eu de cinéma muet ; il n’y a que du cinéma. Il y a eu du cinéma silencieux, ce n’est pas la même chose. Ça veut dire, les gens parlent et ne cessent pas de parler, simplement on ne les entend pas.

Donc ce n’est pas un cinéma muet ; c’est un cinéma profondément [23 :00] phonatoire : la phonation est un acte de parole. Que les sons ne soient pas entendus, c’est une autre affaire. Je ne tiens même pas compte du fait que le cinéma muet était, comme on le rappelle aussi très souvent, était déjà sonorisé soit sous la forme d’un commentateur, soit sous la forme d’une musique. Mais même indépendamment de cela, le cinéma dit muet nous présente des gens qui ne cessent pas de parler. Il est silencieux et non pas muet. Michel Chion dans son livre sur la voix, La voix au cinéma [Paris : Cahiers du cinéma, 1984], je crois, La voix au cinéma, dit encore mieux [24 :00] : le cinéma n’a jamais été muet, il a été sourd, ce qui revient à la même chose que la formule de Mitry, en plus brillant. Un cinéma sourd, ce n’est pas un cinéma muet.

Donc il y a eu de tout temps des actes de paroles au cinéma. Je demande si le cinéma nous présente des actes de paroles spécifiques, ou si ce sont des actes de paroles non spécifiques, c’est-à-dire, qui n’ont aucune différence assignable avec des actes de paroles qui seraient simplement des enregistrements d’actes de paroles ordinaires tels qu’ils sont dans la vie sociale, ou bien qui n’auraient pas de différences spécifiques avec les actes de paroles théâtraux. Vous voyez que la question a un sens : y a-t-il des actes [25 :00] de paroles formellement spécifiques, c’est-à-dire qui appartiennent au cinéma comme tel et qui n’existent que chez lui, ce qui nous permettrait au moins de régler toutes sortes de bêtises sur les rapports cinéma-théâtre ? Parce que c’est peut-être déjà, s’il y a déjà des actes de paroles spécifiques au cinéma, vous comprenez qu’il n’y a plus tellement besoin de réfléchir sur les différences cinéma-théâtre, à savoir que même au niveau des actes de paroles, ce ne sera pas les mêmes actes de paroles.

Bon, mais ça m’intéresse aussi et c’est pour ça que ça m’amuse, ça m’intéresse aussi à un autre égard. L’autre égard, c’est celui-ci, c’est qu’une discipline, que certains d’entre vous connaissent aussi, qu’on appelle la sociolinguistique, a toujours attaché beaucoup d’importance à la [26 :00] classification des types d’actes de paroles. [Pause] Comment classer ? Alors, dans le souci que nous avons depuis plusieurs années, de faire une classification, classification des images et des signes, ben là, ça me plaît beaucoup, si on arrive à tirer du cinéma non seulement une forme spécifique de l’acte de paroles. Ben, c’est un aspect de la question. Et deuxième aspect de la question : si on arrive à en tirer une classification des actes de paroles cinématographiques, ensuite on pourra se demander si le cinéma ne nous a pas révélé une manière de classer les actes de paroles en général qui peut enrichir la sociolinguistique. [Pause] [27 :00] C’est-à-dire, il y aurait une réaction du cinéma grâce à ses actes de paroles spécifiques sur une typologie générale… [Interruption de l’enregistrement] [27 :10]

… qu’en est-il du droit ? Je demande si déjà le fait supposé de la narration comme caractère, comme fait de l’image cinématographique, est analogue à la géométrie euclidienne, c’est-à-dire a pour caractère l’universel et le nécessaire. Vous me direz pour la géométrie euclidienne non plus, puisqu’il n’y a pas que des géométries euclidiennes, il y en a des non-euclidiennes. Pour une part, Kant ne les connaissait pas, elles sont après Kant. Et j’ai honte de cette réponse parce que ça consisterait à dire que la découverte de géométries non euclidiennes ou [28 :00] leur construction, suffit à rendre caduque le Kantisme, alors que ça n’en change pas un mot. Pour une raison simple, c’est que les géométries non euclidiennes, de manières très complexes, sont susceptibles et même impliquent des connections dites euclidiennes. Est-ce que le fait de la narration hollywoodienne est du même type ?

Je reprends les trois étapes de Metz. Il y a un fait, c’est que le cinéma s’est constitué comme cinéma de narration à Hollywood, voilà. [Pause] Deuxième point… [Pause] Là, j’ai déjà une question, qu’on laisse de côté pour le moment. [29 :00] Est-ce un fait ? Et encore en quel sens, est-ce un fait ? Est-ce un fait empirique, ou est-ce un fait universel et nécessaire ? Deuxième point : si le cinéma s’est constitué en fait comme cinéma de narration, l’image cinématographique est assimilable à un énoncé. Elle est assimilable à un énoncé. C’est ce que j’appelle une approximation. [Pause] Ce point est aussi important que le précédent, et là aussi, tellement important que Metz est extrêmement prudent. Je lis aussi, dans mon souci [30 :00] que vous ne pensiez pas que je durcis les textes. Il est très, très prudent ; il dit : quel est l’équivalent de l’image cinématographique ? Il dit l’équivalent, il s’agit bien d’une approximation. Il dit, est-ce que l’on peut comparer un plan, si on prend le plan comme, en un sens très sommaire, comme minimum d’images, l’image minima, eh bien, est-ce que l’on peut considérer, est-ce qu’on peut assimiler le plan à un mot ? Mais c’est une drôle d’idée, déjà. Pourquoi vouloir assimiler le plan à un mot ? Uniquement en vertu du fait, à savoir le fait du cinéma, c’est le cinéma de narration.

Voilà, il nous dit, est-ce que ça ressemble à un mot, un plan ? [31 :00] Il nous dit non, non, et dans un texte célèbre, toujours cité, il dit : Un plan qui me montre un gros plan de revolver n’est pas assimilable au mot ‘revolver’ mais à l’énoncé : voici un revolver. Même les images assez rares d’ailleurs, qui correspondraient par le contenu à un mot, sont encore des phrases. C’est un cas particulier, particulièrement éclairant. “Un gros plan de revolver ne signifie pas revolver … — mais signifie au moins, et sans parler des connotations : ‘voici un revolver’ ». En d’autres termes, ce n’est pas un mot, c’est un énoncé. [32 :00]

Autre citation — mais il est toujours très, très prudent à cet égard — il dit, ben c’est l’équivalence la moins mauvaise. « Le plan filmique ressemble à un énoncé » — ça, c’est page 118 — « il ressemble » — et on verra pourquoi il est forcé de dire ça, c’est bien ça, il ressemble – « le plan filmique ressemble à un énoncé plutôt qu’à un mot. Cependant il serait faux de dire que le plan équivaut à un énoncé car entre le plan et l’énoncé linguistique, de grandes différences subsistent ». Je suis donc fondé de parler d’approximation. [33 :00] Approximativement, l’image cinématographique peut être considérée comme un énoncé. Voilà, c’est le deuxième point. [La citation est sans doute du livre de Metz, Essais sur la signification du cinéma (Paris : Klincksieck, 1968), que Deleuze cite dans la séance précédente]

Troisième point : si l’image cinématographique peut être considérée comme un énoncé, à quelles conditions, [Pause] à quelles conditions qui définiront en même temps les règles d’usage [Pause] [34 :00] relatives à cette image ? La réponse de Metz, que comprendront tous ceux qui ont fait un peu de linguistique et que j’expliquerai pour les autres, je la donne déjà cette réponse, c’est, les conditions sont les suivantes : que l’image cinématographique [Pause] soit soumise [Pause] à des « opérations », donc à des actes subjectifs, à des « opérations » qu’on appellera, conformément à la linguistique, paradigmatiques et syntagmatiques, [35 :00] syntagme et paradigme, ou mieux, on verra, syntagmatiques et paradigmatiques. [Pause] Et la syntagmatique et la paradigmatique sont les conditions qui rendent possible l’assimilation de l’image cinématographique à l’énoncé. [Pause]

Pourquoi il lui faut trois stades ? Vous le comprenez, c’est qu’il partait d’un fait, le fait du cinéma narratif. Deuxièmement, une approximation : l’image cinématographique, dès lors, [36 :00] peut être assimilée approximativement à un énoncé. Pourquoi encore une fois approximativement ? Et il y a là aussi, à chaque chose, il y a des choses effarantes. Je ne dis pas du tout que ce soit mal, mais il y a des choses stupéfiantes ; ça a l’air d’aller tout seul. C’est que si c’est assimilable à un énoncé, c’est un drôle d’énoncé. Il le dira lui-même : ce n’est pas un énoncé non pas verbal, c’est des images. [Pause] Ce n’est pas des mots. Donc il faut qu’il forge la catégorie ; je ne dis pas qu’elle soit fondée ou mal fondée. Je constate. Il faut qu’il forge la catégorie d’énoncés analogiques ou d’énoncés iconiques, énonces analogiques, énoncés iconiques, [37 :00] en gros : énoncés qui opèrent par ressemblance, et non pas par combinaison d’unités conventionnelles. L’image de revolver est supposée ressembler à un revolver, c’est une image analogique, une image iconique, on dira. Là aussi on a des problèmes, puisque la notion même d’énoncé analogique ou d’énoncé iconique, est-ce que ce n’est pas un monstre ? Est-ce que ce n’est pas vraiment un monstre, cette notion-là ? Comme l’image est analogique ou iconique, selon lui, elle ne peut être assimilée à l’énoncé sous la forme d’un énoncé iconique analogique, [Pause] mais est-ce que c’est un énoncé ? Réponse, d’où le troisième moment, d’où sa démarche en trois moments : oui, ce sera un énoncé, si j’arrive à prouver [38 :00] que l’image iconique ou analogique est soumise aux opérations langagières du syntagme et du paradigme, de la syntagmatique et de la paradigmatique.

Ça va être un nœud, mais ça va être un nœud de problèmes. Je veux dire, au niveau et là, j’extrais la base la plus simple, ça va être un de ces nœuds de problèmes ! J’en cite un : comment éviter un cercle vicieux, dont je ne suis pas sûr après tout qu’il n’existe pas déjà chez Kant, ce qui serait redoubler de kantisme alors, si c’est même en prendre les cercles vicieux. Car je dirais [39 :00] : l’image est soumise au paradigme et au syntagme parce qu’elle est assimilable à un énoncé, mais elle est assimilable à un énoncé parce qu’elle est soumise au paradigme et au syntagme, et au syntagme. C’est embêtant ! Vous comprenez à quel point c’est embêtant ! Ce n’est pas possible ! C’est là-dessus que les post-Kantiens — d’ailleurs que je retrouve, j’aime bien parce que c’est là qu’on peut re-mélanger le tout — c’est là-dessus que les post-Kantiens protesteront contre Kant. Ils lui diront, avec la méthode fait-conditions de possibilité, vous ne pouvez pas échapper à un cercle vicieux, à savoir, l’expérience est un fait. Ils diront : oui, l’expérience est un fait parce qu’elle est soumise aux conditions de possibilité, mais elle est soumise aux conditions de possibilité [40 :00] parce qu’elle est un fait. Et ils diront, le tort de Kant, les post-Kantiens, comme [Johann] Fichte, diront : le tort de Kant, c’est de s’en être tenu à une méthode du conditionnement sans arriver à une véritable méthode génétique. [Pause] Il fallait engendrer et pas conditionner ; il fallait faire la genèse, et pas le simple conditionnement. Alors je dis, à chaque niveau, j’ai une difficulté. J’ai mes trois niveaux de base. [Pause]

Je récapitule : le fait, c’est le cinéma de narration. [Pause] Premier trouble : il n’est plus question, il ne sera plus question du mouvement, ça aura disparu. [41 :00] Le mouvement ne sera pas un caractère pertinent de l’image cinématographique. Ce qui sera le caractère pertinent de l’image cinématographique, c’est la narration. Alors, s’il y trouve du langage, après ce n’est pas tellement étonnant, forcément, il se l’est déjà donné dès le début, enfin, il semble, enfin.

Deuxième point : s’il est vrai que le fait, c’est le cinéma de narration, alors l’image cinématographique est approximativement — je ne trouve pas mon adjectif, trois petits points, j’ai perdu un mot… — approximativement… [Quelqu’un lui suggère le mot] assimilable, voilà, je vous remercie, approximativement [42 :00] assimilable à un énoncé. [Pause] Deuxième trouble, alors là d’accord, à ce moment-là, il faut fonder la notion d’énoncé analogique ou iconique. [Pause]

Troisième niveau : si l’image cinématographique est assimilable à un énoncé, alors elle est nécessairement soumise aux opérations du paradigme et de la synthèse [Deleuze veut dire : du syntagme] qui en définissent les conditions de possibilité, c’est-à-dire les règles d’usage. Troisième trouble, le plus profond de tous : comment échapperons-nous au cercle vicieux ? Comment échapperons-nous au [43 :00] cercle vicieux d’après lequel l’image est assimilée à l’énoncé parce que soumise au paradigme et au syntagme, mais inversement, elle est soumise au paradigme et au syntagme parce que assimilée à l’énoncé ? [Pause] Bon, si bien que on ne peut avancer que si on comprend déjà ces deux formules mystérieuses : paradigme et syntagme.

Ça n’empêche… je suis beaucoup plus lent que… Quelle heure il est ? C’est marrant, hein, les évaluations, moi je me disais, j’en ai pour un quart d’heure, et vous voyez pourquoi c’est redoutable, hein ? J’en avais pour un quart d’heure en disant : ça m’embête tellement que… et puis tout d’un coup, on ne peut rien prévoir. Quelque chose, mais je me demande quoi alors, m’a fait rigoler, quelque chose m’a plu, m’a amusé. Ça doit être Kant, [44 :00] c’est un coup de Kant, ça. Du coup j’y ai mis… c’est curieux, on ne peut pas prévoir. Bon, vous vous reposez un peu, hein ? Réfléchissez à ces trois mystères, parce que je veux dire à la fois, ça va de soi, ces histoires, ça va complètement de soi, et puis c’est mystérieux, c’est mystérieux comment il peut dire ça… [Interruption de l’enregistrement] [44 :25]

… [il] faut que vous le pressentiez déjà — vous ne faites pas un peu de lumière ?

Un étudiant : [Réponse que ça ne marche pas]

Deleuze : Il n’y a plus de lumière ? [Pause] Ça ne va pas ça. [Pause] À la porte elle ne marche pas, mais il n’y a pas d’autre bouton ? Ils doivent la couper à partir d’une certaine he. [Rires ; pause] [45 :00]

Bon, je voudrais que vous sentiez déjà à partir de ce premier point, comment les notions d’image et de signe sont en voie — je ne prétends pas le montrer déjà, mais juste que vous le sentiez — sont en voie d’évacuation [Pause] puisqu’en effet, on nous parlera non pas d’image mais d’énoncé, en court-circuitant le mouvement comme caractère distinctif. Et on nous parlera, non pas de signes mais de « chaîne signifiante » au sens du syntagme et du paradigme, mais ça, ça se [46 :00] dessine seulement. Si le premier point donc concernait la position, la position de base de la sémiologie d’inspiration linguistique, notre second point va concerner le problème de la distinction essence-usage ou, d’une autre manière, langue-langage. [Pause]

D’où première question, et c’est là que je dis des choses — ceux qui connaissent tout ça me pardonne d’avance, et puis je vous renvoie aux textes, les textes, c’est n’importe quel dictionnaire de linguistique — qu’est-ce c’est qu’une langue ? Comment ça se définit ? [Pause] [47 :00] Sans doute de beaucoup de façons, mais un des sens les plus stricts par lesquels on ait défini la langue, m’apparaît être celle sur lequel [André] Martinet, le linguiste Martinet, Martinet le linguiste, [Rires] a insisté, et qu’il a développé, et qui consiste à dire : la langue, une langue, c’est un système à double articulation. Il ne s’agit évidemment pas de l’articulation phonatoire, puisqu’il ne s’agit pas de la parole. C’est un système de double articulation, et il dit : seule la langue est un tel système. Plus, un cas compliqué qui est [48 :00] la numérotation téléphonique, mais enfin, on peut supposer qu’elle n’existerait pas s’il n’y avait pas la langue.

Qu’est-ce que ça veut dire un système à double articulation ? Vous le savez, il y a une première articulation définie par des unités discrètes, discontinues, significatives. Ces unités discrètes, discontinues, significatives, sont appelées, du moins dans la terminologie de Martinet, sont appelées des « monèmes ». [Pause] Mettons que, très grossièrement, un monème, pour continuer à parler approximativement, c’est un mot. En fait, ce n’est pas un mot. [49 :00] Prenons un exemple, donné par Martinet lui-même : la soupe est bonne. [Pause] Il y a quatre mots, il y a au moins cinq monèmes. Premier monème : « la », deuxième monème : « soupe », troisième monème : verbe « être », quatrième monème : index de l’indicatif, cinquième monème : « bonne ». Cela n’empêche pas que pour plus de commodité, nous pouvons poser une équivalence inexacte ; on est dans les approximations, mot-monème. Le monème est une unité significative. [50 :00] Vous voyez que les monèmes s’articulent entre eux, et on parlera de la première articulation.

Cette première articulation renvoie à une seconde articulation, cette fois-ci, celle des « phonèmes ». Dans le même état rudimentaire qui m’est indispensable, nous assimilons les phonèmes à des lettres. Chacun sait qu’il n’en est pas ainsi. Le phonème est autre chose qu’une lettre ; pourquoi ? C’est que le phonème est par différence avec le monème, unité significative, est une unité [51 :00] « distinctive », non significative. C’est une unité distinctive. Par exemple la lettre b, la lettre b est un phonème. Vous me direz, c’est une lettre, alors ? Non, parce qu’elle n’est un phonème que en tant qu’elle est prise dans des rapports réglés avec d’autres phonèmes. Si vous dîtes « billard », [Pause] le phonème /b/ comme dans « billard » est entre autres en rapport immédiat avec le phonème [52 :00] /p/ qui donnerait « pillard ». Vous avez ce qu’on appelle un rapport différentiel ou distinctif /b/ sur /p/, [Pause] au point que je dis — exemple pour toucher vos souvenirs littéraires — au point que je dis : « les bandes du vieux billard ». Et quelqu’un me répond : « qu’est-ce que tu as dit ? Tu as dit pillard, les bandes du vieux pillard ? » Je dis : « non j’ai dit les bandes du vieux billard ».

Alors autre exemple littéraire — je pourrais vous faire une interrogation écrite sur de qui sont ces exemples [Rires] — autre exemple : « as-tu dit cochon ou cosson ? » [53 :00] Le phonème, vous voyez, /ch/, c’est bien une lettre mais prise dans son rapport distinctif avec une autre. À ce niveau, vous avez des unités distinctives, non significatives, et vous voyez que c’est par l’articulation des phonèmes, c’est-à-dire des éléments de la seconde articulation, des éléments non significatifs, des éléments distinctifs non significatifs, que se fait les éléments, que se font les éléments de la première articulation, c’est-à-dire les unités significatives. Les unités significatives se construisent sur [54 :00] les unités distinctives non significatives. D’accord ? . [Pour la première citation, il s’agit de Raymond Roussel ; voir Logique du sens (Paris : Minuit, 1969), p. 53]

Vous avez donc une articulation définie par les monèmes, et une articulation définie par les phonèmes. Il n’y a pas de langue à strictement parler qui ne présente le phénomène de double articulation. Ce qui présente le phénomène de double articulation, inversement, est une langue. Quelle est la condition ? Il faut en plus que la double articulation soit fixe, c’est-à-dire que, d’une part, elle ne soit pas mobile, [Pause] [55 :00] et que les deux niveaux ne soient ni remplaçables ni interchangeables, les deux niveaux ne soient ni remplaçables ni interchangeables. [Pause]

Question accessoire pour des travaux pratiques : la musique est-elle une langue ? La peinture est-elle une langue ? Pour ceux que cette question intéresse, voir [Claude] Lévi-Strauss, Le cru et le cuit [Paris : Plon, 1964] et la partie du début nommée « Ouverture » où la réponse, très étrange, très intéressante de Lévi-Strauss est que la musique tonale présente bien une double articulation [56 :00] et, en ce sens, est une langue, mais n’en est pas une tout à fait. Car les deux niveaux sont, à certains égards, remplaçables et même, à certains égards, interchangeables. Ça, ça nous prendrait très longtemps, c’est pour ceux que ça intéresse que je vous renvoie à ce texte. Que la peinture classique est, elle aussi, une quasi langue, mais ne répond pas aux dernières exigences de non mobilité, non remplaçabilité, ni interchangeabilité, bien, tandis que la peinture abstraite n’est pas une langue — c’est très curieux comme idée — que la peinture abstraite, elle, n’est pas du tout [57 :00] une langue, la musique atonale n’est pas une langue, que la musique concrète n’est pas une langue. Bon, tout le texte de Lévi-Strauss est très intéressant, pour ceux que ça intéresse.

Voilà, donc, ajoutons — enfin toujours pour ceux que ça intéresse et qui ne savent pas déjà tout ça — que dès lors, on peut classer toutes sortes de systèmes dits d’information ou de communication d’après le critère de la double articulation. Un linguiste qui a beaucoup inspiré l’école italienne de sémiologie et qui s’appelle [Luis J.] Prieto, p-r-i-e-t-o, mais je ne sais pas de quel pays, il est. [Pause]

Une étudiant : Argentin.

Deleuze : Il est Argentin ? [58 :00] Prieto a fait une très grande classification, là, des systèmes à double articulation, ou du point de vue de l’articulation que vous trouverez notamment dans un livre de lui, traduit en français : Messages et signaux [Paris : PUF, 1966]. Cette classification, cette grande classification de Prieto du point de vue des articulations, est reprise dans un article de Umberto Eco, revue Communications, numéro 15, 1970, où il reprend, où il reprend — en amenant des petits changements, mais enfin — et cela donne toute une classification, donc, des systèmes, [59 :00] des systèmes de communication ou d’information. Je vous lis très rapidement, tout ça pour ou bien pour vous ôter l’idée d’aller voir ou pour vous donner l’envie d’aller voir.

Premièrement, codes sans articulation, il y aurait des codes sans articulation. La notion de code qu’on introduit, voyez, puisqu’en effet, ça je le dirai plus, plus tard. Un exemple : la canne blanche de l’aveugle, ou bien les lignes d’autobus désignées par des numéros à un chiffre. Ouais, c’est évident, une ligne d’autobus désignée par des numéros à un chiffre, c’est un code sans articulation. Bon, d’accord, c’est une classification, c’est … [Pause]

Deuxièmement : [60 :00] codes ne comportant que la deuxième articulation, c’est-à-dire l’articulation du type… qui correspondrait dans la langue au type phonème, exemple : ligne d’autobus à deux chiffres. [Pause]

Troisième cas : codes ne comportant que la première articulation, c’est-à-dire celle qui correspond au monème, les éléments significatifs. Exemple : la numération des chambres d’hôtel. C’est malin ça, car toujours dans [61 :00] l’interrogation écrite : que signifie la chambre 20 ? Vous le savez ? La première chambre du deuxième étage. Réfléchissez là-dessus, vous verrez que c’est typiquement un code qui ne comporte que la première articulation. Signaux routiers, numération décimale, bon.

Quatrième cas : code à double articulation, [Pause] sous-entendu non mobile, non interchangeable et non permutable : [Pause] les langues [62 :00] et les numéros de téléphone à six chiffres. [Pause] Vous chercherez pourquoi, c’est bien. Le mieux serait que vous trouviez pourquoi sans vous reporter à l’article.

Dernier point, je ne sais plus, cinquième, code à articulation mobile : la musique tonale, car vous pouvez assigner les conditions, par exemple, les hauteurs, comme seconde articulation, sont remplacées par les timbres. Vous avez un cas, là, de transformation qui strictement est absolument interdite dans le langage où votre seconde articulation ne pourra jamais consister qu’en phonèmes, les cartes à jouer, les grades militaires, voilà, et j’en passe. [63 :00] Je retiens de ça uniquement : la langue est définie par un système de double d’articulations dans des conditions de non-mobilité, non interchangeabilité et non remplaçabilité. La question devient trop compliquée là : est-ce que le cinéma est une langue ? Réponse immédiate : non. Non. Le cinéma n’est pas une langue. [Interruption de l’enregistrement] [1 :03 :36]

Partie 2

Vous chercherez en vain, en apparence, vous chercherez en vain une deuxième articulation. Vous pouvez traiter les plans comme éléments d’une première articulation ; [64 :00] qu’est-ce qui peut faire fonction de deuxième articulation ? Les plans sont des unités significatives.

Bon, d’accord, supposons que les plans soient équivalents de monèmes, et encore, ça ferait difficulté, mais supposons. Qu’est-ce-que ce serait les phonèmes ? Évidemment il y a une réponse sur laquelle on risque de se précipiter : les photogrammes. Les photogrammes seraient des phonèmes. Ça ne tient pas debout une seconde puisque [Pause] les photogrammes sont les éléments constituants, les éléments matériels constituants sous la forme de temps par seconde et ne peuvent pas être saisis pour eux-mêmes. Sauf dans la condition d’un photogramme-plan, ou alors [65 :00] vous démentez à nouveau une des conditions du langage, puisque vous avez fait passer de la seconde à la première articulation. Ainsi donc, dans l’unité, dans le monème, vous distinguez les phonèmes ; dans l’image-plan, vous ne distinguez pas les photogrammes, à moins encore une fois de les faire passer. De toute manière, ça ne répond absolument pas aux conditions d’une langue, des deux articulations telles qu’elles sont dans la langue.

Vous comprenez ? Aussi personne n’a eu l’idée baroque de traiter le photogramme comme l’équivalent d’un phonème. Ce serait comme une espèce de vague métaphore. Quelqu’un pourtant, quelqu’un de très grand, a dit, il y a bien deux articulations, ou a fait semblant de le dire, et ça, nous aurons à revenir tout à fait aux textes, [66 :00] qui sont vraiment difficiles mais rudement beaux, c’est Pasolini, rien que pour embêter les sémioticiens. Il a dit, les signes, il y a deux articulations, mais il est trop malin évidemment pour invoquer le photogramme. Il dit : l’équivalent du phonème, c’est les objets présents dans le plan, les objets cadrés dans l’image. [Pause] Umberto Eco s’esclaffe, et dit : pauvre Pasolini ! Pourquoi ? Parce que Umberto Eco dit : les phonèmes, c’est-à-dire les éléments de la seconde articulation, [67 :00] ne sont pas significatifs et ne peuvent en aucun cas faire partie du signifié. Les objets compris dans le plan font parfaitement partie du signifié de l’image. [Pause] À première vue, Eco a raison. Pourquoi et comment et de quel droit Pasolini peut-il répondre à Eco : pauvre Umberto Eco ! [Rires] Ce problème nous passionnera la séance prochaine. Mais, pour le moment, on arrête là, on arrête là en disant à première vue — et vu le mystère du texte de Pasolini, que nous laissons de côté pour le moment — à première vue, il semble évident [68 :00] que le cinéma n’est pas une langue. Bien.

Quand nous demandions, « qu’est-ce qu’une langue ? » en un sens, si modernes que soient les réponses, par exemple la réponse de Martinet, c’était une question précritique, c’était une question platonicienne. À savoir : parmi tous les caractères apparents d’une langue, quel est caractère essentiel ? En acceptant cette question précritique « qu’est-ce qu’une langue ? », nous avons répondu : le cinéma n’est pas une langue.

Et Metz enchaîne là-dessus pour dire : le [69 :00] tort des premiers qui aient réfléchi sur les rapports cinéma-langue, c’est d’avoir posé le problème au niveau de la langue. [Pause] Eisenstein ne fait qu’une métaphore lorsqu’il dit : le cinéma en tant que constitué par le montage est une langue. C’est une simple métaphore parce que ça ne considère pas le caractère spécifique d’une langue, le caractère spécifique d’une langue étant la double articulation. Vous suivez ? Je suppose pour les… — encore une fois je ne peux pas faire autrement, tout ceux qui savent ça, ben… —

Bien. Je passe à une tout autre question. Je ne m’interroge plus sur ce qui fait l’essence d’une langue, je m’interroge sur les règles d’usage d’une langue, [70 :00] à savoir : à quelles règles d’usage sont soumises les unités de la langue ? Voyez, je retrouve ma notion de règles d’usage, et c’est un autre ordre de question. Que ce soit des phonèmes ou des monèmes, non pardon, que ce soit des phonèmes ou des monèmes, ils sont soumis à certaines règles d’usage. Je ne cherche plus l’essence ; je cherche les règles subjectives. [Pause] Pas du tout de la subjectivité de quelqu’un qui parle, il ne s’agit pas de la parole, mais d’une subjectivité langagière. [Pause] [71 :00] Donc quelles sont les règles d’usage des phonèmes et des monèmes ? La réponse est qu’il y a deux sortes de règles d’usage : les unes seront dites syntagmatiques, les autres seront dites paradigmatiques. [Pause]

À quels actes correspondent-elles ? On appellera « syntagme », on appellera « syntagme » toute conjonction d’unités relatives — je veux dire : [72 :00] phonème, monème ou autre chose, ce n’est pas forcément des unités absolues — on appellera « syntagme » toute conjonction d’unités relatives présentes, présentes dans un énoncé. [Pause] Et à ce moment-là, on parlera du syntagme correspondant à l’énoncé. [Pause] On dira qu’il y a un syntagme UV si U et V sont présents dans grand E, grand E désignant un énoncé. [Pause] [73 :00] Une telle activité est une combinaison, c’est un acte de combinaison… [Interruption de l’enregistrement] [1 :13 :18]

… dé-faire, défaire ne formerait jamais un syntagme u et v minuscules, défaire, ne formerait jamais un syntagme si l’on ne pouvait pas constituer une classe grand U et une classe grand V, constitutives d’une règle syntagmatique. À savoir décoller, dévoiler, qui sont du même type que défaire. [Pause] D’accord ? [74 :00] J’essaye vraiment le plus bas, c’est le plus bas. Très bien bon, bon, bon.

Remarquez que, problème immédiat si vous m’avez suivi : je dis le mot « déterminer », est-ce que c’est un syntagme du type UV ? [Pause] Est-ce qu’il y a deux monèmes ? Pas sûr. Je ne pourrais montrer qu’il y a deux monèmes pour « déterminer » que si je découvre une règle qui engage et qui forme une place grand U et une place grand V tel que [75 :00] dé- soit à X comme dé- est à terminer, hein, une fois dit que dans « déterminer », le rapport syntagmatique entre U et V, c’est-à-dire entre… dans défaire, pardon, le rapport syntagmatique oui, non dans « déterminer », le rapport dé et terminer n’est pas du même type que le rapport dé-faire. D’accord ? D’accord, d’accord tout ça, voilà.

Ce qui m’importe c’est que le syntagme renvoie à une règle syntagmatique. C’est pour ça que les linguistes parlent généralement, non pas du syntagme, mais plus profondément ils disent : [76 :00] la « syntagmatique ». Metz ira plus loin encore : il parlera — pour des raisons que j’expliquerai — de la grande syntagmatique, la grande syntagmatique, qui n’éveille en moi pas du tout une objection, mais une hilarité très grande, parce que j’entends, quand on me dit la grande syntagmatique, j’entends « la grande demoiselle »,  « la grande demoiselle est morte », bref, c’est du Bossuet. La grande syntagmatique, ça me fait rêver, quoi. La grande syntagmatique… Est-ce qu’elle est morte, la grande syntagmatique ? [Rires] Oui, on ne sait pas. Enfin, c’est la syntagmatique ! Vous voyez ? Bon, compris ça ? Et chaque fois que vous faites une phrase, les règles d’usage sont [77 :00] des règles syntagmatiques. Vous ne le saviez pas, hein ? [Rires]

Et si avec ça, vous faites aussi du paradigme ? C’est que, le paradigme… Vous vous rappelez, le syntagme, c’est la conjonction d’unités relatives présentes. Le paradigme, c’est la disjonction d’unités présentes avec des unités absentes comparables à tel ou tel égard, comparables sous un égard quelconque, [Pause] [78 :00] par exemple, comparables du point de vue du sens, [Pause] ou comparables du point de vue du son. Exemple : enseigner-instruire, exemple donné par [Ferdinand de] Saussure, enseigner-instruire. Je vous dis une phrase, « il m’a enseigné », vous auriez pu dire « il m’a instruit », qu’est-ce que ça changeait ? Vous avez fait un choix. Toute unité présente, c’est-à-dire que vous avez choisie, implique [79 :00] son rapport disjonctif avec d’autres unités possibles que vous n’avez pas choisies, que vous avez éliminées. À chaque fois que vous parlez, c’est comme ça, à plus forte raison quand vous cherchez un mot. [Pause]

Ou bien le paradigme va concerner des unités dont le son se ressemble, et pas du tout le sens, ou bien dont les sens se ressemblent, et pas du tout le son. Je reprends mon exemple, mes deux exemples : « tu as dit cochon ou cosson ? » [Pause] [80 :00] « Qu’est-ce que tu racontes, c’est les bandes du pillard ou les bandes du billard ? » Bien. [Pause] Cette fois-ci, il ne s’agit plus d’un acte de combinaison, il s’agit d’un acte de sélection. [Pause] Il n’est plus fondé sur la continguïté, il est fondé sur la ressemblance. [Pause] Le critère est ce que les linguistes appellent la commutation. Il y a commutation si la substitution [81 :00] de deux unités u et u’ produit une différence assignable. Quand je dis assignable, ça veut dire, par exemple, qu’il y a des différences des types d’intonation qui ne produisent pas de différences assignables. Les différences d’intonation ne font pas partie de ce jeu-là. Voyez ? Martinet analyse longuement un exemple paradigmatique entre les deux énoncés suivants qui sont commutables : il dessine une carte / il dessine une carpe, fondé cette fois-ci sur le très différentiel phonématique /t/ sur /p/. « Les bandes du vieux pillard », « les bandes de vieux billard » sont fondés sur la différence phonématique [82 :00] /b/ sur /p/. Tout va bien ? C’est très clair, bon.

On dira que les règles d’usage des phonèmes et des monèmes sont des règles syntagmatiques et des règles paradigmatiques, les unes déterminant les concaténations ou les consécutions légitimes des unités présentes, les autres déterminant les choix légitimes entre une unité présente et une unité absente. Je vous rappelle que dans le courant du premier trimestre, on a vu [83 :00] notamment comment [Roman] Jakobson s’appuyait sur ces deux aspects, pour dégager deux pôles de l’aphasie comme maladie du langage, maladie du langage à prédominance trouble de combinaison, c’est-à-dire trouble syntagmatique, maladie du langage fondée sur trouble de sélection, c’est-à-dire trouble paradigmatique. [Voir la séance 6, le 11 décembre 1984] Et selon Jakobson, il y aurait deux pôles de l’aphasie qu’on pourrait appeler — je crois qu’il ne le fait pas, mais enfin ça n’importe en rien — qu’on pourrait appeler aphasie syntagmatique et aphasie paradigmatique. Je ne reviens pas sur ce point. 

Problème très délicat, et puis je vous laisse tranquilles après tout ça : quel rapport y-a-t-il entre la syntagmatique et la paradigmatique ? Deux thèses [84 :00] s’affrontent [Pause] : la thèse la plus fréquente, je ne dis pas la plus… la thèse la plus fréquente, qui consiste à donner le privilège à la syntagmatique. L’acte essentiel, la règle d’usage essentielle, c’est la combinatoire, et le paradigme est seulement un moyen qui permet de former des classes d’unité ayant les mêmes possibilités combinatoires, donc subordination de la paradigmatique à la syntagmatique. Thèse plus rare, mais qui est celle de Martinet, [85 :00] ça s’organise assez bien : l’acte fondamental du langage, ce sont les choix, à tous les niveaux, au niveau phonématique, au niveau monématique. Ce sont les choix. Et un syntagme ne peut pas être constitué si l’on ne considère pas les autres unités qui auraient été possibles, donc une sorte de primat de la paradigmatique qui est très, très intéressant, dans les thèses de Martinet. Position moyenne, ce qui n’exclut pas les plus grands génies : indépendance des deux dimensions qui est très bien représenté par Jakobson, avec les deux pôles, avec les deux pôles, avec les deux pôles indépendants.

Bon. Où je veux en venir ? Voilà. Comprenez, qu’est-ce qui va être la thèse de Metz ? Enfin, on est en mesure, pour terminer [86 :00] cette séance, de dire ce que signifie l’énoncé de la grande thèse de Metz, à savoir : le cinéma, langage sans langue. Cela veut dire, l’image cinématographique n’est pas une langue et ne forme pas et n’appartient pas à une langue, car on n’y trouvera aucun phénomène de double articulation. Donc elle n’a aucun des éléments qui définissent une langue. [Pause]

En revanche, [Pause] elle a des règles d’usage, [Pause] [87 :00] de nature surtout syntagmatique, secondairement paradigmatiques, et qui définissent cette fois-ci non pas des éléments linguistiques, mais des règles d’usage langagières. [Pause] En d’autres termes, relation syntagmatique et relation paradigmatique sont des règles d’usage qui définissent le langage. La double articulation est un état d’éléments qui définit la langue. [88 :00] Vous trouvez nécessairement du syntagme et du paradigme dans la langue. Mais vous ne trouvez pas exclusivement dans la langue du syntagme et du paradigme. Les règles d’usage langagières, syntagme et paradigme, peuvent s’appliquer à d’autres éléments que les éléments de la langue, et dans ces cas, on parlera d’un langage sans langue. Un langage sans langue est quelque chose, est un produit culturel qui présente ou qui se soumet aux règles d’usage syntagmatique et paradigmatique, bien qu’il ne présente pas les éléments [89 :00] de la langue.

Il y aura donc des langages sans langue. Si la mode ou si le vêtement est soumis à des syntagmes et paradigmes, alors c’est un langage sans langue. Si la musique est soumise à des syntagmes et paradigmes, alors c’est un langage sans langue, indépendamment de la question de savoir s’il y a des phonèmes ou des morphèmes, et une fois dit qu’il n’y en a pas. Ce n’est pas du tout les mêmes niveaux. Ce qui définit le langage, ce sont les deux règles d’usage fondamentales.

C’est entendu que dans la langue, ces règles d’usage portent sur les éléments de la langue, mais elles peuvent très bien porter sur d’autres éléments que les éléments de la langue, les éléments de la langue se définissant par la double articulation. Mais [90 :00] syntagmes et paradigmes n’exigent en rien la double articulation. Ils s’appliquent aux éléments de la double articulation, ils n’en dépendent pas.

Donc vous pouvez très bien, non pas parler d’une langue cinématographique, mais vous devez parler d’un langage cinématographique s’il est vrai que – ça ne va pas être rien à montrer – s’il est vrai que l’énoncé cinématographique – voyez, d’où son enchaînement : tout est fondé – s’il est vrai que la narration qui a comme élément des énoncés, énoncés analogiques donc qui ne sont pas des énoncés de langue, énoncés iconiques, énoncés analogiques, ben, si aux énoncés analogiques ou iconiques du cinéma s’appliquent effectivement des syntagmes et paradigmes, le cinéma est un langage. [91 :00] Il a fait passer la question du rapport cinéma-langue-langage du statut platonicien au statut kantien.

À quelles conditions le cinéma peut-il être considéré comme un langage ? Réponse : s’il est vrai que l’image cinématographique peut être réduite à un énoncé non linguistique, c’est-à-dire à un énoncé analogique, et si, à ce titre, cet énoncé analogique est soumis à des règles syntagmatiques et paradigmatiques. [Pause] — Vous avez l’air atterrés [Rires] — En tout cas, on ne peut pas lui refuser la rigueur à ce niveau. La rigueur est payée à quel prix ? Tout ce qu’on a vu avant, [92 :00] tout ce qu’on a vu avant. Nous en sommes exactement là, donc il faudra une autre séance : qu’est-ce que c’est que les syntagmes et paradigmes proprement cinématographiques ? C’est-à-dire qu’est-ce que c’est que la grande syntagmatique ? [Fin de l’enregistrement] [1 :32 :16]

 

Notes

For archival purposes, the augmented version of the complete transcription with time stamp was completed in September 2021. Additional revisions we added in February 2024. The translation was completed in August 2025 and published the same month.

Let us note that while this session’s length seems truncated (92 minutes recording time), we have no clear indication of a missing cassette, especially as the transition between the two parts appears consistent.

Lectures in this Seminar

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Reading Date: October 30, 1984
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Reading Date: November 6, 1984
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Reading Date: November 13, 1984
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Reading Date: November 20, 1984
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Reading Date: November 27, 1984
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Reading Date: December 11, 1984
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Reading Date: December 18, 1984
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Reading Date: January 8, 1985
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Reading Date: January 15, 1985
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Reading Date: January 22, 1985
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Reading Date: January 29, 1985
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Reading Date: February 5, 1985
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Reading Date: February 26, 1985
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Reading Date: March 5, 1985
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Reading Date: March 12, 1985
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Reading Date: March 19, 1985
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Reading Date: March 26, 1985
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Reading Date: April 16, 1985
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Reading Date: April 23, 1985
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Reading Date: April 30, 1985
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Reading Date: May 7, 1985
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Reading Date: May 14, 1985
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Reading Date: May 21, 1985
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Reading Date: May 28, 1985
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Reading Date: June 4, 1985
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Reading Date: June 18, 1985
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February 5, 1985

Let’s return to the simplest example, Godard. A series of everyday attitudes tend towards a limit, their theatricalization. It’s not at all like a shift from everyday attitude to the theater. It is not a passage to daily life, from everyday attitude to the theater. It’s a trial of the theatricalization of everyday life. It is a process of theatricalizing of the everyday attitude.

Seminar Introduction

As he starts the fourth year of his reflections on relations between cinema and philosophy, Deleuze explains that the method of thought has two aspects, temporal and spatial, presupposing an implicit image of thought, one that is variable, with history. He proposes the chronotope, as space-time, as the implicit image of thought, one riddled with philosophical cries, and that the problematic of this fourth seminar on cinema will be precisely the theme of “what is philosophy?’, undertaken from the perspective of this encounter between the image of thought and the cinematographic image.

For archival purposes, the English translations are based on the original transcripts from Paris 8, all of which have been revised with reference to the BNF recordings available thanks to Hidenobu Suzuki, and with the generous assistance of Marc Haas.

English Translation

Edited
Perrault
Michel Brault, Marcel Carrière and Pierre Perrault Pour la suite du monde, Canada, 1963.

 

After reviewing earlier key points, Deleuze recalls Barthes’s commentary on the senses of “obvious” (obvie) and “obtuse” (obtus), linking the latter to the gesture’s definition and then outlines four questions arising from this connection, especially given Raymonde Carasco’s interpretation of Barthes. Carasco as guest participant “converses” with Deleuze on these questions (for 48 minutes), maintaining that the sense of “obtuse” passes through writing (écriture) or poetic art, attempting to explain how this “sense” emerges in Barthes’s reflections. She also reflects on the importance of a rhythm concept for understanding poetics of cinema which she links to a global mental film image or totality in different filmmakers and also to Blanchot’s sense of images’ duplicity. Deleuze then reflects on two of Barthes’s examples, considering the types of “masks” revealed by characters within the photo stills selected by Barthes, for Deleuze, a way of teasing out an understanding of the “obtuse” as a kind of limit. Exploring this understanding as a kind of fabulation, he refers to Quebec filmmaker Pierre Perrault and his “cinema of the living”, and then reflects on political cinema, third world cinema, (cf. Jean Rouch). Returning to Godard for what Deleuze calls a “cinema of attitudes and gestures”, he moves from attitude to gestus as in Godard’s forms of theatricalization, and also a cinema of politics which has inherent links to the kind of fabulation that Deleuze emphasizes. [Much of this development corresponds to The Time-Image, chapters 6 and 8.]

Gilles Deleuze

Seminar on Cinema and Thought, 1984-1985

Lecture 12, 05 February 1985 (Cinema Course 78)

Transcription: La voix de Deleuze, Laura Cécilia Nicolas (Part 1), Désirée Lorenz (Part 2) and Pierre Carles (Part 3); additional revisions to the transcription and time stamp: Charles J. Stivale

Translation: Graeme Thomson & Silvia Maglioni

 

Part 1

… Who knows the dates of the mid-term vacations? I think that there are students here who frequent other departments, right? Or other courses? No, no. Everything’s clear.

So, we’ll have an active break this time that won’t consist in you going across the concourse for coffee but instead I’m going to ask three volunteer messengers – three, because of possible contradictions – three messengers to go across the concourse and report back to me the dates of the vacations, the main question being… please understand how important this is… do they start on the 11th? Will we already be on vacation after this session? Or do they start on the 14th, in which case we still have one session? This isn’t a minor question, it’s a very important one. But I have the feeling that there are some here who should know…

Student: I think it’s the 11th.

Deleuze: You think it’s the 11th? I think it’s the 11th too.

A student: No, I don’t think so.

Deleuze: We can decide on the 11th… and if it isn’t the 11th, that would make it three weeks. That sounds reasonable but it’s better to confirm it. No, perhaps I’m not going to send you because you’d tell me it’s the 14th. You’re not a good messenger.

A student: [Inaudible remarks]

Deleuze: What?… Oh, well then, fine. So, three of you will ask for confirmation… this is what we should do. Okay.

Student: [Inaudible remarks]

Deleuze: It’s chilly, isn’t it? Well, let’s move on. I’d just like to make it very clear to all of you how the different elements of our current research link up. This is precisely what I’d like you to bear in mind for today’s session. For some time now, we’ve been searching for a formal definition of the series, a formal definition of the series. Once again, it wasn’t simply a question of taking the characteristics of a musical series and applying them. In terms of the problem of images, it was a question of constructing our own criteria for the series, making use, naturally, of certain notions borrowed from music, but no more than that. And the formal definition of a series was: a series of images reflected in a concept, genre or category, or rather in something that functions as a concept, genre or category, something of the order of images.

To this, we added two remarks: this concept, genre or category could perfectly well be individualized or personalized. And, secondly, the series thus defined – as a sequence of images reflected, or reflecting in a genre, concept or category – could be constructed in two ways: horizontally, where the genre appeared as a limit, or vertically, where the genre itself constituted an autonomous series, in which case two series were superimposed.

Examples were provided by or in Godard’s cinema, the horizontal construction being of the type: a sequence of images reflected in a genre, this genre intervening as a limit, for example theatricalization as a limit of everyday attitudes in a film like Une femme est une femme [1961]. In the other type of series, the vertical construction appeared when the limit or, rather, when the genre – instead of functioning as a limit of the preceding images – itself developed into a series, into a sequence of images juxtaposed with the first sequence, and this was the case with the two superimposed sequences both in Passion [1982], where the genre itself provided a pictorial or para-pictorial sequence, and even more clearly in Prénom Carmen [1983] where the genre itself produced a musical sequence in which the other sequence of images was reflected. So, there was a superimposition of series, a vertical construction of the series.

So, this is what we had attained… unless some of you want to go back over it, in which case all you have to do is say so. But as I was saying, we haven’t solved the whole problem through this formalism of the series, or through this formal determination of cinematographic series or series of images. We haven’t solved everything, because we still have one problem: not what constitutes the form of the series, but what will be the content of the series, what is the content of the series and no longer what is its form. And from the point of view of content, we established or constructed… through certain texts that we looked at or began to look at last time, we constructed a second type of definition that was a material definition rather than simply a formal one. This time, a series appeared as a sequence of attitudes reflected in a gestus. Note that luckily enough these two determinations echo and even refer to one another. We’ve only gone far enough to intuit these. I mean, given that the series is a sequence of images reflected in a genre, the question of content is: What kind of image can be reflected in a genre?

The first answer, which we haven’t explored at all, but which for us represents a working hypothesis, is that the sequence of images that are normally or regularly destined to be reflected in a genre are images that present bodily attitudes. But taken in terms of their content, that is, taken as attitudes, in what are they reflected? As we were saying, they are reflected in what we call a gestus, a gest. And here again, there was a new correspondence, so it was a reason for us – from the moment we grasped, or even sensed, these correspondences – it was  a reason for us to tell ourselves we were on the right path. Because, in fact, there is a new correspondence between genre, or concept, from the point of view of formal definition, and gestus, from the point of view of material definition. Why is this? Because it seemed to us that this gestus, in the work of the very author from whom we borrowed this notion, namely [Bertolt] Brecht, was implicitly linked to the idea of a coherent discourse corresponding to attitudes, where the coherent discourse was implied…. where the virtual discourse was implied by a bodily attitude, or more precisely, as Brecht put it, where the decision was presupposed by the attitude. So, our two definitions, the formal definition and the material definition, could be mapped out quite closely. Again, I want to insist on this, so it all becomes quite clear.

And so we’d have a kind of double difference. I mean, the series became a kind of very delicate narrow thread, a very taut thread that passed or zigzagged between – how shall I put it? – it zigzagged between things, between givens from which it stood out. It zigzagged between what it was not. You see where we are: if it’s true that the series is formally a sequence of images reflected in a genre, but not every image can be reflected in a genre, and if it’s also true that the series is precisely a sequence of attitudes reflected in a gestus, the series is therefore a void between things that it is not, and with which it must not be confused.

So, thirdly, we need to define the series in terms of a set of differences and distinctions it maintains in relation to the things it should not be confused with. And at this point, we could identify those things with which neither the series nor the elements brought into play by the series should be confused. The elements brought into play by the series are: image, insofar as it is reflected in a genre, and attitude insofar as it is reflected in a gestus. Notice how there’s a literary advantage for us in all this, a literary advantage this time that will enable us to define what we call a gest, or the gest, in a way that, so it seems to me, is much more, much more… well, that’s different to the way it’s usually defined. I mean, a certain number of literary critics have taken an interest in what has been called a gest, the origin of which appears to be Scandinavian, though there are also Greek gests.

And gest is not the same thing as the epic, it’s not the same as myth, it’s not the same as tragedy, although the epic has elements of gest, as does tragedy. And what we call gest, a gest, is a very special genre in literature, hence the interest for us in trying to find a definition for this term, and for the moment, the one we do have is a story in which various attitudes are reflected. Gest would be like discourse, the discourse in which a series of attitudes are reflected. But then, I always come back to the question, in distinction to what? You see, I have three levels: the need for a formal definition of the series, the need for a material definition of the series and the need for a differential definition of the series. By differential, I only mean to assign the differences between a series and what doesn’t constitute a series, what isn’t a series. Is that clear? I feel I’m being very clear this morning.

[Someone arrives late]

Deleuze: You’ve missed the clearest part. That’s a pity.

Student: What are we talking about?

Deleuze: What are we talking about? Well, what the series and the terms of the series as we’ve just defined them must be distinguished from… So, I would say there are two things. On one hand, attitude must be distinguished from any lived state, attitude must be distinguished from lived experience. And lived experience has two meanings, very generally, and here I’m not referring to anything in particular… I’m just saying that, conventionally speaking, lived experience can be considered in two ways. Either it’s… [Recording interrupted] [18:42]

… it’s a question, right? But you can see what we mean by the lived experience of a real person. Like your experience, or mine. Or else a supposed experience, the supposed lived experience of a fictional character, in which case the experience corresponds to a role. For example, a fictional character on the screen or in the theater plays a role, the role of a character who’s grieving. The grief is the fictional character’s lived experience insofar as this fictional character is the role played by an actor. I would say that attitude must be distinguished from these two aspects of lived experience, real experience and fictional experience. Why do I say this? It’s obvious. An attitude is not part of lived experience. We constantly take attitudes from experience. But an attitude is not experience.

On the other hand, if attitude is to be distinguished from experience, in the same way gestus must be distinguished from the story or, what amounts to the same thing, the action. And here again, histoire has two meanings. Sometimes it means story, the plot of a fiction, sometimes it means history, meaning the historicity of human deeds. Well, gestus can be distinguished from both story and history. And why is this? Because it’s not an action. It doesn’t fit into the scheme or the sequence of actions and reactions, whether fictional or historical stricto sensu. As we saw last time, following [Roland] Barthes’ remark, Mother Courage’s gestus is not the Thirty Years’ War.

So, there you have it, my three determinations: formal determination, material determination, differential determination. And so, the last time, granted this clarity, this absolute clarity, the last time we ventured into the obscure. It was a question of trying to understand this attitude-gestus link insofar as it distinguishes itself on one hand from lived experience and on the other from story/history or action. And so, we ventured into a much more obscure realm where the following things occurred. After a quick examination of Brecht’s text, which already raised a number of problems for us, we moved on to a commentary by Barthes. Barthes’ commentary suited us insofar as he told us, in one quick sentence, that the gestus is a “coordination of attitudes”, and that the gestus is a signifying gesture, like Mother Courage biting the coin to check that it’s genuine. Okay, this helped us advance a lot, but at the same time it didn’t help us advance, it left us running on the spot. It was a confirmation that there was a fundamental link between attitude and gestus, independent of experience and historicity.[1]

Then we moved on to another Barthes text, this time distinguishing between the obvious meaning and the obtuse meaning.[2] And with much hesitation, we said to ourselves: Wouldn’t there be a link between these two texts, and wouldn’t the meaning – what he calls in a very mysterious way, it seemed to us, the obtuse meaning of the image – be a way of characterizing the gestus? And why did we say this? Because in all of Barthes’s examples, the problem clearly focused – and this was even our reason for comparing the two texts – the problem clearly focused on the notion of attitude. These were images that represented or presented attitudes. And it was regarding these images that Barthes distinguished between an obvious and an obtuse meaning. This raises four questions for us, which I’m not going to deal with on my own.

The first question, which is very subsidiary – I’ll give you all four, and then we’ll see how we can manage – the first question is very subsidiary: Is it fair to bring Barthes’s two texts together and establish a link between them, given that Barthes himself doesn’t establish a link between these two texts? I say this question is subsidiary because, in short, it can only be answered after we’ve answered the other questions. So, far from being the first, it will be the last. It will no longer be a problem. We’ll only be able to answer yes or no after we’ve answered the other questions.

Second question: What does Barthes… what does this obtuse sense that Barthes invokes consist in? I tried to explain why I didn’t understand, or even see very clearly, what he was speaking about. So, it was vexing for me. After rereading the text, I see even less well, so it’s getting worse and worse. Third question. Sorry, second question… What is this… what is this obtuse meaning? Even I understand well how subtle this is… I don’t ask for definitions, just for impressions, because Barthes doesn’t summon definitions, he summons impressions. He doesn’t want to impose his point of view. He says, this is how it is for me, fine, no problem. That’s all we ask, to try to understand what he sees or what he’s in the process of seeing.

Third question, where Barthes’ thesis becomes solid… supposing we have understood the obtuse meaning of the image, he says it has a privileged relation with the still. Not only a privileged relation with the still, but that it can only be grasped by and in the still. This is a very solid, very clear thesis. We don’t yet know what this obtuse meaning is, but what we can say is that, in any case, it can only be grasped in the still. Well, that’s very clear. Many questions arise for us at this third level. Does this mean that the obtuse meaning of the image is a characteristic of photography?

That’s not what Barthes means. So, what is the difference between a still and a photograph? It will be important for us to use of our series of problems to try and make some headway on this obscure question. Everyone knows that a still is not a photograph: what’s the difference between a still as a cinematographic element and a photograph? Barthes raises the question and deals with it in a little note which he leaves incomplete and he knows this full well.[3]

And continuing with this same group of questions, in his consideration that the obtuse meaning is fundamentally linked with the still, Barthes draws the idea that the obtuse meaning and the still constitute the filmic in its pure state, the filmic in its pure state, beyond all actual films, that is, purely filmic or – how shall I put it? – supra-cinematographic. And he goes so far as to say that cinema hasn’t begun, that cinema remains in its infancy, because it hasn’t yet unveiled or attained this pure element of the filmic, whose secret refers back to the still. What can this mean? You see, this third question concerns the relation between obtuse meaning and the still, and what constitutes the status of the still. Can we invoke the still to erect the notion of a supra-cinematographic filmic?

Fourth question: this pure filmic or, if you prefer, the obtuse meaning as it appears in the still, would be precisely a pure filmic because it lay beyond the movement-image. And being beyond the movement-image, the filmic could not therefore be defined by the movement-image. Here too, Barthes’ thesis is very solid. What’s more, it would also be beyond the time-image, at least in the sense of temporal succession, or chronological time, beyond the chronological time-image.

And now, following in Barthes’ footsteps, Raymonde Carasco, commenting on Barthes’ essay on the obtuse meaning, wants to go even further and tells us that this pure filmic is not only beyond the movement-image and beyond the chronological time-image, but beyond the time-image altogether, beyond all time-images, that is, beyond what I believe she calls inner duration, beyond duration or, if you prefer, according to what we covered last year, beyond what I would call non-chronological time.[4]

These are the three points, and the fourth, and the first and the fourth which depend on them, but these are the three points we’re going to deal with, relying on our excellent method, so we’ll now do… we’ll again conduct a sort of interview. But at the same time I’d have to… at the same time it’s not to pose any limits, but I’d like you to agree to respond to these questions, which doesn’t mean you can’t ask others of your own, or make your own elaborations. So, okay…

[Moving away from the microphone Deleuze changes places with Raymonde Carasco.  Deleuze can be heard speaking as he sits down again]

Raymonde Carasco: It’s hard swapping places!

Deleuze: … So, the obtuse meaning, we talked a little bit about this last time. I’ll summarize the position… [inaudible remarks] You, you have your position… [Inaudible remarks] you see, you feel what it’s like… [Inaudible remarks] okay. All I had left was… [Inaudible remarks] once said that it concerns a sensation, to say he has this kind of sensation, it’s a feeling he has… [Inaudible remarks]

Carasco: Well, I think we’re getting into… the obscure, let’s say. How do you discover the obscure, as Blanchot would say? It seems to me that I had a kind of amorous relation with this text, which enabled me to…  Barthes’ text – which in a way enabled me to crystallize the research I’d done on a text of Eisenstein – that appeared in Cahiers [du cinéma] a long time ago and was on this text. So, well…

Deleuze: Can you tell us a little bit about what this text is about… it’s a text that has aroused a great… [Inaudible remarks] it’s a greatly felt text… [Inaudible remarks] you can feel it, you can really feel it.

Carasco: Putting it in these terms makes it sound like we are trying to avoid the issue.

Deleuze: No, no, this is what’s missing… [Inaudible remarks]

Carasco: And… well, I think it comes down to my affection for a text, Barthes’ text, this affection which is perhaps of an amorous order ­– in Barthes’ sense of the word – of what this text could provoke, the pleasure of the text. That said, it’s a bit of a cop-out to say that. I’m not sure what you mean when you say “I don’t see it”. That is, if you ask me, Show me this image – the old peasant woman… what this “obtuse meaning” is, well, I’m not sure that it really falls under the order of seeing. Even what Barthes says, since he says it himself, when he takes the example of the old woman – we agree that this is what spurred him to write this essay – it seems to me that what Barthes says… he says that it “cannot be described”. You need the image. If there isn’t an image… if there isn’t an image, you can’t read the text in this way, without the image in front of you. It means nothing if there’s no image, so it has something to do with seeing… well, at least in the immediate sense of the word. But he says afterwards, he says afterwards, he says, finally he says, very well… [inaudible remarks] that it lies between saying and showing. He says that it is an anaphoric gesture, it’s a pure showing [monstration], which doesn’t have… it’s a gesture without a determined meaning. It’s a pure showing that designates not an elsewhere of meaning, but something that is beyond meanings that have already been catalogued, coded and known.

I don’t know how to deal with it, because it seems to me that he himself says that it cannot be described – I made a mistake earlier – he says that it can’t be described, it can only be said. So it comes down to this: to express the obtuse meaning, one has to write. It falls under what he calls the text of writing. It comes through writing, through a kind of poetic act of writing his text. So, then…

Deleuze: [Inaudible remarks]

Carasco: Well, “Drawn mouth, squinting eyes, Kerchief low over her forehead, she weeps”.[5] Well, it seems to me that this… this enigma, the unusual aspect too, what ultimately is the exciting side of what Barthes is saying, is something that in a way he says you can only see “over the shoulder” – like looking over the shoulder of someone writing – so it’s something between “seeing” – because you need the image, it’s a still – and, he says, “showing it” (a gesture). Perhaps there’s an internal relation here with gestus. I’m thinking of these two fragments of… these two poems, two lines by Hölderlin that say: “Man is a …”, what’s normally translated as “sign” – I don’t know German at all – “is a sign”, and in fact [Gerard] Granel in the French translation translates this “sign” as “monster”, in the sense of monstration [showing].

I think it’s the question of the sign that’s being raised here, that is, of a sign that is visual, or at least that begins from the visual, from the visual image and that in a way would be, could we say, a sign-principle, a pure sign, a sign whose meaning and significance has not yet been redetermined, and that is perhaps therefore still indeterminate, not yet determined? Well, when I put it like that, I don’t know if it clarifies anything.

Deleuze: [Inaudible remarks] … that raises another question that we can pursue… It marks a first difference between us… [Inaudible remarks] I have the feeling that what I understand is very different from what you understand… [Inaudible remarks]

So, we can move on to the second question: How do you manage to link the two… [Inaudible remarks] You say that it’s not exactly a matter of seeing, it’s a seeing-shown, it’s as if the eye is shown something. I agree. But I’d like to ask you a question: Are we supposed to see this in the course of the film, or are we supposed to stop and wait for the still?

Carasco: Well, excuse me, but Hölderlin ‘s phrase was important: “Man is a monster deprived of meaning… is a sign”. But, if you’ll forgive me, the etymology would seem more like monster. So, it’s an etymology that refers to people who… [Inaudible remarks] and Granel gives the etymology [inaudible remarks] as “monster” and not “sign”. Well, it’s more that it’s deprived of meaning, so it’s not a question of meaning.

So, I come back to your question. If, like everyone else, I read Barthes, if I read Barthes literally, I’m obliged to answer… For Barthes – and you have to hold on to this, I think you have to hold on to it first, and even not just at first but all the time – all the time you have to hold on to this literalness of Barthes, meaning you can only see it in the still. In any case, what’s important is that it can only be seen in one still, one still only, and outside the film. That’s what Barthes says, and well, I can’t say anything other than what he says, so this is what he says, well… that’s Barthes. At least, I permit myself to see something else.

Deleuze: [Inaudible remarks]

Carasco: Sorry?

Deleuze: [Inaudible remarks]

Carasco: Well, he says he saw it in a photo in Cahiers du cinéma, that is, outside the film, and that when he goes to the cinema, he doesn’t see it anymore.

Deleuze: Well, that’s different. He saw it in a photo…

Carasco: He saw it in a photo.

Deleuze: … and not on a still.

Carasco: My hypothesis, my personal feeling, is that if he had a slightly more trained eye, that is… if he had worked at the editing table, if he were a filmmaker, and if he had worked at the editing table, still by still, the old woman, well, maybe he’d see her in the film in motion. And I think that, after reading Barthes, this obtuse meaning is something I’ve seen in films a few times…

Deleuze: You can see it in the course of the film.

Carasco: That’s where I differ from Barthes. That said, I don’t think this difference is essential. It’s the third level, in a way… I think that whether we can see it, or when Barthes doesn’t see it, I don’t think it changes Barthes’s initial assertion, which seems to me to be related to the question of the still, namely that we can see it simply in a single still and therefore not between two, or between several… that the obtuse meaning is not a friction or collision or the serial-movement of two or several…

Deleuze: … that there is no rupture of relations.

Carasco: So, it seems to me an interesting question because I don’t feel that way, the way Barthes feels. But, at the same time, I say to myself that it doesn’t take anything away, it doesn’t in any way restrict the question in Barthes’ text on the obtuse, which he defines quite clearly as within a single still, and not at all as interval, collision, shock. So, it seems to me that…

Deleuze: So, let’s move on to what you think, since you accept, since you say so in a sense… [Inaudible remarks] So that was the first question, provisionally resolved. Second question: Do you, then, believe that the word “obtuse” is fundamentally related to… [Inaudible remarks] Even if you can grasp it in the course of a film, for itself, in itself, does it have a fundamental relation with… [inaudible remarks]?

Carasco: Well, insofar as I’ve, let’s say, merged the meaning of this text by Barthes [with Eisenstein] in order to read Eisenstein, that’s obviously the way I’ve merged them. That is, it’s not so much the development or analysis of the image that interests me, but it’s actually the entity – I don’t know if it’s a concept or a category – the entity of the filmic. I don’t think it’s a concept, no more than the obtuse meaning. I think it’s…

Deleuze: [Inaudible remarks]

Carasco: Yes, well. But it seems to me that the obtuse meaning and the filmic, which would be the basis of the obtuse meaning… the notion he proposes at the end of the text, almost on the last page, which is the densest part, this is what interests me, what interests us all. The rest is the writing, the pleasure of the text, but this is Barthes’ own impression, I hold onto that, yes I hold onto it, the idea that the obtuse meaning and the filmic are fundamentally and radically linked to the still. That’s what I think is important in Barthes’ text, otherwise it’s not that interesting.

Deleuze: [Inaudible remarks]

Carasco: Well, I don’t know what I’ve said. But I’ll try to say it differently.

Deleuze: [Inaudible remarks]

Carasco: What?

Student: [Brief inaudible question]

Deleuze: Yes, the filmic… [Inaudible remarks]

Carasco: In any case, in my view this is… this is the core of Barthes’ text. Either we agree that it’s interesting and says something important for our thinking about cinema, and that’s it, or it doesn’t say anything and we have to move on and find something else. But then, it seems obvious to me that it’s that…

Deleuze: Or nothing!

Carasco: … that it’s that or nothing, yes!

Deleuze: So here we are… [Inaudible remarks] and now we go on, because we have other questions… [Inaudible remarks] So, for you, what’s the difference between the still… [Inaudible remarks] between the filmic and a photograph, given that Barthes… [Inaudible remarks – Here Deleuze comments on how Barthes remains deliberately vague on these distinctions]

Carasco: Well, I’ll say right away that I don’t know how to answer that, but I do know that it’s the kernel of the question. So, I’ll try to say some things that I know, and that I don’t think illuminate the difference, alas, between a still and a photograph. I don’t like photography at all. I’m the opposite of Barthes in this, I detest photos, I don’t like photos. Really, I’m not interested in that, I’ve never read anything about it.

Deleuze: Me neither, me neither… [Inaudible remarks]

Carasco: Well, having said that, there’s one thing I’d be able to formulate a little – it’s just banalities but there we are… – it’s that I clearly understand not what a still is, but the between of two stills in relation to cinema, it’s… if I hadn’t read Barthes’s text, or if I put it out of my mind, well, if I’m asked a question, if someone says to me: What is cinema for you? What is the key cinematographic element? I’d say, not only… – I’d be very Eisensteinian in the end, as always – I’d say that cinema is montage. And what interests me is that for there to be montage… for there to be montage… for Eisenstein it’s always the out-of-shot – not at all the off-screen – but ultimately the shock, the collision of: first, an element, second, the figurative, the visual image, the still if you like, and then, third, what arises, but which is not of the order of the visible, or the image, or the still and which would perhaps be of the order of the concept, in any case, a third term. So, if I were asked what is the key cinematographic element, I’d answer, it’s the interval, the interval between two stills. So, it’s the interval, well, but… or it’s the out-of-shot… – ah, I think I’m getting somewhere now – it’s the out-of-shot as something included, first of all, in the horizontal succession of stills, like the interval between two stills, the shock between two stills. So that would be…

Deleuze: You mean between two stills or between two images?

Carasco: Between two images or stills, I’m saying they’re the same thing.

Deleuze: [Inaudible remarks]

Carasco: If I extract a still, as Barthes does, or if I isolate it at the editing table, it seems to me that cinema begins, or is born, from the shock between shots, well, between images, but at the elementary level, between two stills. I think it starts there, it’s born there. But that’s not what Barthes says.

Deleuze: So, there we have… [Inaudible remarks] for the moment, we have… [Inaudible remarks]

Carasco: Anyway, I’d like to finish because an idea came to me… what interests me in Barthes is what he calls the vertical reading within the still. And when he himself takes Eisenstein’s phrase about the counterpoint of audiovisual montage, and says that, in the end, we can transport what Eisenstein says regarding audiovisual montage, that is, images and sounds, sound cinema, as early as 1928, in the famous manifesto he wrote with [Vsevolod] Pudovkin and [Grigory] Alexandrov, when he finally says that what’s new is the verticality that sound introduces, when it falls upon the image in a concept that…

Deleuze: It’s not The Manifesto we’re talking about?

Carasco: No, that’s a text from 1938. But still, there’s already this in audiovisual counterpoint, the idea of a contrapuntal montage. I think Eisenstein used the term…

Deleuze: Ah, yes, in a very different sense, but I think we would agree… [Inaudible remarks in which Deleuze seems to be summarizing Eisenstein’s text known as The Manifesto]

Carasco: And that’s what invokes… what invokes… Well, that’s what seems central to me. Because for me, what interests me is Barthes and Eisenstein, the third meaning, the obtuse meaning and Eisenstein. So, this is the fundamental center of gravity, says Barthes regarding Eisenstein, in the text on audiovisual montage. I apologize for the confusion, it was my fault, so I completely withdraw…

Deleuze: Ah, there’s no need…

A student: [Inaudible remarks asking her for the exact reference]

Carasco: It’s in Cahiers du Cinéma 222, with reference to 218, the center… the text Barthes quotes in “The Third Meaning” is by Eisenstein.[6]

Deleuze: So, it’s in Cahiers du cinéma 150…

Carasco: I think it’s called “Montage 38”.

Deleuze: [Inaudible remarks]

Carasco: “The basic center of gravity…” – so says Eisenstein of audiovisual montage – “is transferred inside the fragment… into elements included within the image itself. And the center of gravity is no longer the element ‘between shots’ ­– the shock, but the element ‘inside the shot’ – the accentuation within the fragment”.[7] And taking this fragment, this quotation from Eisenstein, written it seems in 1938, in terms of audiovisual montage, he says: Finally, I take this fragment and I displace it onto the still, given that there is no sound, and that the obtuse meaning would fall on the visual image just like the sound and… on the interior of the fragment, and thus allow a vertical reading, as he says, of the still.

Deleuze: And even the fundamental form of… [Inaudible remarks]

Carasco: Yes.

Deleuze: [Inaudible remarks] … not only the fragment, but an interior of the fragment… [Inaudible remarks]

Carasco: In my view, this is the core of what’s interesting about Barthes’ text, his proposal of a theory of the still, based on the filmic.

Deleuze: So, the still gives us the interior of the fragment…

Carasco: Yes, that’s what interests me.

Deleuze: So, the last question: the interior of the fragment… [inaudible remarks] in the still, it’s beyond the movement-image, and according to you, beyond the time-image…

Carasco: Beyond the movement-image, I think there’s no need to… it follows, let’s say, from what Barthes says, beyond or beneath… Well, literally speaking… [Recording interrupted] [1:00:42]

 

Part 2

Carasco: Let’s say, in terms of the logical, diegetic time of the story, well, that’s obvious too. Is it obvious to you, this first level of time?

Deleuze: Actually, it’s not that important. You see, for me, the problem is… [Inaudible remarks] something else… sometimes the movement-image, sometimes the time-image, and there’s nothing else… [Inaudible remarks] If I’m told there’s something beyond or beneath the movement-image and the time-image… [Inaudible remarks] So, I would refer them back to you…

Carasco: I have to say that when I wrote the text we’re talking about, that is, the one in the Revue d’esthétique,[8] it was the first year, the very first year… it was during the period when you were beginning to work on the time-image, sorry, the movement-image, and you were beginning to distinguish between time-image and movement-image. So, it was, well, that’s why I didn’t, I didn’t quote you, for example, so as not to talk nonsense, let’s say… so as not to make someone say something they didn’t say.

Deleuze: [Inaudible remarks]

Carasco: Well, what I’m trying to say is that what I call the time-image is not something that we covered in the work you did last year. So today, I’d say… I’d probably see things differently, not only because of this work but, let’s say, in the very reading of Barthes’ text. I think I went a bit too fast, or too far. I overstepped the mark.

But there’s still something I’d keep, aside from the objective, chronological time-image or the story, well, logical time, objective time. So, that’s how I saw things, how I saw then… how I saw it at the time I wrote it, what it corresponded to, the temporality of the film. Well, it’s obvious that objective time, what Eisenstein would eventually call metric editing, the fact that it’s an hour and a half long, that you can measure each shot in seconds and see the relations between shots – well, the quantitative, objective and measurable level, the metric level of the film, isn’t what’s interesting. So, what I called duration – that’s why I introduced the term duration, taking it roughly from Bergson, let’s say… – what I called the duration-image or the duration of a film or the temporality of a film, I think I could say that it’s perhaps, it would correspond in any case, to what Eisenstein called… [Recording interrupted] [1:04:52]

… objective, metric and so on… it would be something that would probably have to be centered around the notion of rhythm. It would be a film’s own rhythm, its internal rhythm. So, each time, of this or that particular film. That’s what I was talking about, not a duration internal to a subject, but ultimately a film’s own, singular temporality, which would at least fall under the second level, which is the rhythmic level, and the qualitative level.

Deleuze: Did you mean to say, in fact, that it was beyond rhythm?

Carasco: Yes, because if I take, well, to put it crudely… there are films that you feel have something to do with time, the films of certain directors… we feel, quite clearly, I don’t know, the specific temporality of Murnau, for example, or Duras, in all of her films… or even Welles.  These are big examples. Or Resnais. So, it has something to do with what you call the time-image. But for me, it’s the overall time-image of the film that I was talking about. Okay?

Deleuze: The time-image…?

Carasco: Of the film as a whole, that is the film as a time-image, and therefore the duration of a film.

Deleuze: The time-image either refers to chronological time… [Inaudible remarks] Well, you said that there’s another time-image which would consist in a non-chronological time and would relate to the whole film, or a part of the film. And that’s what we’re talking about… [Inaudible remarks] So, lastly, the rhythm…

Carasco: The rhythm? This is a time-rhythm, you see… And it’s not a metric rhythm, of course. It’s not a mathematical pattern, right? Rhythm is on the side of the time-image.

Deleuze: So, you want this obtuse time to be beyond the movement-image and beyond the time-image… [Inaudible remarks] is that right?

Richard Pinhas: Before moving on to the next point… I didn’t understand the relation between time, duration and rhythm…

Carasco: It’s not easy.

Pinhas: No… but can you explain the relation between the three? I don’t understand.

Deleuze: [Inaudible remarks]

Pinhas: No, no… okay, forget about that, but speaking about… [Inaudible remarks]Deleuze: [Inaudible remarks]… she puts rhythm on the side of non-chronological time.

Pinhas: I get that. But what, what… on the side of non-chronological time, namely pure duration, pure cinematic duration, a time specific to cinema… what are the relations and what are the definitions of time, duration and rhythm?

Deleuze: In my view, it doesn’t matter to her.

Pinhas: Really?

Deleuze: It doesn’t matter to Raymonde Carasco, because she’s made a… it’s a whole other problem… [Inaudible remarks] that’s another problem altogether…

Carasco: No, it does matter to me in the sense – I’m answering, I’m answering you, and I think we agree on that – it does matter to me. That is, it’s obvious that for me, the concept of rhythm is absolutely fundamental and central to thinking about, let’s say, what I call a poetics of cinema. Because my project isn’t about logic. I’m not trained to construct a logic of cinema. It’s not my job. But what I’m looking for is something more specific. What I’m working on isn’t so new. What I call poetics is perhaps a term that needs to be revised, that is to say a poiein, how it’s made, how a film is made. So, in terms of poetics, it seems to me that the concept of rhythm is absolutely central, fundamental, and that we need to think about it.

So, if you ask me, What does cinematic rhythm mean to you? I have to tell you, I don’t have… I haven’t produced a concept of cinematic rhythm, I’m still looking for one, but it’s obviously a very, very strong focus in my questioning, this question of rhythm. So, for me, it’s much more a question than a ready-made concept. Besides, it implies a lot of things, like analogies with music, poetic rhythm in the ordinary sense of the word, and cinematographic rhythm, so it’s a very complex thing.

Lucien Gouty: You don’t think it corresponds to style?

Carasco: Yes, but not entirely. I think the notion of style is insufficient, it’s too narrow. Well, maybe that’s another question, I don’t know if we should talk about that now.

Deleuze: [Inaudible remarks]

Carasco: That’s why I’m answering that it’s not at all obvious to me. Rhythm… is obviously an important question. And it has to be defined and constructed, it’s a concept to be constructed, depending on the filmmaker in question, and there are typologies of rhythms that need to be defined.

Deleuze: So, let’s go back to… [Inaudible remarks]

Carasco: Okay. The question I asked myself is… I had asked myself this question, I had established this distinction based on something that I find useful in Duras – a short text at the beginning of the introduction to India Song [1975], one of the rare, somewhat theoretical texts by Duras on cinema – in which she says that in the end, writing a script, a shot breakdown, is something she does for the technicians… the breakdown, shot by shot, but it’s not… it’s not that… I don’t need it. I do it to give it to the crew members, the director of photography, the cameraman and so on…

Deleuze: [Inaudible remarks] and to the funding commission!

Carasco: [Inaudible remarks] … right, and she says that, ultimately, there is an idea of the film. Actually, she doesn’t say an idea, she says that there is an overall image of the film, a mental image of the film, even before she starts writing, even before shooting and so on, and that’s what interested me. And I said to myself that in this mental image of the film – so should we call it the idea of the film, as Eisenstein says, are they the same thing? I don’t know – but in the mental image of the film, you have a view of the film in its totality before you’ve even begun to write a word, and you start writing when you have this view. And then, precisely to establish… so I would say that it’s a kind of view, and that’s what interests me. So, is this a third level, beneath the movement-image… sorry, the duration-image, if you want to call it that… is it a third level? Or is it still and continually the duration-image? Well, that’s a question I’d like to ask you. And one that I ask myself too. It’s not simply… [inaudible remarks]

So, obviously, in this sense, is it from this mental image, this view that she herself says is an open totality? And on this point we agree. She takes the image of a river flowing into the sea, and then the sea flows into who-knows-where, and that would be the world, so the film as an open totality… It seems to me that it’s from this, from the idea of the film, from the overall mental vision of the film, perhaps the unconscious idea – I don’t know if it’s the same thing – well, from this, it seems to me that this is how the rhythm of a given film unfolds. The fact that we’re going to take, I don’t know, a rhythmic alternation of two sequence shots, and then time-image, and then on the other hand, a briefer, sharper montage of two still shots, for example, as in the early Resnais films, or the fact that Duras will make her film with such and such a rhythm, it’s in a way completely secondary, and it’s already decided, virtually contained in the idea of the film. What controls the idea, the rhythm of a film, what I call the rhythm of a film, is also the fact that here we’ll do a close-up, and there a long shot. You don’t think: If I do a close-up, I’ll also do a long shot. In the idea of the film, everything is already there. So that’s it, that’s what seems to me to be the point we should be reflecting on.

Deleuze: No, it’s not the same thing. You said it yourself, there’s a global image. My question was: Can we give a positive character to this beyond of the movement-image? In a sense that you’ve just defined as non-global, non-globalizable, since, as Barthes says, it’s within the fragment and can only occur in the still, namely the mental image…

Carasco: Ah, no, no, no, not at all…

Deleuze: My question, then, is the obtuse meaning… [Inaudible remarks] beyond the movement of time, is there still a… [Inaudible remarks] that is, … [Inaudible remarks]

Carasco: Or else it’s a kind of contracted duration, a contracted duration of the film, from which the film, and the rhythm of the film, will be able to unfold. Well, then, this is where I say I’m going back on what I wrote before. I’m now speaking about a contracted time, a contracted duration, but it’s still time and it’s still duration. So, how can I think outside of it, if it’s… well, if I call this an initial image of the film, global but initial? What I think now, rather… and this would be in line with Barthes, because Barthes speaks about reading, you know, reading the still, and his theory is a theory of the reading of the still. And he says that, in the end, in this reading, you always have the obvious meaning. The symbolic and obvious meaning, the communication, is always there, and the obtuse meaning doesn’t affect this meaning at all. And in a way, that’s it, these two meanings… they’re in a palimpsest relation, he says, and basically… in a palimpsest, at the level of… one which is real and not textual nor analogical, like… and it seems that it’s a meaning that has to be scraped off. There’s a layer, you scrape away, and then underneath another text appears, a double text. But then there’s a first one you have to scrape off, and the other one is underneath, okay. Whereas Barthes says…

Deleuze: That’s what drove Saussure crazy.

Carasco: Well, Barthes says that the first and second can be inverted, in his still and his reading of the still. In other words, there aren’t two separate meanings, they co-exist, and he says it’s a very twisted arrangement that implies a temporality of signification.

So, I’m about to leave Barthes, and I don’t know, maybe I’ll say something even more… [Inaudible remarks] Anyway, I came across a Blanchot text in The Infinite Conversation, “Speaking is not Seeing” [9], and there’s a moment where Blanchot gives a definition of the image. So he begins with the dream, with the fascination we can have with the image of a dream, and then, at one point, in a moment of dialogue, he speaks about the image, and says that there is always a duplicity in the image, and that higher, as he says, further than this duplicity, there is what he calls the turning point, the torsion – turning in the active sense – from which the duplicity of the image could unfold. So, I say to myself, if there is a turning and a torsion that is originary, that would in some way come before the image, before the duplicity of the image and before language, well… this turning nonetheless involves time. There can be no turning if there is no time. So that’s why I go back on my text. Is it…?

Deleuze: The answer to Barthes’ final question is very coherent… [Inaudible remarks] So, thank you very much. Do you have anything to add?

Carasco: No.

Deleuze: [Inaudible remarks]

Carasco: I hope I haven’t been too long or too obscure. What do you think?

Deleuze: No, no, it was very clear… What time is it?

Student: 11:30.

Deleuze: 11:30! But that means it’s break time! I think the points Raymonde Carasco made are very clear. So it’s not at all my intention to criticize. I find it very helpful and I needed her intervention to tell you how I myself see these three problems. I don’t see how I can make my own point of view chime with that of Raymonde Carasco but it doesn’t matter, we can maintain different points of view.

First point of view, I’d say, then, let’s not beat around the bush: What is this business, what do I retain – Raymonde said very well what she herself retained of this obtuse meaning – well, what do I… How do I feel about it, in the way Barthes’ text expresses the question? There’s one thing that troubles me. I stand by what I said, I stand by it. I still don’t understand it, because, basically, it tells me nothing, whereas other texts by Barthes tell me a lot.

But there’s one thing that strikes me. It’s in the two main examples he gives – I’ve already mentioned them – he tells us: It’s very difficult to say what I’d like to tell you, but here it is, the old lady who proclaims her sorrow in the image or in the special still, you’ll remember, where her bonnet has fallen almost on her eyebrows, where there’s the line of the bonnet, the eyebrows, the mouth, the eyelids, the mouth, in a special organization that forms part of the series of stills of this weeping woman. Well, there’s this one where the obtuse meaning is embodied, and what does he tell us? He tells us: You see, she looks as though she’s in disguise. In the others, she doesn’t look disguised. In the others, it’s just a woman crying. To translate this, we can say it’s an attitude, an attitude, or it’s a posture. Her whole body is engaged in her grief, it’s a bodily attitude.

But then, according to Barthes, a still of an image appears that is, for the moment let’s say, unusual, and which will disappear, giving the impression that she is disguised. You remember, “All these features (the absurdly low kerchief, the old woman, the squinting eyelids, the fish) have as a vague reference a somewhat low language, the language of a rather pathetic disguise. United with the noble grief of the obvious meaning” – you see, she bears a noble grief –  “they form a dialogism so tenuous that there is no guarantee of its intentionality”.[10] Very fleeting. You get the impression that she is disguised. And he senses how dangerous what he’s saying is, because he then adds: above all, it’s not at all a “parody”. It’s not as if all of a sudden there’s a parody of grief, a kind of imitation. It’s not a parody. Nor is it that she doesn’t feel. Nor is it that she no longer experiences grief. She feels grief fully, but we have the bizarre impression that she is disguised, a disguise that perhaps only profound grief can produce.

The other example, which, as Raymonde Carasco was right to say, is Barthes’s essential example, because the other example he gives us leaves us even more confused… the example he gives, as I said very quickly last time, is during the coronation of Ivan the Terrible, when in Ivan the Terrible [1945], there’s the coronation scene, a magnificent scene, with the rain of gold that the two courtiers pour on the head, on the crown, and which trickles down onto Ivan the Terrible’s cloak. He says: Look at the courtiers, here they are. And it’s in a text where he says, I’m going to… I’m going to try to tell you what the third meaning, that is, the obtuse meaning, is. “I cannot give it a name, but I can clearly see the features – the signifying accidents of which this heretofore incomplete sign is composed.” – Listen carefully – “There is a certain density of the courtiers’ makeup, in one case thick” – since there are two of them, here in a still, the makeup of one of the courtiers, thick makeup – “thick and emphatic” – in the picture of the courtiers – “in the other smooth and distinguished; there is the stupid nose on one and the delicate line of the eyelids on the other, his dull blond hair, his wan complexion, the affected smoothness of his hairstyle which suggests a wig, the connection with chalky skin tints, with rice powder”.[11]

It’s all the more bizarre to tell us this at a ceremony. And he tells us, in the overall ceremony of the Tsar’s coronation, there is one still or a number of stills that are singular. How does he define them? The characters are not only disguised by virtue of the ceremony – that would be part of the obvious meaning – they look strangely disguised in another manner. They are disguised in disguise. They’re redisguised on top of the first disguise, that is, on top of the ceremonial costume. And this too is no parody. And it’s very dangerous. He’s in the process of… – and this is what interests me in the text – he’s touching on a bizarre notion of mask in relation to the two courtiers, their faces are a kind of mask.

In the case of the old woman, we also have a face-mask, a mask, a disguise. But what kind of mask? What kind of disguise? Generally speaking, masking or disguising oneself always means masking oneself as something else, or disguising oneself with something else. And this would indeed be the case with the courtiers in relation to the ceremony. They put on their ceremonial garb, just as the Tsar himself put on his ceremonial clothes. He is disguised as something other than himself. And when my face becomes a mask, the mask is something other than the face.  So that’s what I’d call the “ordinary” situation. But isn’t Barthes… sensitive as he is, isn’t his sensibility drawing out something of a different order? And isn’t he saying something like: Careful! Sometimes we disguise ourselves as ourselves, or sometimes we mask ourselves with our selves. I can disguise myself with my own clothes, my everyday clothes. My face can mask itself with itself without needing to borrow another face.

And I sometimes have the impression that certain faces become their own mask. When a face becomes its own mask, it’s completely different from when a face dons a mask. When a body disguises itself as itself, it’s a completely different matter. This is not at all the case with a masked ball. In a masked ball, well, I buy a mask, I buy a costume, and I mask myself, and I disguise myself as another, as something else, I mask myself as something else. Here, I mask myself with my own face, I disguise myself with my own clothes. In other words, I mask and disguise myself as myself, as myself in the sense of “with” myself. My face has become its own mask. My body has become its own disguise.

Ultimately, this is an incomprehensible notion, or perhaps it refers only to furtive impressions. For example, I see someone, and I say to myself: What’s odd about them today? And I can’t answer because, in a sense, I can only answer one thing: Nothing! There’s nothing odd about them. In other words, there’s nothing that isn’t them. And yet it’s as if their face has become their mask. Perhaps death has this effect? To speak of cheerful matters, we always talk about a death mask. If Barthes didn’t use this example, I think it’s because he detested death. Because it seems to me that it’s death that helps us most to understand this. When death seizes the body, the face becomes its own mask. Death is what disguises us as ourselves. The recently deceased body is disguised as itself. The mask of death is the face itself as it secretes its own mask.

So here I see things differently, and this would be my first difference, with regard to the first problem we confronted. I would say, if I can give a sense to this expression “obtuse meaning”, for me it’s that the obtuse meaning would designate the moment when I am neither myself nor another, that is, when I am neither naked nor disguised, but when my nudity disguises me as myself, if you understand the “as” correctly. I am disguised as myself, exactly as I said last time at the end of my lesson, Kerouac, at the end of his life, feeling he was dying, said: “I’m tired, I’m sick of myself”. I’m the one who’s disguising myself as myself! I’m the one who’s sick of myself. It’s this woman’s grief that disguises her as a grieving woman. It’s the opposite of an imitation of grief. It’s the opposite of a parody of grief. The courtiers are disguised as themselves, that is, it’s their ceremonial costume that induces a second disguise on top of the disguise constituted by the ceremonial costume. So, I don’t see anything else. I don’t see anything else. Therefore, this is very different from what Raymonde Carasco sees.

But what can I draw from this? I draw something that, for us, may bring us back to our problem, namely that the obtuse meaning thus defined would indeed constitute a limit. It would indeed be a limit. But a limit from what to what? It would be the imperceptible passage, the imperceptible passage from an attitude, grief, to its self-disguise, that is, its gestus. Or, if you prefer, it would be the imperceptible passage from the everyday attitude to the… not to the ceremony but to the ceremonialization of the attitude. It would be, in the words of an American sociologist, “the presentation of self in everyday life”.[12]

Let’s go back to Godard’s most basic example. A series of everyday attitudes tend towards a limit, their theatricalization. This is not at all like a passage from everyday attitude to theater. It’s not a passage from everyday life, from everyday attitude to theater. It’s a process of theatricalization of everyday life. It’s a process of theatricalization of everyday attitudes. So I’m right back at the heart of my problem. We will say that there’s a series when a sequence of attitudes – for example, the attitudes of the grieving woman – tends towards a limit: the theatricalization or ceremonialization of these attitudes. And the everyday attitudes are reflected in this limit. And there aren’t two terms – the everyday and the ceremonial – there’s a truly vectorized process of passage from one to the other, in other words, a theatricalization of the everyday attitude, a ceremonialization, a staging of the everyday attitude. So, it’s in no way a parody. I’d just like to state in advance, before we have a short break, the point I’m trying to make.

It’s this. A limit, a limit is, as you prefer, reached or exceeded. The succession of attitudes, what Barthes isolates in a still, is the limit in which the preceding succession of everyday attitudes of the woman overwhelmed by grief is reflected. And what is this limit? It’s that grief disguises her as herself, grief disguises her as herself.

If you follow me a little, I’m getting ahead of myself. But if this were the case, we’d have made a considerable achievement, namely that, in this process, there would necessarily be a passage from a before to an after. There would be a passage from a before to an after. I can’t explain this very well yet, but I’d like you to at least have a vague idea. In other words, a limit is reached or exceeded. There’s a before and an after. A limit is reached or exceeded. A sequence of everyday attitudes reaches or exceeds the limit of theatricalization, of ceremonialization. From that point on, there’s an arrow, a vector. There’s a before and an after. There’s a before and an after.

But you’ll tell me that this is just a commonplace. Oh, not at all. Not at all. Why not? Because it’s a serial before and after. It’s a serial before and after. What does that mean, a serial before and after? Above all, you mustn’t confuse them with the before and after of chronological time. It’s fantastic what we’re doing here, if you follow what I’m saying. Well, kind of fantastic… I think it’s perfect, anyway. We’re tearing the before and after out of chronological time.

There is a before and an after according to chronological time. And what is this? I’d call it the course of time. The course of time is the determination of the before and after according to chronological time. But there’s also a completely different before and after. It’s the before and after not of the course of time, but of the series of time, and this before and after, this time, how are they defined? When a sequence is vectorized, that is, when it tends towards a limit, this is what defines the before and after.

Example: perhaps because it’s the most basic example, the staging of everyday life, the staging of everyday attitudes, in the sense that it gives us this limit. We pass, we pass, imperceptibly, from the attitudes to the gestus that… what does it do? That connects them? That connects them, but that connects them afterwards, once it has arisen, to the gestus that relinks them. There’s a serial before and after that mustn’t be confused with the chronological before and after. I’d say we’re already a long way from – we’ll get back to it, we’ve got to proceed very slowly here… because it would allow us to say something about the time-image that I hadn’t grasped last year, that I didn’t grasp – for the moment, we’re just at this point: the idea of the operation by which we disguise ourselves as ourselves, and in what way this operation propels us into a kind of vectorized time, of staging, of theatricalization, by which we move from attitudes to gestus. But we don’t pass from attitudes to gestus, without passing from a before to an after, but a before and an after that pertain to the series of time and no longer to the course of time. Well, we’ll have to… those who don’t understand yet shouldn’t be too worried.

I mean, again, I mean, it’s not like in [Jean] Renoir, where there is life and there is theater. I don’t mean that in Renoir this is insufficient. I mean that Renoir’s is a completely different problem. Here, this isn’t the problem at all, it’s not a question of life or theater. It’s not where one begins and the other ends. It’s not that at all. It’s the process of theatricalization that will relink attitudes once it has been reached. So there’s a serial before and after, which is not the same as the chronological before and after.

You might say, well, let’s assume this. Forget this business of the still for the moment, we’ll come back to that. But this is what we need, that’s what we need to specify. Where to capture it? How do we capture it? How do you capture it in cinema? I’m not concerned with the still at the moment, I’m not concerned with the still yet, I’m not concerned… I’ve dwelt on the obvious meaning, the obtuse meaning… obvious meaning, obtuse meaning… I can’t go any further with that. What interests me now is this passage, this serial passage which is not a chronological passage. How are we going to identify this passage this limit? How are we going to uncover this passage, or this limit? How are we going to redistribute the before and after? In other words, how are we going to redistribute the before and after, which once again amounts to saying: What does it mean to disguise oneself as oneself? [Recording interrupted] [1:48:03]

 

Part 3

… Well, I’ll tell you what it means to disguise oneself as oneself, or I’ll try to give you a preliminary answer. To make this as clear as possible, to disguise oneself and oneself means to fabulate.[13] It does not mean to lie. Let’s suppose that it means to fabulate, to create a legend, to be caught in the act. Caught in the act of what… lying? No. Being caught in the act: this would be the limit, the passage. Being caught in the act of theatricalization, being caught in the act of ceremonialization, being caught in the act of fabulation. So, this is what would define the moment before and the moment after. You might ask, is that so important? Is such a childish example sufficient? Is it really sufficient for us to distinguish a serial before and after? Well, perhaps it is.

I jump to a filmmaker who has nothing to do with all of this: the great Pierre Perrault, one of Quebec’s finest filmmakers. What does Pierre Perrault say? He makes a kind of cinema that he calls… he says, I don’t like the expression “direct cinema”. We’ll see why. We’ll see. We find ourselves thrown back into an almost unexpected type of problem, but we haven’t done it on purpose. I don’t like direct cinema, he says, I prefer to call what I do a “cinema of the lived”. But how does he define this cinema of the lived? Not as fiction, not as pre-established fiction. So, what does this mean? He will make a cinema of the lived. He’ll take his Canadians, his Quebecers, and then… But indeed, he began making reportage films. But very quickly he broke with reportage, no more reportage. And no doubt, right from the start, his reportages were something other than reportages.[14]

Why does he break with all fiction? He gives a very simple answer. He says, what interests me is when… [Recording interrupted] [1:41:00]

… character. Well, this is starting to become clear because it’s an odd idea. Our immediate reaction is, Well, what does it matter? What difference does it make whether the fiction comes from the character or from the filmmaker himself? And indeed, in a very curious dialogue that seems at cross purposes – but a dialogue is never entirely at cross purposes – French filmmaker René Allio and Quebec filmmaker Pierre Perrault talk about their problems, which they agree form a common problem. And Allio says to Perrault: I don’t know what you mean – you see, he’s not the only one… – I don’t know what you mean, I don’t see the difference between a fiction that I make as an author and in which I include authentic characters, and you, who want authentic, real-life characters, but want them to fictionalize themselves.[15]

And Allio goes so far as to say, why should a poor Native American’s fiction be better than mine? What interests Perrault is the moment when the Native American begins to make up a fiction. Whereas Allio replies, If I were to make a fiction, why should it be worse than the poor Native American’s? Why do you have to take a real character and push him to the point where he makes up a fiction? – you see, that’s the core of the problem we are dealing with here – And Perrault replies very kindly, but with typical Québécois politeness, You don’t understand anything, You don’t understand anything. You don’t see the difference between your own fiction and the Native American’s fiction, and you don’t even see the Native American’s fiction. And Allio says, No, I don’t understand, I don’t understand.

And Perrault says that when the Native American begins to make up a fiction, it’s in the name of what he calls a “fabulous memory”. You see, fabulation, fabulous, must be taken in the sense of the fabulation function. It’s in the name of a fabulous memory, in other words, it’s in his relation with his own people. Why does the relation with the people involve fiction, this time, the fiction of the poor Native American? In other words, Perrault develops a function, a formidable idea: fabulation as a function of the poor, fabulation as a function of the oppressed, legend as a function of the oppressed.

And this is quite normal, since he’s crushed by history. Crushed by history, he unleashes the fabulation function. What is fabulation? It’s an appeal to his people. While the filmmaker’s function, Perrault says, is to make people see the filmmaker’s function… by nature, the filmmaker is cultured. Not that much, in fact… but however little he may be, he is still cultured. He’s a cultivated person. In other words, says Perrault – and here Perrault’s words are splendid – he speaks on behalf of a colonizing people. By nature, the filmmaker speaks on behalf of a colonizing people. And Perrault says, Even I, a poor Quebecer, if I invent a fiction, you’ll see that the dominant ideas, that is, the ideas of the colonizing people, will always creep in.

So the filmmaker, even if he’s a native of the country, even if he’s a Quebecer, has to create – and this really is creation – by bringing the real characters, the poor, the oppressed, not to recount their truth, but to create a legend, fabulous memory. Why is this? Because, being oppressed, they have lost the people. The people have disappeared, the people are missing. To invent a people who nonetheless exist, says Perrault, to invent a people who nonetheless exist. This is true for the Palestinians, it’s true for the Kanaks, and today it’s also true for Quebecers.

This people exists, yes, but it exists outside history, it exists outside experience. So where does it exist? It exists insofar as it has to be invented, both at the same time. How will it be invented? Through fabulous memory. There is no history here, since history is always that of the colonizer. Fabulous memory, that is, what becomes essential is that there be no prior fiction, but that we pass, imperceptibly, from the everyday character’s lived experience of oppression to the fabulation function. We pass from the poor native American to his fiction making, to his activity of making fiction, of making a legend, and it’s in his activity of making a legend that the relinkage with the people takes place, the relinking with their people in a situation where there has never been any prior linking, because theirs was a crushed people.

If this is what Perrault is saying, he’s bringing something very important to our problem. You see, this passage where we are disguised as ourselves, in the same way, the character will make a fiction of themselves. They are not part of a prior fiction. Here, I’ll read you Perrault’s splendid text, the short exchange between Allio and Perrault. Allio: “Fiction… which consists in telling stories that one invents, makes just as much sense if it’s you who invents or if the one who invents is a real character in the film” – so, what’s the difference? – Perrault doesn’t say yes or no… – “If the Native American tells a legend, he finds himself in a state of making legends, caught in the act of making up legends. But the legend, proposed as an account of what happened, does not separate itself from lived experience.”

Under the name “cinema of the lived”, Perrault lays claim to a mixture of lived experience and fiction. But it’s not a question of mixing lived experience and fiction, as if there were both lived experience and fiction. It’s a mix such that, on the contrary, the character will pass from a vectorization of their lived experience to the fabulation function, their fabulous memory, through which they invent a relation with their people by finding it again. And here we have the figure we were discussing before. There’s a before and an after, and they meet again. If the Native American recounts a legend… let’s first imagine them there, without recounting a legend. Their life drags along. And then, little by little, and this is a very subtle movement in Perrault’s cinema, the characters start recounting legends to each other. There’s a before and an after, we’ve moved from one element to another. There’s been a fiction-making that’s the equivalent of what earlier on I called theatricalization. A series of lived attitudes is reflected in an act of fiction-making, in a fabulation function. There’s a before and an after, but this before and after are not chronological. They don’t refer to the course of time, they’re serial, they refer to a time series.[16]

A time series has nothing to do with the course of time. The time series is not chronological, and yet – and this is the pseudo-paradox that is so important to me but that I missed last year – and yet there’s a before and an after, a before and an after of the series, without this before and after having to be understood chronologically.

Let’s have a break. Let’s have a break. So, now I really need, could you be so kind…  are there three people her incapable of lying? You, for example?  You can go… you can go for a coffee… over there, you go for a coffee but at the gallop because we don’t have much time. So run, okay? Run very fast. Go get your coffee. And if the machine is out of order, you don’t stop, you go straight to the secretary’s office. And then if you can be so kind, if Zouzi is there, you know who Zouzi is, right? Give him… but I need someone else, I’d like someone else to go with you, yes, if you could be so kind… [Recording interrupted] [2:01:57]

So, the… no it’s not a vacation, the mid-term meditation runs from the 9th to the 25th. That’s a fortnight, two weeks? Okay? From the 9th to the 25th, so this is our last session. So we need to find a point that’s easy to remember, which is going to be hard. So we’re going to shorten this last session. It’s a… what day is the 25th ?

Student: It’s a Monday.

Deleuze: Yes, it’s a Monday! Wait… what day is it? Do I read… yes, maybe it’s the 27th.  Okay, so if Monday is the 25th, then we’re back on the 26th, the 26th. Okay…

Yes, I insist, because I think it’s important, at least it is for me. You see, we’re right in the middle of the first question, aren’t we? For the moment, we’ve completely dropped the whole thing about the still. But what interests me is this… this kind of cinema that has been badly defined as direct…

Georges Comtesse: I’d like to ask you a question.

Deleuze: Yes… sorry, we have to close the door.

Comtesse: Based on what Raymonde Carasco said about what in cinema could – but which wasn’t clearly specified – what could be beyond the time-image and the movement-image, I’d simply like to take something that doesn’t necessarily pertain to cinema but which could be translated, which has perhaps been translated into cinema. I’d simply like to talk about the greatest defender, the most obstinate defender, or rather, the most relentless guardian of the order of time, not its mode, its course, but its order of series. I’d like to talk about the obsessive neurotic, and above all, when the obsessive neurotic… when the fiercest guardian of the order of time, is traversed by certain events that are literally uncontrollable. For example, the event of extreme tension, of a conflict that rages within them, of agitation, fever, disorder, vertigo, vertiginous disorder, that is, this event or this series of events where they are literally confronted with the most obscure stranger within themselves, when they are besieged, assaulted, even attacked by the stranger within.

It seems to me that this series of events can no longer, literally, be reinscribed in the order of time of which they are the defender. If they do this, it will necessarily… they will almost always do it, but if they do, it will be in a way that literally defines obsessional imposture. If, within this imposture, they begin to elaborate a philosophical theory of time in order to justify the order of time, or to find a time, or to imagine that there is a time before the stranger, that the stranger is a function of time, then it’s no longer simply obsessive imposture we’re dealing with. In terms of their philosophical theory, it will be imposture as fabulation. That’s all I have to say.

Deleuze: If I understand correctly, it’s for me… I’m the one doing all this. No, it’s not me? I thought I recognized myself!

Comtesse: It’s not something that’s necessarily assignable. I can talk about people I know, that’s all. That’s all there is to it…

Deleuze: Oh, yes!

Comtesse: Far be it from me to maliciously include you in this!

Deleuze: No, no, no, but… in any case, I couldn’t be part of that, since I’m not an obsessive neurotic. And so that puts me out of the category of imposture and imposture as fabulation, since I’m not an obsessive neurotic. So maybe it’s Raymonde… Well, I prefer to take a more neutral view of what you’re saying, the possibility that we could develop, as has been done in a very interesting way, psychiatric forms of temporality based on all this. But in fact, from what you’re saying, you wouldn’t be so much in favor of that. Well, listen, I’m still unsure. I feel it’s better not to… it’s better to move on. I take your point but indeed, as you say, you’ve got to let it, to let it… okay.

In any case, I think we’ll find this problem less at the level of psychiatry than at the level of politics, when, in the second term, we’ll have to deal with the relation between cinema and politics in relation to thought and you’ll understand the sense in which Pierre Perrault believes he’s making a political film. And in my view, what we’re speaking about here is the fundamental difference between old-style political cinema – not in any pejorative sense of the term – meaning that of the great Soviet directors, and modern political cinema. Here we have the whole question of how the relation with the people can only be achieved through fabulation, through the function of legend-making, since the relation with the people is now with minority peoples, unlike the situation in so-called classical political cinema. In other words, it’s a way to respond to the question: In what sense has political cinema today moved to the Third World? Despite the importance to political cinema of three great filmmakers, who it seems to me are the three greatest European directors – Godard, Resnais and Straub – it’s clear that…

Student: Who comes first?

Deleuze: Godard! It seems clear to me that the living source of political cinema is indeed in the Third World, and that it’s not by chance because it responds to a new type of relation with the people, and this is what we’re talking about with regard to Pierre Perrault. But I’ll give you a second example so that… but this time in very different conditions.

I’ll take the example we barely mentioned, it seems to me, last year or some other time – or maybe we didn’t speak about it, I don’t remember… – the example of Jean Rouch, since he too is comparable to Perrault.[17] In what sense? He, too, rejects the expression “direct cinema”, though at a certain point, early in his career, he may have made some, just as Perrault made some reportages. But what’s the important thing, in the case of Rouch? You see, here too we have the moment, or the limit – and once again the moment is a density of time, it’s a real density of time, it’s not a moment like an instant, not at all an instant – it’s the moment when a character begins to fabulate. And this is what you recognize in Rouch’s great films, just as you recognize in Perrault’s great films, the moment when the Québécois family, generally in Perrault’s work the Tremblays, the Tremblay family that he never stopped filming, the Tremblays begin to fabulate, or the Native American begins to fabulate. Okay.

What happens in Rouch’s cinema? It’s when the African begins to fabulate, when the African starts to create a legend. And what he manages to capture is exactly… – perhaps this will make things clearer by dint of repetition – is a sequence of attitudes that will be reflected in a gestus. The gestus is fabulation, the fabulation function. And it is through the fabulation function that the Black guy, the African guy will rediscover and reinvent his relations with his people.

And so, in this respect, although there are obvious differences between Perrault and Rouch, for me, their conception of cinema is fundamentally… fundamentally the same. And we can see this right from Rouch’s first major films. In Les maîtres fous [The Mad Masters, 1955], what is he trying to show? In Les maîtres fous, which is the first classic Rouch film, or one of his first, the point is to show Black people assuming – how shall I put it? – mythical functions… to be quick, I’ll just use the first terms that come to mind… mythical functions, sacrificial functions, theogonic functions and so on. But at first, they are shown engaged in their everyday activities: one is a street sweeper, the other this, the other something else, and we witness the passage from everyday attitudes to this fabulation, this ceremonialization, this theatricalization of attitudes that pass into a new element, that is, we move from attitudes to gestus. The Black man, the African man begins to make fiction. The street sweeper, the sheet metal worker, the tinsmith, whoever, they all… the postal worker, they all start to make fiction.

And what Rouch is trying to capture – not at all as an instant, which would be a kind of privileged instant – is the temporal process, which is no longer a process, and this becomes obvious, it’s not the course of time, since after the ceremony the mad masters will find themselves once again one as a street sweeper, the other a postal worker, and so on. It’s something quite different, establishing a before and an after which are that of the series of time and not that of the course of time, that is, everyday attitudes which tend towards their gestualization, which again becomes attitude only to return to gestualization and so on. And this is what we have here, attitudes and their corresponding discourse, then new attitudes and a new discourse that corresponds to them, one reflecting in the other and establishing the distinction of a before and an after in the series of time, a before and an after that are no longer chronological. I can’t say that, chronologically speaking, the Black man was first a street sweeper before exercising his function in the mythical mise-en-scène. No, it’s not chronological. It’s rather that one is a serial before, the other a serial after, and that it’s in the series of time that the distinction between before and after is made.

Another better-known example – since it’s one of Rouch’s best-known films – is Moi, un Noir [1958], where the opposite approach is taken. It’s through their fabulations that their real attitudes are captured. The unemployed man from Abidjan who identifies himself – but “identify” is the wrong term – who fabulates himself as a federal agent, Lemmy Caution, the prostitute who fabulates herself as Hollywood actress Dorothy Lamour, the passage, the return to their real situation as unemployed man and prostitute, the way they themselves judge the fabulation they’re engaged in, and so on. It is this serial passage from before to after, from after to before, that will constitute the series of time.

In Jaguar [1967], the same thing happens. In Jaguar, the three Black men leave, and as soon as they leave, they begin to make legends, they distribute the roles, and through a journey, this time, there’s almost a superposition of the two, of everyday attitudes and fabulation, since at each very ordinary everyday episode of their journey, they set up a fabulation function. For example, the unforgettable visit of the Black men to the “fetishists”, if you remember, for those who have seen Jaguar, the crossing of the border, the discovery of money, each time accompanied by a “making legend”. When does this “making legend” appear? For example, it already appears orally when the man working in the mine says… when he explains to his astonished friends, he says, Well, you understand what silver is used for, well…  – or perhaps it’s a gold mine, I don’t recall… – we make piles of it – and here the camera shows the piles – we make piles of it, and then we lock up the piles, that’s what we do, we lock up the piles.

This becomes a kind of formidable activity of fabulation, and then… and then in Jaguar, there’s also when they invent their little haberdashery business, and you have the everyday attitude, and then there’s the “legend-making”, and what does this legend-making consist in?  The astonishing formula invented by one of the three – sorry, I’ve obviously forgotten the unforgettable formula…

Student: [She reminds him of the phrase]

Deleuze: Yes, “Little by little, the bird makes its… bonnet”.[18] If he had said, “Little by little, the bird makes its nest”, it wouldn’t have been interesting. That’s not legend, or rather, it’s a pre-established legend, a ready-made legend. No, he has a stroke of genius: “Little by little, the bird makes its bonnet”… Well, isn’t that odd? Doesn’t it make you laugh? It’s very… I’ve never been able to hear the phrase “Little by little, the bird makes its bonnet” without being seized by intense joy!

And finally, if you take Rouch’s latest film, and I’ve only read one review of it, it hasn’t been released in Paris yet, but it looks wonderful, Dionysos [1983], which is Rouch’s great synthesis, where the dimensions of before and after, and the passage from everyday attitude to legend, is multiplied tenfold through Rouch’s unusual use of music, or rather, I’d say it’ll be exactly the same case, but with some differences.

And why is it that Rouch’s films are part of a political cinema and at the same time, as is often said – and this is something for which Africans have sometimes reproached him – he’s still a product of the colonizers? So, it’s not… we can’t say that this is African cinema, but what makes him a political filmmaker? Well, in Perrault’s case, everything is simple, or in the case of African filmmakers, everything is simple. It’s all about reinventing a people who already exist. It’s all very simple. It’s their own people. Reinventing my people who already exist, that’s the formula of the “Third World” and it’s the formula of all minorities, of all minority peoples. And indeed, it has to be reinvented, because although it already exists, it exists as a crushed, oppressed people. So, reinventing a people who already exist, and the second formula, that this can only be done through the function of fabulation, through making legend.

See how it relates to gesture? It’s this legend-making, the gest, the gestus. The case of Rouch, which is more complex, but has its equivalence, is that Rouch obviously feels such a hatred or contempt or malaise for the civilization he belongs to that for him, it’s not a question of inventing a people that doesn’t exist, it’s a question of… – not a colonized people that doesn’t yet exist or that already exists but that it would be necessary to reinvent and so on – it’s a question of fleeing the colonizing people of which he is a part. And he can only flee it through the intercession of Africa, through the intercession of the Black people that he will film, by filming them in their function of fabulation.

And that’s why, contrary to what Allio believes, he can’t substitute… he absolutely can’t substitute a fiction, and when our European cinema, cinema that is falsely political, makes a fiction, even if it’s linked to real events, it’s not political cinema, it’s doomed from the start. Because this is a formula that was only valid, that was only valid… before, before the war, it’s a formula that was valid before the war, meaning it’s a formula that was particularly valid for the Soviets at the time of their revolution, when they had every reason to believe that a people was making its revolution, a people that had not disappeared, it was the birth of a people just as the Americans filmed the birth of a nation. But insofar as this classical basis of political cinema has collapsed, it’s a completely different matter now. So, here we have this first schema.

But then, you see, even apart from…. why does Rouch call his cinema cinéma vérité rather than direct cinema? Because, you see, they have no reason to call it direct cinema. They all reject the term direct cinema. Maybe they began by making direct cinema but very quickly they went far beyond it, since what interests them is filming the moment of fabulation that distributes a before and an after in the series of time. That’s not direct cinema at all. I’d call it a cinema of attitudes and gestus, whereas Perrault calls it a “cinema of the lived”, which is somehow very ambiguous, and the best formula is obviously Rouch’s: cinéma vérité, cinéma verité, which, once again – as Rouch has said ten times, a hundred times – has never meant “cinema of truth” since, on the contrary, it has the function of pure fabulation, and so it means truth of cinema and the truth of cinema consists precisely in this operation we’re analyzing in relation to Rouch.

So, one more step to wrap things up. I don’t even need to engage with the special situation of a political cinema. This is also true for… even in a seemingly fictional cinema, where you have a plot – and this is what we’ve seen, what we’ve seen with… this is what we’ve seen with the Nouvelle Vague, and with Godard’s series – what happens? You can have the semblance of a plot. You don’t have to begin from the real attitudes of Quebec characters, or African characters and so on. You can just take characters that maybe have a sense of humor. You take some characters, with a minimum of plot, for example Godard’s Pierrot le fou, or the heroine of Une femme est une femme… okay.

But the important thing is that you will carry out your operation, which, in my view, derives from the misnomer “direct cinema”. Once again, to me, it seems that Godard owes an immense debt to Rouch. Godard has always said so. So, what do you do? Well, to obtain an effect similar to what we’ve just analyzed, you make a cinema of attitudes, which is neither a cinema of the lived nor an action cinema. You make a cinema of attitudes. And precisely in order to reveal these as everyday attitudes as those of every day… these are the everyday attitudes of the Nouvelle Vague. We start with a series of everyday attitudes from the Nouvelle Vague.

Well, ultimately, we could take any attitude – remember… I’m mixing everything up because we’re running out of time – think of [Yasujiro] Ozu for example. Ozu says: To start a film, what do I need? To vaguely discern the silhouette of characters engaged in a conversation of some kind and everything starts from there, a completely everyday conversation of some kind between their vaguely defined heads… a conversation of some kind and everything starts from there. So, in the case of taking on everyday attitudes, you have to have an idea first, you mustn’t try to… they have to impose themselves on you. You don’t have a story, or else the story will arise from the attitudes. It will be born of the attitudes. And then, you make them tend towards a gest. You vectorize them towards a gest, in other words, towards this disguise of yourself. Not a disguise that would be something else, but this process of disguising oneself as oneself or, what amounts to the same thing, the process of fabulation. And in this way, you obtain your series, your series that passes from attitude to gestus.

In Godard’s cinema, this will give us the theatricalization of everyday attitudes in Une femme est une femme, for example. Or in Pierrot le fou, where there’s the passage to the sung poem, to the stroll/ballad [balade], or to the theater, or to the improvised theater scene. In all of these, you have exactly the same passage, from the attitude to the resulting mise-en-scène of the everyday attitude, in other words to the gestus that will relink the attitudes and propel you into another, another sequence of attitudes.

And so, as we’ve seen, it’s not just Godard who will shape, it seems to me, what defines the Nouvelle Vague, the post-Nouvelle Vague, that is, a whole cinema that we should and could now call “the cinema of attitudes and gestus”, and which is transposed onto another plane that we’ve just seen in the political cinema of Perrault and Rouch. So, if you like, I think that, to make things clear – I haven’t finished with this point because… but I’ll try to finish it. You can see that it’s a point from our first term program, since we’d started on the topic of the cinema of bodies and attitudes in relation to gestus, and now we’re in the process of completing this – but it’s in the context of our first question, and our first question was: In what way do these images resemble an operation whereby someone disguises themselves as themselves? And then we extended it in a direction that, it seems to me, is very different from that of Barthes, by answering: Well, it’s the moment when someone is caught in the act of fabulation, or is caught in the act of legend-making, including the fundamental political dimension of this act.

So that, in fact, I’m thinking… Yes, following the vacation, we’ll have to bring some philosophical texts into dialogue, one by a great author that we hold dear, [Henri] Bergson. In his final book, The Two Sources of Morality and Religion,[19] Bergson gives great importance to something he discovers and which he is the first to define in this manner, what he calls the “fabulation function” [fonction fabulatrice].[20]  So, we’ll certainly have to look at the Nouvelle Vague and the post-Nouvelle Vague period, but also at this fabulation function, and see if there isn’t a fundamental fabulation function in the cinema of this period that would be completely different from the fabulation function of other… of other types of cinema, precisely because it would be defined by the passage from attitude to gestus, and that would be the real fabulation function, or at least the fabulation function in cinema. So, I wish you a nice working vacation.  [End of the session] [2:31:32]

Notes

[1] This text is contained in The Responsibility of Forms (Berkeley, Los Angeles: University of California Press, 1985), “Diderot, Brecht, Eisenstein”, pp. 89-97. However, rather than the phrase “coordination d’attitudes”, Barthes’ text contains the sentence: “The work only begins at the painting, when meaning is put into the gesture and into the coordination of gestures.”

[2] See “The Third Meaning – Research Notes on Several Eisenstein Stills” in The Responsibility of Forms, pp. 41-62. See also Roland Barthes, Œuvres Complètes, tome III (Paris: Seuil, 2002) pp. 500-01.

[3] See L’Obvie et l’obtus, note 1, p. 59. The notes are removed from the English translation.

[4] See Carasco’s textL’image-cinéma qu’aimait Roland Barthes (le goût du filmique)”, Revue d’esthétique, Le Cinema en l’an 2000, 6 (1984), pp. 71-78.

[5] This is a haiku in the text “The Third Meaning”. See The Responsibility of Forms, p. 56.

[6] Barthes’ “The Third Meaning” appeared in issue 222 (July 1970). Issue 218 appeared in March 1970.

[7] This text by Eisenstein, from Cahiers du cinéma 218, is quoted by Barthes in “The Third Meaning”. See The Responsibility of Forms, p. 61.

[8] See full reference above.

[9] See Blanchot, The Infinite Conversation, University of Minnesota Press, pp. 25-32.

[10] See “The Third Meaning”, p. 48. See also Œuvres Complètes, tome III, p. 492.

[11] See p. 43, see also Œuvres Complètes, tome III, p. 487.

[12] See Erving Goffman, The Presentation of Self in Everyday Life, New York: Anchor Books, 1959.

[13] In The Time-Image, fabulation is translated as “story-telling”. We have chosen to retain the word ‘fabulation’ as it more clearly conveys the idea of inventing stories or making up legends.

[14] On the cinema of the lived and the story-telling function, see The Time-Image, pp. 150-152.

[15] See The Time-Image, p. 307, note 31, where Deleuze gives the reference to the interviews between Perrault and Allio, Écritures de Pierre Perrault: actes du colloque “Gens de parole”, 24-28 mars 1982 (Paris: Edilig, 1983), pp. 54-56.

[16] On this function, see The Time-Image, p. 320, note 49.

[17] On this aspect of Rouch, see The Time-Image, pp. 151-154.

[18] In The Time-Image, Deleuze presents this phrase as follows: “The invention of their little business under a title which replaces a ready-made formula with a figure capable of making legends: ‘Little by little the bird makes his bonnet’”. See p. 151.

[19] See H. Bergson, The Two Sources of Morality and Religion, NY: Doubleday, Anchor Books, 1956.

[20] The English translation of Bergson’s book expresses this as “myth-making function”. Here too, we have opted to stay close to the French fabulatrice for the reasons stated above in relation to The Time-Image.

French Transcript

Edited

Gilles Deleuze

Sur Cinéma et Pensée, 1984-1985

12ème séance, 05 février 1985 (cours 78)

Transcription : La voix de Deleuze, Laura Cécilia Nicolas (1ère partie), Désirée Lorenz (2ème partie) et Pierre Carles (3ème partie) ; révisions supplémentaires à la transcription et l’horodatage, Charles J. Stivale

 

Partie 1

… [La date de] ces vacances semestrielles, [Pause] qui la sait ? Mais enfin il y en a bien ici qui fréquentent d’autres départements ? [Pause] Non. Ou qui vont à d’autres cours, parfois ? Non. Non ! Tout est clair.

Donc nous ferons une recréation active, où il ne s’agira pas du tout pour vous d’aller prendre du café en face, mais où je demanderai à trois messagers volontaires [Rires] — trois, à cause des contradictions possibles — à trois messagers d’aller en face et de me rapporter la date [1 :00] des vacances, la question étant, comprenez son importance : Est-ce qu’elles commencent le 11 ? Donc est-ce que nous sommes déjà en vacances après cette séance ? Ou est-ce qu’elles commencent le 14, en quel cas nous avons encore une séance ? Ce n’est pas du tout indifférent ; ce n’est pas une question indifférente, c’est une question très importante. Mais quand même, j’ai le sentiment qu’il y en a ici, qui devraient le savoir. [Rires]

Une étudiante : Je pense que c’est le 11.

Deleuze : Vous pensez que c’est le 11 ? Moi aussi je pense que c’est le 11.

Un étudiant [près de Deleuze dit: Non, je ne crois pas.

Deleuze : On peut décider le 11, et si ce n’était pas le 11, ça ferait trois semaines. Cela paraît raisonnable, mais enfin, il vaut mieux une confirmation. Non, toi, je ne t’y enverrai pas [2 :00] parce que tu me dirais que c’est le 14. Tu n’es pas un bon messager. [Rires]

Une étudiante : [Question inaudible]

Deleuze : Quoi ?… Oh, ben alors, très bien. Alors, trois d’entre vous, se le feront confirmer… et voilà, c’est une bonne chose de faite. Très bien. [Rires]

Un étudiant : [Inaudible] [Pause]

Deleuze : Il fait froid, non ? [Pause] [3 :00] Eh ben, continuons. Je voudrais juste que pour vous tous, soit très clair la poursuite, la manière dont s’enchaînent les différents éléments de notre recherche actuelle. Voilà exactement ce que je voudrais que vous ayez présent à l’esprit pour notre séance d’aujourd’hui. On a cherché pendant un certain temps une caractéristique formelle de la série, caractéristique formelle de la série. Encore une fois, il ne s’agissait pas de [4 :00] reprendre pour les appliquer les caractères d’une série musicale. Il s’agissait, au niveau du problème des images, de construire nous-mêmes nos critères de séries, bien entendu, en nous servant de certains thèmes empruntés à la musique mais sans plus. La définition formelle de la série, nous l’avons obtenue sous la forme : une suite d’images réfléchies dans un concept, un genre ou une catégorie, ou plutôt dans quelque chose faisant fonction de concept, de genre ou de catégorie, de quelque chose de l’ordre des images.

À cela, nous ajoutions deux remarques : ce concept, [5 :00] ce genre ou cette catégorie peuvent être parfaitement individualisé, personnalisé. [Pause] Et, deuxième remarque, la série ainsi définie — comme suite d’images réfléchies ou se réfléchissant dans un genre, concept ou catégorie — pouvait être construite de deux manières : construction horizontale où alors le genre apparaissait comme une limite, [Pause] ou bien construction verticale où le genre [6 :00] constituait lui-même une série autonome, si bien qu’il y avait superposition de deux séries.

Les exemples nous étaient fournis par ou dans l’œuvre de Godard, la construction horizontale étant du type : suite d’images qui se réfléchit dans un genre, ce genre intervenant comme limite, exemple : la théâtralisation comme limite d’attitude quotidienne dans, par exemple, Une femme est une femme [1961]. L’autre type de [7 :00] série, la construction verticale, apparaissait lorsque la limite ou lorsque le genre, au lieu de fonctionner comme limite d’images précédentes, se développait lui-même en une série, en une suite d’images se juxtaposant à la première suite, et c’était le cas des deux suites superposées, soit dans Passion [1982] [Pause] où alors le genre donnait lui-même une suite picturale ou para-picturale, ou bien encore plus nettement dans Prénom Carmen [1983] où le genre donnait par lui-même une suite musicale dans laquelle se réfléchissait l’autre suite d’images. [8 :00] Il y avait donc superposition de séries, là, donc construction verticale de la série.

Voilà, cela c’était de l’acquis, à moins que pour certains, il y ait lieu de revenir ; à ce moment, vous n’avez qu’à le dire. Et je disais, on n’avait pas par-là réglé tout le problème par ce formalisme de la suite, ou par cette détermination formelle de séries cinématographiques ou de séries d’images. On n’avait pas tout réglé parce qu’il restait un problème : non plus quelle est la forme de la série, mais quel est le contenu de la série ? Quel est le contenu des séries ? Non plus, quelle est la forme des séries ? Et du point de vue du contenu, on avait [9 :00] constitué, construit à travers certains textes qu’on avait examinés la dernière fois, qu’on avait commencé à examiner la dernière fois, on avait construit un second type de définition, donc définition matérielle et non plus formelle. Une série, cette fois-ci apparaissait comme une suite d’attitudes, réfléchie dans un gestus. [Pause] Remarquez que les deux déterminations, heureusement, se font écho, même se renvoient l’une à l’autre. Ça, on avait juste assez avancé pour le pressentir. Je veux dire, [10 :00] étant donné que la série est une suite d’images réfléchies dans un genre, la question du contenu est : quel type d’image se laisse réfléchir dans un genre ?

Première réponse, qu’on n’a pas du tout creusée mais qui est pour nous une hypothèse de travail, la suite d’image qui est normalement ou régulièrement vouée à se réfléchir dans un genre, ce sont des images qui présentent des attitudes de corps. [Pause] Mais, prises dans leur contenu, donc en tant qu’attitudes, elles se réfléchissent dans quoi ? [11 :00] Nous disions, elles se réfléchissent dans ce que nous convenons d’appeler un gestus, un geste. Et là, à nouveau, nouvelle correspondance, donc c’était une raison pour nous — dès le moment où on tenait ces correspondances, même où on les pressentait — c’était une raison pour nous de nous dire : nous sommes dans la bonne route. Car, en effet, nouvelle correspondance entre le genre ou le concept, d’une part, du point de vue de la définition formelle, et le gestus du point de vue de la définition matérielle. Pourquoi ? Car il nous avait semblé que le gestus chez l’auteur même auquel nous empruntions la notion, à savoir [Bertolt] Brecht, se trouvait [12 :00] au moins implicitement lié à l’idée d’un discours cohérent correspondant à des attitudes, le discours cohérent impliqué, le discours virtuel impliqué par une attitude de corps ou plus précisément, disait Brecht : la décision supposée par l’attitude. [Pause] Si bien qu’on pouvait mettre en correspondance assez étroite nos deux définitions, la définition formelle et la définition matérielle. Encore une fois, j’insiste sur ça, mais ça devrait être très, très clair, tout ça. [13 :00]

Et nous tenions alors une, comme une espèce de double différence. Je veux dire, la série devenait une espèce de fil étroit très délicat, un fil très tenu qui passait ou qui zigzaguait entre — comment dire ? — entre des choses, des données dont il se démarquait. Il zigzaguait entre ce qu’il n’était pas. Voyez où nous en sommes : s’il est vrai que la série est formellement suite d’images qui se réfléchit dans un genre, mais n’importe quelle image ne peut pas se réfléchir dans un genre, [14 :00] s’il est vrai aussi que la série précisément est une suite d’attitudes qui se réfléchit dans un gestus, la série est un vide entre des choses qui ne sont pas elle, et avec lesquelles il ne faut pas la confondre.

Donc en troisième point, il faut la définir par un ensemble de différences, de distinctions qu’elle entretient avec ce à quoi elle ne doit pas être confondue. Et au point où nous en étions, nous pouvions dégager ces choses avec lesquelles il ne fallait pas confondre ni la série, ni les éléments mis en jeux par la série. Éléments mis en jeux par la série, c’est l’image en tant qu’elle se réfléchit dans un genre et attitude [15 :00] en tant qu’elle se réfléchit dans un gestus. Remarquez qu’il y a un avantage littéraire pour nous de tout ceci, cette fois-ci avantage littéraire, ce sera de nous permettre de définir ce qu’on appelle un geste, le geste, d’une manière, il me semble, beaucoup plus, beaucoup plus, enfin, différente de celle dont on le fait d’habitude. Je veux dire, un certain nombre de critiques littéraires se sont intéressés à ce qu’on a appelé un geste, dont l’origine semble être scandinave, il y a aussi des gestes grecques.

Et le geste, c’est quelque chose qui ne se confond pas avec l’épopée, c’est quelque chose qui ne se confond pas avec le mythe, c’est quelque chose qui ne se confond pas avec la [16 :00] tragédie, bien qu’une épopée comporte des éléments de geste, la tragédie aussi. Et ce qu’on appelle le geste, un geste, c’est un genre très spécial en littérature, d’où l’intérêt pour nous d’essayer de trouver une définition à ce terme, et pour le moment, celle que l’on a, c’est une histoire où des attitudes se réfléchissent. Le geste, ce serait comme le discours, le discours dans lequel se réfléchissent une série d’attitudes. Mais donc, je reviens toujours à la question en tant que distincte de quoi ? Vous voyez, j’ai dans trois niveaux : nécessité d’une définition formelle de la série, nécessité d’une définition matérielle de la série, nécessité d’une définition différentielle de la série. [17 :00] Par différentielle, j’entends uniquement assigner les différences de la série à ce qui ne fait pas série, à ce qui n’est pas série. C’est clair ? Je me sens très clair ce matin. [Pause ; quelqu’un arrive en retard] Vous avez raté le plus clair. [Pause] C’est dommage. [Rires]

L’étudiante : C’est sur quoi ?

Deleuze : « C’est sur quoi ? » [Rires, Deleuze y compris] Bon, alors de quoi, de quoi doivent se distinguer la série et les termes de la série tels qu’on vient de les [18 :00] caractériser ? De deux choses, je crois. D’une part, l’attitude doit se distinguer de tout état vécu, l’attitude doit se distinguer du vécu. Et le vécu, cela a deux sens, [Pause] très généralement, là je ne me réfère à rien comme ça : je dis, par convention, le vécu, on peut l’envisager de deux façons. Ou bien, c’est … [Interruption de l’enregistrement] [18 :42]

… c’est une question, hein ? Mais on voit ce que veut dire le vécu d’un personnage réel. Votre vécu, le mien. Ou bien c’est un vécu supposé, [19 :00] vécu supposé d’un personnage fictif, et à ce moment-là, le vécu correspond à un rôle, [Pause] par exemple, un personnage fictif sur l’écran ou au théâtre joue un rôle, le rôle d’un personnage qui a du chagrin. Le chagrin est le vécu du personnage fictif en tant que ce personnage fictif est le rôle d’un acteur. Je dis : l’attitude doit être distinguée de ces deux aspects du vécu, vécu réel comme vécu fictif. [20 :00] Pourquoi je dis ça ? Parce que c’est évident. Une attitude, ce n’est pas du vécu. On prend constamment des attitudes dans le vécu. Mais une attitude n’est pas du vécu.

D’autre part, si l’attitude doit être distinguée du vécu, de la même manière, le gestus doit être distingué de l’histoire [Pause] ou, ce qui revient au même, de l’action. Et là aussi, l’histoire a deux sens. [Pause] [21 :00] Tantôt « l’histoire » signifie l’intrigue d’une fiction, [Pause] tantôt « l’histoire » signifie l’historicité des actes de l’homme. [Pause] Eh bien, le gestus se distingue de l’histoire dans un sens comme dans l’autre. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas une action. Il n’entre pas dans le schème ou [22 :00] dans l’enchaînement des actions et des réactions, soit fictives, soit historiques à proprement parler. On l’a vu la dernière fois, suivant la remarque de [Roland] Barthes, le gestus de Mère Courage n’est pas la Guerre de Trente Ans. [Pause]

Donc voilà, j’ai mes trois déterminations : détermination formelle, détermination matérielle, détermination différentielle. Et voilà que la dernière fois alors, cette clarté, cette clarté absolue étant donnée, la dernière fois, nous entrions dans l’obscur. Il s’agissait, en effet, pour nous d’essayer de [23 :00] comprendre ce lien attitude-gestus en tant qu’il se sépare d’un côté du vécu et d’un autre côté de l’histoire, d’un autre côté de l’histoire ou de l’action. Et là, alors on entrait dans un domaine beaucoup plus obscur où il s’était passé ceci. Après un examen rapide du texte de Brecht qui déjà soulevait pour nous beaucoup de problèmes, on était passé à un commentaire de Barthes. Ce commentaire de Barthes nous convenait dans la mesure où il nous disait à peu près, tantôt dans une phrase rapide, le gestus, c’est une « coordination d’attitudes », [24 :00] tantôt le gestus, c’est un geste signifiant, Mère Courage qui mord la pièce de monnaie pour vérifier qu’elle est bonne. [Pause] Mais voilà, ça nous avançait beaucoup, mais ça ne nous avançait pas en même temps, ça nous avançait sur place. C’était une confirmation qu’il y avait un lien fondamental entre attitude et gestus, indépendamment et du vécu et de l’historicité. [Il s’agit d’un texte dans L’obvie et l’obtus (Paris : Le Seuil, 1982), « Diderot, Brecht, Eisenstein », pp. 86-93 ; pourtant, plutôt que la phrase « coordination d’attitudes », le texte de Barthes contient la phrase : « L’œuvre ne commence qu’au tableau, lorsque le sens est mis dans le geste et dans la coordination des gestes » (p. 92)]

Si bien qu’on passait à un tout autre texte de Barthes, où Barthes cette fois distingue le sens obvie et le sens obtus. [25 :00] [Il s’agit du texte « Le troisième sens – notes de recherche sur quelques photogrammes, sur quelques photogrammes de S.M. Eisenstein » dans L’obvie et l’obtus (Paris : Seuil, 1982), pp. 43-61) ; voir aussi Roland Barthes, Œuvres Complètes, tome III (Paris : Seuil, 2002) pp. 500-01] Et avec beaucoup d’hésitation, on se disait : est-ce qu’il n’y aurait pas quand même un lien entre ces deux textes, et est-ce que le sens, ce qu’il appelle d’une manière très mystérieuse, il nous avait semblé, le « sens obtus » de l’image, est-ce que ce ne serait pas ça une manière de caractériser le gestus ? Et pourquoi on se disait ça ? Parce que dans tous les exemples de Barthes, le problème était bien centré — et c’était même notre raison de confronter les deux textes — le problème était bien centré sur la notion d’attitude. Il s’agissait d’images qui représentaient ou qui présentaient des attitudes. Et ce sont dans ces images que [26 :00] Barthes distinguait un sens dit « obvie » et un sens dit « obtus ». D’où pour nous, quatre questions que dès lors je ne vais pas traiter tout seul.

La première question, qui est très subsidiaire — je les donne toutes les quatre et puis on va voir comment on se débrouille — première question très subsidiaire : est-il juste de rapprocher les deux textes de Barthes et d’établir un lien entre eux, une fois dit que Barthes n’établit pas de lien entre ces deux textes ? Je dis que cette question est subsidiaire parce que, en somme, on ne pourra y répondre qu’à la fin des autres questions. Donc loin d’être la première, ce sera la dernière. Elle ne fera plus de difficulté. On ne répondra oui ou non qu’après nos réponses aux autres questions.

Deuxième [27 :00] question : qu’est-ce que Barthes, et en quoi consiste, ce sens obtus invoqué par Barthes ? J’ai essayé de dire pourquoi je comprenais, ou même je voyais très mal, ce dont il parlait. Donc c’était embêtant pour moi. Après relecture du texte, je vois encore moins bien, alors donc c’est de pire en pire. Troisième question. Donc, deuxième question : qu’est-ce que c’est ce sens, qu’est-ce que c’est ce sens obtus ? Même je comprends bien, si délicat… si je ne demande pas des définitions, des impressions, puisqu’en effet, Barthes n’invoque pas de définitions, il invoque des impressions. Il ne veut pas imposer des points de vue du tout. Il dit, moi c’est comme ça, bon, et très bien. [28 :00] On ne me demande que ça, essayer de comprendre ce qu’il voit ou ce qu’il est en train de voir.

Troisième question, où la thèse de Barthes là devient ferme : le sens obtus de l’image étant supposé compris, il est dans un rapport privilégié avec le photogramme. Non seulement dans un rapport privilégié avec le photogramme, mais il ne peut être saisi que par et dans le photogramme. Ça, c’est une thèse très ferme, très claire. On ne sait pas encore ce que c’est ce sens obtus, mais nous, dire : vous savez que, de toute manière, vous ne pouvez le saisir que dans le phonogramme. Bon, ça c’est très clair. Beaucoup de questions se posent pour nous à ce troisième niveau. [29 :00] À savoir, bon, est-ce que ça veut dire que le sens obtus de l’image serait une caractéristique de la photographie ?

Ce n’est pas ce que veut dire Barthes. Mais alors quelle différence entre un photogramme et une photographie ? Ce sera important pour nous là de profiter de notre série de problèmes, là, pour essayer d’avancer dans cette question obscure. Tout le monde sent qu’un photogramme, ce n’est pas une photographie : quelle différence y a-t-il entre un photogramme comme élément cinématographique et une photographie ? Barthes soulève le problème et l’exécute dans une petite note qui, là aussi, que manifestement, il laisse dans un état insuffisant, [30 :00] lui le sachant très bien. [Voir dans L’obvie et l’obtus (Paris : Seuil, 1982), la note 1, p. 59]

Et toujours dans ce même groupe de questions, du fait que le sens obtus est en liaison fondamentale selon lui avec le photogramme, Barthes en tire l’idée que, dès lors, le sens obtus et le photogramme constituent le filmique à l’état pur, le filmique à l’état pur au-delà de tous les films, [Pause] c’est-à-dire un filmique pur — comment dire ? — supra-cinématographique. [31 :00] Et il va jusqu’à dire que le cinéma n’a pas commencé, que le cinéma reste dans son enfance parce qu’il n’a pas dégagé, ni atteint à cet élément pur, le filmique, dont le secret renvoie au photogramme. Qu’est-ce qu’il peut vouloir dire ? Voyez donc cette troisième question porte sur le rapport du sens obtus avec le photogramme, et quel est le statut du photogramme ? Est-ce qu’on peut invoquer le photogramme pour ériger la notion d’un filmique supra-cinématographique ? [Pause]

Quatrième question : ce filmique pur ou, si vous préférez, le sens obtus tel qu’il apparaît dans le photogramme, [32 :00] ce serait précisément un filmique pur parce qu’au-delà de l’image-mouvement, ce serait un au-delà de l’image-mouvement, si bien que le filmique ne pourrait pas se définir par l’image-mouvement. Là aussi, la thèse de Barthes est très ferme. Bien plus, ce serait un au-delà de l’image-temps, du moins au sens de succession temporelle, ou temps chronologique, un au-delà de l’image-temps chronologique. [Pause] [33 :00]

Et voilà que dans la suite de Barthes, Raymonde Carasco, commentant l’article de Barthes sur le sens obtus, veut aller encore plus loin et nous dit que ce filmique pur est non seulement au-delà de l’image-mouvement, au-delà de l’image-temps chronologique, mais au-delà de l’image-temps tout court, de toute image-temps, c’est-à-dire ce qu’elle appelle, je crois, au-delà de la durée intérieure, au-delà de la durée ou, si vous préférez, en fonction de ce qu’on a fait l’année dernière, moi ce que j’appellerais : au-delà du temps non-chronologique. [Pause] [Il s’agit du texte de Carasco, « L’Image-cinéma qu’aimait Roland Barthes (le goût du filmique) », Revue d’esthétique, « Le Cinema en l’an 2000 », 6 (1984) pp. 71-78]

Voilà ce sont [34 :00] ces trois points, et le quatrième, et le premier et le quatrième qui en dépend, mais ce sont ces trois points qu’on va traiter d’après notre méthode excellente donc, on refait, on refait une espèce d’interview. Alors voilà, à la fois je veux dire, moi il faudrait, à la fois que ce n’est pas du tout pour m’imiter, hein ? Je voudrais que vous acceptiez de répondre aux questions, ce qui n’exclut pas que vous n’en posiez d’autres vous-mêmes, que vous fassiez vos propres développements. Voilà, il s’agit de sentiment…

[Pause ; bruit des mouvements lorsque Deleuze change de place avec Raymonde Carasco, donc s’éloigne du microphone ; on entend Deleuze qui parle en se réinstallant] [35 :00]

Deleuze : … Alors, le sens de l’obtus, on a un peu parlé la dernière fois. Je résume la position ; [mots indistincts] Vous, vous avez votre position, [mots indistincts] vous voyez, vous sentez ce que c’est [Inaudible] voilà. Moi, il ne me restait que… [mots indistincts] … une fois dit qu’il s’agit de sentiments, de dire il [Barthes, apparemment] sent les choses comme ça, c’est un sentiment qu’il a… [mots indistincts] [Pause] [36 :00]

Raymonde Carasco : Bon, je crois qu’effectivement, on rentre dans des, disons, dans l’obscur. Comment découvrir l’obscur, comme dirait Blanchot ? Il me semble que, enfin, moi, j’ai eu une espèce de rapport amoureux à ce texte, qui m’a permis de… au texte de Barthes, qui m’a permis de cristalliser en quelque sorte toute une recherche que j’avais faite d’un texte de [Gerhard] Richter paru dans les Cahiers [du cinéma] il y a longtemps, sur ce texte. Donc, bon…

Deleuze : Vous pouvez nous dire un peu de quoi il s’agit ce texte ; on n’est pas dans ce texte ;  c’est un texte qui a suscité un grand … [Rires] [mots distincts] [37 :00] … c’est un grand texte de sentiment, [mots indistincts] on le sent, on le sent vraiment.

Carasco : On a l’air de prendre la fuite quand on dit ça.

Deleuze : Non, non, c’est ça qui manque… [mots indistincts]

Carasco : Et… bon, moi je crois que ça relève de l’affect pour un texte, le texte de Barthes, cet affect de l’ordre amoureux – au sens de Barthes peut-être –, de ce qui pouvait provoquer ce texte, le plaisir du texte, bon. Ceci dit, c’est une fuite de dire ça. Je ne suis pas sure, quand vous dites « je ne vois pas ». C’est-à-dire, si vous me demandez, « montrez-moi sur l’image » — la vieille [dame], quoi, « le sens obtus », bon, je ne suis pas sûre que ça relève de l’ordre du voir, [38 :00] effectivement. Même ce que dit Barthes, puisqu’il dit lui-même, quand il prend la vieille, — mais d’accord pour dire que c’est à partir de ça qu’il a écrit ce texte — il me semble que ce que dit Barthes, il dit : « ça ne se décrit pas ». Il faut l’image. S’il n’y a pas l’image, s’il n’y a pas d’image, on ne peut pas lire le texte comme ça, sans l’image en face. Ça ne veut rien dire s’il n’y a pas d’image, donc ça a quelque chose à voir avec le voir, bon, au moins au sens immédiat du terme. Mais il dit après, il dit après, il dit, finalement il dit, très bien – [Propos indistincts, il s’agit d’un détail du texte] – il dit, c’est entre le dire et le montrer. Il dit, c’est un geste anaphorique, c’est une monstration pure, qui n’a pas un geste sans signification déterminée. [39 :00] C’est une monstration pure qui désigne non pas un ailleurs du sens, mais quelque chose qui est au-delà des sens déjà répertoriés, codés, connus.

Moi, je ne sais pas comment faire parce qu’il me semble qu’il dit lui-même : ça ne se décrit pas — j’ai fait une erreur tout à l’heure – il dit, ça ne se décrit pas, mais ça se dit. Donc ça relève : pour dire le sens obtus, il faut écrire. Ça relève de ce qu’il appelle le texte de l’écriture ; ça passe par l’écriture, par une espèce d’acte poétique de qui écrit son texte. Bon, alors…

Deleuze : [Propos indistincts brefs]

Carasco : Bon, « la bouche tirée, les yeux fermées qui louchent, coiffe bas sur le front, elle pleure » [il s’agit d’un haiku dans le texte « Le Troisième sens », p. 56]. Bon [40 :00] il me semble que ça, l’énigme, l’insolite aussi, le côté excitant finalement qu’il y a dans ce que dit Barthes, c’est quelque chose dont il dit qu’on ne voit en quelque sorte que « par-dessus l’épaule » [p. 55] — comme quand on regardait par-dessus de quelqu’un qui écrit — donc c’est quelque chose qui est entre le « voir » — parce qu’il faut l’image ; c’est un photogramme – et [Pause] il dit « le montrer » (un geste). Peut-être qu’il y a un rapport là, très interne au gestus. Moi, je pense là à ces deux fragments de, ces deux poèmes, deux vers de Hölderlin qui disent : « l’homme est un … », en générale on traduit par « signe » — je ne connais pas du tout l’allemand — « est un signe » [41 :00], et [un nom propre, Granesse] justement dans quelques traductions françaises traduit « signe » par « est un monstre », donc au sens de monstration.

Moi, je crois que c’est la question du signe qui est posée là, donc d’un signe qui est visuel, bon, qui part de ce visuel, d’image visuelle et qui serait en quelque sorte, bon, est-ce qu’on peut dire un signe principe, un signe pur, un signe dont le sens et la signification n’est pas encore indéterminée, et donc peut-être, voilà, encore indéterminée, pas encore indéterminée ? Bon, je dis comme ça, je ne sais pas si ça éclaire quoi que ce soit.

Deleuze : [Propos indistincts] Ça relève une autre question que l’on peut poursuivre … Ça fait une première différence entre nous… [42 :00] [Propos inaudibles] … j’ai le sentiment que ce que, moi, je comprends est très différent de ce que vous en comprenez … [Propos inaudibles] [43 :00]

D’où est-ce qu’on peut passer à la seconde question : comment vous vous débrouillez pour qu’il y ait un enchaînement entre les deux… [mots indistincts] ? C’est très joli. Vous dites que ce n’est pas exactement de l’ordre du voir, c’est un voir montré, c’est comme si l’œil est montré. D’accord. Mais alors je pose une question : on est censé de voir pas dans le déroulement du film et où il faut arrêter et attendre d’en avoir le photogramme ?

Carasco : Bon, alors, excusez-moi d’abord tout à l’heure, mais la phrase de Verny, c’était importante, c’était : « L’homme est un monstre privé de sens, est un signe ». Mais, excusez-moi, l’étymologie semblerait plutôt monstre. Donc, c’est une étymologie d’après les gens qui [44 :00] [mots indistincts] qui ne se démontre pas facilement, et Granesse donne l’étymologie [mots indistincts] c’est « monstre » et non pas « signe ». Bon, mais c’est davantage, c’est privé de sens, donc ce n’est pas la question du sens.

Alors je reviens à la question que vous me posez. Si je lis, comme tout le monde, Barthes, si je suis dans la lettre de Barthes, je suis obligée de répondre : pour Barthes — et il faut tenir ça, je crois qu’il faut d’abord le tenir, et même non seulement d’abord mais tout le temps — d’abord et tout le temps il faut tenir la littéralité de Barthes, à savoir : on ne le voit que sur le photogramme. En tout cas, ce qui est important, que sur un photogramme, on peut le voir sur un seul photogramme et en dehors du film. C’est ce que dit Barthes, et bon, je ne peux pas dire autre chose que ce qu’il dit, pour que lui, il dit ça, bon, ça c’est Barthes. Au moins, je me permets de voir autre chose. [45 :00]

Deleuze : [mots indistincts]

Carasco : Eh ?

Deleuze : [mots indistincts]

Carasco : Bon, il dit très bien qu’il a vu ça, dans une image des Cahiers du cinéma, c’est-à-dire, en dehors du film, et que quand il rentre dans le cinéma, il ne le voit plus.

Deleuze : Alors là, c’est différent. Il l’a vu sur une photo…

Carasco : Il l’a vu sur une photo.

Deleuze : … et non pas vu sur un photogramme.

Carasco : Moi, mon hypothèse, mon sentiment à moi, c’est que s’il avait l’œil un petit peu plus exercé, c’est-à-dire, s’il avait travaillé à la table de montage, s’il était cinéaste, et s’il avait travaillé à la table de montage, photogramme par photogramme, la vieille, bon, eh bien, peut-être qu’il la verrait dans le film en mouvement, voilà. Et moi, je pense que du sens obtus, et après avoir lu Barthes, je crois l’avoir vu des fois dans des films…

Deleuze : On peut le voir dans le déroulement du film.

Carasco : Voilà, ça c’est une différence avec Barthes. Ceci dit, [46 :00] je crois que cette différence n’est pas essentielle. C’est le troisième niveau en quelque sorte ; c’est que je crois que de toute façon qu’on puisse le voir, ou quand Barthes ne le voit pas, je ne crois pas que ça change l’affirmation initiale de Barthes, qui me paraît la question du photogramme effectivement, à savoir qu’on peut le voir simplement dans un seul photogramme et donc pas entre deux, ou entre plusieurs, que le sens obtus, il n’est pas du frottement ou de la collision ou de la mise en série-mouvement de deux ou de plusieurs.

Deleuze : … qu’il n’y a pas de rupture de rapports.

Carasco : Donc ça me paraît à la fois une question intéressante, ça, parce que moi, je ne le sens pas comme ça, comme Barthes. Mais, en même temps, je me dis que ça n’enlève rien, ça n’enferme absolument [47 :00] pas, la question du texte de Barthes de l’obtus, qu’il définit très, très nettement sur un seul photogramme, et pas du tout comme intervalle, collision, choc. Donc il me semble que…

Deleuze : Alors, passons à vous, puisque vous acceptez, puisque vous le dites en un sens … [mots indistincts] Donc ça, c’était la première question, provisoirement résolue. Deuxième question : est-ce que vous, alors, donc vous, croyez que le mot « obtus » est en rapport fondamental [48 :00] avec votre sens.  [Mots indistincts] Même si vous pouvez le saisir dans le déroulement du film, est-ce que pour lui-même, en lui-même, il y a un rapport fondamental avec [mots indistincts] ?

Carasco : Ben là, dans la mesure où j’ai, disons, fondu en quelque sorte le sens sur ce texte de Barthes pour lire Eisenstein, c’est évidemment sur ça que j’ai fondu. C’est à dire, ce n’est pas tellement la croissance ou l’analyse de l’image qui m’intéresse, bon, mais c’est effectivement l’entité — je ne sais pas si c’est un concept ou une catégorie — l’entité du filmique, je ne pense pas que ce soit un concept, ni le sens obtus. Je crois que ce sont…

Deleuze : [mots indistincts]

Carasco : Oui, bon. Mais il me semble donc que le sens obtus et [49 :00] le filmique, donc qui seraient le fondement en quelque sorte du sens obtus, la notion qu’il produit à la fin du texte, la dernière page presque, qui est la plus serrée : c’est ça qui m’intéresse, qui nous intéresse à tous. Bon, le reste, c’est l’écriture, c’est le plaisir du texte, mais c’est l’impression de Barthes, mais quand même, je tiens ça, oui, je tiens, c’est-à-dire le sens obtus et le filmique dans son lien fondamental ou radical au photogramme. C’est ça qui me paraît important chez Barthes, sinon ça n’a pas d’intérêt.

Deleuze : [mots indistincts]

Carasco : Bon, je ne sais pas ce que j’ai dit. Mais je vais dire autrement.

Deleuze : [mots indistincts] … Quoi ?

Un étudiant : [une brève question inaudible] [50 :00]

Deleuze : Voilà, le filmique… [mots indistincts]

Carasco : En tout cas, c’est… à mon avis, si le sens du texte de Barthes ou bien c’est intéressant et il dit quelque chose d’important pour la pensée du cinéma et c’est ça, ou bien il ne dit rien et il faut le déplacer ou trouver autre chose. Mais bon, il me semble évident que c’est ça…

Deleuze : Ou rien !

Carasco : … et que c’est ça ou rien, oui !

Deleuze : Bon nous voilà [Rires], [mots indistincts] … D’où on enchaîne parce qu’on a d’autres questions [mots indistincts] [51 :00] Et alors, pour vous, quelle différence entre le photogramme [mots indistincts] le filmique, et une photographie une fois dit que Barthes …. [Mots indistincts ; Deleuze se réfère de nouveau à la note qu’offre Barthes qui, selon Deleuze, reste volontairement vague sur ces distinctions] ?

Carasco : Bon, alors, là, je réponds tout de suite que je ne sais pas répondre et que je sais bien que c’est l’os et que c’est la question. Bon, je vais essayer de dire des choses qui, dont je sais, et que je ne pense pas la différence – hélas — photogramme et photographie. Moi je n’aime pas du tout la photo. Je suis le contraire de Barthes : je déteste les photos, je n’aime pas les photos. Bon, alors, ça ne m’intéresse pas, [52 :00] je n’ai jamais lu des textes dessus, bon.

Deleuze : Moi non plus, moi non plus… [Rires] [mots indistincts, qui font rire]

Carasco : Bon, cette chose dite, il y a une chose que je serais un petit peu capable de formuler, — des banalités aujourd’hui, enfin bon, on est là — : c’est que je comprends bien ce que c’est non pas un photogramme, mais l’entre deux photogrammes par rapport au cinéma. C’est … si je n’avais lu le texte de Barthes, si je l’oublie, bon ben, si on me pose une question, qu’on me dit : « qu’est-ce que c’est, pour toi, le cinéma ? », et « qu’est-ce que c’est que l’élément cinématographique ? », je dirais, non pas seulement — je serais très eisensteinienne finalement, comme toujours — : je dirais, le cinéma, c’est le montage, [53 : 00] bon. Et ce qui m’intéresse et pour qu’il y ait montage, le montage, c’est toujours Eisenstein le hors-cadre — pas du tout le hors-champ — mais finalement le choc, la collision d’un élément, le second du figuratif de l’image visuelle, le photogramme si on veut, et puis, le troisième, qui se produit et qui n’est pas de l’ordre du visible, de l’image, du photogramme et qui serait peut-être de l’ordre du concept, en tout cas, le troisième terme. Donc si on me demandait quel est l’élément cinématographique ? Je répondrais, c’est l’intervalle, au moins, entre deux photogrammes, et donc c’est un intervalle là, bon, mais… ou c’est le hors-cadre compris — ah je crois que j’y suis maintenant — c’est le hors-cadre compris d’abord donc dans la succession horizontale des photogramme, comme au moins l’intervalle entre deux phonogrammes, le choc [54 :00] d’entre deux photogrammes. Donc ça serait…

Deleuze : Vous dites, entre deux photogrammes ou entre deux images ?

Carasco : Entre deux images ou photogrammes, je les identifie, là.

Deleuze : [mots indistincts]

Carasco : Si je prends, si je sors un photogramme, comme fait Barthes, ou si je le fixe à la table de montage, il me semble que le cinéma commence ou naît du choc entre les plans, bon, entre les images, mais au niveau élémentaire, entre deux photogrammes. Ça commencerait là, ça naîtrait là. Bon, alors, ça n’est pas ce que dit Barthes.

Deleuze : Alors là, on a [mots indistincts], pour le moment, on a [mots indistincts]

Carasco : Quand même, je voudrais terminer parce qu’une idée m’est venue, c’est que ce qui m’intéresse quand même dans Barthes, [55 :00] c’est ce qu’il appelle la « lecture verticale » à l’intérieur du photogramme. Et lorsqu’il prend lui-même la phrase de Eisenstein au sujet du contrepoint ou du montage audiovisuel, et où il dit que, finalement, on peut transporter ce que Eisenstein dit du montage audiovisuel, c’est-à-dire, d’images et sons, du cinéma sonore, qu’il dit dès [19]28, dans le fameux manifeste avec Poudovkine et d’Alexandrov, lorsqu’il dit finalement que ce qui est nouveau, c’est la verticalité qu’introduit le son lorsqu’il tombe sur l’image dans un concept.

Deleuze : Ce n’est pas “Le manifeste” dont il s’agit?

Carasco : Non, ça, c’est un texte de ‘38. Mais quand même, il y a déjà ça dans le contrepoint audiovisuel, l’idée d’un montage « contrabaltique ». Je crois que le terme est employé par Eiseinstein…

Deleuze : Ah, oui, en un sens très différent, mais je crois qu’on serait d’accord… [56 :00] [mots indistincts ; Deleuze semble résumer le texte d’Eisenstein dit « le manifeste »]

Carasco : Et c’est quand même ça qu’invoque… [57 :00] qu’invoque… Bon, c’est ça, quand même ça ce qui me paraît central. Parce que pour moi, ce qui m’intéresse, c’est Barthes et Eisenstein, le troisième sens, le sens obtus et Eisenstein. Bon. Donc c’est le centre de gravité fondamental, dit Barthes à propos d’Eisenstein, donc dans le texte de montage audiovisuel. Je m’excuse là pour la confusion, c’est une confusion de ma part, donc je retire complètement.

Deleuze : Ah, oui, non [Deleuze semble dire qu’elle n’a pas d’excuses à faire]

Un étudiant : [Quelqu’un lui demande la référence]

Carasco : C’est dans les Cahiers du Cinéma 222 [juillet 1970, où paraît « Le troisième sens » de Barthes] avec référence à 218 [mars 1970] le centre… le texte que Barthes cite dans “Le troisième sens”, est de Eisenstein. [Voici la note de Barthes à propos d’Eisenstein : « Tous les photogrammes de S.M. Eisenstein dont il sera question ici sont extraits des numéros 217 et 218 des Cahiers du cinéma », « Le troisième sens », p. 43]

Deleuze : Alors, c’est dans Cahiers du cinéma 150 [décembre 1963].

Carasco : [à quelqu’un près d’elle] Je crois qu’il s’appelle “Montage 38”.

Deleuze : [mots indistincts, Deleuze continue à préciser la référence] [58 :00]

Carasco : « Le centre de gravité fondamental » — dit Eisenstein donc, du montage audiovisuel,– « se transfère en dedans du fragment,… Le centre de gravité fondamental se transfère en dedans du fragment, dans les éléments inclus dans l’image elle-même. [Pause] Et le centre de gravité n’est plus l’élément ‘entre les plans’ – le choc, mais l’élément ‘dans les plans’ – l’accentuation à l’intérieur du fragment ». [Ce texte d’Eisenstein, des Cahiers du cinéma 218, est cité par Barthes dans “Le troisième sens”, p. 60 ; aussi dans Œuvres Complètes, tome III, p. 505] Et prenant ce fragment, cette citation d’Eisenstein, écrite semble-t-il en ‘38, au niveau du montage audiovisuel, il dit : finalement, je déprends ce fragment, et moi je le déplace sur le photogramme, étant entendu qu’il n’y a pas de son, et que le [59 :00] sens obtus tomberait sur l’image visuelle comme le sceau, et en faire sur le dedans du fragment, et permettrait donc une lecture verticale, comme il dit, du photogramme.

Deleuze : Et même la forme fondamentale du [mots indistincts]

Carasco : Oui.

Deleuze : [mots indistincts] non seulement le fragment, mais un dedans du fragment [mots indistincts]

Carasco : Ça c’est le centre de, à mon avis, de ce qui est intéressant chez Barthes, c’est-à-dire sa proposition de théorie du photogramme à partir du filmique.

Deleuze : Donc le photogramme donnerait le dedans du fragment…

Carasco : C’est pour ça que ça m’intéresse. [60 :00]

Deleuze : Bon, alors, la dernière question : le dedans du fragment… [mots indistincts] Dans le photogramme, il est au-delà de l’image-mouvement, et selon vous, il est au-delà de l’image-temps…

Carasco : Au-delà de l’image-mouvement, ce n’est pas la peine, je crois de… Ça découle, disons, de ce que dit Barthes, au-delà ou en deçà, hein ? … Bon, ça, littéralement… Bon… [Interruption de l’enregistrement] [1 :00 :42]

 

Partie 2

… Carasco : Disons, au niveau aussi du temps logique, diégétique, de l’histoire, bon, ça aussi, c’est évident. Ça vous est évident, ce premier niveau du temps ? [61 :00]

Deleuze : Eh ben, ça m’est égal. [Rires] Vous comprenez que mon problème, c’est, pour moi… [mots indistincts] tantôt l’image-mouvement, tantôt l’image-temps, et il n’y a rien d’autre… [mots indistincts] Si on me dit qu’il y a autre chose que l’image-mouvement et l’image-temps, [mots indistincts] [Rires] [62 :00] [mots indistincts] D’où du coup, je le renvoie à vous…

Carasco : Je dois dire que là, quand j’ai écrit le texte dont nous parlons, c’est-à-dire celui qui est dans la Revue d’esthétique [Voir la référence complète ci-dessus], c’était la première année, la toute première année et dans le courant où vous avez commencé à travailler sur l’image-temps, excusez-moi, l’image-mouvement, et vous amorciez la distinction de l’image-temps et de l’image-mouvement. [63 :00] Donc, c’était, bon, c’est pour ça que je n’ai pas, que je ne vous ai pas cité, par exemple, pour ne pas dire de bêtises, disons, c’est-à-dire pour ne pas faire dire à quelqu’un quelque chose qu’il n’a pas dit.

Deleuze : [mots indistincts]

Carasco : Alors ce que je veux dire là, c’est que, donc, ce que j’appelle l’« image-temps », ce n’est pas donc quelque chose qui était rempli par le travail que vous avez fait l’année dernière. Donc aujourd’hui, je dirais, je verrais sans doute les choses autrement, non seulement à cause de ce travail mais, disons, dans la lecture même du texte de Barthes. Je pense que je suis allée un peu vite, trop vite, ou trop au bout. Je suis passée à la limite.

Mais il y a quand même quelque chose que je garderais, en dehors évidemment de l’image-temps objective, chronologique, histoire, bon, du temps logique, du temps objectif. Alors voilà, moi, comment je voyais les choses, comment je voyais là, je vois… je voyais au moment où je l’ai écrit, [64 :00] à quoi ça correspondait, la temporalité du film. Bon, c’est évident que le temps objectif — ce que finalement Eisenstein appellerait le montage métrique, le fait qu’il fait une heure et demie, qu’on peut mesurer chaque plan en seconde et qu’on peut voir les rapports entre les plans, bon, le niveau quantitatif, objectif et mesurable, métrique donc, du film, ce n’est pas ça qui est intéressant. Alors ce que j’appelais la durée — c’est pour cela que j’ai introduit ce terme de durée, en le prenant, disons de façon très, peut-être vague, disons à Bergson — eh bien, donc ce que j’appelais l’image-durée ou la durée d’un film ou la temporalité d’un film, je crois que je pourrais dire que c’est peut-être, ça correspondrait en tout cas, à ce qu’Eisenstein appelle… [Interruption de l’enregistrement] [1 :04 :52]

… objectif, métrique, etc., ça serait quelque chose [65 :00] qui probablement aurait à être centré autour de la notion de rythme. Ce serait le rythme propre d’un film, son rythme interne, alors, à chaque fois, tel ou tel film singulier. Alors c’est de ça que je parlais, non pas d’une durée interne à un sujet, mais finalement de la temporalité propre, singulière d’un film, ce qui relèverait au moins du second niveau, qui est le niveau rythmique, et de niveau qualitatif.

Deleuze : C’est-à-dire, vous vouliez dire, en fait, que c’était au-delà du rythme ?

Carasco : Eh oui, parce que, si je prends, bon, pour dire les choses grossièrement : il y a des films dont on sent qu’ils ont quelque chose à voir avec le temps, les films des cinéastes. Bon, et on sent très bien, je ne sais pas ce que c’est que la temporalité chez Murnau, [66 :00] par exemple, ou bien chez Duras, [Pause] n’importe quel film, chez Welles pareil, c’est quand même des exemples gros. Chez Resnais, bon. Alors là, ça a quelque chose à voir avec ce que vous appelez l’image-temps. Mais moi, c’est quand même l’image-temps globale du film dont je parlais. Ça va ?

Deleuze : L’image-temps … ?

Carasco : Globale du film, c’est-à-dire le film considéré comme une image-temps, et donc la durée d’un film.

Deleuze : L’image-temps ou bien renvoie à un temps chronologique… [mots indistincts] [67 :00] Eh bien, vous dites : il y a une autre image-temps qui serait un temps non chronologique et qui a trait à l’ensemble du film ou une partie du film. Et par-là même, ce dont on parle [mots indistincts] Alors, dernier point, le rythme…

Carasco : Le rythme ?… C’est un rythme-temps, [68 :00] hein ? Ce n’est pas un rythme métrique évidemment, bon. Ce n’est pas un schéma mathématique, bon, c’est ça ? Le rythme, il est du côté de l’image-temps.

Deleuze : Alors vous voulez, donc, que ce temps obtus soit au-delà de l’image-mouvement et au-delà de l’image-temps [mots indistincts] Oui ?

Richard Pinhas : Avant de passer à la question suivante, moi, je n’ai pas compris les explications entre temps, durée et puis rythme…

Carasco : Ce n’est pas exacte, eh ?

Pinhas : Non, mais expliquez les rapports entre les trois. Là je ne saisis pas.

Deleuze : [mots indistincts]

Pinhas : Non, non, pas… d’accord, elle a trop [mots indistincts]

Deleuze : [mots indistincts] Elle met le rythme du côté du temps non chronologique.

Pinhas : Ça j’ai compris ! Mais qu’est-ce que, qu’est-ce que, du côté du temps non chronologique, à savoir d’une durée pure, d’une durée cinématographique pure, d’un temps propre au cinéma, quels sont les rapports, et quelles sont les définitions de temps, durée et rythme ?

Deleuze : Selon moi, [69 :00] elle, ça lui est égal.

Pinhas : Ah bon ?

Deleuze : Raymonde Carasco, ça lui est égal puisqu’elle a fait une, c’est un tout autre problème… [mots indistincts] c’est tout un autre problème…

Carasco : Non, ça ne m’est pas égal au sens — je réponds, je te réponds, et je pense que l’on est d’accord là-dessus — ça ne m’est pas du tout égal. C’est-à-dire il est évident que pour moi, le concept de rythme, c’est un concept absolument fondamental et central pour penser, disons, ce que j’appelle une poétique du cinéma, c’est-à-dire, parce que mon projet ce n’est pas une logique, je n’en suis pas capable d’abord. Je n’ai pas la formation de faire une logique du cinéma. Ce n’est pas par paresse. Mais ce que je cherche, moi, c’est quelque chose de plus étroit, disons. Ce sur quoi je travaille, ce n’est pas tellement nouveau. Ce que j’appelle poétique, c’est peut-être un terme à [70 :00] réviser, à savoir comment s’est fait, hein, un poïen, comment s’est fait un film, bon. Donc, au niveau d’une poétique, il me semble que le concept de rythme est tout à fait central, fondamental, et qu’il faut le penser.

Eh bien si tu me demandes, « qu’est-ce que c’est que le rythme cinématographique pour toi etc. ? », bien je te dis, j’en ai pour un an, je n’ai pas produit un concept de rythme cinématographique, je suis en train de chercher, mais c’est évidemment un centre de questionnement très, très, très fort, la question du rythme. Donc c’est beaucoup plus une question pour moi qu’un concept déjà fait, tout fait. D’ailleurs ça suppose des tas de choses, d’analogies du côté de la musique, du côté du rythme poétique au sens banal du terme, et le rythme cinématographique, bon, c’est quelque chose de très complexe.

Lucien Gouty : Ce n’est pas assorti au style selon vous ?

Carasco : Oui, mais pas seulement. Je pense que la notion de style est insuffisante ; elle est trop étroite. Bon mais ça, c’est peut-être une autre question, je ne sais pas s’il faut parler de ça.

Deleuze: [mots indistincts]

Carasco: C’est pour ça que je [71 :00] te réponds pour te dire que ce n’est pas du tout que c’est évident pour moi. Le rythme, le rythme, c’est une question évidemment. Et c’est à définir et à construire, c’est un concept à construire, peut-être d’ailleurs en fonction des cinéastes, etc., et qu’il y a des typologies des rythmes à faire.

Deleuze : Alors, on revient à… [mots indistincts]

Carasco : Voilà. La question que tu me poses, c’est… Je m’étais posée cette question, j’avais établi cette distinction à partir de quelque chose qui me va bien chez Duras, c’est-à-dire, un petit texte, au début d’une présentation de India Song [1975], un des rares textes un peu théoriques de Duras sur le cinéma dans lequel elle [72 :00] dit : finalement, écrire un scénario, un découpage, je le fais pour les techniciens, hein, le découpage, plan par plan, mais ce n’est pas… ce n’est pas ça… je n’en ai pas besoin. Je le fais pour le donner aux membres de l’équipe, à l’opérateur, au cameraman, bon, etc. , et…

Deleuze: [mots indistincts] et à l’avance sur recettes justement… [Rires]

Carasco: [mots indistincts, réaction à Deleuze] Bon, et elle dit que finalement, il y a une idée du film. Elle ne dit pas une idée, elle dit qu’il y a une image globale du film, une image globale du film, une image mentale du film, avant même d’avoir commencé à écrire, avant même évidemment de tourner, etc., et c’est ça qui m’intéressait. Et moi, je me dis que dans cette image mentale du film — alors est-ce qu’il faut l’appeler l’idée du film, comme dit Eisenstein, est-ce que c’est la même chose ? Je n’en sais rien — mais enfin, dans l’image [73 :00] mentale du film, on a comme ça une vue de la totalité du film avant même d’avoir donc commencé même à écrire un mot et qu’on commence à écrire quand il y a cette vue. Et ensuite, justement établir, alors à mon avis, ça c’est une espèce, cette vue, c’est ça qui m’intéresse, bon. C’est donc, est-ce un troisième niveau, en deçà de l’image-mouvement ?… pardon, de l’image-durée si on l’appelle comme ça… est-ce donc un troisième niveau ? ou est-ce finalement encore et toujours l’image-durée ? Bon, ça c’est une question que je vous pose. Et que je me pose aussi, hein. Ce n’est pas simplement [mots indistincts]…

Alors, bon évident, là, est-ce que c’est à partir de ça, de cette image donc mentale, de cette vue dont elle dit elle-même que c’est une totalité ouverte ? [74 :00] Et là on est d’accord. Elle prend l’image d’un fleuve qui se jette dans la mer, et puis la mer se jette je-ne-sais-où, et c’est le monde, donc, le film comme totalité ouverte, bon. Il me semble que c’est à partir de ça, de l’idée du film, de la vision globale mentale du film, peut-être l’idée inconsciente — je n’en sais rien si c’est la même chose — eh bien, à partir de ça, moi il me semble que c’est comme ça que le rythme de tel film se déploie. Le fait que l’on va prendre, je ne sais pas qu’on va faire une alternance rythmique de deux plans séquences, et puis d’image-temps, et puis d’autre part, un montage plus bref et sec de deux plans fixes, par exemple, comme dans les premiers Resnais, ou bien le fait que Duras fera son film avec tel ou tel rythme, c’est en quelque sorte complètement second, et c’est déjà décidé, contenu virtuellement dans l’idée du film. Ce qui commande l’idée, le rythme d’un film, ce que j’appelle le rythme d’un film, est le fait aussi que là, on fera un gros plan, et là un plan d’ensemble. [75 :00] On ne se dit pas si je fais un gros plan, je fais un plan d’ensemble. Dans l’idée du film déjà, tout déjà, tout est déjà là. Alors c’est ça, c’est ça c’est qui me semble le [Pause] point de questionnement.

Deleuze : Non, ce n’est pas la même chose. Tu le dis toi-même, il y a une image globale. Moi, ma question, c’était : qu’est-ce qui donnait un caractère auditif à cet au-delà de l’image-mouvement, en un sens, qu’effectivement tu viens de définir comme non-global, non globalisable puisque c’est, comme dit Barthes, le dedans du fragment et qu’il ne peut se produire que dans le photogramme, c’est-à-dire l’image mentale…

Carasco : Ah, non, non, non, pas du tout… [76 :00]

Deleuze : Alors, ma question, c’est le sens obtus [mots indistincts] est-ce que, au-delà du mouvement du temps, il y a encore une [mots indistincts], c’est-à-dire [mots indistincts]…

Raymonde Carasco : Ou bien c’est une espèce de durée contractée, hein, de durée contractée du film à partir duquel le film, et le rythme du film, va pouvoir se déployer. Bon, alors à ce moment-là, c’est là que je dis que je recule par rapport à ce que j’ai écrit. Je vais parler d’un temps contracté, d’une durée contractée, mais c’est encore du temps et c’est encore de la durée. Bon, et puis comment penser en dehors, si c’est… bon, si j’appelle ça une image initiale du film, globale mais initiale, bon. [Pause] [77 :00] Maintenant ce que je penserais plutôt… Et ça, en plus, ça irait dans le sens de Barthes, parce que Barthes dit : il parle de lecture, hein, de lecture du photogramme, et sa théorie à lui, c’est une théorie de la lecture du photogramme, bon. Et il dit : il y a finalement, dans cette lecture, il y a toujours le sens obvie qui est là. Le sens symbolique et obvie, la communication, c’est toujours là, et le sens obtus, il n’entame pas du tout le sens, bon. Et en quelque sorte c’est ça, ces deux sens ; ils sont dans un rapport de palimpseste, dit-il, et c’est-à-dire un principe… dans un palimpseste, au niveau… un vrai quoi, et pas textuel, et pas analogique comme là, et c’est, paraît-il, un sens qu’il faut gratter. Il y a une couche, on gratte, et puis au-dessous apparaît un autre texte, un double texte. Mais donc il y en un premier qu’il faut gratter, l’autre est dessous, [78 :00] bon. Tandis que dit Barthes…

Deleuze : C’est ça qui a rendu fou Saussure. [Rires]

Carasco : Bon, ben, Barthes dit : il faut, le premier et le second sont invertissables, dans mon photogramme à moi et dans ma lecture du photogramme, dit Barthes. C’est-à-dire il n’y a pas deux sens, et les deux subsistent, et il dit : c’est une disposition très retorse qui implique une temporalité de la signification.

Alors là moi, là je vais sortir de Barthes, et je ne sais pas, je dirai peut-être des choses encore plus [mot indistinct], mais, je suis tombée là sur le texte de Blanchot qu’il y a dans L’Entretien infini [Paris : Gallimard, 1969] qui est le « Parler, ce n’est pas voir », et un moment où Blanchot donne une définition de l’image. Alors il part du rêve, de la fascination qu’on peut avoir sur l’image du rêve, et puis, à un moment donc, dans un moment du dialogue, il parle de l’image, et il arrive à dire qu’il y a toujours une duplicité dans l’image, [79 :00] et que plus haut, comme il dit, plus loin que cette duplicité, il y a ce qu’il appelle le tournant, la torsion, la tournure au sens actif, et à partir duquel la duplicité de l’image pourrait se déployer. Alors je me dis, s’il y a un tournant et une tournure, originels en quelque sorte, avant déjà l’image, de la duplicité de l’image et avant le langage, eh bien, je me dis, c’est quand même du temps, la tournure. Il ne peut pas y avoir tournure, s’il n’y a pas temps. Voilà. Alors c’est pour ça que je dis que je recule par rapport à ce texte. Est-ce que c’est… ?…

Deleuze : La réponse à la question finale posée par Barthes, c’est très cohérent [mots indistincts] … [80 :00] Eh bien, merci mille fois… [Pause] Tu n’as rien à ajouter ?

Carasco : Eh non.

Deleuze : [Propos inaudibles]

Carasco [à Deleuze] : J’espère que je n’ai pas été trop longue, ni trop obscure. Que penses-tu?

Deleuze : Non, non, c’était très clair …

[Pause ; bruit des mouvements; Deleuze revient à sa place près du micro]

Deleuze : Quelle heure est-il ?

Un étudiant : 11h30.

Deleuze : 11h30 ! Mais c’est l’heure de la récréation ! Alors voilà je crois que les points que Raymonde Carasco [81 :00] a dégagés, sont en effet très clairs. Alors ce n’est pas du tout dans l’idée de faire une critique. Ça me renforce et j’avais besoin de son intervention pour vous dire comment, alors du coup, moi j’essaie de comprendre ces trois mêmes problèmes. Alors je ne vois pas comment arranger mon point de vue avec celui de Raymonde Carasco ; ça n’a aucune d’importance, parce qu’on peut maintenir des points de vue.

Premier point de vue, moi je dirais, alors, fini de, fini de biaiser : qu’est-ce que c’est que cette histoire, qu’est-ce que je retiens — Raymonde a très bien dit ce qu’elle retenait elle, de ce sens obtus — ben moi, qu’est-ce que… Comment je le sens, [82 :00] d’après le texte de Barthes ? Il y a une chose qui me trouble, voilà. Je maintiens ce que j’ai dit, je le maintiens. Je ne comprends pas parce que dans le fond, ça ne me dit rien, alors que d’autres textes de Barthes me disent beaucoup.

Mais il y a un truc qui me frappe. C’est dans les deux exemples fondamentaux qu’il donne — j’avais déjà indiqué un jour — il nous dit : c’est très difficile à dire ce que je voudrais vous dire mais voilà, la vieille dame qui clame son chagrin dans l’image ou dans le photogramme spécial, vous vous rappelez, où son bonnet lui est tombé presque sur les sourcils, où il y a la ligne du bonnet, les sourcils, la bouche, les paupières, [83 :00] la bouche, dans une organisation spéciale qui va, dans la série des photogrammes de cette femme qui pleure, eh bien, il y a celui-là où s’incarne le sens obtus, il nous dit quoi ? Il nous dit : comprenez, elle a l’air déguisée. Dans les autres, elle n’a pas l’air déguisée. Dans les autres, c’est une femme qui pleure. Traduisons : c’est une attitude, une attitude, ou c’est une posture. Tout son corps est engagé dans son chagrin, c’est une attitude du corps.

Mais voilà que surgit, d’après Barthes, un photogramme d’une image, pour le moment, disons, insolite, qui disparaîtra, impression qu’elle est déguisée. [84 :00] Vous vous rappelez : « Tous ces traits … ont pour vague référence un langage un peu bas, celui d’un déguisement assez pitoyable ; joints à la noble douleur [du sens obvie] » — car elle a aussi une noble douleur — « ils forment un dialogisme si ténu, qu’on ne peut en garantir l’intentionnalité. » [« Le troisième sens », p. 49 ; aussi Œuvres Complètes, tome III, p. 492] Très fugitif. On a l’impression qu’elle est déguisée. Et il sent à quel point c’est dangereux ce qu’il est en train de dire parce qu’il ajoute : surtout, il ne s’agit pas du tout « de parodie » [p. 51]. Ce n’est pas comme si tout d’un coup, il y avait une parodie de chagrin, une espèce d’imitation. Ce n’est [85 :00] pas une parodie. Ce n’est pas non plus qu’elle n’éprouve pas. Ce n’est pas non plus qu’elle n’éprouve plus le chagrin. Elle éprouve pleinement le chagrin, mais on a bizarrement l’impression d’un déguisement que peut-être, seules, les grandes douleurs donnent.

L’autre exemple, qui alors est, comme Raymonde Carasco a eu raison de dire que c’était l’exemple essentiel de Barthes, parce que l’autre exemple qu’il donne, laisse encore plus songeur, évidemment. L’exemple qu’il donne, je l’avais dit très vite la dernière fois, c’est lors du couronnement d’Ivan le Terrible, quand dans Ivan le Terrible [1945], il y a la scène du couronnement, magnifique scène, avec la pluie d’or que les deux courtisans font tomber sur la tête, sur la couronne, [86 :00] et qui ruissellent sur le manteau d’Ivan le Terrible. Il nous dit : regardez les courtisans. Il dit : voilà. Et c’est dans un texte où il dit, je vais, je vais essayer de vous dire ce qu’est le troisième sens, c’est-à-dire le sens obtus. « Je n’arrive pas à le nommer, mais je vois bien les traits, les accidents signifiants, dont ce signe, [dès lors incomplet] est composé. » — Ecoutez bien – « c’est une certaine compacité du fard des courtisans, ici, épais » –puisqu’il y en a deux, ici dans un cadre, le fard d’un des courtisans, fard épais — « appuyé, là, » — dans le tableau des courtisans — « lisse, distingué ; [87 :00] c’est le nez ‘bête’ de l’un, c’est le fin dessin des sourcils de l’autre, sa blondeur fade, son teint blanc et passé, la platitude apprêtée de sa coiffure, qui sent le postiche, le raccord au fond de teint plâtreux à la poudre de riz » [p. 44, voir aussi Œuvres Complètes, tome III, p. 487]

C’est d’autant plus bizarre de nous dire ça lors d’une cérémonie. Et il nous dit, dans la cérémonie d’ensemble du couronnement du tsar, il y a un photogramme ou quelques photogrammes qui sont particuliers. Il les définit comment ? Les personnages [88 :00] ne sont pas seulement déguisés en vertu de la cérémonie — ça, ça ferait partie du sens obvie — ils ont l’air étrangement déguisés d’une autre façon. Ils sont déguisés de déguisés. Ils sont redéguisés sur le premier déguisement, c’est-à-dire sur le costume de cérémonie. [Pause] Et là aussi ce n’est pas une parodie. Et c’est très dangereux. Il est en train de — et c’est ça qui m’intéresse dans le texte — il est en train de frôler une notion bizarre autour d’un masque pour les deux courtisans ; c’est leur visage est une espèce de masque. [89 :00]

Pour le cas de la vieille, c’est aussi un visage-masque, masque, un déguisement. Mais quel type de masque ? Quel type de déguisement ? Généralement, se masquer ou se déguiser, c’est toujours se masquer d’autre chose ou se déguiser avec autre chose. Et ce serait, en effet, le cas des courtisans par rapport à la cérémonie. Ils ont mis leurs habits de cérémonie tout comme le tsar lui-même a mis son habit de cérémonie. Il est déguisé d’autre chose que soi. Et quand mon visage devient un masque, le masque est autre chose que du visage. [Pause] [90 :00] Voilà, c’est la situation, je dirais « ordinaire ». Est-ce que Barthes n’est pas en train — sensible comme il est — est-ce que sa sensibilité n’est pas en train de dégager quelque chose de différent ? Et est-ce qu’il ne nous dirait pas quelque chose comme : faites attention, il arrive qu’on se déguise avec soi-même ou il arrive qu’on se masque de soi-même. Je peux me déguiser de mes propres habits, de mes habits ordinaires. Mon visage peut se masquer de soi-même sans emprunter un autre visage.

Et j’ai parfois l’impression, en effet, que certains visages [91 :00] deviennent leur propre masque. Quand un visage devient son propre masque, c’est complètement différent de quand un visage se masque. Quand un corps se déguise de soi-même, c’est tout à fait autre chose. Ce n’est plus du tout le cas d’un bal masqué. Dans un bal masqué, bon, je vais m’acheter un masque, je vais m’acheter un costume, et je me masque, et je me déguise en l’autre, en quelque chose d’autre, je me masque de quelque chose d’autre. Là, je me masque de mon propre visage, je me [92 :00] déguise de mes propres habits. En d’autres termes, je me masque et me déguise de moi-même, « de moi-même » au sens de « avec » moi-même. Mon visage est devenu son propre masque. Mon corps est devenu son propre déguisement.

À la limite, c’est une notion incompréhensible, bon, ou bien peut-être qu’il renvoie à des impressions furtives. Quelqu’un, par exemple, je vois quelqu’un, et je me dis : qu’est-ce qu’il a de bizarre aujourd’hui ? Et je ne peux pas répondre parce qu’en un sens, je ne peux répondre qu’une chose : rien ! Il n’a rien de bizarre. Ça veut dire : il n’y a rien qui ne soit pas lui. Et pourtant c’est comme si son visage était devenu son masque. Peut-être que la [93 :00] mort fait ça ? On parle toujours d’un masque de mort, pour parler de choses gaies. Si Barthes n’a pas pris cet exemple, je crois que c’est parce qu’il détestait la mort. Parce que c’est la mort qui me paraît, pour moi, faire au maximum comprendre. Quand la mort saisit le corps, là le visage devient son propre masque. La mort, c’est ce qui nous déguise avec nous-même. Le cadavre récent est déguisé de soi-même. Le masque de mort, c’est le visage lui-même en tant que sécrétant son propre masque. Bon. [94 :00]

Alors là, j’aurais une différence, alors ce serait ma première différence, quant au premier problème qu’on a traité. Moi je dirais, si je peux donner un sens à cette expression de « sens obtus », c’est pour moi que le sens obtus désignerait le moment où je ne suis ni moi, ni l’autre, c’est-à-dire où je ne suis ni nu, ni déguisé, [Pause] mais où ma nudité me déguise de moi-même, si vous comprenez bien le « de ». Je suis déguisé de moi-même exactement comme je vous disais la dernière fois [95 :00] en finissant : Kerouac à la fin de sa vie, se sentant mourir, disait : « je suis fatigué, je suis tanné de moi-même ». C’est moi qui me déguise, moi ! C’est moi qui me fatigue, moi. [Pause] C’est le chagrin de cette femme qui la déguise en femme chagrinée. C’est le contraire d’une imitation de chagrin. C’est le contraire d’une parodie de chagrin. Les courtisans sont déguisés d’eux-mêmes, c’est-à-dire c’est leur costume de cérémonie qui induit un second déguisement sur le déguisement que constituait le costume de cérémonie. Bon alors, je n’y vois rien d’autre. Je n’y vois rien d’autre. [96 :00] C’est donc très différent de ce qu’y voit Raymonde Carasco.

Seulement qu’est-ce que j’en tire immédiatement ? J’en tire quelque chose qui, pour nous, va peut-être nous ramener à notre problème, à savoir [Pause] : le sens obtus ainsi défini, ce serait bien une limite. Ce serait bien une limite. Mais limite de quoi à quoi ? Ce serait le passage insensible, le passage insensible d’une attitude, [97 :00] le chagrin, à son auto-déguisement, [Pause] c’est-à-dire le gestus. Ou si vous préférez, ce serait le passage insensible de l’attitude quotidienne à la — non pas à la cérémonie — mais à la cérémonisation de l’attitude. Ce serait pour reprendre l’expression d’un sociologue américain, « la mise en scène de la vie quotidienne ». [Pause] [Il s’agit de Erving Goffman, The Presentation of Everyday Life, 1955] [98:00] [Pause]

Reprenons l’exemple de Godard, le plus simple. Une série d’attitudes quotidiennes tendent vers une limite, leur théâtralisation. C’est pas du tout comme un passage de l’attitude quotidienne au théâtre. Ce n’est pas un passage de la vie quotidienne, de l’attitude quotidienne au théâtre. C’est un procès de la théâtralisation de la vie quotidienne. C’est un processus de théâtralisation de l’attitude quotidienne. Alors je retrouve en plein mon problème. On dira qu’il y a une série lorsqu’une suite d’attitudes [99 :00] — par exemple, les attitudes d’une femme ayant du chagrin — tendent vers une limite : la théâtralisation ou la cérémonisation de ces attitudes. Et ces attitudes quotidiennes se réfléchissent dans cette limite. Et il n’y a pas deux termes, le quotidien et la cérémonie ; il y a un processus vraiment vectorisé du passage de l’un à l’autre, c’est-à-dire une théatralisation de l’attitude quotidienne, une cérémonialisation, une mise en scène, de l’attitude quotidienne. [100 :00] Donc, il ne s’agit pas du tout d’une parodie. Je voudrais juste vous, je voudrais juste dire d’avance, avant qu’on se repose un peu, où je veux en venir.

Voilà. Une limite, une limite est, à votre choix, atteinte ou franchie. La suite des attitudes, là, ce que Barthes isole dans un photogramme, c’est la limite dans laquelle se réfléchit la suite antécédente des attitudes quotidiennes de la femme pénétrée de chagrin. Et cette limite, c’est quoi ? C’est que le chagrin la déguise d’elle-même, [101 :00] que le chagrin la déguise, elle-même avec elle-même.

Si vous me suivez un peu, je prends de l’avance sur mon hypothèse. Si c’était ça, on aurait un acquis qui me paraît là très, très considérable, à savoir, dans ce processus, il y aurait nécessairement passage d’un avant à un après. Il y aurait passage d’un avant à un après. Là je ne m’explique pas encore très bien ; je voudrais que vous le sentiez vaguement. [102 :00] C’est-à-dire, une limite est atteinte ou franchie. Il y a l’avant et l’après. Une limite est atteinte ou franchie. Une suite d’attitudes quotidiennes atteigne ou franchissent la limite de la théâtralisation, de la cérémonisation. Il y a dès lors une flèche, c’est un vecteur. Il y a un avant et un après. Il y a un avant et un après.

Mais vous me direz : mais c’est très banal, ça. Oh, mais pas du tout. Mais alors là, pas du tout. Pourquoi ? Parce que c’est un avant et un après sériel. C’est un avant et un après sériel. Qu’est-ce que ça veut dire ça, un avant et un après sériel ? Surtout qu’il ne faut pas les confondre avec l’avant et l’après d’un temps chronologique. C’est formidable [103 :00] ce qu’on est en train de faire. Saisissez. Enfin formidable… [Deleuze rigole] Mais moi, je trouve ça parfait. On est en train d’arracher l’avant et l’après au temps chronologique.

Il y a un avant et un après conformément au temps chronologique. C’est quoi ? Je l’appellerai : le cours du temps. Le cours du temps, c’est la détermination de l’avant et de l’après suivant le temps chronologique. Mais il y a aussi un tout autre avant et après. C’est l’avant et l’après non plus du cours du temps, mais de la série du temps, [Pause] et cet avant et cet après, cette fois, se définissent comment ? [104 :00] Lorsqu’une suite est vectorisée, donc tend vers une limite, qui va définir l’avant et l’après.

Exemple : peut-être parce que c’est l’exemple fondamental, la mise en scène de la vie quotidienne, la mise en scène des attitudes quotidiennes, au sens où elle nous donne cette limite. On passe, on passe, insensiblement, des attitudes au gestus [Pause] qui les, quoi ? Qui les relie, [105 :00] mais qui les relie par après, une fois qu’il est là, c’est-à-dire au gestus qui les ré-enchaîne. Il y a un avant et un après sériel qui ne peut pas se confondre avec l’avant et l’après chronologique. Je dirais, bon, on est déjà loin de — on va retrouver, il faut y aller très doucement là… parce que, ça permettrait de pouvoir dire quelque chose sur l’image-temps justement que je n’avais pas l’année dernière, que je ne tenais pas — pour le moment, on en est juste là : cette idée de l’opération par laquelle on se déguise de soi-même, et en quoi cette opération nous lance dans une espèce de temps vectorisé, de mise en scène, de théâtralisation, par laquelle on passe des attitudes au gestus. [106 :00] Mais on ne passe pas des attitudes au gestus, sans passer d’un avant à un après, mais un avant et un après qui appartiennent à la série du temps et non plus au cours du temps. Bon, ça, il va falloir le… ceux qui ne comprennent pas, ils ne doivent pas beaucoup se troubler.

Je veux dire encore une fois, je veux dire, ce n’est pas comme chez [Jean] Renoir : la vie, le théâtre. Je ne veux pas dire que chez Renoir, ça soit insuffisant. Je veux dire que chez Renoir, c’est un tout autre problème. Là, ce n’est pas du tout ce problème, ce n’est pas la vie, le théâtre. Ce n’est pas où commence l’un, où finit l’autre. Ce n’est pas ça du tout. C’est le procès de théâtralisation qui va ré-enchaîner les attitudes une fois qu’il est atteint. Donc, un avant et un après sériel, qui ne se confondent pas avec l’avant et l’après chronologique. [107 :00]

Vous me direz, bon, eh bien, supposons ça. On oublie pour le moment l’histoire, on reviendra à ça, hein, et on reviendra au photogramme. Mais c’est ça qu’il faut, c’est ça qu’il faut préciser. Où le saisir ? Comment le saisir ? Comment le saisir dans le cinéma ? Je ne m’occupe plus du photogramme pour le moment ; je ne m’occupe pas du photogramme encore, je ne m’occupe pas, je me suis appuyé sur sens obvie, obtus, sens obvie, sens obtus ; je ne peux pas aller plus loin. Ce qui m’intéresse maintenant, c’est ce passage, ce passage sériel qui n’est pas un passage chronologique. Comment on va le repérer ce passage ? Cette limite. Ce passage, ou cette limite, comment on va le repérer ? Comment on va redistribuer l’avant et l’après ? [Pause] En d’autres termes, comment on va distribuer l’avant et l’après, ça revient à dire à nouveau : qu’est-ce que veut bien vouloir dire : se déguiser [108 :00] de soi-même ?… [Interruption de l’enregistrement] [1 :48 :03]

 

Partie 3

… Eh ben, je vais vous le dire, ce que ça veut dire se déguiser de soi-même, ou vous donner une première réponse. Il faut, pour que ce soit le plus clair possible : se déguiser de soi-même, ça veut dire fabuler. Ça ne veut pas dire mentir. Supposons… Ça veut dire fabuler. Ça veut dire : faire légende. Ça veut dire : être pris en flagrant délit. Flagrant délit de quoi, de mensonge ? Non. Être pris en flagrant délit, c’est ça la limite, c’est ça le passage. Être pris en flagrant délit de théâtralisation, [109 :00] être pris en flagrant délit de cérémonisation, être pris en flagrant délit de fabulation. Alors c’est ça qui définirait le moment d’avant et le moment d’après. Vous allez me dire, est-ce que c’est tellement important ? Est-ce que ça suffit, un exemple aussi, aussi, aussi puéril ? Est-ce que ça suffit vraiment pour distinguer un avant et un après sériel ? Eh ben, peut-être bien que oui.

Je fais un saut dans un cinéaste qui n’a rien à voir : Pierre Perrault, le grand cinéaste, un des grands cinéastes du Québec. Qu’est-ce que dit Pierre Perrault ? Il fait un cinéma qu’il appelle lui-même — il dit, moi je n’aime pas bien l’expression « cinéma direct ». On va voir. [110 :00] On va voir. Tout ça, on est relancé alors dans un type de problème presque inattendu à partir… mais on ne fait pas exprès. Pas le cinéma direct, je n’aime pas ça. Moi je préfère appeler ce que je fais, dit-il, « cinéma du vécu ». Bon, mais comment il définit « cinéma du vécu » ? Pas de fiction, pas de fiction préétablie. Ça veut dire quoi alors ? Il va faire du vécu. Il va prendre ses Canadiens là, ses Québécois et puis, et en effet, il a fait des films-reportages. Mais très vite, le reportage, rien du tout. Il rompt avec le reportage. Et sans doute, dès le début, ses reportages étaient autre chose que des reportages. [Sur le « cinéma du vécu » et la « fonction de fabulation », voir L’Image-temps, pp. 195-197]

Pourquoi est-ce qu’il rompt avec toute fiction ? Il donne une réponse très simple il dit, moi, ce qui m’intéresse c’est quand mon… [Interruption de l’enregistrement] [1 :41 :00]

… personnage. Bon, ça commence à se préciser parce que c’est une drôle d’idée. Immédiatement notre réaction, c’est, alors quelle importance ? Que la fiction vienne du personnage ou du cinéaste lui-même, quelle différence ? Et en effet, dans un très curieux dialogue de sourds — puisqu’il n’y a jamais de dialogue de sourds — le cinéaste français René Allio et le cinéaste québécois Pierre Perrault parlent sur leurs problèmes qu’ils estiment, bien d’accord d’ailleurs, être le problème commun. Et Allio dit, à Perrault, moi je ne vois pas ce que tu veux dire. — Voyez ce n’est pas le seul. — Je ne vois pas ce que tu veux dire : je ne vois pas de différence entre une fiction que moi, auteur je fais et dans lequel je fais entrer des personnages authentiques, [112 :00] et toi qui veux des personnages réels authentiques, vécus, et qui veux les faire fictionner. [Voir L’Image-temps, p. 195, note 30, où Deleuze donne la référence aux entretiens entre Perrault et Allio, Écritures de Pierre Perrault : actes du colloque ‘Gens de parole’ 24-28 mars 1982 (Paris: Edilig, 1983), pp. 54-56)]

Et Allio va jusqu’à dire, et pourquoi que la fiction d’un pauvre indien serait meilleure que la mienne ? Ce qui intéresse Perrault, c’est le moment où l’indien se met à fictionner. Allio répond, et si je faisais, moi, une fiction, pourquoi qu’elle serait moins bonne que celle du pauvre indien ? Pourquoi est-ce qu’il faut que ce ne soit pas toi qui fictionnes mais que tu prennes un personnage réel et que tu le pousses jusqu’au moment où il fictionne ? — Voyez, c’est tout notre problème qui est engagé là. — Et Perrault lui répond très, très gentiment mais très poliment, et à la manière des Québécois, tu ne comprends rien, tu ne comprends rien. Tu ne vois [113 :00] pas la différence entre ta fiction à toi et la fiction de l’indien ; et la fiction de l’indien, tu ne la vois pas. Allio dit, non je ne comprends pas, je ne comprends pas.

Et Perrault dit, voilà, c’est que quand l’indien se met à fictionner, c’est au nom de ce qu’il appelle, Perrault, une « mémoire fabuleuse ». Voyez, fabulation, fabuleux, là il faut le prendre au sens de fonction de fabulation. C’est au nom d’une mémoire fabuleuse, c’est-à-dire, c’est dans son rapport avec son peuple. Pourquoi est-ce que le rapport avec le peuple passe par la fiction, cette fois-ci, par la fiction du pauvre indien ? En d’autres termes, Perrault, il est en train de dégager une fonction, une idée formidable, la fabulation [114 :00] comme fonction des pauvres, la fabulation comme fonction de l’opprimé, la légende comme fonction de l’opprimé.

Et c’est normal ; il est écrasé par l’histoire. Écrasé par l’histoire, il déchaîne la fonction fabulatrice. La fabulation, c’est quoi ? C’est l’appel à son peuple. Tandis que la fonction du cinéaste, dit Perrault, va de faire voir, la fonction du cinéaste… le cinéaste par nature, c’est quelqu’un de cultivé. Pas tellement d’ailleurs… mais si peu qu’il le soit, il l’est encore. C’est quelqu’un de cultivé. En d’autres termes, dit Perrault — et les termes de Perrault sont splendides — il parle au nom d’un peuple colonisateur. Par nature, il parle au nom d’un peuple colonisateur, le cinéaste. Et Perrault dit, même moi, même moi, qui suis un pauvre Québécois, si c’est moi qu’invente la fiction, [115 :00] vous verrez, s’y glisseront toujours les idées dominantes, c’est-à-dire les idées du peuple colonisateur.

Donc il faut que le cinéaste, même si le cinéaste est originaire du pays, même s’il est Québécois, il faut que le cinéaste pour faire création — c’est une véritable création — amène les personnages réels, c’est-à-dire les pauvres, les opprimés, non pas à dire leur vérité, mais à faire légende, la mémoire fabuleuse. Pourquoi ? Parce que en tant qu’opprimés, ils ont perdu le peuple. Le peuple a disparu, le peuple manque. [Pause] Inventer un peuple qui pourtant existe, dit Perrault, inventer un peuple qui pourtant existe. [116 :00] Ça vaut pour les Palestiniens, ça vaut pour les Canaques, aujourd’hui, ça vaut pour les Québécois.

Ce peuple existe, oui, mais il existe hors de l’histoire, il existe hors du vécu. Il existe où alors ? Il existe, pour autant qu’il faut l’inventer, les deux à la fois. Comment l’inventera-t-on ? La mémoire fabuleuse. Ici il n’y a pas d’histoire, l’histoire est toujours celle du colonisateur. La mémoire fabuleuse, c’est-à-dire il devient essentiel qu’il n’y ait pas de fiction préalable, mais que l’on passe, de manière insensible, du personnage quotidien vécu comme opprimé à la fonction de fabulation. [Pause] [117 :00] On passe du pauvre indien à son fictionnement, à son activité de faire fiction, de faire légende, et c’est dans son activité de faire légende que se fait le ré-enchaînement avec le peuple, le ré-enchaînement avec son peuple, dans un cas où il n’y a jamais eu d’enchaînement au préalable, parce que c’était un peuple écrasé.

Si c’est bien ça que dit Perrault, il apporte quelque chose de très important dans notre histoire. Voyez, ce passage où on est déguisé de soi-même, de la même manière, le personnage va faire fiction de soi-même. Il ne s’intègre pas dans une fiction préalable. Je vous lis le texte splendide de Perrault, là, le cours passage entre Allio et Perrault. [118 :00] Allio : « la fiction … qui consiste à raconter des histoires qu’on invente, a autant de sens si c’est toi qui inventes ou si celui qui invente est un personnage vrai du film » — voyez, il dit quelle différence ? Alors Perrault ne dit pas sûr, pas sûr — « si l’indien raconte une légende, il se retrouve en état de légender, en flagrant délit de légender. Tandis que la légende proposée comme récit de ce qui est arrivé ne se départage pas du vécu. »

Voyez sous le nom de « cinéma du vécu », Perrault se réclame d’un partage du vécu et de la fiction. Mais il ne s’agit [119 :00] pas d’un partage du vécu et de la fiction tel que il y aurait du vécu et de la fiction. Il s’agit d’un partage tel que, au contraire, le personnage va passer suivant une vectorisation de son vécu à sa fonction fabulatrice, sa mémoire fabuleuse, par quoi il invente en le retrouvant un rapport avec son peuple. Et j’ai exactement la figure de tout à l’heure, il y a un avant et un après, ils se retrouvent. Si l’indien raconte une légende… qu’on me le montre d’abord là, racontant pas de légende. Il traîne sa vie. Et puis, petit à petit, et c’est très subtil dans le cinéma de Perrault, ils se mettent entre eux à raconter une légende. [120 :00] Il y a un avant et un après ; on est passé d’un élément à l’autre. Il y a eu un fictionnement qui est l’équivalent de ce que j’appelais tout à l’heure théâtralisation. Une suite d’attitudes vécues s’est réfléchie dans un fictionnement, dans une fonction fabulatrice. Il y a un avant et un après ; cet avant et un après ne sont pas chronologiques. Ils ne renvoient pas au cours du temps, ils sont sériels, ils renvoient à une série du temps. [Sur cette « fonction », voir L’Image-Temps, p. 290, note 49]

Une série du temps n’a rien à voir avec un cours du temps. La série du temps n’est pas chronologique, et pourtant c’est ça, c’est ça le pseudo-paradoxe auquel je tiens beaucoup et que j’ai raté l’année dernière, et pourtant il y a un avant et un après, et un avant et [121 :00] un après de la série sans que cet avant et cet après doivent se comprendre de manière chronologique.

Reposons. Reposons. Alors, il me faut vraiment alors, soyez gentils… il y en a trois d’entre vous incapables de mensonges. Tiens, toi, hein ? [Rires] Tu vas, tu vas aller prendre un café, hein ? Là-bas, tu vas prendre un café en courant parce que on n’a pas beaucoup de temps. Tu cours, hein ? Tu cours très fort. Tu prends ton café; si la machine est détraquée, tu ne t’arrêtes pas, et tu vas au secrétariat. Et alors si tu as la gentillesse, s’il y a Zouzi, Zouzi, tu vois qui c’est ? Tu lui passes hein ? Un autre, j’en voudrais un autre qui fasse pareil, hein, soyez gentils, hein ? [Interruption de l’enregistrement] [2 :01 :57]

[122 :00] Les… non pas les vacances, mais la méditation inter-semestrielle [Rires] va du 9 au 25. Ça fait quinze jours, deux semaines ? Hein ? Du 9 au 25, donc c’est notre dernière séance. Donc il faut tomber sur un point facile à se rappeler, ça va être le diable, ça. Donc nous allons raccourcir cette dernière séance. Haaa. [Pause] C’est le, c’est un quoi le 25 ?

Un étudiant :   Lundi.

Deleuze : Eh c’est un lundi ? Tiens ! [Rires] … Attendez on est quel jour-là ? Attendez, est-ce que je lis… oui c’est peut-être 27. [Rires] Bon, ben non, alors, c’est un lundi le 25. Alors c’est [123 :00] le 26, quoi, c’est le 26. Bon…

Oui j’insiste parce que ça me paraît, en tous cas pour moi, c’est important ça. Voyez qu’on est en plein uniquement dans la première question, hein ? Pour le moment, on a complètement laissé tomber l’histoire photogramme et tout ça. Mais donc, je m’intéresse uniquement à ceci : dans cette histoire du cinéma, mal dit, « direct »…

Georges Comtesse : Je voudrais vous poser une question.

Deleuze : Oui… il faut fermer la porte.

Comtesse : A partir de ce qu’a dit Raymonde Carasco sur ce qui pourrait, ce qui pourrait dans le cinéma — ce qui n’a pas été très, très bien précisé — ce qui pourrait déborder l’image-temps et l’image-mouvement, [124 :00] je voudrais prendre simplement quelque chose qui n’appartient pas forcément au cinéma et qui pourrait être traduit, qui a été peut-être traduit au cinéma. Je voudrais parler simplement, pour vous faire sentir peut-être ce qui pourrait déborder justement simplement l’image-temps, je voudrais parler du plus grand défenseur, du défenseur le plus obstiné, ou bien, le gardien le plus acharné de l’ordre du temps, pas de son mode, de son cours, mais de son ordre des séries. Je voudrais parler du névrosé obsessionnel, et surtout, lorsque le névrosé obsessionnel, [125 :00] il est traversé, lui, le gardien de l’ordre du temps, le plus farouche, lorsqu’il est traversé par certains événements littéralement immaîtrisables, par exemple, l’événement d’une tension extrême, d’un conflit qui fait rage en lui, d’une agitation, d’une fièvre, d’un trouble, d’un vertige, d’un trouble vertigineux, c’est-à-dire cet événement ou cette série d’événements où littéralement il est affronté ou confronté à l’étranger en lui le plus obscur ; lorsqu’il est [126 :00] assiégé, assailli, agressé même par l’étranger en lui.

Il me semble que cette série d’événements ne peut plus, littéralement, se réinscrire dans l’ordre du temps dont il est le défenseur. S’il le fait, mais nécessairement il le fera presque toujours, mais presque, si il le fait, ça définit littéralement l’imposture obsessionnelle. Si à l’intérieur de cette imposture il se met à élaborer une théorie philosophique du temps pour justifier l’ordre du temps ou bien trouver un temps ou imaginer qu’il y a un temps avant l’étranger, que l’étranger est une fonction du temps, alors, ce n’est plus simplement l’imposture obsessionnelle à laquelle on a à faire. Dans sa théorie philosophique, c’est la fabulation [127 :00] de l’imposture. C’est tout ce que j’avais à dire.

Deleuze : Si je comprends bien, c’est pour moi, c’est moi qui fais tout ça. Ho ho. Non ce n’est pas moi ? J’ai cru me reconnaître. [Rires]

Comtesse : Ce n’est pas quelque chose qui est nécessairement assignable. Je peux parler de gens que je connais, c’est tout. C’est tout !

Deleuze : Ah oui ! [Rires, y compris Deleuze]

Comtesse : Loin de moi d’avoir l’intention malveillante de vous inclure dedans !

Deleuze : Non non, non non, mais… de toute manière, je ne pourrais pas rentrer là-dedans n’étant pas, n’étant pas névrosé obsessionnel. Et donc je sortais de la catégorie de l’imposture et de la fabulation de l’imposture, à moins je ne dois pas être névrosé obsessionnel. Aussi c’est peut-être Raymonde… ben oui, moi je retiens, je préfère retenir d’une manière [128 :00] plus neutre de ce que tu dis, la possibilité que l’on pourrait faire, comme ça a été fait d’une manière très intéressante, des formes psychiatriques de temporalité en fonction de tout ça. Mais en effet, d’après ce que tu dis, toi tu ne serais pas tellement pour. Bon ben, écoute, je reste incertain ; je sens qu’il vaut mieux ne pas… il vaut mieux glisser. J’enregistre ta remarque, mais en effet, comme tu dis, il faut lui laisser son, son… bien !

De toute manière, ce problème, on le retrouvera moins au niveau de la psychiatrie, pour moi, que au niveau de la politique, lorsque on aura à s’occuper, dans le second semestre, des rapports cinéma-politique par rapport à la pensée, où là vous sentez que, en effet, lorsque Pierre Perrault estime faire un cinéma politique, ben oui. Et à mon avis, ce dont on est en train de parler, [129 :00] c’est ce qui fait la grande différence fondamentale entre le cinéma politique « ancienne manière », sans aucun sens péjoratif, c’est-à-dire des grands Soviétiques, et le cinéma politique moderne. Ça, c’est toute cette histoire que le rapport avec le peuple ne peut passer que par la fabulation, que par la fonction de légende, puisque le rapport avec le peuple, c’est avec des peuples minoritaires, contrairement à ce qui se passe dans le cinéma politique dit classique. En d’autres termes, c’est une manière de répondre à une question : en quel sens le cinéma politique aujourd’hui est-il passé dans le tiers-monde ? Quelle que soit l’importance dans le cinéma politique des trois grands auteurs, des trois plus grands européens, il me semble, Godard, Resnais et Straub, c’est, il m’apparaît certain que le…

Un étudiant : Qui c’est le premier ?

Deleuze : Godard ! [Rires, y compris Deleuze] [130 :00] Il me paraît évident que la source vivante du cinéma politique est en effet dans le tiers-monde, et que ce n’est pas par hasard parce qu’elle répond à un type nouveau du rapport avec le peuple et que c’est ça dont on est en train de parler en fonction de Pierre Perrault. Mais je redouble l’exemple pour que… et pourtant dans des conditions très différentes.

Je prends l’exemple dont on avait à peine parlé, il me semble, l’année dernière ou une autre fois — ou même pas du tout parler… enfin je ne sais plus — l’exemple de Jean Rouch, puisque lui aussi est comparable à Perrault. [Sur Rouch à ce propos, voir L’Image-Temps, pp. 197-201] En quel sens ? Lui aussi récuse l’expression « cinéma direct », passe pour en faire, à certain moment, à ses tout débuts en a peut-être fait, tout comme Perrault [131 :00] faisait des enquêtes, bon. Mais, qu’est-ce qui est important là aussi chez Rouch ? Voyez, c’est là aussi, le moment, ou la limite — le moment c’est une épaisseur de temps, hein ? C’est une véritable épaisseur de temps. Ce n’est pas un moment-instant, pas du tout un instant — c’est le moment où le personnage se met à fabuler. Et c’est ça, et c’est à ça que vous reconnaissez les grands films de Rouch, exactement comme vous reconnaissez les grands films de Perrault, au moment où la famille québécoise, généralement dans l’œuvre de Perrault les Tremblay, la famille Tremblay, qu’il n’a pas cessé de filmer, les Tremblay se mettent à fabuler, ou l’indien se met à fabuler. Bon.

Chez Rouch, qu’est-ce qui [132 :00] se passe ? C’est quand l’Africain se met à fabuler, quand l’Africain se met à faire légende. Et, ce qu’il saisit, c’est exactement… — c’est pour ça que c’est une manière peut-être de rendre plus clair à force de répéter — c’est une suite d’attitudes qui va se réfléchir dans un gestus. Le gestus, c’est la fabulation, c’est la fonction fabulatrice. Et c’est par l’intermédiaire de la fonction fabulatrice que le Noir, que le Noir africain, va retrouver et réinventer son rapport avec son peuple.

Et là donc, à cet égard, et quoi qu’il y ait des différences évidentes entre Perrault et Rouch, pour moi, leur conception du cinéma est fondamentalement… est fondamentalement la même. Et on le voit, dès les premiers grands films de Rouch. Dans Les maîtres fous [1955], qu’est-ce qu’il [133 :00] s’agit de montrer ? Dans Les maîtres fous qui est le premier film typique de Rouch ou un des premiers, il s’agit de montrer ceci, c’est des Noirs qui vont prendre des fonctions — comment dire ? — des fonctions… mythiques — je vais vite, j’emploie n’importe quel mot — des fonctions mythiques, des fonctions sacrificielles, des fonctions, des fonctions théogoniques etc. Mais ils sont montrés d’abord dans leur activité quotidienne : l’un est balayeur, l’autre ceci, l’autre cela, et on assiste au passage des attitudes quotidiennes à cette fabulation, à cette cérémonisation, [134 :00] à cette théâtralisation des attitudes qui passent dans un nouvel élément, c’est-à-dire on passe des attitudes au gestus. Le Noir se met, l’Africain se met à fictionner. Le balayeur de rue, le tôlier, le ferblantier n’importe quoi là, ils se mettent… l’employé des postes… il se met à fictionner.

Et ce qu’il s’agit de saisir pour Rouch — pas du tout comme un instant, qui serait une espèce d’instant privilégié — c’est le processus temporel qui n’est plus un processus, là ça devient évident, ça n’est pas le cours du temps, puisque après la cérémonie, les maîtres fous se retrouveront, l’un balayeur, l’autre employé des PTT, etc. Il s’agit de tout à fait autre chose, instaurer un avant et un après, qui est celui de la série du temps et pas celui du cours [135 :00] du temps, à savoir les attitudes quotidiennes, qui tendent vers leur gestualisation qui retombe en attitude pour redonner de la gestualisation, etc. Et c’est ça, c’est ça, si vous voulez, les attitudes, le discours qui leur correspond, de nouvelles attitudes, un nouveau discours qui leur correspond, l’un se réfléchissant dans l’autre et fondant la distinction d’un avant et d’un après dans la série du temps, un avant et un après qui ne sont plus chronologiques. Je ne peux pas dire, le Noir était chronologiquement d’abord balayeur avant d’exercer sa fonction dans la mise en scène mythique. Non, ce n’est pas du chronologique. C’est plutôt que l’un est un avant sériel, l’autre un après sériel, et que c’est dans la série du temps [136 :00] que se fait la distinction de l’avant et de l’après.

Autre exemple plus connu — puisque c’est un des films de Rouch le plus connu – Moi, un Noir [1958], où cette fois, ça va être la démarche inverse. C’est à travers leurs fabulations que leurs attitudes réelles vont être saisie, vont être saisies. Le chômeur d’Abidjan qui s’identifie — mais « identifié » est un mauvais mot — qui se fabule comme agent fédéral, Lemmy Caution, la petite prostituée qui se fabule comme Dorothy Lamour, actrice hollywoodienne, le passage, le retour à leur situation réelle de chômeur et de prostituée, la manière dont ils jugent eux-mêmes [137 :00] la fabulation à laquelle ils se livrent, etc. C’est ce passage sériel de l’avant à l’après, de l’après à l’avant qui va constituer la série du temps.

Dans Jaguar [1967], c’est la même chose. Dans Jaguar, les trois Noirs partent, et dès qu’ils partent, ils commencent à faire légende, ils se distribuent les rôles, et à travers un voyage, cette fois-ci, il y a presque superposition des deux, des attitudes quotidiennes et de la fabulation, puisque à chaque épisode très plat et très quotidien de leur voyage, ils dressent une fonction de fabulation. Par exemple, l’inoubliable visite des Noirs auprès des « féticheux », si vous vous rappelez, pour ceux qui ont vu Jaguar, la traversée de la frontière, la découverte de l’argent, avec chaque fois, un [138 :00] « faire légende ». Quand est-ce que le « faire légende » apparaît ? Par exemple, il apparaît déjà oralement lorsque celui qui travaille dans la mine dit, explique à ses copains tout étonnés, il dit : l’argent, eh ben, tu comprends à quoi ça sert, eh ben, voilà, on en met — je crois c’est une mine d’or je sais plus — on en fait des tas — et en même temps, la caméra montre des tas — on en fait des tas, et puis on enferme les tas et puis voilà, alors on enferme les tas.

Ça devient une espèce d’activité fabulatrice formidable… et puis, et puis dans Jaguar, aussi lorsqu’ils inventent leur petit commerce de mercerie de bonneterie, c’est vraiment l’attitude quotidienne, il y a le « faire légende », le faire légende qui est quoi ? La formule épatante qu’invente l’un des trois — ça y est, j’ai évidemment [139 :00] oublié la formule inoubliable,

Une étudiante : [Elle lui rappelle la phrase]

Deleuze : oui ? – « petit à petit l’oiseau fait son bonnet ; petit à petit », s’il aurait dit « petit à petit l’oiseau fait son nid », sans intérêt. Ça ne fait pas légende ça, ou plutôt, c’est de la légende préétablie, c’est de la légende toute faite. Non, il a le coup de génie : « petit à petit, l’oiseau fait son bonnet » … tiens, c’est curieux ça ne vous fait pas rire ? C’est très… moi je n’ai jamais pu entendre cette formule « petit à petit l’oiseau fait son domaine » sans être saisi d’une joie intense… bien ! [Dans L’Image-temps, pp. 197-198, Deleuze présente cette phrase ainsi : « l’invention de leur petit commerce sous un titre qui remplace une formule toute faite par une figure apte à faire légende : ‘petit à petit l’oiseau fait… son bonnet’ »]

Et enfin si vous prenez le dernier Rouch, et là je n’ai lu qu’un compte-rendu, il n’est pas encore sorti à Paris, mais ça à l’air d’une merveille là, Dionysos [1983], où là donc c’est, c’est la grande synthèse de Rouch, où les dimensions de l’avant et de l’après et le passage de l’attitude quotidienne à faire légende, est décuplée parce qu’en plus, elle serait multipliée par un emploi de la musique peu ordinaire chez Rouch, enfin je dirais que c’est exactement le même cas, [140 :00] à quelque différence près ?

Et pourquoi est-ce que Rouch fait partie d’un cinéma politique et en même temps, comme on dit, comme les Africains lui ont parfois reproché, il est quand même issu des colonisateurs ? Donc ce n’est pas, on ne peut pas dire que ce soit un cinéma africain, mais ce qui le fait être un auteur politique, c’est quoi ? C’est que dans le cas, dans le cas de Perrault, tout est simple, ou dans le cas des cinéastes africains, tout est simple. Il s’agit, en effet, de réinventer un peuple qui existe déjà. C’est très simple. Le leur. Réinventer mon peuple qui existe déjà, ça c’est la formule du tiers-monde, c’est la formule de toutes les minorités, de tous les peuples minoritaires. Et en effet, il faut le réinventer puisqu’il existe déjà des corps, mais il existe comme écrasé, comme opprimé. Donc réinventer un peuple qui existe déjà, [141 :00] et seconde formule, on ne peut le réinventer que par la fonction de fabulation, par le « faire légende ».

Voyez comment ça rejoint la geste, hein ? [Comme nous l’avons signalé dans la séance précédente, cet emploi du féminin rapproche ce mot aux chansons de geste] C’est ce « faire légende », la geste, le gestus. Le cas de Rouch, qui évidemment est plus complexe, mais a son équivalence, c’est que Rouch a de toute évidence une telle haine ou un tel mépris ou un tel malaise de la civilisation qui est la sienne que, bon, pour lui, il ne s’agit pas de réinventer un peuple qui n’existe pas, il s’agit — un peuple colonisé qui n’existe pas encore ou qui, ou qui existe déjà, il faut le réinventer etc. — il s’agit de fuir le peuple colonisateur dont il fait partie. Et il ne peut le fuir que par l’intercession de l’Afrique, que par l’intercession des Noirs qu’il va filmer, qu’il va filmer dans leur fonction de fabulation.

Et c’est pour ça qu’il ne peut pas y substituer — contrairement à ce que [142 :00] croit Allio — qu’il ne peut absolument pas y substituer une fiction, et que quand dans notre cinéma européen, le faux cinéma politique fait une fiction, même si elle se rattache à des événements vécus, ce n’est pas du cinéma politique, c’est perdu d’avance. Parce que c’est une formule qui valait, qui valait… avant, avant la guerre, c’est une formule qui valait avant la guerre, c’est-à-dire c’est une formule qui valait particulièrement pour les Soviétiques au moment de leur révolution, c’est-à-dire quand ils avaient tout lieu de croire qu’un peuple faisait sa révolution, un peuple qui n’avait pas disparu, c’était la naissance d’un peuple tout comme les Américains filmaient la naissance d’une nation. Mais dans la mesure où cette base classique du cinéma politique s’est écroulée, ça se pose tout à fait autrement maintenant. Donc, voilà. Donc on a ce premier schéma. [143 :00]

Mais alors, vous comprenez qu’en dehors même… donc, pourquoi est-ce que Rouch appelle son cinéma « cinéma vérité » plutôt que « cinéma direct », voyez qu’ils n’ont aucune raison d’appeler ça du « cinéma direct ». Ils refuseront tous le mot « cinéma direct ». Peut-être qu’ils auront commencé par du « cinéma direct », mais ensuite ils l’auront dépassé infiniment, puisque ce qui les intéresse, c’est filmer le moment de la fabulation qui distribue dans la série du temps un avant et un après. Ce n’est pas du tout du direct ça. C’est du cinéma que je dirais : cinéma d’attitudes et de gestus, alors que Perrault appelle ça « cinéma vécu ». Du vécu, c’est encore très ambigu et la meilleure formule, c’est évidemment celle de Rouch : « cinéma vérité », cinéma vérité qui, encore une fois, comme l’a dit dix fois, cent fois Rouch, n’a jamais signifié « cinéma de la vérité » puisque, au contraire, c’est la fonction de fabulation à l’état pur, [144 :00] mais, signifie « vérité du cinéma », et la vérité du cinéma, elle consiste précisément dans cette opération qu’on est en train d’analyser selon Rouch.

Alors un pas de plus pour en finir. Je n’ai plus besoin même de me mettre dans la situation spéciale d’un cinéma politique. Ça peut valoir pour… même dans un cinéma d’apparence fictive, où il y aurait intrigue — et c’est ce qu’on a vu, c’est ce qu’on a vu avec, c’est ce qu’on a vu avec la Nouvelle Vague, et c’est ce qu’on a vu avec les séries de Godard — qu’est-ce qui se passe ? Vous pouvez avoir un semblant d’intrigue. Vous n’êtes pas forcés de partir d’attitudes réelles de personnages québécois, de personnages africains, etc. Vous prenez des personnages, bon, avec un minimum d’intrigue donnée, par exemple Pierrot le fou dans Godard, quoi, [145 :00] l’héroïne de Une femme est une femme, bon.

Mais ce qui importe, c’est, vous allez faire votre opération qui, à mon avis, dérive de ce cinéma mal dit « direct ». Encore une fois, ce que Godard doit à Rouch, moi, ça me paraît immense. Godard l’a, l’a toujours dit. Qu’est-ce que vous allez faire ? Eh ben, pour obtenir un effet semblable à celui que nous venons d’analyser, vous faites un cinéma d’attitudes : ça n’est ni du vécu, ni de l’action. Vous faites un cinéma d’attitudes. Ces attitudes, précisément pour les dégager comme attitudes quotidiennes, c’est les attitudes quotidiennes de la Nouvelle Vague. On va partir d’une série d’attitudes quotidiennes de la Nouvelle Vague.

Bon, à la limite même des attitudes quelconques [146 :00] — rappelez-vous… je mélange tout parce qu’on n’a plus le temps — pensez à [Yasujiro] Ozu. Ozu, il dit : pour commencer un film, qu’est-ce que je demande ? Voir vaguement la silhouette des personnages et une conversation quelconque, et tout part de là, une conversation quelconque complètement quotidienne entre une vague tête qu’ils ont et une conversation quelconque, bon, et tout part de là. Alors, dans le cas de… vous prenez des attitudes quotidiennes, il faut que vous ayez une idée, il ne faut pas que vous, que… il faut qu’elles s’imposent pour vous. Vous n’avez pas d’histoire, ou l’histoire, elle naîtra des attitudes. Elle naîtra des attitudes. Et puis, vous les faites tendre vers une geste. [147 :00] Vous les vectorisez sur, en direction d’une geste, c’est-à-dire de ce déguisement de soi-même. Pas d’un déguisement qui serait autre chose, mais ce processus de déguisement de soi-même ou, ce qui revient au même, ce processus de fabulation. Et vous obtenez votre série, [Pause] vous obtenez votre série qui va de l’attitude au gestus.

Alors chez Godard, ça va donner, en effet, bon, la théâtralisation, par exemple, la théâtralisation [148 :00] des attitudes quotidiennes dans Une femme est une femme. Dans Pierrot le fou, bon, ça donnera le passage au poème chanté, à la balade, ou au théâtre, ou à la scène de théâtre improvisée. Dans tout ça, vous avez exactement le même passage, de l’attitude à la mise en scène en acte, à la mise en scène de l’attitude quotidienne, c’est-à-dire au gestus qui va ré-enchaîner les attitudes et qui va vous lancer dans une autre, dans une autre suite d’attitudes.

Et alors à ce niveau, on l’a vu, il n’y a pas que Godard va se dessiner, il me semble, ce qui définit la Nouvelle Vague, l’après Nouvelle Vague, c’est-à-dire mais tout un cinéma qu’on doit et qu’on pourrait appeler maintenant « cinéma des [149 :00] attitudes et du gestus » [Pause] et, si vous voulez, qui transpose sur un autre plan ce qu’on vient de voir dans le cinéma politique de Perrault et de Rouch. Alors, si vous voulez, je considère que, pour bien fixer les choses — je n’ai pas fini ce point parce que… je l’achèverai ; vous voyez que c’est un point de notre programme du premier semestre puisque on avait lancé le thème du cinéma des corps et des attitudes, en rapport avec le gestus, là on est en train de remplir ce… — mais, c’est dans le cadre de notre première question, notre première question était : qu’est-ce c’est, en effet, que ces images qui sont comme une opération par laquelle quelqu’un se déguise de soi-même ? [150 :00] Et on l’a prolongée alors dans une direction, il me semble, très différente de celle de Barthes en répondant : eh ben, oui, c’est le moment où quelqu’un est pris en flagrant délit de fabuler, ou est pris en flagrant délit de légender, y compris dans la dimension politique fondamentale de cette activité.

Au point que je me dis… ah ben oui, à la rentrée il faudra dans notre souci de rapprocher les textes philosophiques, il y a un grand auteur, enfin qui nous est cher, Bergson. Dans son dernier livre, Les deux sources de la morale et de la religion [Paris : Alcan, 1932], Bergson consacre une importance énorme à quelque chose qu’il découvre, qu’il est le premier à définir ainsi, et qu’il appelle la « fonction fabulatrice ». Donc on aura sûrement à voir la Nouvelle Vague et l’après Nouvelle Vague, mais aussi [151 :00] le thème de la fonction fabulatrice, et voir s’il n’y a pas une fonction fabulatrice fondamentale dans le cinéma qui, à ce moment-là, serait complètement différente de la fonction fabulatrice des autres… des autres genres, précisément parce qu’elle se définirait par le passage de l’attitude au gestus et que ce serait ça la vraie fonction fabulatrice, en tous cas la fonction fabulatrice au cinéma. Voilà, je vous souhaite des vacances qui soient des vacances de travail. [Fin de la séance] [2: 31: 32]

 

Notes

For archival purposes, the three excellent transcripts by the Paris 8 team were corrected (given the difficulty of transcription due to the microphone placement) in June 2020. The augmented version of the complete transcription with time stamp was completed in September 2021. Additional revisions were added in February 2024 and in February 2025 and June 2025. The translation was completed in May 2o25, published in August 2025.

Lectures in this Seminar

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Reading Date: October 30, 1984
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Reading Date: November 6, 1984
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Reading Date: November 13, 1984
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Reading Date: November 20, 1984
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Reading Date: November 27, 1984
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Reading Date: December 11, 1984
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Reading Date: December 18, 1984
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Reading Date: January 8, 1985
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Reading Date: January 15, 1985
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Reading Date: January 22, 1985
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Reading Date: January 29, 1985
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Reading Date: February 5, 1985
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Reading Date: February 26, 1985
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Reading Date: March 5, 1985
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Reading Date: March 12, 1985
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Reading Date: March 19, 1985
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Reading Date: March 26, 1985
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Reading Date: April 16, 1985
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Reading Date: April 23, 1985
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Reading Date: April 30, 1985
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Reading Date: May 7, 1985
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Reading Date: May 14, 1985
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Reading Date: May 21, 1985
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Reading Date: May 28, 1985
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Reading Date: June 4, 1985
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Reading Date: June 18, 1985
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January 29, 1985

And what had been developed was therefore the idea that a series was a succession of images that were reflected in a genre or a category …. These categories were defined by their function, and what was their function? Well, it was that the succession of images that were reflected in them did not belong to them, did not belong to the genre or category. That is, the function of the genre or category was to be a limit of the succession of images and a very special type of limit since it was an irrational cut.

Seminar Introduction

As he starts the fourth year of his reflections on relations between cinema and philosophy, Deleuze explains that the method of thought has two aspects, temporal and spatial, presupposing an implicit image of thought, one that is variable, with history. He proposes the chronotope, as space-time, as the implicit image of thought, one riddled with philosophical cries, and that the problematic of this fourth seminar on cinema will be precisely the theme of “what is philosophy?’, undertaken from the perspective of this encounter between the image of thought and the cinematographic image.

For archival purposes, the English translations are based on the original transcripts from Paris 8, all of which have been revised with reference to the BNF recordings available thanks to Hidenobu Suzuki, and with the generous assistance of Marc Haas.

English Translation

Edited
Godard, Hail Mary
Jean-Luc Godard, First Name: Carmen (Prenom Carmen), 1983.

 

Deleuze studies the serial method in discussion with participants, situating the irrational cut in this structure, and distinguishing horizontal serial constructions from vertical ones (cf. Godard’s horizontal in Pierrot le fou, Vivre sa vie and Sauve qui peut (la vie); vertical in Passion and Prénom, Carmen; generalized vertial in Le Mépris). Deleuze then proposes a parallel between Hegel’s phenomenology and logic, on one hand, and figures of consciousness/series of images and concept moments/categories, on the other. Referring to figures of consciousness from a post-Hegelian philosopher, Eric Weil, Deleuze connects this analysis to an article by Serge Daney on Godard’s manner of employing discourse in his films, and introduces the concept of distinct forms of discourse, at once in philosophy and cinema, maintaining that attitude gives to the image a possibility of being serialized, while it is the gesture (geste or gestus) that endows something with categorical or coherent discursive value. On this, Deleuze cites four exemplary texts for discussion: first, reviewing the brief yet influential Brecht text “Music and gest”, Deleuze then comments on Barthes’s essay “Le troisième sens” (in L’Obvie et l’obtus) and finishes by presenting Raymonde Carasco’s essay, “L’image-cinéma qu’aimait Roland Barthes” (The cinema-image that Barthes loved), announcing the Carasco will participate in another “interview” in the next session. Deleuze comments that he not only cannot grasp Barthes’s key points, but that Carasco’s commentary on Barthes also eludes him, hence the next session’s discussion/interview. [Much of this development corresponds to The Time-Image, chapter 8.]

Gilles Deleuze

Seminar on Cinema and Thought, 1984-1985

Lecture 11, 29 January 1985 (Cinema Course 77)

Transcription: La voix de Deleuze, Sara Fababini; revised by Mélanie Pétrémont (Part 1) Catherine Gien Duthey (Part 2) and Morgane Marty (Part 3); additional revisions to the transcription and time stamp, Charles J. Stivale

Translation: Graeme Thomson & Silvia Maglioni

 

[At the beginning of this session students ask about the dates of the next sessions and Deleuze reminds them to fill in their registration papers]

… I don’t know, when does the term end? Do you know when…?

Hidenobu Suzuki: [Inaudible remarks]

Deleuze: Sorry?

Suzuki: [Inaudible remarks]

Student: [Inaudible remarks]

Deleuze: Yes… no?

Student: [Inaudible remarks]

Deleuze: What?

Student: I think there are two more sessions…

Deleuze: This one and the next one… yes, I think so.

Suzuki: I don’t think so…

Student: [Inaudible comments]

Deleuze: In any case, I’m sorry, but I need 15 days, because there’s… I won’t be in Paris on… but I think it’s 15 days.

Suzuki: That would be from the 15th [of February].

Deleuze: That would be from the 15th, which means we’ll have two more sessions, one today, and then another one.

Suzuki: No, three… three.

Deleuze: Three sessions?

Suzuki and other students: [Inaudible remarks]

Deleuze: It’s around the 10th. Yes, I’d heard that too. Well, we’ll find out. Actually, no… maybe you’re right. We have to find out, we have to find out. In any case, I need the little green forms. I really need them…

So… we’d arrived at this point, at this kind of method of constructing series, using [Jean-Luc] Godard as an example. And what we had developed was the idea that a series was a sequence of images reflected in a genre or category. And we saw that “genre” or “category” took on a wide variety of meanings. In the end, anything could serve as a category, which doesn’t mean it was completely indeterminate… it meant that these categories were defined by their function. And what was their function? Well, it was that the sequence of images that was reflected in them didn’t pertain to them, didn’t pertain to the genre or category in question. In other words, the function of the genre or category was to act as a limit to the sequence of images, and a limit of a very special kind, since it consisted in an irrational cut. And it was in this way that we had what I might call a categorial function, a category-function, since what served as a category formed part of neither the first nor the second sequence in whose interstice the cut was introduced.

So, at this point, I’d say… we had what I would call a horizontal construction, a construction of horizontal series through relinkage – and I continue to insist on this notion of relinkage because it’s essential for what I’m doing this year – with relinkage from one series to another, from one side of the cut to the other. All this should be crystal clear… well, fairly clear at least.

So, if I have to draw out a schema, I’d say, well… the horizontal construction of series is a sequence of images, you see, a first sequence of vectorized images – as we saw last time, there is in fact a vector – with the category as irrational cut, which will give rise to a second sequence of images that will itself tend towards another category, each time with… a relinkage across the irrational cut. And this relinkage is not and has never been a linkage and does not presuppose any primary linkage.

So, if I take the horizontal construction of the series in Sauve qui peut (la vie) [1979], I have… First category: the imaginary, which corresponds to a whole series of images linked to one character, the woman on the bicycle. The second category will be fear, linked to another character, the man. The third category is business, linked to the second woman. The fourth category is music… do you follow me? At the culmination of this horizontal construction, a problem emerges that from the beginning has been an undercurrent to all the series and that appears in the mode: Passion is not this. Which leads us to believe there is another category that these series couldn’t attain: that of passion.

I’ll take a simple example, a sequence of vectorized images that will result in the category theater. But in what form? We can see very clearly how this is a category in which the sequence of images is reflected: this theater isn’t at all like a [Jean] Renoir-type theater. It’s a very particular kind of theater since it’s a theatricalization acting as limit of the preceding sequence of images, as the limit of the series formed by the previous images. And the sequence of these previous images constitutes a series insofar as it is reflected in the category that acts as its limit, which is to say, theatricalization.

So, in this simpler case, we have, for instance, Pierrot le Fou [1965], where the improvised theatrical scene plays the role of a category in which the preceding series of images is reflected, and which does not pertain to this series, since, in fact, it appears in its own right, but it appears in its own right as an irrational cut. Or to take another example, Vivre sa vie [1962]… just as I said before regarding theatricalization, in Vivre sa vie, the category takes the form of Brice Parain speaking to the heroine, and this time, what we have is not a theatricalization of the previous images, it’s a philosophication, it’s an emergence of the category of language as the limit towards which Nana was tending in her wanting to know what speaking means. So, as before, we have our sequence of vectorized images that tend towards a category. The category is the limit of the sequence of images as an irrational cut, insofar as it is itself an irrational cut, that is, belonging neither to the first series nor to the second.

And this has to be very clear. If it’s not clear, I can start again. Because my question becomes… it’s quite clear, isn’t it? Nobody’s saying yes just to please me? It has to be very, very clear. So, before concluding this point, I would say – and here we’re reaching a first conclusion – I would ask, well… could we talk about an evolution in Godard’s cinema? It’s an interesting question. If you accept this idea of mine that, okay, it’s a serial method… it’s a serial method, so you see that we’re not at all talking about metaphors… we are not saying, well, yes, there is serial cinema in the same way as there is serial music. In fact, this is not at all a metaphor, since we’ve already indicated the cinematographic criteria for construction of series.

So, I would like to ask: is there an evolution in Godard’s cinema? I think there is. Is there someone speaking over there, it’s not that I have anything against it, it’s just that it bothers me. I’m hearing something as if there’s, I don’t know… unless I’m hallucinating, but I hear someone yakking. So, let’s look for where this evolution of series lies.

I think that more and more, when Godard came back to commercial cinema, after his long experimental-political period, when he came back to commercial cinema, he moved towards another mode of constructing series. And in terms of the horizontal construction of series, as I’ve just summarized, he substituted – can we say substituted? – or rather, he added a vertical construction. And this vertical construction… how does it differ? Let’s compare it with the previous diagram, which is a typical horizontal diagram. I’d say, you have a sequence of images – I’ll give you the abstract formula – you have a sequence of images, and the emergence of a category, which gives us another sequence of images, leading to the emergence of another category or, what amounts to the same thing, the passage to another category or to another aspect of the same category. Okay.

In a sense it’s the same, and yet in another sense it’s not. I mean, the big difference is that the category which, in the horizontal construction, was a narrow limit or a narrow irrational cut, now expands and begins to stand for itself. It expands and begins to stand for itself. In other words, if you remember the point we ended on last time, I’d say that the horizontal construction of the series all fell under a regulatory or reflecting use – to speak in Kantian terms – and that the vertical construction, on the other hand will fall under a use, or will reacquire a use that is constitutive or determining.

An example… an example. In a way, the difference is very small. The practical criterion would be that, if we think of the theater scenes in Pierrot le Fou, the theater scene… you recall that they play out a theater skit of the Indochina war before an American audience. Here we have a typical example of the horizontal construction of a series. It’s the category of theatricalization that comes into play. But the time it occupies is very limited. It plays the role of an irrational cut: it is neither part of the previous sequence of images, nor of the following sequence of images, it simply permits the relinkage of one sequence to the next.

In another case, let’s suppose that the irrational cut has taken on an extension that enables it to stand for itself, which is to say that it subsumes the sequences of images. This is how we move from a reflective use to a constitutive-determining use. It will stand for itself. So, it will have a kind of self-development. For example… I would say, when he came back to making cinema, to making commercial cinema, his first film, on his return, the film that marked the return, was Sauve qui peut (la vie). Now, Sauve qui peut (la vie) seems to me like the resumption, if you like… if you look at the formal analyses, the resumption that brings horizontal construction almost to the point of perfection, even if something else is already emerging. And it ends on the problem of passion: “Passion is not this”, and the next film will precisely be entitled Passion [1982].

And so, what happens here? We have a sequence of images involving three characters, or even four – but we’ll see that the fourth has a very special status – the boss, the worker, the owner. The sequence of images sometimes involves all three, sometimes two at a time, but in terms of different aspects that constitute the sequence or the vector of the sequence. Then you have this development in its own right, in what is a kind of self-development, the construction of paintings, of tableaux vivants [living tableaus].This doesn’t play the same role as in the horizontal conception. In the irrational cut, the painting is developed for its own sake and will literally subsume the preceding sequence of images. In other words, a painting by Goya will subsume the situation of the workers, another painting of the Crusades will subsume the situation of the bosses. So much so that the fourth character, the director, the organizer of tableaux vivants, obviously has a perpetual role of going back and forth in the vertical construction.

You see, in a sense, it’s not… it’s enough to think… I insist, that’s why it’s relatively… it’s all very constructive. Here I’d like to take up the name of the school, the Russian school, the school that was at the start of the Russian Revolution, that of constructivism… This is constructivism, to go from one to the other, all that is required is a movement, you pivot your image-cut, your cut, you rotate it, you shift it, in other words, all that is required is that it stand for itself. But in the first case… I’d say that in Passion, the category in which the series of images is reflected is the category of painting or, to be more precise, of tableau vivant, and secondarily, music.  

But on this occasion, the sequence of images is reflected in the category – which no longer has a simply reflective use but now has a constitutive use. There has been this shift. There has been this shift where, ultimately, the viewer is invited to pass from what to what? The horizontal construction of series is in the mode of succession. The vertical construction, even if, of course, for us spectators, there is a succession, this succession is no more than a state of fact and refers by right to a juxtaposition: a juxtaposition by right between, on the one hand, the sequence… the sequences of images involving the three characters, and the category, that is the painting or tableau vivant. It’s a method of juxtaposition, and this is what the vertical construction allowed us to retain: to go beyond succession towards an ideal juxtaposition.

An example: after Passion, there’s Prénom Carmen [1963]. To the question why didn’t he use the music of [Georges] Bizet, the answer is simple and it’s very important to us. Why did he replace Bizet’s music with Beethoven’s Quartets? The answer is simple: if he had kept Bizet’s music, no matter how, it would have been a film about Carmen. It wasn’t a film about. We’ve seen that the fundamental problem of a serial method as Godard understands it, is how to avoid making a film about something. Les Carabiniers [1963] is not a film about war, Lettre à Freddy Buache [1982] is not a film about Lausanne, and you remember why. It’s because Les Carabiniers is a reflection of the sequences of images in the different categories of war. Therefore, it’s not a film about war. Lettre à Freddy Buache reflects Lausanne in the categories of color, in this case green and blue. So, this is how he avoids making a film about.

It’s obvious that if there were Bizet’s music, even with all the musical tricks he could introduce, music could no longer act as an irrational cut and could no longer act as a kind of category. However, this doesn’t explain anything. Why did he use the Beethoven Quartets rather than something else? The answer might be, but then you’d have to… it might also be that the quartet form is normally a very structured form, if I dare say so, and that something extraordinary in Beethoven would already be the advent of an open form, within the quartet, and that this will allow him, in the use he makes of it, to perform a kind of acrobatics – though not in the pejorative sense of the term but in terms of what we clearly won’t call the soundtrack. I mean, what clearly isn’t… since the question of whether there is a soundtrack or not is one we’ll come to much later, when we arrive at the level of speech in cinema, of speech and thought. But we could ask, what is happening here in his use of the quartets?

First of all, there is the typical phenomenon of relinkage, but between which elements? There are two sound elements, or two fundamental noise elements: pistol shots, revolver shots, bursts of machine-gun fire. Those who remember the film must be aware of a kind of relinkage between the pistol shots and the pizzicato of strings. A revolver shot in a sequence of images, this time, well, I’ll jot it down on the board: One, quartets… So here I have four or five quartet sequences, right, so a revolver shot-plucking of strings, and sometimes also a burst of machine-gun fire-rapid staccato bowing, sawing of bows.

A whole system of correspondences will come into play, but of what type? Here are two examples, both visual and sonic. Visual correspondence: between a point in the category and a point in the sequence of images, the rounding of the player’s arm, the rounding of the arm of the male lover, or the female lover, I don’t know… well, when one embraces the other. Sound correspondence:  there’s a moment… in the sequence of images, there are two great moments: the attack on the bank… and then there’s the kidnapping, the abduction. There’s a moment when we’re in the sequence of images relating to the bank, the attack on the bank… and in the category we have the quartet leader who says that “the attack isn’t strong enough”… musical attack, bank attack, and the quartet resumes with an attack, with a stronger musical attack.  

But even more importantly, not only are there correspondences between the content of the category and the sequence of images, there are also perpetual shifts. For example, at the moment of the kidnapping, there’s a moment when the characters who are about to execute the kidnapping don’t know what to do. They have no idea what to do. There’s no clear plan and at that moment the music becomes somehow tragic. On the other hand, at the most violent moment of the bank attack, the music is melancholic. Well, aside from any other question – but we’ll save that for later – once again, the consideration of sound, of the sound elements, of the relations between all the different sound elements in cinema, the major ones being: gunfire noises, cry-type sounds. Generally speaking, we distinguish between noises, words and music. But it seems to me that we should make a distinction between noises, sounds, exclamatory sounds, words and music, meaning there would actually be five elements.

But regardless of all these problems, you can see how here, in Prénom Carmen, we clearly have the vertical construction, the series I was looking for, because each time, it’s no longer an irrational cut that permits the passage from one series to another. The irrational cuts themselves constitute a series that is juxtaposed with the other series of images. That’s exactly it: the irrational cuts themselves form a series juxtaposed with the series of images, and there will be a new irrational cut, this time between top and bottom, which is to say between the series of irrational cuts or, if you prefer, the series of categories and the series of images.

In Je vous salue Marie [1985] – that I haven’t seen yet, which is all the more reason… it’s better to talk about films before… – it’s obvious that it’s the same and that he keeps his vertical construction method, it’s obvious. This time, the category is obviously the biblical text. And what constitutes the sequence of images? The question of having a child, which has always been Godard’s obsession: “I want a child, I want a child”. What does it mean to want a child? [Recording interrupted; 35:31]

… in the biblical category?  What I’d like you to feel is that, indeed, I’d almost say that between the horizontal and vertical construction of series, there’s a difference analogous to that between what in physics are called special and general relativity. Vertical construction is a general serialism where everything is organized in series.

So, going back, the question would be: Is there… if it’s true that there is this evolution in Godard’s cinema, I would ask contrariwise, in the early films, is there a moment when a vertical serialism appears? And in my view, there is, yes, in one of the finest of his early films, Le Mépris [1963]. In Le Mépris, we already have a vertical construction of series: a sequence of images very similar to those in Passion, a sequence of images of a couple, the famous scene where the couple are arguing. Category: Ulysses epic, where the epic of Ulysses doesn’t simply play the role of an irrational cut between two image sequences but is developed in its own right, with Fritz Lang as intercessor. Here, the juxtaposition of the category, on the one hand, and the image sequence on the other, is already fully asserted, and is not simply a vectorized succession. This time, what plays the role of category in Le Mépris is the epic.

So, it’s almost… if you accept all this, I’ll now rapidly draw some conclusions. So, what can we conclude regarding all this? First conclusion: what did we see? What have we attained in this first term’s program by analyzing Godard’s cinema? Well, we engaged in a kind of Eisenstein-Godard comparison, both again taken quite arbitrarily as privileged examples, but what did this concern? It concerned the relation between image and thought, image-thought or, if you prefer, image-concept, imagination-thought or image-concept. Now, this is an old problem, an old and classic problem. We’ll have the chance to go over it again in terms of philosophy. The rapport between thought and imagination would almost be a high-school level question. And philosophers have given very, very different responses to this question: What is the relation between thought and imagination, or between concept and image? But they all revolve around a certain… a certain idea. They just interpret it very differently, depending on how they pose the problem.

If I were to try and sum up the philosophical idea that all philosophers have finally shared, it’s that thinking-imagining is an odd business, because there are two things which are certain: thought cannot do without images, the concept cannot do without images, but it surpasses the image. Thought surpasses imagination, but at the same time cannot do without it. Everyone, everyone says this, and in the end that’s the problem. How can we explain the fact that thought surpasses imagination and yet cannot do without it? What’s that all about? What does it mean to surpass without being able to do without?

It’s an interesting problem. Descartes doesn’t solve it in the same way, or doesn’t seem to solve it in the same way as Hume, for example, but they all give answers to this problem, and the diversity of their answers comes only from the fact that they don’t determine the conditions of the problem in the same way. So, obviously, they give different answers.

So here we come back to this again. And you can see that Godard’s response is the relation between sequences of images and what functions as a category. This is the relation between image and concept. That’s the first remark. And we’ve seen that Eisenstein’s case was quite different, but there too, you can see that I could say in both cases, well, yes, thought goes beyond… the concept goes beyond the image, and yet cannot do without it. Categories cannot do without the series of images that are reflected in them.

Second remark: this is what I think could be called Godard’s serial method, in terms of these two aspects. But I would remind you that there are many other ways of constructing series. In particular I pointed out – but I’ll repeat it now so there’s no misunderstanding – in a book entitled, I don’t remember exactly… Nouvelle sémiologie, nouveau cinéma, [Dominique] Chateau and [François] Jost… a book devoted to the cinema of Robbe-Grillet[1], Chateau and Jost analyze Robbe-Grillet’s cinema, in which they discern a method of serial construction. So, either Robbe-Grillet’s series are very different from Godard’s, or Chateau and Jost’s interpretation of what a series is must be very different from what I’ve proposed… or both at the same time.  You’ll see – for those… I don’t have time… I’m not going to deal with this now, we’ll look at it later, but those who are interested can seek out this book – there you’ll find a completely different conception of series. So, I don’t think that what I’ve said about Godard exhausts the question of the series. I just think that the criteria I’ve proposed are, in my view, more consistent than those they propose. But you may well have the opposite impression.

And finally, as a last conclusion, what would I say… What does it mean to “think”? If I really wanted to sum up all this… this whole passage: What does it mean to “think”? What does Eisenstein mean by thinking? For Eisenstein and, to a certain extent, for what we call classical cinema, I’d say it means exactly this: linking images together by rational cuts. Hence, once again, the importance of Eisenstein’s theory of the “golden ratio”, which is not just a theory but a practice, since the “golden ratio” or “golden section”, as it is called, is typically a rational cut. So, to think is to link images together by means of rational cuts.  

If we ask: What does Godard mean by thinking? It doesn’t matter if he doesn’t say this, that’s fine. What is thinking according to Godard or, more generally, according to so-called modern cinema? Not that Godard exhausts the one, any more than Eisenstein exhausted the other. I would say that to think is to relink images on irrational cuts – and I insist on the difference between the propositions “by” and “on” – on irrational cuts.

So now one can say what one wants, one can say that… one can say that this isn’t the way it is. In any case, I maintain that these are two definitions of thought, and that these are two definitions of thought suitable for cinema, so if our problem really was thought and what thinking means in cinematic terms… we’ve at least given an inkling of an answer.

But then everything rebounds. Before I’ve finished with this part, everything will start over again for one… for one small… for one last time. Meaning that I think we can see how to construct a series, and we can see the relations between sequences of images and concepts or categories, between sequences of images and categories or concepts. But there’s something we really don’t know, and that is: What does the image consist of, what does the concept consist of? In this respect, I’m not saying, what does the image in general consist of, or what does the concept in general consist of? I’m saying that we haven’t yet seen what the image as series consists of. What does the image as series consist of? What is it, what in the image – this is precisely the problem that comes back – what in the image makes it possible to put it in series? We don’t yet know.

The same goes for the concept or category. After all, we saw that anything could function as a category. Well, what is it about something that enables it to function as a category and no longer as an image? That’s what remains for us… What is it in the image that makes the series possible? What in a thought or any other matter enables it to have a categorial function?

You see, this is exactly the point we’ve reached. And it’s clear that the rebounding of this problem will allow us – you see the method I’m adopting this year – it will allow us to fill in yet another box in our program of the first term. And then, once we’ve filled a part of it in, we’ll be able to make a number of conclusions, after which we’ll have to move on to something else, to another aspect.

So, there it is. I need to make this clear, so here I am pausing for a moment. It has to be very, very clear. I mean, it has to be… in any case, I can’t make it any clearer than that… after all, there’s no choice, is there? No problem, no problem. So…

So how can we understand this? Let’s move on. How can we understand this business, what in an image enables us to put it in series, what in a thought enables a categorial function? You might say that this is a philosophical problem. At the same time, we’ve never stopped working on philosophical problems. Good, because that’s all that counts, isn’t it?

So, let’s think about… let’s do it with gusto, let’s think about [G. W. F.] Hegel. He’s a philosopher, remember? So, Hegel… conceives two great disciplines: phenomenology and logic. And phenomenology is like the development of figures of consciousness, figures of consciousness.  Let me… if I try to imagine Hegel’s cinema… let me call them sequences or series of images. And logic is the development not of figures of consciousness but the development of moments of the concept, moments of the concept which are called categories. It’s an irrelevant problem. You realize that someone understands nothing of Hegel if they confuse the figures of consciousness and the moments of the concept, meaning phenomenology and logic. You realize that they already know too much if they know that figures of consciousness are not the same thing as moments of the concept. And yet, and yet, the figures of consciousness are reflected in the moments of the concept, and the moments of the concept somehow subsume the figures of consciousness. You see how much this sounds like he’s the author we need.

But what is a figure of consciousness? It’s now or never… we say to ourselves, well, fortunately, here’s a philosopher who’s come down to us from heaven, or up from hell, and who will enable us to answer our question. So, what is a figure of consciousness? At the end of the day, figures of consciousness are ways of being in the world of consciousness, ways of being in the world of consciousness. Or, as someone might say, asking: what do we call a way of being in the world of consciousness? It’s… it’s what’s commonly called an attitude, it’s an attitude. But in what way is it an attitude? You’re going back to… you might tell me I’m going back to something I spoke about in the first term. You’re going back to this on purpose because it’s convenient for you. No. Hegel is my man. I’m not reintroducing this, it’s Hegel who introduces the idea that the figures of consciousness are attitudes.

The last of the Hegelians was called – since then I don’t know of any, but I’m told they still churn them out… – the last of the Hegelians, well, the last of the great Hegelians was called Éric Weil. He died quite recently, Éric Weil… W-e-i-l. It’s difficult… Éric Weil was part of this thing – I don’t know, I’m telling you, I’m pointing it out because many of you who aren’t… who by definition couldn’t have known this pre-war period, may not know this very important point in the history of French thought, which is that – we know this in the case of America, but we know it less in relation to France – that French thought, French academic philosophy was completely renewed by immigrants. Just as refugees fleeing Nazism renewed American thought, the same thing happened around 1930-1933 to French thought.

And among the great immigrants who came either directly from Germany, or from a German education, a German philosophical education, there was [Alexandre] Kojève… who was famous for his lectures on Hegel that marked a whole generation and renewed Hegelian studies. And Kojève’s book continues to be a great book, which is still highly relevant today.[2] There was a very, very important epistemologist who renewed French epistemology, again I’ve forgotten his name… [Alexandre] Koyré, Koyré, and then there was Éric Weil, the last of the Hegelians… [Recording interrupted; 59:00]

 

Part 2

… They were all connected. They were welcomed in France… Their problem with French universities was complex, but it’s interesting because I think it was crucial. It was around 1930-1933. The post-war boom in French thought, meaning with [Jean-Paul] Sartre and phenomenology… Sartre and [Maurice] Merleau-Ponty can only be understood in light of this arrival of a certain number of great philosophers, very important philosophers, around 1930-1933 in France.

But what does Éric Weil tell us in his books? One of his… Éric Weil didn’t write many books, but they were hefty tomes, and then afterwards, as we say, well, there was nothing more for him to do, because one is called Logique de la Philosophie, another Philosophie Morale and the third is called Philosophie Politique.[3] So, after all that, after that… it’s done, there’s nothing more to speak about in philosophy.

So, Éric Weil says that there is a complementarity… and here, he’s very Hegelian, simply he brings something new, which is his own way of understanding Hegel. His way of understanding Hegel and of rethinking Hegel, that is, of forging a new phenomenology of mind in Logique de la Philosophie consists in telling us that there is a correlation between attitudes and categories, there’s a correlation between attitudes and categories. In a way, we could say that categories are attitudes. Concepts are attitudes, but he says, no, that would be… he qualifies this somewhat. One cannot say exactly that, one must speak of a correlation between attitudes and categories. And he defines attitude very well as a way of being in the world, a way of being in the world of consciousness. Okay.

And what is a category? As a way of being in the world of consciousness, a category is, whatever it concerns, it is a coherent discourse, a coherent discourse. The problem obviously being what are the criteria of coherence. But we’re not going to deal with that problem now, because that would require doing a course on Hegel and Weil’s interpretation of Hegel. Coherent discourse. What is the correlation? Any attitude, any way of being in the world undoubtedly refers to a coherent discourse, and vice versa. But in what way? It’s not as simple as it appears. A coherent discourse is always possible, coherent discourses abound. Every attitude relates to its own discourse. Every attitude has its discourse, just as every discourse has its attitude.  

But not always does the one who has the attitude also hold the discourse of that attitude. So now it gets complicated. The correlation between attitudes and coherent discourse becomes more complicated. Let’s take the case of a mad person. A mad person has a certain attitude. The attitude, say, the paranoid attitude, is not the same as the schizophrenic attitude. There are different attitudes, it’s not the same as the manic-depressive attitude, there’s even a whole psychiatry of attitudes which, incidentally, indirectly owes something to Hegel – that is, the interpretation of mental disorders as a way of being in the world. There’s a sort of Hegel-Heidegger lineage here.

Well, I would say that a mad person has an attitude, they also have a discourse. Is this discourse coherent? That’s what Éric Weil would ask, is this discourse coherent? To be brief, we could say, yes, it’s coherent. We could say, it has its coherence. We could say that it’s perfectly coherent. But suppose it’s not coherent, what does that mean? It doesn’t mean that there isn’t a coherent discourse corresponding to the attitude of madness. It simply means that the mad person is not the one who is able to hold the coherent discourse corresponding to his attitude. So maybe there are different cases. There are cases where mad people themselves can hold the coherent discourse of their own attitude. There are cases, there are other forms of madness where the mad person cannot hold the coherent discourse of their own attitude. Nevertheless, there is a coherent discourse of their attitude, which is the discourse of the psychiatrist. It’s the psychiatrist who will hold the coherent discourse corresponding to – well, you really have to believe in this, but I’m speaking in the simplest terms – all these are just banal examples, it’s simply so you can understand.

I’ll take another example, the executioner, because these are two examples that Weil uses. The executioner, the man of absolute violence, is there a coherent discourse of absolute violence?  Perhaps, perhaps there is. If there is a coherent discourse of madness, perhaps there is also a coherent discourse of absolute violence. Who would have held a coherent discourse on violence? Let’s be more precise and make it a coherent discourse of absolute sexual violence? It’s well known, so they tell us, that [the Marquis de] Sade held a coherent discourse of absolute sexual violence. That this discourse is coherent is obvious. Sade’s characters take their cue from nature, from an extremely rational conception of nature, and they hold a fundamentally coherent discourse, and they even get extremely upset when their victims don’t allow themselves to be convinced. They don’t like it at all, because their victim has a double role: to be the victim of their torments, but also to be the one who listens to their discourse. That’s fundamental. Okay.

But, in a famous text, Georges Bataille posed a question, he asked an interesting question – it’s a beautiful passage of Bataille – where Bataille says that the discourse of Sade’s heroes is precisely a discourse that executioners cannot and do not know how to hold. Who can hold such a discourse? And here we have a great reversal in Bataille – note that Bataille was very much linked to everything I’m talking about, to Weil, to Kojève, to all of that – Bataille says, it’s obvious that only a victim can speak the way Sade’s executioners speak. Otherwise, when you have an executioner, look, look at Nazism, you’ve never seen a Nazi speak the way a Sade character speaks.

What is the discourse of a Nazi? The discourse of a Nazi is a totally incoherent discourse. What kind of discourse is it? The eternal type: “Oh, I was ordered to do it! If I hadn’t done it, it would have been worse and so on. Ah, those were the orders!” But the discourse of absolute evil, as it appears in Sade, has never been held by an executioner. So, just as I said earlier that the coherent discourse of the mad person is not necessarily held by the mad person, meaning, the one who has the corresponding attitude – and is perhaps held by the psychiatrist – well, in the same way, the coherent discourse of absolute violence is perhaps not held by the executioner but, according to Bataille’s hypothesis, can only be held by the victim.

In this way, it would be possible to distinguish at least two kinds of attitude – and this is what Éric Weil is proposing – the distinction of two kinds of attitude… I think it’s been a long time since I’ve given a course on Hegel or on a Hegelian, this is all very strange to me… I don’t know what came over me… So, anyway, two attitudes: there would be the attitudes that develop of their own accord in a coherent discourse, that are capable of developing in a coherent discourse, and these Weil would call pure attitudes. And then there are the impure attitudes. Not that they don’t have a coherent discourse, but they are more or less incapable of holding the coherent discourse themselves, or of developing the coherent discourse that corresponds to them. They may be capable, but that doesn’t mean they do it. After all, someone who has an attitude – an attitude, as Weil says, is concerned with history – and an attitude, a way of being in the world, is quite indifferent to philosophy.

Philosophy, on the other hand, is interested in coherent discourse. Philosophy is the science of coherent discourse, a very Hegelian definition, which Hegel did not give, but which Éric Weil proposes. In other words, philosophical discourse is that which, in terms of its own coherence, links together and produces all possible coherent discourses. It’s the self-development of coherent discourse. You see? The idea thus becomes very clear: each type of coherent discourse is a category. You have an attitude-category correlation, a complex correlation since some attitudes correspond closely to the corresponding coherent discourse, while other attitudes, on the contrary, correspond only indirectly. But in any case, you have a complementarity of attitudes and coherent discourses. Just as with Hegel you have a complementarity of figures of consciousness and moments of the concept, here you have a complementarity of attitudes and coherent discourses. In other words, attitudes are reflected in coherent discourses, that is, in categories. 

Now, I’m thinking about this, and I’m adding it, because a text – today, we’re getting into texts, and I’m going to explain to you why we will attach considerable importance to these texts – to return Godard there’s an article by Serge Daney in a book of his entitled La Rampe,[4] it’s a collection of articles… there’s an article on Godard that I find very interesting because he sees something very clearly: the importance of discourse in Godard’s cinema. Here he says that in Godard, things always proceed through discourse. And it seems, in a way, that Godard doesn’t ask himself who’s right and who’s wrong, or where these discourses originate from: “Godard never asks…” – here, I’m quoting – “Of the statements he deals with, Godard never asks the question of their origin, or their conditions of possibility. His approach is the most anti-archaeological there is. It consists in taking note of what is said” – I think that’s absolutely right – “it consists in taking note of what is said and immediately looking for the other statement”. He takes note of an existing discourse, and immediately looks for what would be the other discourse. It doesn’t matter where the discourse comes from, it doesn’t matter where it comes from.

So, he takes note of what is said and immediately looks for the other statement, the other sound, the other image that might counterbalance or contradict this statement, this sound, this image. Given an image, he takes it quite literally, he takes it for what it is. And his question is: What other image can I put with this one? Just as, given a discourse, I oppose it with another discourse. “More than who’s right or who’s wrong, the question that Godard asks is: What could we oppose to this?” – it’s very… it’s dialectics, Hegelian dialectics. We pass from one discourse to another discourse at the same time as we pass from one attitude to another attitude – “Hence” – Daney continues “this confusion for which Godard is often criticized: to what the other says” – to what the Other says – “he always responds with what another other says. And moreover” – Daney continues – “while Godard doesn’t hide his sympathy for a certain type of discourse, even the discourse he sympathizes with is not presented as being truer than the other, he simply presents it as being other than the preceding discourse”.  

And Daney gives some examples: the Maoist discourse in films by Godard such as Vent d’Est [1969], Pravda [1969] and so on, or the feminist discourse in Numéro deux [1975], consist in opposing what one has said with what another says, as if… – and this is a very important confirmation of our serial method – it’s as if, at the same time as the series of images… to the sequences of images which in Godard’s cinema are attitudes… – this will be… and we’ll be coming back to it but we’d already sketched out this idea the first term, that it’s a cinema of attitudes, attitudes that nourish the sequences of images – there corresponded coherent discourses constituting the categories correlative to these attitudes.   

What conclusion am I trying to draw here? Well, something quite simple: given my two questions, I have the beginnings of a response. Unfortunately, things are about to get more complicated. My two questions having been answered, I have the beginnings of an answer. My first question was: What in the image makes it possible to put it in series? My answer, and here I feel all Hegelian, but that won’t be… we’re not yet done, we have to go through this, it’s the attitude. It’s the attitude. The other question: what gives something a categorial function? It’s coherent discourse, a cinema of discourse. That’s the category.

What is this coherent discourse? Let’s give it a name, so we can finish with this. In the first trimester, I suggested a term for it: the linkage of coherent discourses is what we will call a gest, the chansons de geste. A gest is a very peculiar thing. The table of categories forms the gest of philosophy. Its moments constitute the gesture of the concept. Right. What gives something the value of category or coherent discourse is the gest. What gives the image the possibility to be put in series is the attitude. Okay.

What matters to us in all of this? What are we in the process of doing? What matters to me is this: We have to find… we’re looking for a field… you have to feel this… [Recording interrupted; 1:21:46]

… as they say, we’re done with stories, but real life isn’t any better. We’ve done away with stories. Very well, no more stories, very well. But if it’s to replace them with the pitiful misery of real life as happens in most novels today, oh, that’s hardly what the founders of the modern novel wished for. If it’s a question of renouncing the story, it’s not so that someone can recount their own little experience, namely the fact that they have a mother and a father, which is a pretty general thing… and whose lived dramas are also a given for everyone. That’s not why we’re doing away with stories.

I want neither your real life nor a story. So, what do you want? What do you want? Neither real life nor stories, that is, in terms of cinema, neither the old action cinema – you might ask me what else – nor direct cinema. No, as soon as I say that, I take it back, it’s direct cinema that’s mislabeled as “direct”. With the exception of very unique and experimental cases, direct cinema has never been interested in lived experience. So that’s already opened up something, this conviction that direct cinema was never, never, never about real life, and that it wasn’t about replacing the story with real life, or the plot with real life, it was never about that.

But then, what was it about? In any case, if it’s neither real life, nor a story nor a plot… Indeed, the story or the plot is the subject, as when I say: the subject of my work is this. But as we’ve seen, the film or the work have no subject. The film isn’t about Lausanne, the film isn’t about war. So, in a way it implies renouncing the subject. But nor is it a question of real life, nor of lived experience. So there’s a renunciation of the subject in the second sense, that is the me, the I.

So, with no story or plot, no lived experience, what’s left? What’s left are attitudes and categories or, if you prefer, attitudes and gest. Gest is the discourse specific to attitudes, the discourse corresponding to attitudes. Attitudes are not lived experiences. A gest is not a subject, a plot, an action. Hence the importance in literature not only of what has been called, strictly speaking, the chanson de geste, but in a way, to say that all literature is gest. I’d put it like this: gest is the discourse of attitudes, just as attitudes are the correlate of gest.

Well, we’re in an odd situation, because what we need to show here is how there’s a kind of complex notion of attitudes-gests, or if you permit the expression, of images-categories, so we’re right at the heart of the problem of thought. But you can already see that… and this may surprise you less, that we’re already trapped in the position of soon having to speak about speech, since in terms of this current analysis we can only make progress by perpetually invoking discourse. So, we’re faced with a tangle of notions that are very, very… images-categories, attitudes-gests, attitudes and gest or images and concept.

So, are you okay? Do you need a rest? No? But please, don’t stray too far! I know some people who go across the street to get coffee… and I have to wait for them. All you have to do is get yourself a thermos flask… [Recording interrupted; 1:27:58]

… so I’ll start again and you’ll see why. Here we have our… two couples: images-categories, attitudes-gest, or gestus. Once again, for the moment we will consider gest or gestus solely as the coherent discourse that corresponds to attitudes. And we all sense, most keenly, most acutely, that this isn’t sufficient, that we’ll have to take the bull by the horns. And that’s what I propose to you, since we’re here, that’s what’s so joyful for me – just for me – and if it weren’t so… we’d be varying our methods quite considerably.

I’d like to suggest that, for this last part, we try a new approach, the opposite of a method. In other words, we’re really going to leaf through a certain number of texts which I’ll tell you right now – usually I don’t tell you, because there’s no need – I can’t find my way around and don’t fully understand. So, it’s not that I’m against them… I just don’t understand them. So, we’ll see how it is in your case, maybe you’ll understand, and it wouldn’t be the first time, me not understanding what might seem clear to you. It’s that they don’t convince me, I don’t understand them. And so, we’ll proceed like this, examining these texts that I don’t understand very well and then fine tuning them, I’ll tell you how we’re going to fine tune them and then what I understand in terms of the attitude-gestus relation. But we’re going to start by examining these texts, because they’re basic, fundamental texts.

So this concerns two, actually three texts. If someone were to say attitudes-gesture or gestus, I’d immediately reply, well, there are two that stand out, I mentioned them in the first term…[5] a text by [Bertolt] Brecht and a text by Roland Barthes, which is itself a commentary on Brecht. And then we’ll add a third text, which I’m not sure has anything to do with the second. This third text is also by Roland Barthes, entitled L’Obvie et l’obtus.[6] I confess that this text – and I say this all the more readily because I have such great admiration for Barthes’s work – of this text, I understand nothing, nothing, nothing. I don’t understand it at all.

So then we’ll add a fourth text. Someone here who has been working with us for a long time and who also makes films, Raymonde Carasco, has written a text commenting on Barthes’ essay on the obvious and the obtuseand not only commenting on it but making it her own. So, I imagine she has understood it. I confess I don’t understand Barthes’ text any more than I understand hers. No, that’s not, that’s not a reproach at all, it’s not an objection. It’s that I don’t even understand what they’re talking about. So that makes things worse, but then we’ll see, even though this incomprehension… so that next time, when we’ve made a bit of progress, I’ll be able to do a second interview. The least I can do is interview Raymonde Carasco.[7] The first… our first interview, went very well in my view, so I’m very happy with this method. If Raymonde Carasco agrees next time, we’ll do a little interview with her.

Raymonde Carasco: [Inaudible remarks]

Deleuze: Sorry?

Carasco: I must say I’m afraid… I hope it will work just as well.

Deleuze: Ah ah!

So, let’s continue. I’ll start with Brecht’s text, which is the basic text on gestus. And, I say to myself, it looks simple… First of all, I make a few comments. You’ll find this text in Brecht on Theatre.[8] It’s only a few pages long, but it refers to Brecht’s fundamental notions, and it’s called “On Gestic Music”. And you quickly realize that this text must be very important, because it’s three pages long, but you come away from it saying, after all, it’s from the notion of gestus that we must understand Brecht, and not from the notion of defamiliarization [Verfremdung][9]. What’s more, defamiliarization, Brecht’s famous notion of defamiliarization, can only be properly understood by considering his idea of gestus. In the course of this three-page text, I begin with a first remark.

For Brecht, it’s a matter of explicitly showing that subjects don’t matter, no more in theater than anywhere else. And he goes so far as to say, well, no subject matters if you haven’t drawn a gestus from it. What does that mean? As Barthes will say in his commentary, let’s suppose the subject of Mother Courage is the Thirty Years’ War. Other Brecht plays are about Nazism. But here, in this short text, he explains, if you haven’t drawn a gestus from it, the subject is of no interest. We’re delighted by this remark, since we’d come to this same conclusion by other means: it’s a question of eliminating the subject, in the sense that a work isn’t about, and it’s exactly in this sense that Mother Courage isn’t about the Thirty Years’ War. So gestus has nothing to do with plot or subject. First comment. So far, so good… so far, I understand.

Secondly, what does gestus have to do with anything? Well, he says, gestus can be a thousand things. But what interests me, and this is the real gestus, he tells us, is the social gestus. Well, what is a social gestus? Brecht tells us that not all gesta are social. The attitude of a man battling a fly is at first sight not a social gestus. So, you’re fighting a mosquito – this is a more likely situation – you’re fighting a mosquito… so in what sense is that a gestus? I don’t see in what other sense it can be, other than a coordination of attitudes, and Roland Barthes, in one sentence, a single sentence… in his text on Brecht, will call it coordination of attitudes.[10]

So, we can say that a gestus… well, it’s a coordination of attitudes. But the gestus has to be social. Fighting a mosquito is a series of attitudes… a series of attitudes, though it’s not a social gestus on the face of it. Of course, it might be if certain conditions were met, but, well anyway. Attitude, it’s all about attitude… a man’s attitude, so the gestus will be the coordination of attitudes – the attitude a man takes to defend himself against a dog… things are getting worse – can be a gestus. Can, I say, but not necessarily… it can be a gestus if, for example, it concerns the struggle of a scruffily dressed individual against guard dogs. So, no more than fighting a mosquito fighting a dog is not a social gestus. But, but, but, if it’s a man in rags fighting guard dogs – not to force Brecht’s point – if it’s a black man in an American housing project uprising, battling police dogs, similar to the classic images we saw in the old days, we’ll say it’s a social gestus. So far, so good.  But now we need to look at some examples. What is it, what defines a social gestus?

I can think of two troubling examples. This won’t be defined any further in Brecht’s text… I’ll stick to this example, plus another example that seems even more dodgy to me, namely showing… showing a Nazi ceremony. This is a subject, it’s not a social gestus. Only when these men, the Nazis, march over corpses does the social gestus of fascism appear. So, can we say that the gestus is a symbolic act, a symbolic gesture? We’ll see that, strangely enough, Barthes himself doesn’t take this path, yet it’s something that interests him… What are they telling us?

As a result, we can only refer to other Brecht texts. In these other Brecht texts, I see a very important idea emerge. It’s not the subject that counts, it’s the relations between people that derive from the subject. An example that Brecht himself offers: I want to make a work about oil fields… I can say that oil fields are the subject, but that’s not what counts. What matters is: Is there or is there not a new type of relation between people, but a special type of relation between people that develops in the oilfield? And what kind of relation?

Well, it’s a relation between people, here’s a first little indication. I’d say that a relation between people – I’m making a little progress – is an attitude. Every attitude is inter-human, and even if it’s an internal attitude, it’s inter-… between two elements, internal to the same person. There’s always a relation between people in an attitude.

Let’s continue. In other texts, Brecht tells us… he introduces another notion. Fortunately, he tells us that relations between people – and this is a highly original notion in relation to Marxism – in one way or another relations between people mobilize decisions, whether they result from decisions, or lead to a decision. The notion of decision is fundamental to Brecht. So, what is this third notion? The subject is something we’ve done away with. The attitude-relation between people, and the decision. It’s quite obvious that if I consider a poor man fighting dogs or a demonstrator fighting police dogs to be a social gestus… it’s obvious that this implies a certain decision, a decision by those who have provided the police with trained dogs. Attacking people implies a decision, just as the way that the police use their truncheons implies a decision. Relations between people presuppose decisions and themselves entail decisions, which is to say, if I’m at that point in my relations with people, from that point on, I decide that... Okay. So, decision plays an extremely important role.

Let me continue. Brechtian defamiliarization, his famous V-Effekt, can only be understood in this way. In other words, what we’re talking about here is defamiliarization as the result of a whole series of Brechtian notions. For what does defamiliarization consist in? Not just breaking with the subject, in the sense of theme, but breaking with the subject in the sense of lived experience. Hatred of state of mind. It’s Brecht’s blank voice – again, let’s not mix everything up… Brecht’s blank voice is not the blank voice of [Robert] Bresson, which is not itself the blank voice of others. We’ll see this when we come to speak about talking cinema, we’ll have to address the following problem: What is a blank voice? And no doubt we’ll have all sorts of answers, but for the moment, let’s leave it at that… When he talks about defamiliarization, what does he say? Is he telling us that Jocasta hanged herself… no, sorry, what did she do exactly? She killed herself. That’s all. What did Jocasta do exactly? I don’t know, I don’t know, it doesn’t matter, she killed herself. Jocasta killed herself. You know, it’s the story of Oedipus… Jocasta killed herself, so it’s not a question of treating it as an emotional state of mind, it’s not a question of feeling sorry for her, of saying poor Jocasta! It’s about raising awareness of the decision that led to this death. The blank voice of the actor that announces “Jocasta has killed herself” showing no emotion, serves to make us aware that this is not an emotional state of mind, but a decision by which Jocasta killed herself.

Ah, but this suits us perfectly, perfectly. You’ll see how much it suits us. It lets us take a small step forward, before we fall back down again. So, since it suits us so well, let’s make the most of it. Because what he calls decision – and he has every right to call it decision – is exactly what we were calling coherent discourse. The decision is the coherent discourse that someone may or may not hold in correspondence to his attitude. The decision to equip the police with special dogs is also a coherent discourse. Is it coherent? Is there a coherent discourse in this respect by which the Chief of Police motivates his decision? Yes.

What is the situation of Brecht’s spectator? It’s the situation of participating in the decision, either to condemn it or to approve it intellectually, which is to say categorially. This tells us how far we’ve come, the categorial decision… the categorial reaction to the decision, because the decision itself was an actual category. Did Nazi decisions form a coherent discourse? What is the discourse of Nazism that corresponds to Nazi attitudes? This is what Brecht’s theater wants to stage, it’s not a theater about Nazism.

So, to sum up, I’d say that, yes, in Brecht, defamiliarization, the notion of the V-Effekt, derives from a composite of practical and theoretical notions – practical because they are eminently valid for staging and theatrical organization – practical and theoretical notions which are as follows: attitudes as social attitudes, defined by relations between people. For example, Jocasta is caught up in a certain set of relations, relations with her son who has become her husband, and so on, it’s a relation between people. So social attitudes are relations between people. The gestus or category is the decision that refers to the coherent or non-coherent discourse corresponding to this or that attitude. The category is the relation between the spectator’s thoughts and the gestus.

If you take Brecht’s opposition between the theater he abandoned, which he called “dramatic”, and the theater he called “epic”, the dramatic-epic opposition is such that, on one hand, you have dramatic theater, which according to Brecht is the ugly, the bad… bad theater, the old theater. You have dramatic theater, which is above all action, meaning the story, the plot, the subject. A second aspect of this is that it’s based on character traits. Third aspect: it mobilizes lived experiences, emotions. Fourth and last aspect: linear unfolding, action-reaction.

Epic theater on the other hand is defined not by action but by gestus, the opposition between action and gestus. Second aspect: it does not concern character traits, it concerns relations between people, meaning attitudes. Third aspect: it has nothing to do with lived experiences or emotional states, but involves, on the spectator’s side, concepts of understanding, meaning categories. Fourth and last aspect: it doesn’t unfold in a linear, action-reaction manner. It unfolds in a winding fashion. To introduce a slightly artificial coherence, I’d say that instead of linear unfolding we can speak of relinkages by irrational cuts. A winding sequence is a relinkage based on irrational cuts… [Recording interrupted; 1:56:14]

Part 3

… Well, that just about works for me, but I don’t know if it works for you? Barthes’ text, I would add, the two texts by Barthes can be found in the collection of essays that appeared under the title L’obvie et l’obtus, Essais critiques, tome III, published by Editions du Seuil [The Responsibility of Forms]. And the first article on Brecht, entitled “Diderot, Brecht, Eisenstein”, is a short essay, but longer than the one on Brecht, pages 86-95…  and in my view, Barthes adds two things to Brecht.

First of all, he adds a brilliant example – which may also be in Brecht, but I doubt it because then Barthes would have quoted it – a brilliant example – in any case, couldn’t find it again when I was flicking through it… He tells us, yes, to help us understand, he tells us, let’s go back to Mother Courage. The subject is the Thirty Years’ War, the action is the Thirty Years’ War. But that’s not the gestus. What’s the gestus? It’s Mother Courage taking the coin given to her – she’s the tender of a food wagon – taking the coin that is given to her and biting into it. That’s a social gestus, biting to make sure it’s real, and getting distracted for a minute. That minute’s inattention will result in her child leaving and getting lost and then she will lose all her children.

Barthes proposes that we consider this attitude of the food wagon tender, this gesture in the sense of a gestus, this gesture of the food wagon tender biting the coin, as a typical example of a social gestus. Actually, it is not in itself a social gestus – there’s no need to argue with every term Barthes uses – it’s not exactly a social gestus, it’s a social attitude. The social gestus, Barthes quite admirably explains to us, is something else, it’s the food wagon tender’s decision. And what is her decision? Her decision isn’t to put the coin in her mouth. That’s just a consequence of the decision. The decision is: to live off the war. The subject of Mother Courage is not the Thirty Years’ War. The gestus of Mother Courage is a woman who has decided to live off the war, and who will lose all her children in it. That’s the gestus. A good example.

And you can see why Barthes is able to compare Brecht to Eisenstein in this sense, because he explains that this was exactly what Eisenstein was criticized for. Eisenstein was criticized for choosing the wrong subjects. The Soviets were already criticizing him: Why did he choose the Battleship Potemkin as his subject? Why did he choose October as his subject? We want him to make films about now. To which Eisenstein, like Brecht, would point out that the now is not where they think it is, that the now is no more October than Battleship Potemkin, than what was happening in Eisenstein’s own time. That, in any case, the real now is something else entirely. The real now is the gestus. A woman decides to live off the war. And the attitude that corresponds… and no doubt there’s a coherent discourse to this, there’s certainly a discourse, Mother Courage’s own discourse. The discourse of Mother Courage is the discourse of someone who has decided to make a living from war. And all the arguments of such a speech are conceivable. It can be highly coherent.  

The second thing Barthes adds is that in the gestus understood in this way, emerges what he calls “the pregnant moment”, or if you prefer, the privileged moment. We could also say “the true present” and that this pregnant moment, this privileged moment, or this true present, is the emergence of meaning, and meaning begins with the social gestus. I read, in parenthesis, “at the pregnant moment”. Hence the trio in Barthes’ article: [Denis] Diderot, Brecht, Eisenstein, since, as Barthes clearly shows, Diderot had developed a theory of the pregnant moment in painting. And, in his conception of bourgeois comedy, it’s quite clear that in Diderot – in fact, Diderot has a very curious conception of bourgeois comedy – there’s something that vaguely anticipates a social gestus. Okay.  

Well, so far, so good. Okay, then. So what’s bothering me? I’ve had to bend this a lot, I’ve had to force the texts. I had to bend these two very fine texts to draw out the idea that the gestus is the coherent speech or the decision corresponding to the attitude. I’m not saying it’s not there, I hope it is. It’s up to you to check, or not to check, wouldn’t you say? I’m saying it’s not that simple. Even if you don’t go and check, I warn you: it’s not that simple. I mean, is it really there? Or am I just pulling a phrase out of thin air for my own convenience? Is that the spirit of the text?

Because both Brecht’s and Barthes’ texts go in a completely different direction, and it’s one that bothers me no end. It’s the idea that the gestus is particularly linked to meaning, because it’s a signifying, or even symbolic, gesture. Why is this? Let me take the example again: biting the coin is a symbolic gesture – it’s what everyone has always called a symbolic gesture – and Barthes insists that this is the place where meaning arises. The place where meaning arises, that’s all very well, but the place where meaning arises, the pregnant moment, the place where meaning arises, all of this bothers me. In other words, I’ve got the impression that I thought I’d understood something, and then all of a sudden… no, that’s not it, he’s talking about something else, he’s talking about the pregnant moment, the symbolic gesture, all these things that I don’t understand, that don’t mean anything to me, but might mean something to others… I have no problem with that, you’ll notice I’m not objecting to it, I’m just saying, well no, I can’t follow this, I don’t get it, I don’t even know what he’s talking about.

So, I say to myself, in spite of the absolute difference between the two theses, I insist, we should link this with a text that is even more unusual, a text by Barthes, the text I mentioned before and that gives the book its title, L’obvie et l’obtus, which may help us move forward and which, in a way, may also concern the gestus. I don’t really know, but since I’m bothered by something in this text by Barthes, I might as well look elsewhere to see if it works out. So, I’ve lost… to give you the exact… Oh no, it’s not called that… it’s published under the title “The Third Meaning: Research Notes on Some Stills of Eisenstein”. And this text is famous among many… [Recording interrupted; 2:07:51]

… bothered by the previous text commenting on Brecht’s gestus, and so on. What does this text tell us? Well, I’m going to be very, very, well, very tentative, since it’s the one I don’t understand at all.

Barthes tells us that there is a first level of the image. There’s a first level of the image, that’s not a problem. At any rate, he says that this is not what concerns him: it’s the level of communication, an informative level, communication. And if I understand correctly, communication is what the image represents. It’s what it denotes, it’s the informative level. Example: the coronation of Ivan the Terrible. In other words, very roughly speaking, we can say this at the first level we can see what it is. It is to borrow, to use our previous term… it’s the subject or the action. In fact, the subject of a work or the subject of a sequence, the coronation of Ivan the Terrible, let’s accept that this is the denotative level of information. Already, there are a lot of things that bother me about this, but, I understand, okay, I see.

He says, there’s a second, a second level. The second level, he says, is a symbolic level. But this will complicate things, because the symbolic level isn’t what I thought it was. A symbolic level. How does he define this symbolic level? Well, he defines it in an odd way. He says: it’s the level of signification, no longer of information, it’s the level of signification. And what is this? Well, in the coronation scene of Ivan the Terrible, there’s the coronation, and then, as part of the coronation, there’s the shower of gold coins on the Tsar’s head. Two characters on either side of the Tsar rain gold coins down on his head. We see, well, for those who remember Ivan the Terrible, it’s a very, very beautiful image, this rain of gold coins.

And now I don’t understand anything. He makes this into a special level. I’m asking how – just to say I’m not ashamed of not understanding – I ask how – it’s not… it’s not an objection, it’s something that bothers me – I’m asking how the crown isn’t symbolic, it’s informative, while the rain of gold coins is supposedly symbolic? I don’t see that at all. What I see is something completely different, that in the organization of the image, there would be something we’ve already seen, so I’m going very quickly. We can say that the rain of gold coins and their tinkling, the fall of gold coins on the Tsar, is a harmonic of the image, that is, in relation to a tonic or in relation to what Eisenstein, in simple terms, calls… in relation to the dominant of the image, I can say that the rain of gold coins is a harmonic. But I don’t see how it’s any more symbolic than the crown, the scepter and so on… I just don’t see it. Well, that’s… But then, I don’t see it as… What’s more, I don’t feel that in the cinematographic image there is the slightest dimension of communication or information. I’d be happier if we could say that the two are one and the same, that the two… that these first two dimensions are one and the same.

But, Barthes says, there is a third meaning. There’s a third meaning. And this is where we find the quintessential Barthes. It’s, I mean, it’s an extraordinarily moving text, it’s so… it’s so much him with his own genius. It’s really on a level, I don’t know what, it’s a kind of impression, but it’s not impressionism. It’s something he feels. He feels it, and his writing says what he feels, it’s… he’s felt something. See, he doesn’t claim that everyone feels it. He says, it’s very strange, I feel there’s a third level. So, we’re waiting for him to give us examples, because this will clearly begin with examples.

And I’m giving the most striking one, because if I started with the example he gives at the beginning, it seems to me we’d be even more lost. I’ll give the most striking one. He says, in Battleship Potemkin, there are attitudes. Well, that’s fine with us, we’re back in a field that… There are attitudes, the famous Eisensteinian attitudes with which Eisenstein’s images are confused. He’s a great filmmaker of attitudes. For example, in the remarkable mourning scene, all the postures of grief are attitudes. But let’s say… yes, I’ve forgotten the essential, the first two levels he distinguishes… let’s agree to group them under the term “obvious meaning”, derived from the Latin obvius. Obvius is that which comes to the front, that which comes to the front. Well, the attitudes of grief have an obvious meaning. For example, a whole series, a whole series of shots where you see women in attitudes of grief. And in this respect, Eisenstein is the equivalent of a great sculptor, or a great painter.

And then Barthes starts saying some really strange, really bizarre things. He says he had the impression that although he kept repeating attitude of grief, it didn’t account for certain aspects of a number of images. And he takes the example of a poor old woman crying out in despair – an image of the old woman proclaiming her despair, crying out in despair – and Barthes says: You can consider… you can consider – she’s wearing a sort of kerchief – you can consider that in the sequence of images, it’s an attitude of despair among others. Attitude of despair, that would be the obvious meaning.

And then, says Barthes, an image appears or may appear that makes a strange impression. Under what conditions do we see it? That’s a problem I’ll deal with later. As if there were something more, something excessive. It’s just too much. What is this “too much”? A supplement, he says… a supplement to the attitude.  He recounts the succession of images, and indeed, there’s one where this old woman, proclaiming her despair, has her kerchief on, which, from the angle at which it’s taken, seems almost to meet her eyebrows. It’s enough, in fact, that the head… that the lens frames the shot in a certain way for the kerchief to appear to descend almost to the level of the eyebrows, or else raise the eyebrows itself. So, you have the hem of the kerchief, the eyebrows almost touching the kerchief, and finally the mouth, which is completely arched, although it won’t be for long, which follows the line of the kerchief. So, he gives an example, he gives photogram five, what he calls photogram five – you’ll see it in the essay, if you go and read it – and then photogram six. And he says in photogram six, it has disappeared. Something has alighted for a moment. You see here we have the pregnant moment, we already saw this idea of the pregnant moment, something has alighted for an instant: a supplement to the obvious meaning.

But what is it? Well, we can think of a lot of possible responses. You could say, well, it’s a decorative detail. You could say that it’s a visual rhyme – there are visual rhymes – there’s a rhyme between the mouth and the kerchief. In the other photograms, in the other images, however, there are no rhymes, or there isn’t that particular rhyme. He doesn’t mention any of this. He wants there to be a dimension, a radically new dimension, compared to the two previous ones that constituted the obvious meaning. And he will call this completely new element the opposite of obvious: sens obtus, the obtuse meaning.

He then tries – and his sentences, his sentences are admirable, the writing is very beautiful in this text, it’s not the writing that’s the problem – he says: it’s very curious, you get the impression that all of a sudden, for a short moment, she has disguised herself. The old woman has disguised herself, and yet – it’s very complicated what he’s getting at, this page is very complicated – and yet, it’s certainly not a parody. It’s not a parody of grief, she’s in the depths of grief. But if I understand correctly what Barthes means, it’s as though her grief has disguised her, in the sense that, for example, [Marcel] Proust is able to say, in some very famous passages, that old age has disguised the faces of the people he encounters again after ten, twenty years. It’s as though old age has disguised them. Here, it’s as though grief has disguised her. So, it’s not a parody but, so he tells us, a disguise.

I read: “the ‘lowness’ of the kerchief, worn abnormally close to the eyebrows as in those disguises which seek to create a foolish and stupid expression…”[11] I mean, it’s very admirable, and at the same time very amusing… it’s very funny, and at the same time one thinks, Ah, well, for Barthes, giving yourself a foolish and dimwitted expression must look something like that. For me, it wouldn’t be like that, so, it’s very odd – “the circumflex accent formed by the old, faded eyebrows, the excessive curve of the lowered eye­lids, close-set but apparently squinting, and the bar of the half­open mouth corresponding to the curve of the kerchief and to that of the brows, metaphorically speaking, ‘like a fish out of water’” – like a fish out of water… all this gives us the impression “of a rather pathetic disguise”. Grief has disguised her. I can’t say it any better than that, grief has disguised her, and then he goes on, saying that above all… don’t think that… it’s not a question of saying that she’s aping grief… it’s the opposite, it’s as if at the very summit of grief, grief disguises her. And, at this summit, which would be open to us, it would be like an obtuse angle, that is, an obtuse meaning would appear in this opening.  

I’ll end on two points. He gives other examples from Eisenstein’s cinema. These examples seem to me to be so little… so unconvincing that I think that – and you can feel it in the way… – it’s through the old woman that he had the emotion. But I must point out, out of honesty, that he gives other examples, always taken from Eisenstein, to the point where he tells us: perhaps Eisenstein was the only one to attain this dimension that he calls the obtuse meaning, and regarding which he himself makes no secret of the fact that, when he seeks to define it – remember he defined the other two dimensions by information and signification – he defines this third dimension by signifiance – borrowing this term from Julia Kristeva – and he defines signifiance as follows: as a signifier without signified. So, this whole image of the old lady disguised by grief is a signifier without a signified. That’s my first remark.

Second remark, and you recognize this – I think it’s the only concrete criterion he gives – you recognize this impression of disguise. You could also say that you see a little bit what he means: tension disguises them, reflection disguises them. For example, you see someone who’s all alone, thinking very deeply about something. You might get the impression, you might say that they’re completely absorbed, and this way of being absorbed in themselves disguises them, you wouldn’t recognize them. Perhaps it’s something of this order? You wouldn’t recognize them. We’d have to coin a word: he’s disguised by himself.

There was, I remember, a splendid video interview with [Jack] Kerouac, the greatest… one of the greatest American writers. At the end of his life, Kerouac, who could no longer cope with alcoholism, illness and so on, spoke very freely. He had a French-Canadian phrase, “Je suis tanné de moi-même”, meaning I’m sick of myself…  I’m sick of myself, which is a fine phrase, I’m sick of myself, sick of myself. Well, just as he was sick of himself, we’re often disguised by ourselves. So, that’s what it would be. Okay.

You can see where I’m heading with this. My first question is: Isn’t this a way of saying, this is the gestus? Isn’t there a link between the gestus and this obtuse meaning that Barthes discovers in a completely different text, or is it me who brings these two texts together? What are my reasons for bringing them together? It’s the two arguments that were already bothering me in the first text, the pregnant moment, which is taken up again in this second text, and the meaning, which is taken up again in this second text, since the obtuse meaning will be the true meaning. I’m not saying the true meaning, but it will be the real meaning.

Second remark, the obtuse meaning, according to what Roland Barthes tells us, doesn’t allow itself to be seen in cinema. It doesn’t allow itself to be seen in cinema. I’m becoming increasingly perplexed, so what does this mean? That we can’t see the image of the… I guess not. Yet we can see the other examples he gives. This doesn’t seem to bother him. He says that we can’t see it. He says, What’s more, we can’t see it. Why can’t we see it? Well, this is starting to matter to me, because there is something we can draw from it. We’ll have to involve a theory of the still. He says that it’s a dimension of the still, it’s not a dimension of the image.

And here we find him again. I mean, it’s very strange, this text… because there are moments when you really can’t read it without thinking that he’s there… there are moments when he says: Well, you know, I don’t like cinema – and in fact, he doesn’t give a damn about cinema – I don’t like cinema. But on one hand, he’s interested in photography, so it’s not at all that he confuses a photograph with a still, but what interests him in cinema is the still. He speaks… he speaks with great emotion about those who cut a little piece of the film reel, like that, cinephiles who cut off a little piece to keep at home… so that we have films where the image jumps because two or three stills are missing that some pirate has absconded with. So then, he says, it’s a given, it’s a dimension of the still.

And as a still is not the same thing as a photo… but this is very interesting. Why isn’t it the same as a photo? Here I don’t find his argument very convincing. I don’t think it is the same as a photo, but I don’t think his argument is… well, let’s accept this. A still is obviously not the same thing as a photo. What is a still? It’s the purely filmic. In other words, it’s what you never see in cinema, according to its… It’s not cinema, it’s the filmic. “The filmic is different from the film: the filmic is as far from the film as the novelistic is from the novel, […] the filmic, quite paradoxically, cannot be grasped in the projected film, the film ‘in movement’”.[12] The filmic cannot be grasped in the film in movement. In other words, the filmic is embodied in the still in its pure state.  

“If, though, the authentically filmic…” – the authentically filmic – “If, though, the authentically filmic (the filmic of the future)” – so he’s saying that all cinema is lousy, since it has never attained the filmic – “If the authentically filmic (the filmic of the future) is not in movement but in a third meaning, an inarticulate meaning” – in other words, the obtuse meaning is beyond movement, the filmic is beyond the movement-image. Good. The filmic is beyond the movement-image, it resides in the still.

This implies a whole series of theses: firstly, that the still is outside or beyond the movement-image, which doesn’t seem at all clear to me. Secondly, that what it shows isn’t visible in the projected film. I really don’t see why the image of the woman with her kerchief isn’t visible. I really don’t understand why he says this. But what about him, how did he see her? I mean, would he really go so far as to cut off a little piece of the reel? And why would he choose that little bit? Or perhaps he saw the whole of Potemkin – he might even have been capable of this – perhaps he saw Potemkin frame by frame. It’s possible, it’s possible, even if it doesn’t seem likely.

So, to conclude – I’ll come back to this next time – Raymonde Carasco has published  in “Le cinéma en l’an 2000” – which is a special issue, right, a special issue of the Revue d’esthétique – an article whose title is…what’s the title again? I don’t recall. Do you recall the title?

Carasco: [Inaudible comments] [13]

Deleuze: Right, “L’image-cinéma qu’aimait Roland Barthes”… So, she’s published a commentary in which she endorses the thesis… what’s more, not only does she endorse Barthes’ thesis, the assertion that there is a filmic element irreducible to cinema and graspable only, if I understand correctly, in the still, but she also adds to it. She adds to this, because she says: not only is this pure filmic element beyond the movement-image, it is also beyond the time-image. And she elaborates on this, saying that Barthes had already said that it was beyond the time-image, but in the simple sense of chronological time, of succession. Indeed, if it’s a still, it is extracted from the succession of images. So, it’s beyond the movement-image, or it seems to be beyond the movement-image and also beyond the chronological time-image, or what Barthes calls “logical time”.

But Raymonde Carasco wants more. She wants it to be not only beyond the movement-image and beyond chronological time, but beyond what she calls duration, or if you prefer, beyond all internal time and beyond all non-chronological time. In other words, I call non-chronological time a time that isn’t resolved into succession. Aside from this addition, she seems to me to be in full agreement with Barthes that there is something called the filmic that is irreducible to cinema. So, the next time we’ll tackle the whole of Barthes’ second thesis plus Raymonde Carasco’s reworking of it, which I don’t understand at all.

So, at the beginning of the next session, we’ll do our interview, if she’s up for it, and then we’ll move on to conclusions based on what she… and most of all, we’ll need to establish a status for the still image. [End of session; 2:35:02]

Notes

[1] See Nouveau cinéma, nouvelle sémiologie, Paris: UGE, 1979.

[2] Most probably, Introduction à la pensée de Hegel, Paris: Gallimard, 1947.

[3] Respectively Paris: Vrin, 1950, Paris: Vrin, 1961 and Paris: Vrin, 1956.

[4] Paris: Cahiers du cinema / Gallimard, 1983.

[5] See session 7, December 18, 1984.

[6] Paris: Le Seuil, 1982, translated in English as The Responsibility of Forms. Here Deleuze confuses the title of the text he’s referring to with that of the book in which it appears (he later corrects himself on this). The text in question is “Le troisième sens – Notes de recherche sur quelques photogrammes de S. Eisenstein” (The Third Meaning: research notes on several Eisenstein stills) of which the obvious and the obtuse form two sub-chapters.

[7] See the following session of February 5, 1985.

[8] London: Bloomsbury-Methuen, 2015.

[9] The current translation of Brecht on Theatre does not translate the German Verfremdung, opting instead for the neologism “V-effect”.

[10] This text, also included in The Responsibility of Forms, is “Diderot, Brecht, Eisenstein”, pp. 89-97. However, rather than the phrase “coordination of attitudes”, Barthes writes: “The work begins only with the tableau, when the meaning is put into the gesture and into the coordination of gestures.” See p. 96.

[11] ibid. p. 48

[12] ibid, pp. 58-59.

[13] Carasco provides the title and full reference to the article: “L’image-cinéma qu’aimait Roland Barthes (le goût du filmique)”, in Revue d’esthétique, Le Cinéma en l’an 2000, 6 (1984), pp. 71-78.

 

French Transcript

Edited

Gilles Deleuze

Sur Cinéma et Pensée, 1984-1985

11ème séance, 29 janvier 1985 (cours 77)

Transcription : La voix de Deleuze, Sara Fababini; correction : Mélanie Pétrémont (1ère partie), Catherine Gien Duthey (2ème partie) et Morgane Marty (3ème partie) ; révisions supplémentaires à la transcription et l’horodatage, Charles J. Stivale

 

Partie 1

[Dans la discussion qui occupe les 90 seconds du début, il s’agit de questions à propos de dates des prochaines séances et aussi la nécessité pour les étudiants de remplir les « petits papiers verts » d’inscription et de les rendre à Deleuze]

… je ne sais pas, c’est quand, le semestre. Vous ne savez pas quand c’est ?

Hidenobu Suzuki : [Propos inaudibles]

Deleuze : Quoi ?

Suzuki : [Propos inaudibles]

Une étudiante : [Propos inaudibles]

Deleuze : Oui… non ?

L’étudiante : [Propos inaudibles]

Deleuze : Quoi ?

L’étudiante : Je crois qu’il reste deux cours…

Deleuze : Celui-ci et un autre oui, je pense.

Suzuki : Moi, je ne crois pas…

L’étudiante : [Propos inaudibles]

Deleuze : En tout cas, moi je suis désolé, mais il me faut 15 jours, parce que il y a… je ne serai pas à Paris, moi, le…, mais je crois que c’est 15 jours.

Suzuki : Ce serait à partir du 15 [février].

Deleuze : Ce serait à partir du 15, ça veut dire qu’on aurait deux séances, une aujourd’hui, et une autre.

Suzuki : Non, trois… trois.

Deleuze : Trois cours ?

Suzuki et autres : [Propos inaudibles, rires] [1 :00]

Deleuze : Mais c’est autour du 10. Oui on m’avait dit aussi. Enfin, on va se renseigner. Ben non, tu as peut-être raison. Il faut se renseigner, ça, il faut se renseigner. Alors en tout cas, les petits papiers verts, il me les faut. J’en ai besoin beaucoup. [Pause]

Alors, écoutez, bon. [Pause] On en était à ceci, cette espèce de méthode de construction des séries, en prenant l’exemple de [Jean-Luc] Godard. [2 :00] Et ce qu’on avait développé, c’était donc l’idée qu’une série, c’était une suite d’images qui se réfléchissaient dans un genre ou une catégorie. Et on avait vu que « genre » ou « catégorie » prenaient des sens très variés. Finalement n’importe quoi pouvait servir de catégorie. Ça ne voulait pas dire que c’était complètement indéterminé ; ça voulait dire que ces catégories se définissaient par leur fonction, et leur fonction, c’était quoi ? Eh bien, c’était que la suite d’images qui se réfléchissaient en elles, n’appartenaient pas à elles, n’appartenaient pas au genre ou à la catégorie. C’est-à-dire que la fonction du genre ou de la catégorie, c’était d’être une limite de la suite des images et une limite [3 :00] d’un type très spécial puisque c’était une coupure irrationnelle. Et c’était par-là qu’il y avait bien une fonction que je peux appeler « catégoriale », une fonction-catégorie, puisque ce qui servait de catégorie ne faisait partie ni de la première suite, ni de la seconde suite, entre lesquelles s’établissait la coupure.

On avait donc là, à ce niveau, je dirais, on avait une construction que j’appellerais une « construction horizontale », une construction de séries horizontales avec ré-enchaînement — et j’insiste toujours sur cette notion de ré-enchaînement parce que pour moi, cette année, elle est essentielle — avec ré-enchaînement d’une série à l’autre d’un côté à l’autre de la coupure. [4 :00] Tout ça devrait être lumineux, enfin, très, très clair.

Alors si je cherchais un schéma, je dirais, ben oui, [Deleuze se déplace vers le tableau, plus loin du micro, d’où quelques moments de mots indistincts ; voir ici les images du cahier de Deleuze où se reproduit son schéma] la construction horizontale des séries, vous voyez, c’est une suite d’images, première suite d’images vectorisées. On avait vu la dernière fois, en effet, qu’il y avait un vecteur, la catégorie comme coupure irrationnelle qui va donner une seconde suite d’images, qui va elle-même tendre vers une autre catégorie et avec chaque fois [Deleuze tape des pointillés au tableau] ré-enchaînement par-dessus la coupure irrationnelle, ce ré-enchaînement n’étant donc pas, et n’ayant jamais [5 :00] été, un enchaînement et ne présupposant aucun enchaînement premier.

Bon, si je prends la construction horizontale des séries dans Sauve qui peut (la vie) [1979], [Pause ; Deleuze écrit au tableau] j’ai, première catégorie : l’imaginaire qui correspond à toute une série d’images liées à un personnage : la femme au vélo. [Pause] La seconde catégorie sera « la peur » liée à un autre personnage qui sera l’homme. [Pause] [6 :00] Troisième catégorie : le commerce, lié à la seconde femme. Quatrième catégorie : la musique, vous voyez ? À l’issue de cette construction horizontale, débouché sur un problème qui n’a pas cessé de parcourir les séries et qui éclate sur le mode : « mais la passion, ce n’est pas ça ». Ce qui nous laisse penser qu’il y a encore une catégorie que ces séries-là ne pouvaient pas atteindre : la passion.

Bon, alors ça je voudrais… je prends un exemple plus simple, on l’a vu : une suite d’images vectorisées [7 :00] qui va aboutir à la catégorie « théâtre ». Mais sous quelle forme ? C’est là qu’on voit très bien en quoi c’est une catégorie dans laquelle se réfléchit la suite des images : ce théâtre, c’est pas du tout comme un théâtre à la [Jean] Renoir. C’est un théâtre très particulier puisque c’est une théâtralisation comme limite de la suite des images précédentes, comme limite de la série d’images précédentes. Et la suite d’images précédentes constitue une série dans la mesure où elle se réfléchit dans la catégorie qui en est la limite, à savoir la théâtralisation.

Ça, alors, dans cet exemple plus simple, vous avez, par exemple, Pierrot le fou\ [1965] où la scène de théâtre improvisée joue le rôle de catégorie dans laquelle [8 :00] se réfléchit la série d’images précédentes et qui n’appartient pas à cette série, puisqu’en effet, elle apparaît pour elle-même, mais elle apparaît pour elle-même comme coupure irrationnelle. Ou bien dans Vivre sa vie [1962], de même que je parlais tout à l’heure de théâtralisation, dans Vivre sa vie, la catégorie intervient sous la forme de Brice Parain parlant à l’héroïne, et cette fois-ci, ce n’est pas une théâtralisation des images précédentes ; c’est une « philosophication », c’est un surgissement de la catégorie de langage comme la limite vers laquelle tendait Nana qui voulait savoir ce que parler veut dire. Bon, comme toujours, vous avez votre suite d’images vectorisées qui tend vers une catégorie. La catégorie, c’est la limite de la [9 :00] suite des images en tant que coupure irrationnelle, en tant qu’elle est, elle, une coupure irrationnelle, c’est-à-dire n’appartenant ni à la première limite, ni à la seconde.

Je veux dire, c’est ça qui doit être très, très clair. Si ce n’est pas clair, moi je peux bien recommencer. Ça devrait l’être. Car ma question elle devient – c’est très clair, hein ? Personne ne dit « oui » pour me faire plaisir ? Il faut que ce soit très, très clair. — Bon, je dis, avant de conclure ce point, et on touche à une première conclusion, je dis, bon, est-ce qu’on pourrait parler d’une évolution de Godard ? [10 :00] Thème intéressant, à cet égard. Si vous m’accordez, bon, d’accord, c’est une méthode sérielle, c’est une méthode sérielle, donc là vous voyez qu’on n’en est pas du tout au statut de métaphore : de dire eh ben, oui, il y a un cinéma sériel comme il y a une musique sérielle. En fait, ce n’est pas une métaphore puisqu’on a indiqué les critères cinématographiques d’une mise en série.

À partir de là je demande : est-ce qu’il y a une évolution de Godard ? Je crois que oui. [Pause] — Il y a quelqu’un qui me parle, ce n’est pas du tout que je sois contre, c’est que ça me gêne. J’entends comme s’il y avait, je ne sais pas… [11 :00] à moins que ce soit moi, j’ai une hallucination, mais il y a quelqu’un qui raconte des histoires. — Alors, cherchons-la, l’évolution des séries.

Moi je crois que de plus en plus, quand il est revenu au cinéma de grand public, après sa longue période expérimentale-politique, quand il est revenu au cinéma de grand public, il a fait, il s’est orienté vers un autre mode de construction des séries, et que, à la construction horizontale des séries, telle que je viens de la résumer, il a substitué — ou est-ce qu’on peut dire substitué ? — il a joint [12 :00] une construction verticale. [Pause] Et que dans la construction verticale, qu’est-ce qui est la différence ? Comparons avec le schéma précédent qui est typiquement un schéma horizontal. Je dirais, vous avez une suite d’images — je donne la formule abstraite — vous avez une suite d’images, surgissement d’une catégorie [Pause] qui redonne [13 :00] une autre suite d’images, surgissement d’une autre catégorie ou, ça revient au même, passage à une autre catégorie ou passage à un autre aspect de la même catégorie. [Pause] Voilà.

En un sens, c’est pareil, et en un sens, ce n’est pas pareil. Je veux dire que la grande différence, c’est que la catégorie qui, dans la construction horizontale, était une étroite limite ou une étroite coupure irrationnelle, là s’élargit et se met à valoir pour elle-même. Elle s’élargit et se met à valoir pour elle-même. C’est-à-dire, [14 :00] si vous vous rappelez ce sur quoi on a terminé la dernière fois, je dirais que la construction horizontale des séries était tout entière sous un usage régulateur ou réfléchissant — pour parler à la manière kantienne — et que la construction verticale, elle, [Deleuze continue à écrire au tableau ici] va être sous un usage ou va récupérer un usage constituant ou déterminant. [Pause]

Un exemple, un exemple. La différence en un sens, elle est très petite. Le critère pratique, ce serait, et puis qu’en effet, si vous pensez aux scènes de théâtre dans Pierrot le fou: [15 :00] la scène de théâtre, vous vous rappelez que devant un public américain, là il joue au théâtre de la guerre d’Indochine. Bon, c’est typiquement un exemple, ça, de construction horizontale de la série. C’est une catégorie, la théâtralisation qui intervient. Mais son temps est très limité. [Pause] Elle joue le rôle d’une coupure irrationnelle, elle ne fait partie ni de la suite des images précédentes, ni de la suite des images suivantes ; elle permet simplement un ré-enchaînement d’une suite à l’autre. [Pause]

Dans un autre cas, supposez juste que la coupure irrationnelle ait pris une extension [16 :00] qui lui permet de valoir pour elle-même, c’est-à-dire, d’une certaine manière, de subsumer les suites d’images. C’est par-là qu’il y a passage d’un usage réfléchissant à un usage constituant-déterminant. Elle va valoir pour elle-même. Donc, elle va avoir une espèce d’auto-développement. [Pause] Exemple, exemple, je dis, quand il est revenu au cinéma, au cinéma public, son premier film, de retour, qui a marqué le retour, [17 :00] c’était Sauve qui peut (la vie). Or Sauve qui peut (la vie) me paraît comme la reprise, si vous voulez, si vous regardez les analyses formelles, la reprise est presque portée à la perfection la construction horizontale, même s’il y a déjà quelque chose d’autre qui pointe. Et justement ça se termine sur le problème de la passion, puisque “la passion, ce n’est pas ça”, et le film suivant s’appellera précisément Passion [1982].

Et là qu’est-ce qu’il y a ? Il y a une suite d’images qui mettent en jeu trois personnages, [Pause] ou même quatre, [18 :00] mais on va voir que le quatrième a un statut très particulier, le patron, l’ouvrière, la propriétaire. Les suites d’images mettent en jeu tantôt tous les trois, tantôt deux à deux, mais sous des aspects différents qui constituent la suite ou le vecteur de la suite. Puis vous avez ce développement pour soi-même, dans une espèce d’auto-développement, la construction des tableaux et des tableaux vivants. [Pause ; Deleuze écrit au tableau] [19 :00] Ça ne joue plus du tout le même rôle que dans la conception horizontale. Dans la coupure irrationnelle, le tableau se développe pour soi et va, à la lettre, subsumer la suite d’images précédentes. À savoir : tel tableau de Goya va subsumer la situation des ouvriers ; tel autre tableau des Croisés va subsumer la situation des patrons. Si bien que le quatrième personnage, c’est-à-dire le metteur en scène, l’organisateur de tableaux vivants, a évidemment un rôle perpétuel d’aller-retour dans la construction verticale. [Pause] [20 :00]

Voyez, en un sens, ce n’est pas, il suffirait pour penser — j’insiste, c’est pour ça que c’est relativement, tout ça c’est, c’est, c’est très constructif ; j’ai envie de reprendre le titre de l’école, de l’école russe, de l’école du début de la Révolution russe, le constructivisme, c’est du constructivisme — pour passer de l’une à l’autre, il suffit d’un mouvement, et vous faites pivoter votre image-coupure, votre coupure, vous la faites pivoter, vous la décalez, c’est-à-dire pour ça il suffit qu’elle se mette à valoir pour elle-même. [Pause] [21 :00] Mais le premier cas, je dirais que dans Passion, la catégorie dans laquelle se réfléchit les suites d’images, c’est la catégorie « peinture », tout en corrigeant, « tableau vivant » et accessoirement « musique ». [Pause]

Mais cette fois, la suite d’images se réfléchit dans la catégorie qui n’a plus un usage simplement réfléchissant, [22 :00] mais qui a un usage constituant. Il y a eu ce glissement. Il y a eu ce glissement où, à la limite, en effet, le spectateur est convié de passer de quoi à quoi ? — Ça j’en aurai très besoin, c’est pour ça que je l’introduis maintenant — La construction horizontale des séries [Deleuze écrit au tableau] est sous le mode de la succession. [Pause] La construction verticale, même si, bien entendu, pour nous spectateurs, il y a une succession, cette succession n’est plus qu’un état de fait et renvoie en droit à une [23 :00] juxtaposition : juxtaposition de droit entre, d’une part, la suite, les suites d’images mettant en jeu les trois personnages, et la catégorie, c’est-à-dire la peinture ou le tableau. C’est une méthode de juxtaposition ; c’est ça que la construction verticale a permis de garder : dépasser la succession vers une juxtaposition idéale.

Un exemple : après Passion, il y a Prénom Carmen [1963]. [Pause] À la question pourquoi [24 :00] ne s’est-il pas servi de la musique de [Georges] Bizet ? La réponse est simple ; elle nous importe beaucoup. Pourquoi a-t-il substitué à la musique de Bizet, les Quatuors de Beethoven ? Réponse toute simple : s’il avait conservé la musique de Bizet, de quelque manière qu’il procède, c’était un film sur Carmen. Ce n’était pas un film sur. [Pause] On a vu que le problème fondamental d’une méthode sérielle telle que l’entend Godard, c’est : comment éviter de faire un film sur quelque chose ? Les Carabiniers [1963] ne sont pas un film sur la guerre, La Lettre à Freddy Buache [1982] n’est pas un film sur Lausanne, et vous vous rappelez pourquoi. [25 :00] C’est parce que Les Carabiniers, c’est la réflexion des suites d’images dans les catégories de la guerre ; dès lors, ce n’est pas un film sur la guerre. La Lettre à Freddy Buache, c’est la réflexion de Lausanne dans les catégories de la couleur, dans ce cas précis, dans le vert et dans le bleu. Donc il évite par-là de faire un film sur.

C’est évident que s’il y avait la musique de Bizet, même avec toutes les astuces musicales qu’il pourrait y introduire, la musique ne pouvait plus jouer comme coupure irrationnelle et ne pouvait plus jouer comme genre de catégorie. Sans doute, ça n’explique rien. Pourquoi est-ce qu’il a, [26 :00] il a pris les Quatuors de Beethoven plutôt qu’autre chose ? Mais la réponse, ce serait peut-être, mais là alors il faudrait… ce serait peut-être aussi que la forme quatuor est une forme ordinairement extrêmement formée, si j’ose dire, et que quelque chose d’extraordinaire dans Beethoven, c’est déjà l’avènement d’une forme ouverte, dans le quatuor, et que ça va lui permettre dans l’utilisation qu’il en fait, que ça va lui permettre des espèces d’acrobaties — mais pas, pas dans un sens péjoratif du tout — au niveau de ce que [27 :00] il est convenu de ne pas appeler la bande son. Je veux dire de ce qu’il est convenu de ne pas appeler — puisque la question de savoir s’il y a une bande son ou s’il n’y en a pas, on la rencontrera ça, on la rencontrera bien plus tard, quand on en sera au niveau du parlant dans le cinéma, au niveau parlant et de la pensée — mais, on pourrait dire, qu’est-ce qui se passe dans son utilisation des quatuors ?

Il se passe, premièrement, des phénomènes typiques de ré-enchaînement, entre quoi et quoi ? Il y a deux éléments sonores, ou deux éléments bruités fondamentaux : coup de pistolet, coup de revolver, rafale de [28 :00] mitraillette. Ceux qui se rappellent le film ont dû être sensibles à, là, une espèce de ré-enchaînement entre coup de revolver-pincement de cordes. Coup de revolver dans une suite d’images, cette fois-ci je, enfin, j’adapte sur le tableau, ce petit tableau un, c’est « quatuors ». [Pause ; Deleuze écrit au tableau] Donc ici j’aurai quatre ou cinq quatuors, bon, donc coup de revolver-pincement de cordes, [Pause] [29 :00] tantôt aussi rafale de mitraillette-course d’archets, frottement d’archets. [Pause]

Tout un système de correspondances va intervenir, de quel type ? Je prends deux exemples de types aussi bien visuels que sonores. Correspondance de type visuel : entre un point la catégorie et un point de la suite d’images, [Pause] l’arrondi du bras [Pause] [30 :00] de la joueuse, l’arrondi du bras de l’amant, ou de l’amante, je ne sais pas, [Pause] bon, quand l’un enlace l’autre. [Pause] Correspondance sonore : [Pause] il y a un moment, dans les suites d’images, il y a deux grands moments : l’attaque de la banque, [Pause ; Deleuze écrit au tableau] et là, il y a l’enlèvement, le rapt. [Pause] [31 :00] Il y a un moment où on est dans la suite d’images relative à la banque, à l’attaque de la banque, [Pause ; Deleuze écrit au tableau] et dans la catégorie surgit le répétiteur du quatuor qui dit « L’attaque n’est pas assez forte », attaque musicale, attaque de banque, et le plateau reprend avec une attaque, avec une attaque musicale plus forte. [Pause]

Mais ce qui compte encore plus, il n’y a pas seulement des correspondances du contenu de la catégorie à la [32 :00] suite d’images, mais il y a perpétuellement des décalages. [Pause] Par exemple, au moment de l’enlèvement, il y a un moment où les personnages, qui s’apprêtent à faire l’enlèvement, ne savent pas quoi faire. Ils ne savent pas du tout quoi faire ; ça ne s’organise pas, et à ce moment-là, la musique est, comme on dit, tragique. [Pause] Au contraire, au moment le plus violent de l’attaque de la banque, la musique est mélancolique. [Pause] Bon, indépendamment de toute autre [33 :00] question — mais ça on les réserve pour plus tard, encore une fois, la conspiration du sonore, des éléments du sonore, du rapport entre tous les éléments du sonore dans le cinéma, c’est-à-dire les grands éléments du sonore étant : les bruits du type revolver, les sons du type cri. Généralement on distingue, on distingue généralement les bruits, les paroles, et la musique. Mais il me semble qu’il faudrait distinguer les bruits, les sons, les phonations, les paroles et la musique, c’est-à-dire qu’en fait, il y aurait cinq éléments. –

Mais donc peu importe, indépendamment à tous ces problèmes, voyez en quoi là, [34 :00] dans Prénom Carmen, il y a pleinement la construction verticale, les séries que je recherchais, puisqu’à chaque fois, ce n’est plus une coupure irrationnelle qui va permettre le passage d’une série à l’autre. C’est les coupures irrationnelles elles-mêmes qui constituent une série juxtaposée aux séries d’images. C’est exactement ça : les coupures irrationnelles forment elles-mêmes une série juxtaposée à la série des images, et il y aura une nouvelle coupure irrationnelle, cette fois-ci entre le haut et le bas, c’est-à-dire entre la série des coupures irrationnelles ou, si vous préférez, la série des catégories et la série des images.

Dans Je vous salue Marie [1985] que — je ne l’ai pas vu encore, raison de plus, il vaut mieux parler des films [35 :00] avant — c’est évident que c’est pareil et qu’il garde sa méthode de construction verticale, c’est évident ! Cette fois-ci, ce qui sert de catégorie, c’est évidemment le texte biblique. Et les suites d’images, c’est quoi ? : c’est le « avoir un enfant » qui a toujours été une obsession de Godard : « Je veux un enfant, je veux un enfant ». Qu’est-ce que ce veut dire « vouloir un enfant »… ? [Interruption de l’enregistrement] [35 :31]

… dans la catégorie biblique ? [Pause] Ce que je voudrais que vous sentiez, c’est que, en effet, [36 :00] je dirais presque que entre la construction horizontale et la construction verticale des séries, il y a une différence analogue à celle qu’on appelle en physique entre la relativité restreinte et la relativité généralisée. La construction verticale, c’est un sérialisme généralisé où tout est mis en série.

Alors la question ce serait, je reviens en arrière : est-ce qu’il y a, si c’est vrai qu’il y a cette évolution chez Godard ? Je dirais mais inversement : est-ce que dans les films du début, est-ce qu’il y a un moment où le sérialisme vertical s’est manifesté ? Et à mon avis, oui, dans un des plus beaux films du début, à savoir dans Le Mépris [1963]. [37 :00] Dans Le Mépris, vous avez déjà une construction verticale des séries : suite d’images très analogues à celles de Passion, suite d’images de couple, le célèbre couple en scène de ménage. [Pause] Catégorie : « épopée d’Ulysse », où là, l’épopée d’Ulysse ne joue pas le simple rôle d’une coupure irrationnelle entre deux suites d’images, mais se développe pour elle-même, avec comme intercesseur Fritz Lang, et où est déjà affirmée pleinement une juxtaposition [Pause] [38 :00] de la catégorie, d’une part, de la suite d’images, d’autre part, et non pas une simple succession vectorisée. [Pause] Cette fois, ce qui joue le rôle de catégorie dans Le Mépris, c’est l’épopée.

Alors, presque, si vous m’accordez tout ça, ben, j’en tire très rapidement les conclusions, à savoir qu’est-ce que les conclusions quant à cela. Première conclusion : qu’est-ce qu’on a vu ? Qu’est-ce qu’on a rempli de notre programme du premier trimestre là, dans cet examen de Godard ? [39 :00] Ben, on s’est livré donc à une espèce de confrontation [Sergei] Eisenstein-Godard, encore une fois pris très arbitrairement comme exemples privilégiés, concernant quoi ? Concernant les rapports image-pensée, image-pensée ou, si vous préférez, image-concept, imagination-pensée ou image-concept. Or c’est un vieux problème, un vieux et classique problème ; on aura l’occasion de le revoir en philosophie. C’est même une question de bachot, penser-imaginer. Et les philosophes, ils ont donné des réponses très, très différentes à cette histoire : quels sont les rapports de la pensée à l’imagination, ou quels sont les rapports du concept et de l’image. Mais ils tournent tous [40 :00] autour d’une certaine, une certaine idée. Simplement ils l’interprètent très différemment d’après la manière dont ils posent le problème.

Si j’essayais de résumer l’idée philosophique que tous les philosophes ont finalement partagé, c’est que penser-imaginer, c’est le rôle d’histoire, parce que [Pause] il y a deux choses sûres : c’est que la pensée ne peut pas se passer d’images, le concept ne peut pas se passer d’images, mais il dépasse l’image. La pensée dépasse l’imagination, mais en même temps, elle ne peut pas s’en passer. Tous, tous disent ça, c’est même ça le problème finalement : comment expliquer que la pensée dépasse l’imagination et pourtant elle ne puisse pas s’en passer ? Qu’est-ce que c’est que ça ? [41 :00] Qu’est-ce que ça veut dire « dépasser sans pouvoir se passer » ?

C’est un problème intéressant. Alors Descartes ne le résout pas de la même manière, ou semble ne pas le résoudre pas de la même manière que Hume, par exemple, mais ils donnent tous des réponses à ce problème, et la diversité de leurs réponses vient uniquement de ceci : c’est qu’ils ne déterminent pas de la même manière les conditions du problème. Alors évidemment, ils donnent des réponses différentes.

Ben nous, voilà qu’on le retrouve aussi. [Pause] Et voyez que la réponse au niveau de Godard, c’est le rapport entre les suites d’images et ce qui fait fonction de catégorie. C’est ça, les rapports de l’image et [42 :00] du concept. [Pause] C’est la première remarque. Et on a vu que chez Eisenstein, c’était tout à fait différent, mais là aussi, vous voyez que je pourrais dire dans les deux cas, ben oui : la pensée dépasse, le concept dépasse l’image, et il ne peut pas s’en passer. Les catégories ne peuvent pas se passer de la suite d’images qui se réfléchissent en elles.

Deuxième remarque : c’est ce qui m’a paru pouvoir être appelé la méthode sérielle chez Godard, donc sous ces deux aspects. Mais je vous rappelle qu’il y a bien d’autres manières de construire des séries, notamment j’avais signalé — mais je le redis pour qu’il n’y ait pas d’équivoque [43 :00] — dans un livre intitulé, je ne sais plus, Nouvelle sémiologie, nouveau cinéma, [Dominique] Chateau et [François] Jost, [Voir Nouveau cinéma, nouvelle sémiologie (Paris : UGE, 1979)] livre consacré, en effet, au cinéma de Robbe-Grillet, Chateau et Jost analysent le cinéma de Robbe-Grillet, et ils voient une méthode de construction sérielle. Alors, au choix, soit que les séries de Robbe-Grillet soient très différentes de celles de Godard, soit que l’interprétation de ce qu’est une série soit très différente chez Chateau et chez Jost, et dans ce qui je vous ai proposé… Ou bien les deux à la fois, vous verrez — pour ceux, là je n’ai pas le temps, je ne vais pas m’occuper de ça, on retrouvera, en effet plus tard, pour ceux que ça intéresserait, [44 :00] qu’ils regardent ce livre — et vous verrez une tout autre conception de la série. Donc je ne pense pas, en effet, que ce que j’ai dit sur Godard épuise le problème de la série. Je pense juste que les critères que j’ai proposés sont plus, à mon avis, plus consistants que ceux qu’ils proposent. Vous pouvez très bien avoir l’impression contraire.

Et enfin, dernière conclusion, qu’est-ce que je dirais, qu’est-ce que signifie « penser » ? Si je voulais résumer vraiment tout ce, tout ce long passage : que signifie « penser » ? Ce que signifie « penser » chez Eisenstein, je dirais maintenant des choses très simples. Ce que signifie « penser » chez Eisenstein et, dans une certaine mesure, pour le cinéma dit classique, [45 :00] je dirais, c’est exactement : enchaîner des images par coupures rationnelles. D’où, encore une fois, l’importance chez Eisenstein de la théorie du « nombre d’or », qui n’est pas seulement une théorie mais une pratique, puisque le « nombre d’or » ou la « section d’or », comme on dit, est typiquement une coupure rationnelle. Donc penser, c’est enchaîner des images par coupures rationnelles. [Pause]

Si nous disons : qu’est-ce que « penser » selon Godard ? Peu importe s’il ne le dit pas, ça va très bien. Qu’est-ce que « penser » [46 :00] selon Godard ou, d’une manière beaucoup plus générale, pour le cinéma dit moderne ? Non pas que Godard épuise l’un, pas plus que Eisenstein n’épuisait l’autre. Je dirais penser, c’est ré-enchaîner des images sur coupures irrationnelles — j’insiste beaucoup sur la différence des propositions « par » et « sur » — sur coupures irrationnelles.

Alors on peut me dire ce qu’on veut, mais tout ce…, on peut me dire, ce n’est pas ça. En tout cas, je maintiens que ce sont deux définitions de la pensée, et que ce sont deux définitions de la pensée convenant au cinéma, ou si notre problème était réellement la pensée et « que signifie ‘penser’ au cinéma ? », nous avons donné au moins [47 :00] un bout de réponse.

Seulement voilà, tout rebondit. Avant d’en avoir fini avec cette partie, tout va rebondir une, une petite fois, une dernière fois. [Pause] À savoir je peux considérer qu’on voit comment construire une série, et l’on voit les rapports entre suites d’images et concepts ou catégories, suites d’images et catégories ou concepts. Mais il y a quelque chose que nous ne savons pas du tout, et c’est : en quoi consiste l’image, en quoi consiste le concept ? [48 :00] De ce point de vue, je ne dis pas, « en quoi consiste l’image en général et en quoi consiste le concept en général ? » ; je dis : on n’a pas encore vu en quoi consistait l’image mise en série, « en quoi consiste l’image en tant que mise en série ? ». Qu’est-ce qui est, qu’est-ce qui dans l’image — voilà exactement le problème maintenant qui rebondit — qu’est-ce qui dans l’image rend possible la mise en série ? Ça, on ne le sait pas encore.

Même chose pour le concept ou la catégorie. On a vu finalement que n’importe quoi pouvait faire fonction de catégorie. Eh ben, qu’est-ce qui, dans quelque chose, lui donne la possibilité de fonctionner comme catégorie et non [49 :00] plus comme image ? [Pause] C’est ça qui nous reste, hein ? [Pause] Qu’est-ce qui dans l’image permet la mise en série ? Qu’est-ce qui dans une pensée ou autre chose permet une fonction catégorielle ? [Longue pause] [50 :00]

Voyez, c’est exactement là où nous en sommes. Et il est évident que le rebondissement de ce problème va nous permettre — voyez quelle méthode je prends cette année — elle va nous permettre de remplir à nouveau une autre case de notre programme du premier trimestre. Et puis, on aura fini une partie du remplissement ; alors on pourra faire ensuite un recueil de conclusions, et on sera forcé de passer à autre chose, à un autre aspect.

Voilà, bon, alors… voilà ! Il faut que tout ça soit clair, alors voilà, je m’interromps un instant. Il faut que cela soit très, très clair. [51 :00] Enfin il faut… En tous cas, [Deleuze rit] je ne peux pas le dire plus clairement ; après tout, il n’y a pas le choix. Hein ? [Deleuze rit de nouveau] Pas de problème, pas de problème. [Pause] Alors…

Comment comprendre, alors ? On avance, avançons. Comment comprendre cette histoire, ce qui dans une image permet une mise en série, [Pause] [52 :00] ce qui dans une pensée permet une fonction catégorielle ? Alors, on peut se dire : ça, c’est un problème de philosophie. En même temps, on n’a jamais cessé d’être dans des problèmes de philosophie. Bien, parce que le reste, [à voix très basse] ça ne compte pas, hein ?

Eh bien, [Pause] pensons à, pensons avec entrain, pensons à [G.W.F.] Hegel. C’est un philosophe, hein ? [Pause] [Rires] Hegel, [Pause] [53 :00] il conçoit deux grandes disciplines : la phénoménologie et la logique. [Pause] Et la phénoménologie est comme le développement des figures de la conscience, des figures de la conscience. [Pause] Permettez-moi — si j’essaie de faire le cinéma de Hegel — permettez-moi d’appeler ça des suites ou des séries d’images. [Pause] Et la logique, elle, [Pause] c’est le développement [54 :00] non pas des figures de la conscience, mais le développement des moments du concept, moments du concept appelés catégories. Question qui n’a pas d’intérêt, vous reconnaissez que quelqu’un ne comprend rien à Hegel s’il confond les figures de la conscience et les moments du concept, c’est-à-dire la phénoménologie et la logique. Vous reconnaissez qu’il en connaît déjà trop s’il sait que les figures de la conscience ne sont pas la même chose que les moments du concept. Et pourtant, et pourtant, les figures de la conscience se réfléchissent dans les moments du concept, et les moments du concept d’une certaine manière subsument les figures de la conscience. C’est dire à quel point ça a l’air d’être [55 :00] l’auteur qu’il nous faut.

Mais qu’est-ce que c’est qu’une figure de la conscience ? Alors c’est le moment ou jamais, on se dit, eh bien là, heureusement, voilà un philosophe qui nous tombe du ciel ou qui nous vient de l’enfer et qui va nous permettre de répondre à notre question. Et qu’est-ce que c’est qu’une figure de la conscience ? [Pause] Les figures de la conscience, c’est finalement les manières d’être au monde de la conscience, manière d’être au monde de la conscience ou, comme dira quelqu’un : qu’est-ce que c’est une manière d’être au monde de la conscience ? C’est une, c’est ce qu’on appelle communément une attitude, c’est une attitude. [56 :00] Mais comment ça, c’est une attitude ? Tu réintroduis — vous allez me dire, tu réintroduis ça, tu en as déjà parlé au premier trimestre ; tu réintroduis ça exprès parce que ça t’est commode. Non. Hegel est pour moi. Je ne le réintroduis pas, c’est Hegel qui l’introduit. Les figures de la conscience sont des attitudes.

Le dernier des hégéliens s’appelait — depuis je n’en connais pas, mais on me dit que ça se fabrique — le dernier des hégéliens, enfin, le dernier des grands hégéliens, s’appelait Eric Weil. Il est mort assez récemment, Eric Weil : w-e-i-l. [Pause] [57 :00] C’est dur… Eric Weil faisait partie de cette chose — je ne sais pas, je le dis, je le précise parce que beaucoup d’entre vous qui ne sont pas, qui n’ont pas pu connaître cet avant-guerre, par définition, ils ne savent peut-être pas ce point très important dans l’histoire de la pensée française, c’est que, on le sait pour l’Amérique, mais on le sait moins pour la France — que la pensée française, la philosophie française universitaire a été complètement renouvelée par des immigrés. Tout comme les réfugiés, ceux qui fuyaient le nazisme ont renouvelé la pensée américaine, la même chose s’est produite vers 1930-1933 pour la pensée française. [58 :00]

Et parmi les grands immigrés qui venaient soit directement d’Allemagne, soit d’une éducation allemande, d’une éducation philosophique allemande, il y avait [Alexandre] Kojève, célèbre pour ses leçons sur Hegel, qui a marqué toute une génération et qui a renouvelé les études hégéliennes. Et le livre de Kojève est encore un grand livre toujours, qui a gardé toute son actualité. [Sans doute, Introduction à la pensée de Hegel (Paris : Gallimard, 1947)] Il y avait un très, très grand épistémologue qui a renouvelé l’épistémologie française, ça y est, j’ai encore oublié son nom… [Les étudiants l’aident] [Alexandre] Koyré, Koyré, et il y avait Eric Weil, le dernier des hégéliens… [Interruption de l’enregistrement] [59 :00]

Partie 2

… Ils étaient tous liés. Ils ont reçu en France un accueil… Leur problème avec l’université française a été complexe, tout ça, bon, mais c’est intéressant parce que je crois qu’en effet, c’était fondamental. C’est vers 30-33, l’essor de la pensée française après la guerre, c’est-à-dire avec Sartre et avec la phénoménologie, avec [Jean-Paul] Sartre et [Maurice] Merleau-Ponty, ne peut se comprendre que compte tenu de cette arrivée d’un certain nombre de très grands philosophes, de grands philosophes, vers 30-33 en France.

Or, qu’est-ce que nous dit Eric Weil dans un livre ? Un de ces… Eric Weil, il n’a pas fait beaucoup de livres, mais gros, d’une part, et puis après, on se dit, ben il n’y a plus rien à faire, parce que l’un s’appelle Logique de la Philosophie [Paris : Vrin, 1950], [60 :00] l’autre s’appelle Philosophie Morale [Paris : Vrin, 1961] et l’autre s’appelle Philosophie Politique [Paris : Vrin, 1956]. Donc, après ça, après ça c’est tout, on ne voit pas de quoi parler en philosophie.

Eh ben, Eric Weil dit : il y a une complémentarité — et là, il est très hégélien, simplement il apporte quelque chose de nouveau, c’est sa manière de comprendre Hegel. — Sa manière de comprendre Hegel et de reprendre Hegel, c’est-à-dire de faire une nouvelle phénoménologie de l’esprit dans Logique de la Philosophie consiste à nous dire : [Pause] il y a une corrélation entre les attitudes et les catégories, il y a une corrélation entre attitudes et catégories. D’une certaine manière, on pourrait dire à la limite que les catégories sont des attitudes. Les concepts sont des attitudes, [61 :00] mais il dit, ce serait, non, il nuance, on ne peut pas dire exactement ça, il faut plutôt parler d’une corrélation attitudes-catégories. Et l’attitude, il la définit très bien comme étant une manière d’être au monde, une manière d’être au monde de la conscience. Bien.

Et la catégorie, c’est quoi ? Manière d’être au monde de la conscience, la catégorie, c’est un — quel qu’il soit — un discours cohérent, un discours cohérent. [Pause] Le problème, c’est évidemment : quels sont les critères de la cohérence ? Mais on ne va pas s’en occuper, de ce problème parce que ce serait [62 :00] un cours sur Hegel et sur l’interprétation d’Hegel par Weil. Discours cohérent. Quelle est la corrélation ? Toute attitude, toute manière d’être au monde renvoie sans doute à un discours cohérent et inversement. Mais de quelle manière ? Là ce n’est pas si simple, hein ? Il y a toujours un discours cohérent possible ; les discours cohérents, ils abondent. Toute attitude renvoie à son discours. Toute attitude a son discours, tout comme tout discours a son attitude. [Pause]

Seulement ce n’est pas toujours celui qui tient l’attitude qui tient aussi le discours de cette attitude. [63 :00] Donc ça se complique. La corrélation attitudes-discours cohérent est en train de se compliquer. Soit un fou. Un fou, il a une certaine attitude. L’attitude, mettons, l’attitude paranoïaque, ce n’est pas la même que l’attitude schizophrénique. Il y a des attitudes, ce n’est pas la même que l’attitude maniaco-dépressive, il y a même toute une psychiatrie des attitudes qui, d’ailleurs, doit quelque chose à Hegel, lointainement, c’est-à-dire, l’interprétation des troubles psychiques comme manière d’être au monde. Il y a une espèce de lignée là, Hegel-[Martin] Heidegger.

Bien, je dis : un fou a une attitude, il a aussi un discours. Est-ce que ce discours est [64 :00] cohérent ? C’est ce que demanderait Eric Weil : est-ce que ce discours est cohérent ? Pour aller très vite, hein — il ne faut pas discuter chaque mot — on pourrait dire : oui, il est cohérent. On pourrait dire, il a sa cohérence ; on pourrait dire, il est parfaitement cohérent. Supposons qu’il ne soit pas cohérent, ça veut dire quoi ? Ça ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de discours cohérent correspondant à l’attitude de la folie. Ça veut dire que ce n’est pas le fou qui peut tenir le discours cohérent correspondant à son attitude. Alors peut-être qu’il y a même des cas différents. Il y a des cas où le fou peut tenir lui-même le discours cohérent de sa propre attitude. Il y a des cas, il y a d’autres formes de folie où le fou ne peut pas tenir le discours cohérent de sa propre attitude. Il n’y en a pas moins un discours cohérent de sa propre attitude, ce sera le discours dit du psychiatre. C’est le [65 :00] psychiatre qui tiendra le discours cohérent correspondant à — enfin il faut vraiment y croire, mais je parle au plus simple — tout ça c’est des exemples qui n’ont aucun intérêt, c’est pour vous faire comprendre.

Je prends un autre exemple : le bourreau parce que c’est deux exemples que Weil prend. Le bourreau, l’homme de la violence absolue, [Pause] est-ce qu’il y a un discours cohérent de la violence absolue ? [Pause] Peut-être, peut-être qu’il y a même ça. S’il y a un discours cohérent de la folie, peut-être qu’il y a un discours cohérent de la violence absolue. [66 :00] Qui aurait tenu le discours cohérent de la violence ? Alors mettons, précisons : un discours cohérent de la violence sexuelle absolue ? C’est bien connu, nous dit-on, que [le Marquis de] Sade a tenu le discours cohérent de la violence sexuelle absolue. Que ce discours soit cohérent, c’est évident. Les personnages de Sade se réclament de la nature, de toute une conception extrêmement rationnelle de la nature, et ils tiennent un discours fondamentalement cohérent, et même ils sont très vexés lorsque leur victime ne se laisse pas faire convaincre. Ils n’aiment pas ça du tout, parce que leur victime, elle a un double rôle : être la victime de leurs supplices, mais être aussi l’auditrice [67 :00] de leurs discours. C’est fondamental. Alors bon, mais peu importe, tout ça. Bien.

Mais, dans un texte célèbre, Georges Bataille posait une question, posait une question intéressante — c’est une belle page de Bataille — où Bataille dit : le discours des héros, de Sade est précisément un discours que les bourreaux ne peuvent pas et ne savent pas tenir. Qui peut tenir un tel discours ? Et là, c’est un grand renversement dans Bataille — remarquez que Bataille était très lié à tout ce dont je parle, à Weil, à Kojève à tout ça, bon — Bataille dit, il est évident que seule une victime peut parler comme parlent les bourreaux de Sade. [68 :00] Sinon quand vous avez un bourreau, voyez, voyez le nazisme, vous n’avez jamais vu un nazi parler comme parle un personnage de Sade.

Qu’est-ce que c’est le discours d’un nazi ? Le discours d’un nazi, c’est un discours alors tout à fait incohérent. De quel type ? Du type toujours, de l’éternel type : « Oh, on m’a dit de le faire ! Si je ne l’avais pas fait, ça aurait été pire, etc., ah, c’étaient les ordres ! », bon. Mais le discours du mal absolu tel qu’il apparaît chez Sade, jamais un bourreau ne l’a tenu. Donc, de même que je disais tout à l’heure, le discours cohérent du fou n’est pas forcément tenu par le fou, c’est-à-dire par celui qui a [69 :00] l’attitude correspondante — il est peut-être tenu par le psychiatre — enfin, de même, le discours cohérent de la violence absolue n’est peut-être pas tenu par le bourreau mais, selon l’hypothèse de Bataille, ne pourrait être tenu que par la victime.

Si bien que ça permettrait de distinguer au moins deux sortes d’attitude — et c’est là que Éric Weil veut en venir — à la distinction de deux sortes d’attitudes. — Je crois qu’il y avait longtemps que je n’avais pas fait un cours sur Hegel ou sur un hégélien, ça me fait tout chose, tout bizarre, [Rires] oh… je ne sais pas ce qui m’a pris — deux attitudes : il y aurait les attitudes qui se développent elles-mêmes dans un discours cohérent, qui sont capables de se développer elles-mêmes dans un discours cohérent, et celles-là, Weil les appellera les « attitudes pures ». [Pause] [70 :00] Et puis, il y a les « attitudes impures », non pas qu’elles n’aient pas de discours cohérent, mais elles sont plus ou moins incapables de tenir elles-mêmes le discours cohérent ou de développer elles-mêmes le discours cohérent qui leur correspond. [Pause] Elles sont capables ; ça ne veut pas dire qu’elles le fassent. Après tout quelqu’un qui a une attitude — une attitude comme dit Weil, ça s’occupe de l’histoire — et une attitude, une manière d’être au monde, c’est très indifférent à la philosophie.

En revanche, la philosophie, ce qui l’intéresse, elle, c’est [71 :00] le discours cohérent. La philosophie, c’est la science des discours cohérents, définition très hégélienne, que Hegel n’a pas donnée mais définition hégélienne que propose Éric Weil. Si bien que le discours philosophique, c’est celui qui, dans sa propre cohérence, enchaîne et produit tous les discours cohérents possibles. C’est l’auto-développement du discours cohérent. Voyez ? Ça devient alors, l’idée devient très claire : chaque type de discours cohérent, c’est une catégorie. [Pause] Vous avez une corrélation attitude-catégorie, corrélation complexe [72 :00] puisque certaines attitudes correspondent étroitement aux discours cohérents correspondants, enfin je ne sais pas quoi, et d’autres attitudes, au contraire, n’y correspondent qu’indirectement. Mais de toute manière, vous avez une complémentarité des attitudes et des discours cohérents. Tout comme chez Hegel, vous avez une complémentarité des figures de la conscience et des moments du concept, là vous avez une complémentarité des attitudes et des discours cohérents. C’est dire que les attitudes se réfléchissent dans les discours cohérents, c’est-à-dire dans les catégories. [Pause] [73 :00]

Or je pense à ça, et je l’ajoute, parce que un texte — là aujourd’hui, on entre dans des textes, parce que je vais vous expliquer pourquoi on va attacher beaucoup d’importance aux textes — il y a un article de Serge Daney, pour en revenir à Godard, dans son livre intitulé La Rampe [Paris : Cahiers du cinéma/Gallimard, 1983], c’est un recueil d’articles, il y a un article sur Godard qui me paraît très intéressant parce qu’il voit très bien quelque chose : l’importance du discours dans le cinéma de Godard, et où il dit, chez Godard, ça procède toujours par discours. [Pause] [74 :00] Et on dirait, d’une certaine manière, que Godard ne s’interroge pas sur, finalement, qui a tort, qui a raison, ou bien, d’où viennent ces discours : [Pause] « Godard ne pose jamais » — je lis – « Godard ne pose jamais aux énoncés qu’il traite la question de leur origine, de leurs conditions de possibilité. Sa démarche est la plus anti-archéologique qui soit. Elle consiste à prendre acte de ce qui est dit » — ça je crois que c’est très juste, quant à… [75 :00] – « elle consiste à prendre acte de ce qui est dit et à chercher aussitôt l’autre énoncé ». Il prend acte d’un discours existant, et il cherche aussitôt l’autre discours. Peu importe d’où vient le discours, peu importe d’où ça vient.

Donc il prend acte de ce qui est dit et cherche aussitôt l’autre énoncé, l’autre son, l’autre image qui pourrait venir contrebalancer, contredire cet énoncé, ce son, cette image. Une image étant donnée, il la prend pour ce qu’elle est, il la prend littéralement. Et sa question c’est : quelle autre image mettre avec celle-là ? Tout comme, un discours étant donné, [76 :00] j’y oppose un autre discours. « Plus que qui a raison, qui a tort, la question qui mène Godard est : qu’est-ce qu’on pourrait opposer à cela ? » — c’est très, c’est la dialectique, quoi, la dialectique hégelienne, on passe d’un discours à un autre discours en même temps qu’on passe d’une attitude à une autre attitude – « De là » — continue Daney« cette confusion souvent reprochée à Godard : à ce que l’autre dit » — à ce que l’Autre dit – « il répond toujours par ce qu’un autre autre dit. Et même » — continuera Daney –, « Godard ne cache pas sa sympathie pour un certain type de discours, mais même le discours pour lequel il [77 :00] éprouve de la sympathie, il ne le présente pas comme étant plus vrai que l’autre, il le présente simplement comme étant autre que le discours précédent ». [Pause]

Et Daney donne des exemples, le discours maoïste dans les films de Godard du type Vent d’Est [1969], Pravda [1969] etc., le discours féministe dans Numéro deux [1975], ça consiste à opposer à ce que l’un a dit, ce que un autre dit, comme si — là c’est très, c’est très important, comme confirmation de notre méthode sérielle — c’est comme si, en même temps que les séries d’images, les suites d’images [78 :00] qui chez Godard sont des attitudes, [Pause] ça va être — et on va le retrouver, mais on l’avait déjà esquissé ce thème, le premier trimestre — c’est un cinéma des attitudes, voilà, des attitudes qui nourrissent les suites d’images, correspondaient des discours cohérents constituant les catégories corrélatives à ces attitudes. [Pause]

C’est là que je voudrais en venir, à quoi ? Ben, une chose toute simple : mes deux questions étant données, j’ai un début de réponse. [79 :00] On va voir hélas, que tout va se compliquer. Mes deux questions étant données, j’ai un début de réponse. Ma première question, c’était : qu’est-ce qui dans l’image permet la mise en série ? Je réponds, et là je me sens tout hégélien, mais on, ça ne va pas être, on n’a pas fini, hein, il faut bien en passer par là, c’est l’attitude. [Pause] C’est l’attitude. [Pause] Autre question : qu’est-ce qui donne à quelque chose une fonction catégoriale ? C’est le discours cohérent, un cinéma du discours. C’est ça la catégorie. [80 :00]

Qu’est-ce que c’est que ce discours cohérent ? Alors, donnons-lui un nom, alors pour en sortir un peu de tout ça. On a vu au premier trimestre, j’avais proposé un terme, c’est l’enchaînement des discours cohérents, ça va être quoi ? C’est ce qu’on appellera une geste, la chanson de geste. [L’emploi du féminin pour ‘geste’ correspond à cette perspective] Une geste, c’est quelque chose de très particulier. [Pause] La table des catégories forme la geste de la philosophie. [Pause] Les moments constituent la geste du concept. [81 :00] Bien. [Pause] Ce qui donne à quelque chose la valeur de catégorie ou de discours cohérent, c’est la geste. Ce qui donne à l’image la possibilité d’être sérialisée, c’est l’attitude. Bon.

Qu’est-ce qui compte là-dedans ? Qu’est-ce qu’on est en train de faire ? Ce qui m’importe, c’est ceci : c’est que, il faut trouver, nous sommes à la recherche d’un domaine, sentez-le…  [Interruption de l’enregistrement] [1 :21 :46]

… comme on dit les histoires sont finies, mais le vécu, ça ne vaut pas mieux. On a récusé les histoires, très [82 :00] bien, plus d’histoires, très bien. Si c’est pour la remplacer par la misère pitoyable d’un vécu, à savoir, comme dans la plupart des romans actuels, oh, ce n’est pas ce qu’avaient voulu les fondateurs du roman moderne ! S’il s’agit de renoncer à l’histoire, ce n’est pas pour que quelqu’un raconte son petit vécu à lui, à savoir le fait qu’il ait une mère et qu’il ait un père, chose assez générale [Rires] et dont, d’autre part, les drames vécus sont aussi la donnée de tout le monde. Ce n’est pas pour ça qu’on supprime l’histoire.

Je ne veux ni de votre vécu ni d’une histoire. Mais alors de quoi [83 :00] veux-tu ? Voilà, de quoi veux-tu ? Ni des états vécus, ni de l’histoire, c’est-à-dire, en termes de cinéma, ni le vieux cinéma d’action — vous allez me dire ni du cinéma, quoi — ni du cinéma direct. Non, à peine on a dit ça, on retire, c’est le cinéma direct qui est mal dit « direct ». Le cinéma direct, sauf cas très exceptionnels et expérimentaux, ne s’est jamais intéressé au vécu, bon. Alors ça, ça nous ouvre déjà quelque chose, cette confiance, que dans le cinéma direct, il ne s’est jamais, jamais, jamais agit du vécu, et qu’il ne s’agissait pas de remplacer l’histoire par du vécu, l’intrigue par du vécu, ça n’a jamais été ça, bon. [84 :00]

Mais mettons, alors quoi ? En tout cas, si ce n’est ni du vécu, ni de l’histoire ou de l’intrigue ? En effet, l’histoire ou l’intrigue, c’est le sujet, au sens où je dis : le sujet de mon ouvrage, c’est ceci, hein ? Or on a vu que le film et l’œuvre n’avaient pas de sujet. Le film n’est pas sur Lausanne, le film n’est pas sur la guerre. Donc, renoncement au sujet en ce premier sens. Mais, ce n’est pas non plus le vécu, et ce n’est pas non plus les états vécus. Renoncement au sujet au second sens : « moi, je ». [Pause] [85 :00]

Alors, ni histoire ou intrigue, ni états vécus, qu’est-ce qui reste ? Il reste les attitudes et les catégories ou, si vous préférez, les attitudes et la geste. [Pause] La geste, c’est le discours propre aux attitudes, c’est le discours correspondant aux attitudes. Les attitudes ne sont pas des états vécus ; la geste n’est pas un sujet, une intrigue, une action. D’où l’importance dans la littérature de non seulement ce qu’on a appelé, à proprement parler, la chanson de geste, mais d’une certaine manière, dire que toute littérature est une geste. [Pause] [86 :00] Je dis bien : la geste, c’est le discours des attitudes tout comme les attitudes, c’est le corrélat de la geste.

Bon eh ben, on est dans une drôle d’affaire parce que là-dessus, ce qu’il faut montrer, c’est en quoi il y a une espèce de notion complexe attitudes-geste où vous m’accorderez maintenant images-catégories, on est en plein dans le problème de la pensée. Mais vous voyez que déjà, et ça vous étonnera peut-être moins alors que on soit déjà comme acculé à bientôt parler du parlant puisque on ne peut avancer là que dans cette analyse actuelle, que déjà en invoquant perpétuellement le discours. [87 :00] Bien, eh ben, on se trouve devant un complexe de notions très, oui… Images-catégories, attitudes-geste, les attitudes et la geste ou bien les images et le concept. [Pause]

Bon, ça va ? Repos, hein ? Non ? Mais ne vous éloignez pas trop ! J’en connais qui vont jusqu’à aller chercher des cafés en face là-bas, [Rires] si bien que je dois vous attendre. Vous n’avez qu’à acheter une bouteille thermos [Rires]… [Interruption de l’enregistrement] [1 :27 :58]

[88 :00] … Je recommence parce que vous allez voir pourquoi. Nous tenons là, notre… comme deux doublets : images-catégories, attitudes-la geste ou le gestus. Encore une fois, la geste ou le gestus, nous le considérons uniquement pour le moment comme le discours cohérent qui correspond aux attitudes, voyez. Et nous sentons tous, de la manière la plus vive, la plus aiguë, que ça ne suffit pas, qu’il faut se débrouiller là-dedans. Et voilà ce que je vous propose, puisque on est amené : c’est ça qu’il y a de très gai pour moi, si ce n’était pas si — pour moi, rien que pour moi — on varie beaucoup nos méthodes.

Je vous propose là [89 :00] de prendre pour ce dernier point de cette partie, une nouvelle, le contraire d’une méthode. C’est-à-dire, on va vraiment feuilleter un certain nombre de textes auxquels je vous dis — d’habitude je ne vous le dis pas, parce qu’il n’y a pas lieu — que je ne m’y retrouve pas et que je ne les comprends pas. Alors je ne suis pas contre ; je ne les comprends pas. Alors on va voir avec vous, peut-être que vous, vous comprendrez et, et ce ne serait pas la première fois, moi qui ne les comprends pas, ils pourront vous paraître, à vous, limpides. Ils ne me convainquent pas ; je ne les comprends pas. Et puis, alors on va procéder comme ça, l’examen de ces textes que je comprends très mal, [Pause] et puis mise au point, [90 :00] je vais vous dire comment on fera la mise au point et puis ce que, ce que je comprends, moi, dans les rapports attitudes-gestus. Mais on va commencer par ces examens de textes parce que c’est des textes de base fondamentaux.

Et il s’agit de deux, de trois textes. [Pause] Si on me disait attitudes-la geste ou le gestus, je répondrais immédiatement, eh ben, il y en a deux qui s’imposent, je l’ai cité au premier trimestre, [Voir la session 7, le 18 décembre 1984] un texte de [Bertolt] Brecht, [Pause] un texte de Roland Barthes qui est lui-même un commentaire [91 :00] sur Brecht. Et puis on y joindra un troisième texte dont je ne sais pas trop s’il a à faire avec le second. Ce troisième texte est un texte également de Roland Barthes qui s’appelle L’obvie — o-b-v-i-e — et l’obtus [Paris : Le Seuil, 1982]. Ce texte, je l’avoue et je le dis d’autant plus aisément que j’ai pour l’œuvre de Barthes une très grande admiration, ce texte, je n’y comprends rien, rien, rien. Je n’y comprends rien.

Si bien que nous y joindrons un quatrième texte. [92 :00] Quelqu’un ici qui travaille avec nous ici depuis longtemps et qui fait aussi du cinéma, qui est Raymonde Carasco, a écrit elle-même un texte commentant le texte de Barthes sur L’obvie et l’obtus et non seulement le commentant mais le faisant sien. [Au fait, il s’agit du texte de Barthes, “Le troisième sens – Notes de recherche sur quelques photogrammes de S. Eisenstein,” et non pas du recueil L’obvie et l’obtus] Je suppose donc qu’elle a compris. J’avoue que je ne comprends pas plus le texte de Barthes que le sien. [Rires] Non, mais ceci ce n’est pas, ce n’est pas un reproche du tout, ce n’est pas une objection ; je ne comprends même pas ce dont ils parlent. Alors ça se gâte, et puis on verra quand même, même à travers l’incompréhension si bien que je serai en mesure la prochaine fois, quand on aura un peu avancé, de faire une seconde interview. Ce sera la moindre des choses que j’interviewe Raymonde Carasco. [Voir la séance suivante, le 5 février 1985] La première, [93 :00] notre première interview pour moi, a très très bien marché, donc je suis très content de cette méthode, si Raymonde Carasco veut bien la prochaine fois, eh ben, on fait une petite interview hein.

Raymonde Carasco : [Propos inaudibles]

Deleuze : Quoi ?

Raymonde Carasco : Je dis, j’ai peur, j’espère que ça marchera aussi bien.

Deleuze : Ah ! [Rires]

Alors on y va. On y va, je pars du texte de Brecht qui est donc le texte de base sur le gestus. Et, je me dis ça a l’air simple, première chose, je fais des petites remarques. Ce texte, vous le trouvez dans Les écrits sur le théâtre [Paris : L’Arche, 1966] c’est un texte de peu de pages, mais qui renvoie aux notions fondamentales de Brecht et qui s’appelle « Musique et gestus ». Et ce texte, on s’aperçoit très vite qu’il doit être très important parce qu’il a trois pages, [94 :00] mais on en sort en se disant, après tout, c’est à partir de la notion de gestus qu’il faut comprendre Brecht et pas à partir de celle de distanciation. Bien plus, la distanciation, la célèbre distanciation de Brecht, on ne peut la comprendre correctement que si l’on passe par son idée sur le gestus. Surtout que, dans le courant de ce texte de trois pages, je commence par une première remarque.

Il s’agit pour Brecht de montrer explicitement que les sujets n’ont pas d’importance, dans le théâtre pas plus qu’ailleurs. [Pause] Et il va jusqu’à dire bon, aucun sujet n’a d’importance [95 :00] si vous n’en avez pas dégagé un gestus. Qu’est-ce que ça veut dire ? Comme dira Barthes dans son commentaire, le sujet de Mère Courage, supposons que ce soit la Guerre de Trente ans. D’autres pièces de Brecht ont pour sujet le Nazisme. Mais là, dans ce court texte, il nous explique, si vous n’avez pas dégagé le gestus, le sujet, ça n’est rien. Cette remarque, elle nous fait plaisir puisque, par d’autres moyens, nous étions arrivés à cette constatation : il s’agit de supprimer le sujet, au sens où une œuvre ne porte pas sur, et c’est exactement dans ce sens que Mère Courage ne porte pas sur la Guerre de Trente ans. [96 :00] Donc le gestus n’a rien à voir avec l’intrigue ou le sujet. Première remarque. Jusque-là, ça nous va, jusque-là je comprends.

Deuxième remarque, ça a à voir avec quoi, le gestus ? Ben, il nous dit, gestus, ça peut être mille choses. Mais ce qui m’intéresse, et c’est ça le vrai gestus, nous dit-il, c’est le gestus social. Le gestus social, bon, qu’est-ce qu’un gestus social ? Brecht nous dit tous les gestus ne sont pas sociaux. L’attitude d’un homme qui se bat contre une mouche n’est pas au premier abord un gestus social. [97 :00] — Voilà, vous vous battez contre un moustique, hein ? — C’est plus vraisemblable ; je corrige, hein ? — vous vous battez contre un moustique, c’est un gestus en quel sens ? Je ne vois pas en quel autre sens ça peut être, sinon une coordination d’attitudes, et Roland Barthes dans une phrase, une seule phrase de son texte sur Brecht, dira : « coordination d’attitudes ». [Il s’agit d’un texte dans L’obvie et l’obtus (Paris : Le Seuil, 1982), « Diderot, Brecht, Eisenstein », pp. 86-93 ; pourtant, plutôt que la phrase « coordination d’attitudes », le texte de Barthes contient la phrase : « L’œuvre ne commence qu’au tableau, lorsque le sens est mis dans le geste et dans la coordination des gestes » (p. 92)]

Donc nous disons un gestus, bon, c’est une coordination d’attitudes. Encore faut-il que le gestus soit social. Se battre contre un moustique, c’est enchaîner des attitudes, bon, hein, [Rires, et on entend le bruit de la main de Deleuze qui frappe un moustique imaginaire] enchaîner des attitudes, [98 :00] ce n’est pas un gestus social en apparence, au premier abord. Remarquez que ça risque de l’être si, certaines conditions, mais enfin bon. L’attitude, hein — il s’agit bien d’attitude ; l’attitude d’un homme donc le gestus, ce sera la coordination des attitudes — l’attitude qu’un homme prend pour se défendre contre un chien — ça se gâte — peut être un gestus — peut, je dis bien, ce n’est pas nécessaire — peut être un gestus si, par exemple, elle met en relief la lutte qu’un individu mal vêtu doit mener contre des chiens de garde. Ah bon, se battre contre un chien, pas plus que se battre contre un [99 :00] moustique n’est pas un gestus social. Mais, mais, mais, s’il s’agit d’un homme mal vêtu qui se bat contre des chiens de garde — ou je ne force pas la pensée de Brecht — s’il s’agit d’un Noir, dans une cité américaine en émeute se battant contre des chiens policiers comme il y en a eu des images classiques naguère, on dira que c’est un gestus social. Bon, jusque-là tout le monde comprend. Seulement dès lors, d’accord, on voit les exemples. Qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qui va définir un gestus social ? [100 :00]

Là-dessus, j’ai deux sujets de trouble. Ce ne sera pas plus défini dans le texte de Brecht, pas davantage… j’en resterai à cet exemple, plus un autre exemple qui me paraît encore plus louche, à savoir montrer une, montrer une cérémonie nazie, c’est un sujet, ce n’est pas un gestus social. C’est seulement lorsque ces hommes, les Nazis, marchent au pas sur des cadavres qu’apparaît le gestus social du fascisme. Alors le gestus, ce serait un acte symbolique, un geste symbolique ? [101 :00] On va voir que, bizarrement Barthes lui-même s’oriente, ne va pas dans cette voie, mais s’engage un peu dans cette voie… Qu’est-ce qu’ils sont en train de nous dire ?

Du coup on est renvoyé à chercher dans d’autres textes de Brecht. Dans d’autres textes de Brecht, je vois un thème très important. Ce qui compte, ce n’est pas le sujet, c’est le rapport entre les hommes qui dérive du sujet. [Pause] Exemple, donné par Brecht lui-même : je veux faire une œuvre sur les champs de pétrole ; [102 :00] je peux dire que les champs de pétrole, c’est le sujet, mais ce n’est pas ça qui compte. Ce qui compte, c’est : est-ce qu’il y a, oui ou non, un nouveau type de rapport entre les hommes, mais un type spécial de rapport entre les hommes qui se développe dans le champ pétrolier ? Et quel type de rapport entre les hommes ?

Bon, c’est un rapport entre les hommes, [Pause] voilà une première petite indication. Je dirais qu’un rapport entre les hommes — je progresse un tout petit peu — c’est une attitude. Toute attitude est inter-humaine, [103 :00] et même si c’est une attitude intérieure, elle est, elle est inter-, inter deux éléments, intérieure à un même homme. Il y a toujours un rapport entre les hommes dans une attitude, soit. [Pause]

Avançons. Dans d’autres textes, [Pause] Brecht nous dit, introduit une autre notion. Heureusement, il nous dit que les rapports entre les hommes — là c’est une notion très originale par rapport au Marxisme — que les rapports entre les hommes mobilisent d’une façon ou d’une autre des décisions, soit qu’elles découlent de décisions, [104 :00] soit qu’elles amènent à une décision. La notion de décision est fondamentale chez Brecht. Alors, tiens, qu’est-ce que c’est que cette troisième notion, vous savez ? Le sujet — bon, on l’a supprimé — l’attitude rapport entre les hommes, et la décision. Il est bien évident que si je considère comme un gestus social un homme pauvre qui se bat contre des chiens ou un manifestant qui se bat contre des chiens de police, si c’est un gestus social, il est évident que cela implique une certaine décision, [105 :00] décision de ceux qui ont doté la police de chiens dressés. Ah ! L’attaque proprement des hommes, ça implique une décision, tout comme implique une décision le mode de gourdin de la police. Les rapports entre les hommes présupposent des décisions et entraînent eux-mêmes des décisions, à savoir, si j’en suis là dans mes rapports avec les hommes, à partir de là, je décide que… Bon. La décision joue donc un rôle extrêmement important. [Pause] [106 :00]

J’enchaîne : la distanciation de Brecht, la fameuse distanciation ne se comprend que par là. C’est-à-dire ce que nous sommes en train de commenter, c’est la distanciation comme résultat de tout un ensemble de notions brechtiennes. Car la distanciation, elle consiste en quoi ? Non seulement rompre avec le sujet, au sens de thème, mais rompre avec le sujet au sens d’états vécus. [Pause] Haine de l’état d’âme. C’est la voix blanche de Brecht — là encore ne mélangeons pas tout ; la voix blanche de Brecht, ce n’est pas la voix blanche de [Robert] Bresson, qui n’était pas lui-même la voix blanche de, de d’autres. On verra quand on parlera du parlant au cinéma, on tombera [107 :00] en plein dans ce problème-là, qu’est-ce qu’une voix blanche ? Et sans doute on aura toutes sortes de réponses, mais pour le moment, on laisse ça, hein ? — Quand il parle de la distanciation, il nous dit quoi ? Il nous dit Jocaste s’est pendue, non, qu’est-ce qu’elle a fait, elle s’est tuée, c’est tout. Qu’est-ce qu’elle fait Jocaste ? Enfin je ne sais plus, je ne sais plus, peu importe, elle s’est tuée. Jocaste s’est tuée. Vous savez, c’est l’histoire d’Œdipe hein ? Jocaste s’est tuée, bon, ben il ne s’agit pas de traiter ça à la manière d’un état d’âme ; il ne s’agit pas de s’apitoyer, pauvre Jocaste ! Il s’agit de faire prendre conscience de la décision qui a entraîné cette mort. La voix blanche de l’acteur annonçant : « Jocaste s’est tuée » et ne manifestant pas d’émotions, [108 :00] a pour fonction de nous faire prendre conscience qu’il ne s’agit pas d’un état d’âme, mais d’une décision par laquelle Jocaste s’est tuée.

Ah mais ça, ça nous va tout à fait, tout à fait, tout à fait. Vous allez voir ce qui nous va tout à fait. Ça nous fait passer un petit pas en avant, avant de retomber plus bas. Alors profitons-en, ça nous va rudement. Car ce qu’il appelle décision et il a parfaitement le droit d’appeler ça décision, c’est exactement ce qu’on appelait d’une autre manière « le discours cohérent ». La décision, c’est le discours cohérent que quelqu’un peut tenir ou pas comme correspondant à son attitude. La décision de doter la police [109 :00] de chiens spéciaux, c’est aussi bien le discours cohérent ; sera-t-il cohérent ou est-ce qu’il y a un discours cohérent à cet égard par lequel le préfet de police motive sa décision ? Bien.

Le spectateur chez Brecht est dans quelle situation ? Situation de participer à la décision soit pour la réprouver, soit pour l’approuver intellectuellement, c’est-à-dire catégoriellement. C’est vous dire à quel point on avance alors, [Pause] [110 :00] la décision catég… la réaction catégorielle à la décision, parce que la décision elle-même était une véritable catégorie. Les décisions nazies formaient-elles un discours cohérent ? Quel est le discours du Nazisme correspondant aux attitudes nazies ? C’est ça que le théâtre de Brecht prétend faire et non pas un théâtre sur le Nazisme.

Donc, je résume : je dirais, ben oui, chez Brecht la distanciation, la notion de distanciation va découler [111 :00] d’un complexe de notions pratiques et théoriques — pratiques parce qu’elles valent éminemment pour la mise en scène et l’organisation théâtrale — pratiques et théoriques qui sont les suivantes : les attitudes comme les attitudes sociales, définies par les rapports entre les hommes. Par exemple, Jocaste est prise dans un certain ensemble de rapports, rapports avec son fils devenu son mari, etc., c’est un rapport entre les hommes. Donc les attitudes sociales, ce sont les rapports entre les hommes. [Pause] [112 :00] Le gestus ou la catégorie, c’est la décision qui renvoie au discours cohérent ou non cohérent correspondant à telle ou telle attitude. [Pause] La catégorie, [Pause] c’est le rapport de la pensée du spectateur au gestus. [Pause] [113 :00]

Si vous reprenez à partir de là, en très gros, l’opposition que Brecht propose entre le théâtre avec lequel il rompt et qu’il appelle « dramatique », l’opposition entre le théâtre dramatique et le théâtre dont il se réclame et qu’il appelle « épique », l’opposition dramatique-épique est telle que vous avez, d’un côté, du côté du théâtre dramatique, le vilain, le mauvais, le mauvais théâtre, enfin l’ancien théâtre, selon Brecht. Vous avez : le théâtre dramatique, c’est avant tout l’action, c’est-à-dire l’histoire, l’intrigue, le sujet. [Pause] Deuxième caractère : [114 :00] il se fonde sur des traits de caractère. [Pause] Troisième caractère : il mobilise des états vécus, des émotions. Quatrième et dernier caractère : il a un déroulement linéaire, action-réaction. [Pause]

Le théâtre épique ne se définit pas par l’action mais par le gestus, opposition de l’action et du gestus. [Pause] Deuxième caractère : il ne concerne pas les traits de caractère, il concerne [115 :00] les rapports entre les hommes, c’est-à-dire les attitudes. [Pause] Troisième caractère : il n’a rien à voir avec les états vécus ou émotifs, mais il implique, du côté du spectateur, des concepts de l’entendement, c’est-à-dire des catégories. Quatrième et dernier caractère : il n’a pas un déroulement linéaire, action-réaction ; il a un déroulement sinueux. Pour introduire une cohérence un peu artificielle, moi, je dirais que ce que, au lieu de déroulement linéaire, [116 :00] je parlerais d’enchaînements par coupures irrationnelles. Un déroulement sinueux, c’est un ré-enchaînement sur coupure irrationnelle… [Interruption de l’enregistrement] [1 :56 :14]

Partie 3

… Bon, ça va à la rigueur, ça va à la rigueur pour moi, je ne sais pas si ça va pour vous ? Le texte de Barthes, j’y ajoute, les deux textes de Barthes se trouvent dans le recueil d’articles qui a paru sous le titre L’obvie et l’obtus, Essais critiques, tome III, aux éditions du Seuil. Et le premier article concernant Brecht, s’intitule « Diderot, Brecht, [117 :00] Eisenstein », est un article court mais plus long que celui de Brecht, pages 86-95 [93], [Pause] et à mon avis, Barthes ajoute deux choses à Brecht. [Pause]

Première chose, il ajoute un exemple lumineux — qui est peut-être dans Brecht mais ça m’étonnerait parce que Barthes l’aurait cité — exemple lumineux — en tous cas, je ne l’ai pas revu à rapide lecture — il nous dit, oui, pour nous faire comprendre, il nous dit, ben oui, [118 :00] revenons à Mère Courage. Le sujet, c’est bien la guerre de Trente Ans, l’action, c’est la guerre de Trente Ans. Mais voilà, ça ce n’est pas le gestus. Le gestus, c’est quoi ? C’est Mère Courage prenant la pièce de monnaie qu’on lui donne — elle est cantinière — prenant la pièce de monnaie qu’on lui donne et mordant dans la pièce de monnaie. Ça c’est un gestus social, mordant pour vérifier qu’elle est vraie, et ayant une minute d’inattention. Cette minute d’inattention fera que son gosse s’en va, se perd, et elle y perdra tous ses enfants. Voilà.

Barthes nous propose de considérer [119 :00] cette attitude de la cantinière, ce geste au sens d’un geste, ce geste de la cantinière mordant la pièce de monnaie, comme l’exemple typique d’un gestus social. Du moins ce n’est pas un gestus social lui-même — là, il n’y a pas lieu de discuter chaque terme de Barthes — ce n’est pas exactement lui qui est un gestus social, c’est une attitude sociale. Le gestus social, Barthes nous le fait comprendre admirablement, c’est autre chose, c’est la décision de la cantinière. Qu’est-ce que c’est que sa décision ? Sa décision, ce n’est pas du tout de mettre la pièce dans la bouche. Ça, ce n’est qu’une conséquence de la décision. La décision, c’est : vivre de la guerre. Le sujet de Mère Courage n’est pas la guerre de Trente Ans, mais le gestus de Mère Courage, [120 :00] c’est une femme qui a décidé de vivre de la guerre et qui y perdra tous ses enfants. C’est ça le gestus. Bon l’exemple, bien.

Et voyez pourquoi il peut passer, rapprocher d’Eisenstein, de Brecht, là, Barthes parce qu’en effet, il nous dit : mais c’est exactement ce qu’on reprochait à Eisenstein. On reprochait à Eisenstein de mal choisir ses sujets. Les Soviétiques lui reprochaient déjà : pourquoi est-ce qu’il prend comme sujet le cuirassé Potemkine ? Pourquoi est-ce qu’il prend comme sujet octobre ? On veut qu’il nous fasse des films sur maintenant. [121 :00] À quoi Eisenstein, comme Brecht, remarquerait que le maintenant n’est pas où ils croient, que le maintenant, ce n’est pas plus octobre, que le cuirassé Potemkine, que ce qui se passait au moment même d’Eisenstein. Que de toute manière, le vrai maintenant, c’est tout à fait autre chose. Le vrai maintenant, c’est le gestus. Une femme décide de vivre de la guerre. Et l’attitude qui correspond — et sans doute, est-ce qu’il y a un discours cohérent à ça ? — Il y a sûrement un discours, le discours de Mère Courage. Le discours de Mère Courage est le discours de quelqu’un qui a décidé de vivre de la guerre. Et on peut concevoir tous les arguments d’un pareil discours. Il peut être très, très cohérent. [Pause] [122 :00]

Seconde chose que Barthes ajoute, c’est que dans le gestus ainsi compris, il y a surgissement de ce qu’il appelle « l’instant prégnant », ou si vous préférez, le moment privilégié. On pourrait dire aussi bien « le vrai présent », [Pause] et que cet instant prégnant, ce moment privilégié, ou ce vrai présent, c’est l’émergence du sens, [Pause] le sens commence au gestus social. Je lis, entre parenthèses, à l’instant prégnant. [123 :00] D’où le trio, dans l’article de Barthes : [Denis] Diderot, Brecht, Eisenstein, puisque comme le montre très bien Barthes, Diderot avait fait en peinture une théorie de l’instant prégnant. Et, dans sa conception — d’ailleurs il faudrait aller voir — dans sa conception de la comédie bourgeoise, c’est bien évident que chez Diderot — il y a une conception en somme très curieuse de la comédie bourgeoise chez Diderot — c’est bien évident qu’il y a quelque chose qui anticipe lointainement sur un gestus social. Bon. [Pause]

Ben, jusqu’à maintenant, bon, d’accord. D’accord. Alors qu’est-ce qui me gêne ? [124 :00] Il a fallu que je force déjà beaucoup, il a fallu que je force les textes. Il a fallu que je force ces deux très beaux textes pour dégager l’idée que le gestus, c’était : le discours cohérent ou la décision correspondant à l’attitude. Je ne dis pas que ça n’y est pas ; j’espère que ça y est. À vous de vérifier, ou de pas vérifier, hein ? Je dis que ce n’est pas si simple. Même si vous n’allez pas aller y vérifier, je vous préviens : ce n’est pas si simple. C’est vrai, est-ce que ça y est vraiment ? Ou est-ce que c’est moi qui tire à moi, parce que ça m’arrange, un bout de phrase ? Est-ce que c’est bien l’esprit du texte ?

Car il y a dans le texte, aussi bien de Brecht que de Barthes, une tout autre direction, et celle-là, elle me gêne abominablement. C’est l’idée que le gestus [125 :00] serait lié particulièrement au sens parce que ce serait un geste signifiant, à la limite même, symbolique. Pourquoi ? Je reprends l’exemple, mordre la pièce, c’est un geste symbolique — c’est ce que tout le monde a toujours appelé un geste symbolique — [Pause] et voilà que Barthes insiste énormément que c’est l’endroit où surgit le sens. L’endroit où surgit le sens, bon, c’est très bien, mais l’endroit où surgit le sens, alors : l’instant prégnant, l’endroit où surgit le sens, tout ça me gêne. [126 :00] C’est-à-dire j’ai l’impression que j’avais cru comprendre quelque chose, et puis que tout d’un coup : non, ce n’est pas ça, qu’il parle d’autre chose, qu’il parle d’instant prégnant, de geste symbolique, toutes choses que je comprends mal, qui ne me disent rien, mais ça pourrait être à d’autres… Ça je n’y vois aucun inconvénient, vous remarquerez je ne fais aucune objection, je dis juste, ben non, là je ne peux pas suivre, je ne vois pas, je ne vois même pas de quoi il parle.

Du coup, je me dis, est-ce qu’il faudrait quand même, malgré la différence absolue des deux thèses, j’insiste, mettre ça en liaison avec un texte, beaucoup plus insolite encore, un texte de Barthes, ce texte que je vous annonçais et qui donne son titre au livre, texte intitulé « L’obvie et l’obtus », qui va peut-être nous faire avancer et qui, d’une certaine manière, va peut-être aussi concerner le gestus. Moi, je n’en sais trop rien, puisque je suis gêné par quelque chose [127 :00] dans ce texte de Barthes, ben, autant aller voir ailleurs si ça s’arrange. Alors voilà j’ai perdu, pour vous donner la… [Pause ; Deleuze cherche le texte] Ah non, ça ne s’appelle pas « L’obvie et l’obtus », c’est dans L’obvie et l’obtus, c’est publié sous le titre : « Le troisième sens », « Le troisième sens – notes de recherche sur quelques photogrammes, sur quelques photogrammes d’Eisenstein ». Et ce texte est célèbre chez beaucoup de… [Interruption de l’enregistrement] [2 :07 :51]

… gêné, avec le texte précédent qui commentait le gestus chez Brecht, etc. [128 :00] Qu’est-ce que nous dit ce texte ? Alors, là je vais être très, très, ben, très incertain puisque c’est celui auquel je ne comprends rien.

Barthes nous dit : il y a un premier niveau de l’image. Il y a un premier niveau de l’image qui ne fait pas problème. Il dit, en tout cas, ce n’est pas de ça dont je m’occupe : c’est le niveau de la communication, un niveau informatif : la communication. Et si je comprends bien, la communication, c’est ce que représente l’image. C’est la dénotation, c’est le niveau informatif. Exemple : le couronnement d’Ivan le Terrible [1944]. En d’autres termes, en très gros, on peut dire ce premier niveau, on voit ce que c’est. C’est pour emprunter, pour reprendre nos mots [129 :00] précédents : c’est le sujet ou c’est l’action. En effet, le sujet d’une œuvre ou le sujet d’une séquence, le couronnement d’Ivan le Terrible, admettons que ce soit de la dénotation de l’information. Déjà il y a énormément de choses qui me gênent là-dedans, mais, je comprends, d’accord, je comprends.

Il nous dit : deuxième, il y a un deuxième niveau. Deuxième niveau, c’est, dit-il, un niveau symbolique. Donc voilà déjà que ça va compliquer puisque le niveau symbolique, ce n’est pas celui que je croyais. Un niveau symbolique : comment est-ce qu’il définit le niveau symbolique ? Ben, il le définit d’une drôle de manière. Il dit : c’est le niveau de la signification, non plus de l’information, [130 :00] c’est le niveau de la signification. [Pause] Et qu’est-ce que c’est ? Eh bien, dans la scène du couronnement d’Ivan le Terrible, il y a le couronnement, et puis il y a, faisant partie du couronnement, la pluie de pièces d’or sur la tête du tsar. Deux personnages, d’un côté et de l’autre du tsar, font ruisseler sur sa tête ; on voit, enfin pour ceux qui se rappellent Ivan le Terrible, c’est une très, très belle image, la pluie des pièces d’or.

Et là, je ne comprends plus rien. Il en fait un niveau spécial. Je demande [131 :00] en quoi — pour vous dire je n’ai pas honte de ne pas comprendre alors — je demande en quoi – ce n’est pas, ce n’est pas une objection, là, ça me gêne — je demande en quoi la couronne n’est pas symbolique — elle est informative — et la pluie des pièces d’or, elle est symbolique ? Je ne vois absolument pas. Ce que je vois, c’est tout autre chose, que dans l’organisation de l’image, elle serait quelque chose qu’on a vu, donc je vais très vite. On peut dire que la pluie des pièces d’or et leur tintement, et la chute des pièces d’or sur… sur le tsar, est une harmonique de l’image, c’est-à-dire que par rapport à une tonique [132 :00] ou par rapport à ce que Eisenstein appelle en termes simples, par rapport à la dominante de l’image, je peux dire que la pluie des pièces d’or, c’est une harmonique. Mais je ne vois pas en quoi elle est elle-même plus symbolique que la couronne, le sceptre, etc… Je ne vois pas. Bon ça c’est… Mais, donc je ne vois pas lieu comme… En plus, je n’ai pas le sentiment que dans l’image cinématographique, il y ait la moindre dimension de communication ou d’information. Ça m’arrangerait plutôt que l’on m’accorde que les deux-là n’en font qu’un, que les deux… que ces deux premières dimensions n’en font qu’un.

Bon. Mais, dit Barthes, il y a un troisième [133 :00] sens. Il y a un troisième sens. Et là alors, on retrouve tout Barthes. C’est, je veux dire, c’est un texte extraordinairement émouvant parce que c’est tellement, tellement, c’est tellement lui avec son génie à lui. C’est vraiment à un niveau, enfin je ne sais pas quoi, c’est une espèce d’impression, mais ce n’est pas de l’impressionnisme. C’est quelque chose qu’il sent. Il sent, et son écriture, c’est dire ce qu’il sent, c’est… il a senti quelque chose. Voyez, il ne prétend pas que tout le monde le sente. Il dit, c’est très bizarre, je sens qu’il y a un troisième niveau. Alors on l’attend aux exemples, puisqu’en effet ça va partir d’exemples.

Et je donne le plus frappant parce que si je commençais par l’exemple qu’il donne, au début, on serait, il me semble, encore plus [134 :00] perdus. Je donne le plus frappant. Il dit, dans Le Cuirassé Potemkine, il y a des attitudes. Bon ça, ça nous convient, on retombe dans un domaine-là, que… il y a des attitudes, les fameuses attitudes eisensteiniennes avec lesquelles se confondent les images signées Eisenstein. C’est un grand cinéaste d’attitudes. Par exemple, dans la grande scène du deuil, toutes les attitudes de chagrin, ce sont des attitudes. [Pause] Mais disons que — oui, j’ai oublié l’essentiel, les deux premiers niveaux, que distingue… [135 :00] acceptons de les grouper sous le terme : « sens obvie », o-b-v-i-e, dérivé du latin obvius. Obvius, c’est ce qui vient au-devant, ce qui vient au-devant, « sens obvie ». Eh ben, les attitudes de chagrin ont un sens obvie. Par exemple, toute une série, toute une série de plans où vous voyez des femmes dans des attitudes de chagrin. Et à cet égard, Eisenstein est l’équivalent d’un très grand sculpteur ou d’un très grand peintre. Voilà.

Et puis voilà que Barthes [136 :00] commence à dire des choses si étranges, si étranges. Il dit : j’ai eu une impression que j’aurais beau dire attitude de chagrin, ça ne rend pas compte de certaines choses dans certaines images. Et il prend l’exemple d’une pauvre vieille qui crie son désespoir — image de la vieille femme clamant son désespoir, criant le désespoir — et il dit : vous pouvez considérer, Barthes dit, vous pouvez considérer — elle est coiffée d’une espèce de toque — et vous pouvez considérer la suite des images, c’est une attitude de désespoir parmi les autres. Attitude de désespoir, c’est le sens obvie. [Pause] [137 :00]

Et puis, survient ou peut survenir, dit Barthes, une image qui vous fait une drôle d’impression. Dans quelles conditions la voyez-vous ? Ça, je reporte ce problème à plus tard. Comme si il y avait un plus, un trop. C’en est trop. Qu’est-ce que c’est ce « c’en est trop » ? Un supplément, dit… un supplément à l’attitude. [Pause] Il donne la production des images, et en effet, il y en a une où cette vieille qui clame son désespoir, a sa toque qui semble, vu l’angle où elle est prise, la toque semble presque rejoindre les sourcils. Il suffit, en effet, que la tête, que l’objectif-là [138 :00] prenne d’un certain plan, la toque semble descendre presque au niveau des sourcils, ou bien elle-même va hausser les sourcils. Vous avez donc la raie de la toque, les sourcils qui touchent presque la toque, et enfin la bouche complètement en arc de cercle, alors qu’ensuite, elle ne le sera plus, qui reprend la ligne de la toque. Alors, il donne un exemple, il donne le photogramme cinq, ce qu’il appelle le photogramme cinq — vous le verrez dans l’article si vous allez le voir — et puis le photogramme six, il dit : dans le photogramme six, ça a disparu. Quelque chose s’est posé un instant — voyez l’instant prégnant, on retrouve déjà un thème, l’instant prégnant — un instant quelque chose s’est posé : [139 :00] un plus du sens obvie.

Mais qu’est-ce que c’est ? Alors, nos réponses abondent. On pourrait dire, ben, c’est un détail décoratif. On pourrait dire, c’est une rime visuelle — il y a des rimes visuelles — il y a une rime entre la bouche et la toque. Et dans les autres photogrammes, dans les autres images, il n’y a pas de rimes, ou il n’y a pas cette rime-là. Il ne dit rien de tout ça. Il veut qu’il y ait là une dimension, une dimension radicalement nouvelle, par rapport aux deux précédentes qui étaient du sens obvie. Et ce quelque chose de tout à fait nouveau, il va l’appeler l’opposé de obvie : sens [140 :00] obtus, sens obtus.

Il essaie alors – et les phrases, et les phrases sont admirables, les phrases sont très, très belles dans ce texte, ce n’est pas les phrases qui font problème — il dit : c’est très curieux, on a l’impression que tout d’un coup, un court instant, elle s’est déguisée. La vieille s’est déguisée, et pourtant — c’est très compliqué ce qu’il veut dire, cette page est très compliquée — et pourtant, ce n’est surtout pas une parodie. Ce n’est pas une parodie de chagrin, elle est dans son chagrin. Mais si je comprends bien ce que veut dire Barthes, c’est comme si son chagrin l’avait déguisée, au sens où, par exemple, [Marcel] Proust peut dire, dans des pages très célèbres, que la vieillesse avait déguisé le visage des personnes qu’il retrouve au bout [141 :00] de dix ans, vingt ans. C’est comme si la vieillesse les avait déguisés. Là c’est comme si le chagrin l’avait déguisée. Ce n’est donc pas une parodie mais, nous dit-il, un déguisement.

Je lis : « La ‘basseur’ de la ligne coiffante, la ‘basseur’ de la ligne coiffante, anormalement tirée jusqu’aux sourcils, comme dans ces déguisements où l’on veut se donner un air loustic et niais » [p.49] — je veux dire, c’est très, c’est très admirable, en même temps c’est très amusant, c’est très rigolo, on se dit en même temps, ah bon, pour Barthes, se donner un air loustic et niais, ça, ça doit être comme ça. Pour moi, ce ne serait pas ça, enfin c’est très curieux — « La montée circonflexe des sourcils passés, éteints, [142 :00] vieux, la courbe excessive des paupières baissées mais rapprochées comme si elle louchait, et la barre de la bouche entrouverte, répondant à la barre de la coiffe et à celle des sourcils, dans le style métaphorique ‘comme un poisson à sec’ » — un poisson à sec — Tout cela nous donne l’impression « d’un déguisement assez pitoyable », le chagrin l’a déguisée. Je n’arrive pas à dire mieux : le chagrin l’a déguisée, et puis il continue, il dit, surtout ce n’est pas du tout, ne croyez pas que, il ne s’agit pas de dire qu’elle singe la douleur ; c’est le contraire, c’est comme au sommet du chagrin que le chagrin la déguise. Et, à ce sommet, qui nous serait ouvert, ce serait comme un angle obtus, [143 :00] c’est-à-dire apparaîtrait dans cette ouverture, un sens obtus. [Pause]

Je termine sur deux points. Il donne d’autres exemples tirés de Eisenstein. Ces exemples m’apparaissent alors du coup, si peu, si peu convaincants que je crois que — d’ailleurs on le sent dans la manière… c’est au niveau de la vieille femme qu’il a eu, qu’il a eu l’émotion. Mais, je dois signaler par honnêteté qu’il donne d’autres exemples toujours empruntés à Eisenstein, au point qu’il nous dit : peut-être qu’Eisenstein a été le seul à atteindre à cette dimension — que dit-il — j’appelle le « sens obtus » et dont [144 :00] lui-même ne cache pas, quand il cherche à la définir — il avait défini les deux autres dimensions par information et signification — il définit cette troisième dimension par la « signifiance » — empruntant le mot à Julia Kristeva — à la signifiance, et il le définit de la manière suivante : c’est un signifiant sans signifié. Donc, toute cette image de la vieille dame que le chagrin déguise, c’est un signifiant sans signifié. Voilà ma première remarque.

Deuxième remarque, et vous le reconnaissez — je crois que c’est le seul critère concret qu’il donne — vous le reconnaissez à cette impression de déguisement. Vous pourriez dire aussi, là je vois, je vois un petit peu ce qu’il veut dire : la tension le déguise, la réflexion le déguise. Par exemple, vous voyez quelqu’un qui est tout seul et qui pense très [145 :00] profondément à quelque chose. Vous pouvez avoir l’impression, vous direz : il est complètement absorbé, et cette manière d’être absorbé en lui-même le déguise, on ne le reconnaîtrait pas. Peut-être que c’est quelque chose comme ça ? Il est à ne pas le reconnaître. Il faudrait forger un mot : il est déguisé de soi-même.

Il y avait, je me rappelle, une splendide interview qui était en vidéo de [Jack] Kerouac, le plus grand, l’un des plus grands auteurs américains. À la fin de sa vie, Kerouac qui n’en pouvait plus, d’alcoolisme, de maladie, etc., Kerouac parlait là très librement. Il avait à la canadienne, une formule du Canada français, « je suis tanné de moi-même » ; [146 :00] ça veut dire j’en ai marre quoi, « je suis tanné de moi-même », c’est une belle formule ça, « je suis tanné de moi-même », de moi-même. Eh ben, de la même manière qu’il était tanné de lui-même, on est souvent déguisé de soi-même. Bon, ce serait ça. Bon.

Vous voyez tout de suite où je veux en venir. Ma première question, c’est : est-ce que ce n’est pas une manière de dire, c’est le gestus ? Est-ce qu’il n’y a pas un lien entre le gestus et ce sens obtus que découvre Barthes dans un tout autre texte, ou bien est-ce que je rapproche les deux textes ? Mes raisons de les rapprocher, c’est quoi ? C’est les deux arguments qui me gênaient déjà dans le premier texte, l’instant prégnant, qui est repris dans ce second texte, et le sens, qui est repris dans ce second texte puisque le sens obtus, [147 :00] ce sera le vrai sens. Je ne dis pas le sens vrai, mais ce sera le vrai sens.

Deuxième remarque, [Pause] le sens obtus, d’après ce que nous dit Roland Barthes, ne se laisse pas voir au cinéma. Il ne se laisse pas voir au cinéma. Ma perplexité devient de plus en plus grande, c’est-à-dire alors, quoi ? On ne voit pas l’image de la… il faut croire que non. Pourtant, les autres exemples qu’il donne, on les voit. Ça ne semble pas le gêner. Il dit : on ne le voit pas. Bien plus il dit : on ne peut pas le voir. Pourquoi ? Là alors, ça commence à m’importer parce que on aura quelque chose à en tirer. Il faut passer par là, il faudra passer par [148 :00] une théorie du photogramme. Il dit : c’est une dimension du photogramme. Ce n’est pas une dimension de l’image.

Là alors, on le retrouve pleinement. Je veux dire, c’est très marrant ce texte parce qu’il y a des moments où vraiment, on ne peut pas le lire sans penser qu’il est là… il y a des moments où il dit : forcément, ben moi, vous savez, je n’aime pas le cinéma — effectivement, le cinéma, il s’en fout – je n’aime pas le cinéma, mais d’une part, la photo, ça l’intéresse, alors ce n’est pas du tout qu’il confonde une photo et un photogramme, mais ce qui l’intéresse dans le cinéma, c’est le photogramme. Il parle avec, il parle avec beaucoup d’émotion de ceux qui coupent un petit bout, comme ça, les cinéphiles, qui coupent un petit bout là, pour le garder chez eux. [Deleuze rigole] Si bien qu’on a des films où l’image saute parce qu’il manque deux, trois photogrammes qu’un pirate a [149 :00] emportés. [Rires] Bon alors, bien, c’est, il dit, c’est une donnée, c’est une dimension du photogramme.

Et comme le photogramme, ce n’est pas la même chose que la photo… mais là, c’est très curieux. Pourquoi ce n’est pas la même chose que la photo ? À mon avis, l’argument qu’il donne est très peu convaincant. Moi je pense que ce n’est pas la même chose que la photo, mais je ne trouve pas que son argument soit… enfin supposons, hein ? Le photogramme évidemment, ce n’est pas la même chose que la photo, bon. Qu’est-ce que c’est ? C’est le filmique pur. C’est-à-dire c’est ce qu’on ne voit jamais au cinéma, d’après son… Ce n’est pas du cinéma, c’est du filmique. « Le filmique est différent du film. Le filmique est aussi loin du film que le romanesque du roman. […] Le filmique, très [150 :00] paradoxalement, ne peut être saisi dans le film ‘en situation’, ‘en mouvement’ » [L’obvie et l’obtus, pp. 58-59] Le filmique ne peut pas être saisi dans le film en mouvement. En d’autres termes, le filmique s’incarne dans le photogramme à l’état pur. [Pause]

« Si le propre filmique » — le propre filmique – « si le propre filmique » — entre parenthèses — « (le filmique d’avenir) » — c’est-à-dire il explique que tout le cinéma, c’est moche parce qu’il n’a jamais atteint le filmique, donc… – « Si le propre filmique » — c’est-à-dire — « (le filmique d’avenir) n’est pas dans le mouvement, mais dans un troisième sens, inarticulable » [L’obvie et l’obtus, p. 59] [151 :00] — à savoir : le sens obtus, bon, il est au-delà du mouvement, le filmique est au-delà de l’image-mouvement. Bien. Le filmique est au-delà de l’image-mouvement, il réside dans le photogramme.

Ça implique toute une série de thèses : que le photogramme soit en dehors ou au-delà de l’image-mouvement, ce qui ne me paraît pas du tout évident ; que d’autre part, ce dont il parle ne soit pas vu dans le film en mouvement. Je ne vois vraiment pas pourquoi l’image de la femme avec sa toque n’est pas vue. Je ne vois vraiment pas pourquoi il dit ça. Et lui alors, comment il l’a vue ? Je veux dire, est-ce que vraiment il aurait été jusqu’à couper un petit bout ? Et pourquoi il aurait choisi ce petit bout ? Ou alors il a vu tout le Cuirassé — ça, il en serait peut-être même capable — il a vu [152 :00] le Cuirassé photogramme par photogramme. C’est possible, c’est possible même si tout ça, ça ne paraît pas évident.

Et enfin j’enchaîne pour que on reparte là-dessus la prochaine fois. Donc, Raymonde Carasco publie dans « Le cinéma en l’an 2000 » — un numéro spécial, c’est ça ? — « Cinéma en l’an 2000 », un numéro spécial de la Revue d’esthétique, un article, le titre c’est quoi ? Je ne l’ai pas en mémoire. Tu te rappelles le titre ?

Carasco : [Inaudible, mais elle fournit le titre de son article ; la référence complète : « L’Image-cinéma qu’aimait Roland Barthes (le goût du filmique) », Revue d’esthétique, Le Cinéma en l’an 2000, 6 (1984) pp. 71-78]]

Deleuze :  C’est ça, « L’image-cinéma qu’aimait Roland Barthes », hein ? Donc elle publie un commentaire où elle fait sienne la thèse… bien plus, non seulement elle fait sienne la thèse de Barthes, l’affirmation qu’il y a un filmique irréductible au cinéma et saisissable uniquement, si je comprends bien, dans le photogramme, et elle en rajoute. Elle en rajoute car [153 :00] elle dit : attention, non seulement cet élément filmique pur est au-delà de l’image-mouvement, mais il est, aussi, au-delà de l’image-temps. Et elle précise : attention, Barthes avait déjà dit que c’était au-delà de l’image-temps, mais au sens simple du temps chronologique, de la succession. En effet, si c’est un photogramme, c’est extrait de la succession des images. Donc c’est au-delà de l’image-mouvement, ou ça paraît être au-delà de l’image-mouvement et au-delà de l’image du temps chronologique, ou ce que Barthes appelait « le temps logique ».

Mais Raymonde Carasco veut plus. Elle veut que ce soit non seulement au-delà de l’image-mouvement et au-delà du temps chronologique, mais au-delà de ce qu’elle appelle « la durée », ou si vous préférez, au-delà [154 :00] de tout temps intérieur [Pause] et au-delà de tout temps non chronologique. C’est-à-dire j’appelle temps non chronologique un temps qui ne se résout pas à la succession. [Pause] À part cette addition, elle me semble pleinement d’accord avec Barthes, à savoir : il y aurait un filmique irréductible au cinéma. Alors la prochaine fois, c’est, je vous avoue, c’est : l’ensemble de cette seconde thèse de Barthes et de cette reprise par Raymonde Carasco que je ne comprends absolument pas.

Donc au début de la prochaine séance, on fait notre interview, si elle veut bien, et puis on passera aux conclusions par d’après ce qu’elle… et notamment il nous faudra un statut [155 :00] du photogramme. [Fin de la séance] [2 :35 :02]

 

Notes

For archival purposes, the augmented version of the complete transcription with time stamp was completed in August 2021. Additional revisions were added in February 2024 and May 2025. The translation was completed in May 2025, published in August 2025.

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